L’actualité politique sud-africaine a été profondément marquée, depuis les élections générales de 2024, par la formation d’un gouvernement de coalition inédit et par la nomination d’un nouveau visage à la tête d’un portefeuille hautement sensible : celui de l’Emploi et du Travail. Depuis le 3 juillet 2024, Nomakhosazana Meth occupe ce ministère stratégique au sein du cabinet du président Cyril Ramaphosa, dans le cadre de la septième administration democratique du pays.
Cette responsabilité s’exerce dans un contexte particulièrement tendu. L’Afrique du Sud demeure l’un des pays les plus inégalitaires au monde, avec un chômage massif et persistant qui touche plus de 30 % de la population active, et bien davantage encore chez les jeunes. Au deuxième trimestre 2024, le taux de chômage officiel a atteint 33,5 %, tandis que le chômage élargi – incluant les personnes découragées – demeure très élevé. C’est dans ce paysage social fragmenté que Nomakhosazana Meth doit incarner la promesse d’un État capable de créer des emplois, de faire respecter la législation du travail et de protéger les travailleurs les plus vulnérables.
Figure de l’ANC (African National Congress), membre de l’Assemblée nationale et du cabinet, Nomakhosazana Meth n’est pas une novice en politique. Elle s’est forgé une solide expérience au sein des collectivités locales et du gouvernement provincial de la province du Cap-Oriental, notamment comme membre du Conseil exécutif (MEC) chargée du Développement rural puis de la Santé, avant de rejoindre la scène nationale en 2024.
À la fois technicienne des politiques publiques et cadre du parti, elle se présente aujourd’hui comme une ministre de terrain, décidée à affronter ce qu’elle décrit elle-même comme une “mammoth task”, une tâche gigantesque, pour redonner espoir à une société minée par le chômage et la pauvreté.
Des racines rurales du Cap-Oriental à la politique nationale
Nomakhosazana Meth est née le 1er juillet 1966 à Ntabankulu, une petite ville du Cap-Oriental, dans ce qui était alors la province du Cap. Elle est l’une des nombreuses enfants de Cromwell (ou Nkosi) Diko, figure politique du Transkei, opposant à l’apartheid qui a connu la prison de Robben Island. Cette origine familiale a fortement contribué à façonner son engagement, dans une région historiquement marquée par la résistance et par un profond sous-développement économique.
Son parcours académique illustre une orientation claire vers la gestion publique et les questions de gouvernance locale. Elle étudie au sein d’universités sud-africaines de référence, notamment l’Université de Fort Hare – institution emblématique de la formation des élites africaines du pays – où elle obtient un diplôme de niveau honours en administration publique et d’autres certificats dans le domaine de la gouvernance. Elle complète sa formation par des certificats en droit des collectivités locales à Fort Hare et à l’Université de Zululand, ainsi qu’un diplôme en leadership exécutif et développement municipal à l’Université de Pretoria.
Cette spécialisation dans la gestion municipale ne relève pas du hasard. L’Afrique du Sud post-apartheid a beaucoup misé sur la décentralisation et le renforcement des municipalités comme échelon de base de la démocratie et du développement. En choisissant ce domaine d’étude, Nomakhosazana Meth se prépare à intervenir au plus près des populations, dans des territoires où l’accès à l’emploi, à la santé et aux services de base reste souvent fragile.
Son engagement politique se développe naturellement au sein de l’ANC. Elle s’y implique dans les structures locales et régionales, notamment au sein de la ligue féminine du parti. Entre 2008 et 2014, elle préside la ligue des femmes de l’ANC dans la région d’OR Tambo, structure influente dans une zone rurale où le parti au pouvoir conserve une base électorale historique.
Au-delà des structures partisanes, elle s’implique également dans les organisations de gouvernement local, en particulier au sein de l’Association sud-africaine des gouvernements locaux (SALGA) dans la province du Cap-Oriental, dont elle devient présidente provinciale entre 2011 et 2016.(Wikipédia) Là encore, cette position renforce son profil de spécialiste des enjeux municipaux, de la prestation de services de base et des défis de gouvernance à l’échelle locale.
Une carrière forgée dans les collectivités locales et la santé publique
Avant d’accéder à la scène nationale, Nomakhosazana Meth fait ses armes au sein des municipalités de sa région. De 2006 à 2008, elle est présidente (speaker) du conseil municipal de Mbizana, puis conseillère au sein du district d’OR Tambo. À l’issue des élections municipales de 2011, elle devient speaker de ce district, avant d’en être élue maire après le scrutin de 2016. Ces fonctions la placent au cœur des enjeux quotidiens des habitants : accès à l’eau, entretien des routes, investissements, emploi local.
En 2019, lors des élections provinciales, elle est élue au Parlement provincial du Cap-Oriental et nommée, quelques jours plus tard, membre du Conseil exécutif (MEC) en charge du Développement rural et de la Réforme agraire, sous la direction du Premier provincial Oscar Mabuyane. Dans cette fonction, elle supervise des programmes de soutien à l’agriculture, en particulier aux petits exploitants et aux agriculteurs noirs, dans le cadre des efforts de transformation de la structure foncière héritée de l’apartheid.
En mars 2021, un remaniement provincial la propulse à la tête d’un portefeuille encore plus exposé : celui de la Santé du Cap-Oriental. Elle remplace alors Sindiswa Gomba au poste de MEC de la Santé, alors que la province est très durement touchée par la pandémie de Covid-19 et par les faiblesses chroniques de son système hospitalier.
À ce poste, Nomakhosazana Meth doit gérer plusieurs crises simultanées : la gestion de la pandémie, les pénuries de ressources humaines et matérielles, et un réseau hospitalier régulièrement critiqué pour son manque de moyens et de gouvernance. Elle lance notamment un plan en trois phases pour améliorer les services médicaux d’urgence de la province, annoncé en octobre 2022, en mettant l’accent sur l’augmentation du nombre d’ambulances et de personnels formés, ainsi que sur une meilleure coordination des services.
Son passage à la tête de la Santé provinciale est aussi marqué par des critiques. L’Azanian People’s Organisation (AZAPO), un parti d’opposition, demande par exemple son départ en 2021, estimant que l’état des hôpitaux de la province s’est dégradé sous sa direction. Ces accusations illustrent la pression constante exercée sur les responsables politiques dans un système de santé fragile, confronté à la fois aux séquelles de l’apartheid, aux contraintes budgétaires et à la pandémie.
Sur le plan personnel, cette période est traversée par des épreuves. En janvier 2019, avant même son passage à la Santé provinciale, Nomakhosazana Meth perd deux de ses fils dans un accident de voiture à Mthatha, drame largement relayé par la presse locale. Elle est également testée positive au Covid-19 en juillet 2020, ce qui fait d’elle l’une des premières responsables politiques provinciales dont l’infection est rendue publique.
Malgré ces difficultés, elle consolide sa position dans l’ANC. En décembre 2022, lors du 55e congrès national du parti, elle est élue au Comité exécutif national (NEC), l’organe dirigeant de l’ANC, pour un mandat de cinq ans. Elle figure ainsi parmi les 80 membres élus, renforçant son influence au niveau national.
Une ministre de l’Emploi et du Travail face à un chômage massif
L’élection générale de 2024 marque un tournant historique : pour la première fois depuis 1994, l’ANC perd la majorité absolue au Parlement, ce qui conduit à la formation d’un gouvernement d’unité nationale associant plusieurs partis. Dans ce nouveau paysage politique, Nomakhosazana Meth est élue à l’Assemblée nationale en juin 2024, puis nommée ministre de l’Emploi et du Travail à compter du 3 juillet 2024, en remplacement de Thulas Nxesi.
Son ministère dispose de deux vice-ministres – Jomo Sibiya et Phumzile Mgcina – et joue un rôle clé dans la réponse gouvernementale au “triple fardeau” sud-africain : pauvreté, chômage et inégalités. Dès ses premiers discours, la ministre insiste sur la dimension “gigantesque” de la mission de son département, ainsi que sur la nécessité de redonner de “l’espoir” aux citoyens.
Au cœur de sa feuille de route se trouvent plusieurs priorités : la création et la pérennisation de 2,5 millions d’opportunités de travail, la mise en œuvre d’une stratégie industrielle transversale pour soutenir la croissance, le renforcement de la protection sociale pour lutter contre la pauvreté, et l’application rigoureuse du salaire minimum national dans l’ensemble des secteurs concernés. La ministre insiste par ailleurs sur la sécurité au travail et sur l’importance d’une meilleure application du droit du travail, à travers des inspections accrues et des sanctions renforcées à l’encontre des employeurs non conformes.
Lors de la présentation du budget 2024/2025 de son département au Parlement, Nomakhosazana Meth rappelle le mandat fondamental du ministère : améliorer l’efficacité économique, faciliter la création d’emplois décents et assurer une protection sociale adéquate pour les travailleurs vulnérables. Elle souligne aussi les progrès réalisés depuis 1994, notamment la formalisation d’un salaire vital, l’institutionnalisation de partenariats sociaux à travers des structures tripartites et l’adoption de lois visant à faire du lieu de travail un espace plus sûr.
La ministre met également en avant l’ampleur des programmes d’activation du marché du travail financés par le Fonds d’assurance-chômage (UIF). Entre 2022 et 2024, des milliards de rands sont consacrés au Labour Activation Programme (LAP), qui combine formation, soutien à l’entrepreneuriat et création d’emplois pour des centaines de milliers de chômeurs. Pour la période 2024-2025, l’objectif affiché est de recruter 360 000 personnes supplémentaires dans des programmes de développement des compétences, avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes.
Au-delà des frontières nationales, Nomakhosazana Meth rappelle que son ministère joue un rôle actif dans les forums multilatéraux comme le secteur Emploi et Travail des BRICS ou le groupe de travail sur l’emploi du G20, où l’Afrique du Sud occupe un rôle de troïka. Elle inscrit ainsi son action dans une dynamique internationale de partage d’expériences sur les politiques de l’emploi et la protection sociale.
Entre espoirs de rupture, critiques et contraintes structurelles
L’arrivée de Nomakhosazana Meth à la tête du ministère de l’Emploi et du Travail marque un changement notable sur le plan politique. Plusieurs observateurs soulignent qu’elle est la première titulaire de ce portefeuille à ne pas être issue des rangs syndicaux ou du Parti communiste sud-africain, dans un ministère historiquement dirigé par des figures proches du mouvement ouvrier organisé. Cette caractéristique est perçue par certains comme un “virage” potentiel vers une approche davantage axée sur le développement de l’entreprise et du secteur privé, tout en maintenant la protection des droits des travailleurs.
Des organisations patronales comme COFESA ont salué sa nomination, y voyant l’opportunité d’un rééquilibrage des priorités vers la stimulation de l’investissement, le soutien aux petites entreprises et la valorisation du secteur agricole pour créer des emplois. Ces attentes s’inscrivent dans un contexte où la croissance économique sud-africaine reste insuffisante pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail.
Cependant, le jugement porté sur ses premiers mois à la tête du ministère n’est pas unanime. Dans son bilan 2024 des membres du cabinet, le Mail & Guardian lui attribue une note sévère, estimant que, malgré des annonces de plans et de programmes – parfois perçus comme la reprise de dispositifs existants –, l’impact réel sur la création d’emplois et la réduction du chômage demeure limité. Le journal souligne également qu’un audit a révélé que 29 % des lieux de travail inspectés n’étaient pas conformes à la législation du travail, pointant une faiblesse persistante de l’inspection du travail.
Ces critiques rappellent la difficulté de transformer rapidement une structure administrative confrontée à des ressources limitées et à une demande sociale immense. Elles s’ajoutent aux controverses qui ont émaillé son passage à la Santé du Cap-Oriental, lorsque des voix s’étaient élevées pour dénoncer l’état des hôpitaux et réclamer son départ.
Pour autant, il faut replacer l’action de la ministre dans le cadre plus large des contraintes structurelles sud-africaines : un chômage de masse hérité d’une économie duale, la désindustrialisation, une crise énergétique prolongée et une croissance atone. Les marges de manœuvre d’un ministère, aussi puissant soit-il, restent restreintes lorsque la dynamique d’investissement privé est faible et que l’espace budgétaire de l’État est sous tension.
Nomakhosazana Meth s’efforce de répondre à ces défis par un discours centré sur la coopération et l’intégration des politiques publiques. Elle insiste sur la nécessité d’une coordination renforcée entre les différents départements, les entités publiques, les autorités traditionnelles et le secteur privé, afin que les initiatives de création d’emplois ne soient pas dispersées mais convergent vers un objectif commun. Cette approche se reflète également dans son soutien au District Development Model, qui vise à faire des 44 districts et 8 métropoles du pays des centres de développement économique et de création d’emplois.
Quel avenir pour la politique de l’emploi en Afrique du Sud sous la houlette de Nomakhosazana Meth ?
L’avenir de la politique de l’emploi en Afrique du Sud dépendra largement de la capacité du ministère dirigé par Nomakhosazana Meth à passer des annonces à l’exécution concrète, et à surmonter les obstacles récurrents que sont la lenteur administrative, la corruption et l’insuffisance de suivi des programmes. En présentant le budget et les priorités de son département, la ministre a insisté sur l’importance de “faire plus, avec moins, pour davantage de personnes”, résumant ainsi la tension permanente entre ambitions politiques et contraintes financières.
Le succès des programmes d’activation de l’emploi financés par l’UIF sera un test décisif. Si les objectifs de recrutement et de formation – notamment pour les jeunes et les femmes – sont atteints, et si une proportion significative des bénéficiaires accède à un emploi durable ou à une activité génératrice de revenus, Nomakhosazana Meth pourra revendiquer un impact tangible sur le terrain. Dans le cas contraire, ces initiatives risquent d’être perçues comme de simples opérations ponctuelles, incapables de modifier en profondeur la structure du chômage.
Parallèlement, la ministre devra convaincre tant les syndicats que les organisations patronales de sa capacité à préserver l’équilibre entre la protection des travailleurs et la flexibilité nécessaire à la création d’emplois. Son profil, moins directement lié au mouvement syndical que ses prédécesseurs, pourrait être un atout pour renouer avec certains milieux d’affaires, mais il représente aussi un défi pour maintenir la confiance des centrales syndicales, partenaires historiques de l’ANC dans le cadre de l’alliance tripartite.
Enfin, une partie du jugement porté sur son action dépendra de la manière dont elle répondra aux critiques relatives au manque d’impact de ses premiers mois à la tête du ministère. L’analyse sévère de certains médias souligne la nécessité d’une mise en œuvre plus visible et plus rapide des mesures annoncées, ainsi que d’une amélioration notable des résultats en matière de conformité au droit du travail et de création d’emplois.
Nomakhosazana Meth arrive à un moment où l’Afrique du Sud célèbre trente ans de démocratie, tout en restant confrontée à des défis socio-économiques extrêmement lourds. Son parcours, des municipalités rurales du Cap-Oriental au cœur du cabinet national, illustre l’ascension d’une responsable politique issue des structures locales de l’ANC, rompue aux réalités du terrain et aux compromis de la gouvernance. Reste à savoir si, à la tête du ministère de l’Emploi et du Travail, elle parviendra à transformer cette expérience en résultats concrets pour des millions de Sud-Africains en quête de travail, de dignité et de sécurité sociale.



