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L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

« Les cyclo-pousses à Toliara : entre accessibilité socio-économique et enjeux de sécurité dans la circulation urbaine »


Par

  • Docteure RAZAFITAHINDRAZA Erica Feyzine Sulla ;

  • Monsieur CALVIN Andrianomenitompo Cyrus, Doctorant ;

  • Madame LAHIMASY Voahasina Karine, Doctorante.

  • RAZAFIENDRINTSOA Dieudonné Gabriel


Résumé

Les cyclo-pousses constituent un moyen de transport emblématique de la ville de Toliara, offrant une solution de mobilité accessible à une grande partie de la population urbaine. Toutefois, leur prolifération dans un espace urbain insuffisamment structuré soulève de nombreux défis, notamment en matière de sécurité routière, de congestion du trafic et d’intégration dans les politiques de transport urbain. Cette étude analysera la dualité entre le rôle socio-économique des cyclo-pousses et les problèmes qu’ils posent pour la circulation urbaine. À partir d’une enquête de terrain menée auprès de conducteurs, d’usagers et de responsables municipaux, cette étude va mettre en valeur les dynamiques d’utilisation, les conditions de travail des cyclo-pousseurs, ainsi que les limites des politiques de régulation actuelles. Nous allons ici recommander une approche intégrée combinant régularisation, formation et amélioration des infrastructures pour concilier accessibilité et sécurité.

Mots-clés : cyclo-pousse, transport urbain, Toliara, sécurité routière, précarité, mobilité douce, économie informelle

Abstract

In Toliara, cycle rickshaws serve as a vital transportation option, offering affordable mobility to a significant segment of the urban populace. However, their widespread use within an inadequately structured urban framework introduces challenges such as road safety concerns, traffic congestion, and difficulties in integrating them into formal urban transport policies. This research delves into the dual nature of cycle rickshaws—highlighting their socio-economic importance and the urban mobility issues they present. Through fieldwork involving drivers, passengers, and municipal officials, the study examines usage patterns, the working conditions of rickshaw operators, and the shortcomings of existing regulatory measures. The findings advocate for a comprehensive approach that encompasses regulation, driver education, and infrastructure enhancements to balance accessibility with safety.

           Keywords : cycle rickshaw, urban mobility, Toliara, road safety, informal economy, sustainable transport, socio-economic impact


Introduction

Dans de nombreuses villes d’Afrique et notamment à Madagascar, les cyclo-pousses occupent une place essentielle dans le paysage urbain. Ce moyen de transport non motorisé, qui fonctionne soit par traction humaine, soit par pédalage, répond à des besoins socio-économiques importants. À Toliara, capitale de la région Atsimo-Andrefana, les cyclo-pousses représentent bien plus qu’un simple mode de déplacement : ils constituent un élément clé de la mobilité urbaine, particulièrement pour les populations à faible revenu qui peinent à accéder aux transports publics classiques (Madarevues, 2023).

L’attrait des cyclo-pousses repose d’abord sur leur accessibilité financière. Leur coût d’utilisation réduit en fait une option privilégiée pour un grand nombre d’usagers qui doivent se déplacer quotidiennement vers les marchés, les écoles, les centres de santé ou encore les administrations publiques (Vivytravel, 2023). De plus, la capacité des cyclo-pousses à circuler dans des zones urbaines où les infrastructures sont souvent dégradées ou mal adaptées aux véhicules motorisés renforce leur rôle indispensable dans le tissu urbain de Toliara (Madarevues, 2023).

 

Source : Auteure 2025

Sur le plan socio-économique, les cyclo-pousses représentent aussi une source importante d’emploi, particulièrement pour les jeunes sans formation formelle, les migrants ruraux ou les personnes marginalisées sur le marché du travail. Le métier de cyclo-pousseur permet souvent de générer un revenu quotidien, indispensable à la subsistance des familles, et parfois même de constituer une épargne ou d’investir dans l’éducation des enfants (Madarevues, 2023). Dans un contexte où les politiques publiques en matière d’emploi urbain informel restent limitées, le cyclo-pousse agit ainsi comme un levier d’inclusion économique et sociale.

Cependant, cette omniprésence des cyclo-pousses dans l’espace urbain pose également de nombreuses difficultés. L’absence de cadre réglementaire clair génère des problèmes récurrents en matière de sécurité routière. Le partage de la voirie avec des véhicules motorisés, les piétons et autres usagers crée des situations à risques, notamment aux intersections et dans les zones à forte densité de circulation (Madarevues, 2023). De plus, l’absence d’espaces dédiés, la vétusté des engins, ainsi que le manque de formation formelle des conducteurs contribuent à aggraver ces risques. Les autorités locales peinent à instaurer des mécanismes efficaces de régulation, tels que la délivrance de permis, le contrôle technique des véhicules ou des campagnes de sensibilisation (Madarevues, 2023).

L’encombrement de la voirie, en particulier aux abords des centres commerciaux et des principaux carrefours, freine la fluidité de la circulation urbaine et exacerbe les tensions entre usagers. Ce problème est accentué par la croissance urbaine rapide et non planifiée, ainsi que par l’absence d’un plan d’urbanisme intégrant les spécificités du transport non motorisé. Si les autorités commencent à reconnaître le rôle structurant des cyclo-pousses, les réponses apportées demeurent encore fragmentaires, ponctuelles, et parfois inadaptées aux réalités locales. Par ailleurs, le dialogue entre les différents acteurs comme la collectivité territoriale, syndicats de cyclo-pousseurs, usagers et urbanistes, reste embryonnaire.

Cette situation soulève ainsi une problématique centrale : comment concilier l’importance socio-économique des cyclo-pousses à Toliara avec les exigences croissantes de sécurité, de fluidité et de modernisation de la circulation urbaine ? Plus précisément, il s’agit de comprendre les pratiques des cyclo-pousseurs en matière de sécurité routière, les perceptions des usagers et des autorités locales, ainsi que les dispositifs de gouvernance et d’aménagement susceptibles d’intégrer durablement les cyclo-pousses dans le système de mobilité urbaine, sans compromettre la sécurité ni la fluidité du trafic.

Trois hypothèses principales guident cette étude. Premièrement, le cyclo-pousse demeure un mode de transport indispensable pour une part importante de la population urbaine à faibles revenus, expliquant sa persistance malgré les risques encourus. Deuxièmement, le déficit réglementaire et l’absence de structures adaptées exacerbent les problèmes liés à la sécurité et à la congestion routière. Troisièmement, une gouvernance locale renforcée, accompagnée d’aménagements spécifiques et de campagnes de sensibilisation, pourrait permettre une meilleure coexistence entre cyclo-pousses et autres usagers de la route.

L’objectif de cette recherche est donc d’analyser le rôle multifonctionnel des cyclo-pousses dans la ville de Toliara, à la fois comme vecteurs de mobilité, de cohésion sociale et de développement économique, mais aussi comme source de contraintes pour la sécurité routière et la gestion urbaine. En combinant les approches issues de l’analyse urbaine, de la sociologie des mobilités et de la gouvernance territoriale, cette étude vise à proposer des pistes pour une gestion plus inclusive, équitable et durable du transport urbain à Toliara.

I- Revue de la littérature

  1.  Les cyclo-pousses : une réponse locale à l’exclusion socio-économique

Dans les villes secondaires comme Toliara, marquées par une croissance démographique rapide et des taux élevés de pauvreté urbaine, les cyclo-pousses s’imposent comme un moyen de transport accessible aux plus démunis. Le journal L’Express de Madagascar (2020) souligne que cette activité emploie plusieurs milliers de personnes dans la ville, en particulier des jeunes issus de milieux défavorisés, sans diplômes ni capital de départ, souvent migrants récents en quête de survie économique. Cette réalité rejoint les analyses d’UN-Habitat (2022), selon lesquelles les modes de transport informels jouent un rôle fondamental dans l’inclusion économique des groupes marginalisés dans les villes africaines en développement.

De même, L’Echo du Sud (2023) montre que le secteur des cyclo-pousses, bien qu’informel, constitue une opportunité pour ces jeunes de générer un revenu régulier, en l’absence d’un marché du travail formel structuré. En cela, les cyclo-pousses agissent comme un « amortisseur social » en atténuant les effets du chômage urbain.

  1. Un mode de transport écologique et adapté au tissu urbain

Contrairement aux taxis ou véhicules motorisés, les cyclo-pousses n’émettent pas de gaz polluants, ce qui en fait une option durable dans un contexte urbain confronté à des défis environnementaux. L’Express de Madagascar (2020) rapporte par exemple l’introduction de cyclo-pousses solaires à Toliara, preuve d’une tentative locale d’innovation verte adaptée aux réalités du sud malgache. Cette démarche rejoint les conclusions de Bertrand et al. (2018), qui défendent le développement de transports doux dans les villes africaines à voiries étroites et peu entretenues.

Cependant, les politiques urbaines continuent de privilégier les infrastructures motorisées, marginalisant ainsi les cyclo-pousses qui restent peu reconnus dans les schémas de planification. Cela témoigne d’un écart entre les avantages écologiques réels de ce mode de transport et sa faible reconnaissance institutionnelle.

  1. Risques routiers et lacunes en matière de gouvernance

La circulation des cyclo-pousses à Toliara soulève également des préoccupations sécuritaires. Selon L’Express de Madagascar (2021), leur présence importante dans le trafic urbain engendre des tensions avec les automobilistes et piétons, aggravées par l’absence de signalisation, de voies réservées et de règles précises de partage de la route. Ces tensions s’ajoutent à une insécurité vécue aussi par les cyclo-pousseurs eux-mêmes, souvent victimes d’agressions ou d’exploitation par des propriétaires de véhicules.

Le rapport du Ministère des Transports de Madagascar (2020) met en évidence l’absence de cadre légal définissant les modalités d’exercice de cette activité, ainsi que la faible capacité de contrôle des autorités locales. Dans la ville de Toliara, L’Echo du Sud (2023) indique que seuls 20 % des cyclo-pousses sont enregistrés, rendant difficile toute fiscalisation ou structuration du secteur. Cette informalité persistante empêche la mise en place de mesures de sécurité, de formation ou d’assurance.

  1. Une reconnaissance encore faible dans les politiques urbaines

Dans un rapport récent, la Banque mondiale (2023) plaide pour une gouvernance inclusive qui reconnaisse les apports des acteurs du transport informel. Pourtant, comme l’observe L’Express de Madagascar (2022), les politiques de mobilité à Toliara demeurent fragmentaires, avec des conflits fréquents entre les élus locaux et les transporteurs (taxi-brousse, pousse-pousse, taxi-ville) concernant la répartition des espaces et des circuits.

Des tentatives d’intégration des cyclo-pousses dans les plans de circulation existent, comme à Antsirabe ou Mahajanga, mais elles sont rares. Rakotondrazafy (2022) insiste sur le fait que ces initiatives n’aboutissent que si les syndicats de cyclo-pousseurs, les ONG locales et les usagers eux-mêmes participent activement à la co-construction des décisions. Cette dynamique reste embryonnaire à Toliara, où la fragmentation institutionnelle et le manque de concertation freinent toute réforme.



  1. Limites des recherches existantes et apport de la présente étude

Enfin, il convient de noter que la majorité des recherches sur les cyclo-pousses à Madagascar se concentrent sur la capitale ou des villes mieux dotées (Rakotomalala, 2021), négligeant des agglomérations comme Toliara. De plus, très peu d’études croisent les dimensions économiques, environnementales et sécuritaires dans une même analyse.

La présente étude se propose donc de combler ce vide en offrant une lecture croisée du rôle des cyclo-pousses dans la mobilité urbaine à Toliara, en évaluant leur fonction socio-économique, leurs effets sur la circulation, ainsi que les blocages institutionnels à leur reconnaissance formelle.

II- Méthodologie

Cette recherche repose sur une approche qualitative et descriptive, visant à comprendre les dynamiques sociales, économiques et institutionnelles qui structurent le fonctionnement des cyclo-pousses à Toliara. Elle se situe à l’intersection des études urbaines, de la sociologie du travail informel et de la gouvernance locale. L’objectif est de dégager une analyse multidimensionnelle du phénomène en croisant les perceptions des acteurs de terrain, les données institutionnelles disponibles et les observations de terrain.

  1. Zone d’étude

L’étude a été menée dans la commune urbaine de Toliara, capitale de la région Atsimo-Andrefana, une ville portuaire en pleine expansion démographique, mais dont les infrastructures restent limitées. La ville est caractérisée par une forte utilisation des cyclo-pousses comme moyen de transport, en particulier dans les quartiers populaires et les zones à forte densité de circulation comme Tanambao, Andaboly, Bazar scama ou Tsianaloka. Ces quartiers ont été ciblés en raison de la concentration importante de cyclo-pousseurs et de leurs interactions quotidiennes avec les usagers.

  1. Techniques de collecte de données

La recherche s’est déroulée sur une période de deux mois (Mars-Avril 2025) et a mobilisé plusieurs techniques qualitatives de collecte d’informations.

  • Entretiens semi-directifs

Au total, 32 entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de différents groupes d’acteurs :

  • 18 cyclo-pousseurs, choisis de manière raisonnée selon des critères d’âge, d’ancienneté dans le métier et de zones d’intervention ;

  • 6 usagers réguliers, incluant des commerçants, des étudiants et des mères de famille ;

  • 4 agents de la commune urbaine, notamment du service transport et sécurité ;

  • 2 membres de la police municipale ;

  • 2 représentants d’associations locales ou de syndicats informels de cyclo-pousseurs.

Ces entretiens ont permis de recueillir des données sur les motivations des cyclo-pousseurs, les difficultés rencontrées, les enjeux de sécurité, les conditions de travail, ainsi que les relations avec les autorités locales.

  • Observations directes

Des séances d’observation directe ont été menées sur plusieurs artères stratégiques de la ville (Avenue de France, Boulevard Lyautey, marché de Bazarikely, gare routière d’Andaboly). Ces observations ont permis d’identifier les pratiques de circulation, les zones de congestion, les conflits d’usage de la voirie, ainsi que les stratégies déployées par les cyclo-pousseurs pour s’adapter à l’environnement urbain.

  • Analyse documentaire

Une analyse documentaire a été menée à partir des documents officiels et rapports disponibles au niveau de la commune, du ministère des Transports, ainsi que des articles de presse locale (L’Express de Madagascar, L’Echo du Sud). Des rapports d’organisations comme UN-Habitat ou la Banque mondiale ont également été consultés pour situer les données locales dans une perspective plus large sur la mobilité urbaine en Afrique.

  • Méthode d’analyse

Les données ont été traitées selon une méthode d’analyse thématique. Les entretiens ont été retranscrits, afin de faire émerger des catégories récurrentes telles que : conditions de travail, relations avec les autorités, perception de l’utilité sociale, conflits de circulation, stratégies de régulation informelle, etc. Cette méthode a permis de faire dialoguer les discours des acteurs avec les observations de terrain et les données institutionnelles.

  • Limites méthodologiques

Comme toute recherche qualitative, cette étude présente certaines limites. Le nombre restreint d’entretiens ne permet pas de généraliser les résultats à l’ensemble des cyclo-pousseurs de Toliara. Par ailleurs, l’absence de données quantitatives fiables (statistiques municipales actualisées sur le nombre de cyclo-pousses, accidents impliquant ce mode de transport, etc.) limite la portée comparative de l’analyse. Toutefois, la diversité des sources et la triangulation des données permettent de garantir la validité des résultats obtenus.

III- Résultats et discussion

  1.  Un transport populaire, accessible et inclusif

Les cyclo-pousses apparaissent comme une alternative bon marché pour les déplacements urbains. 

Caractéristique

Pourcentage (%)

Âge entre 18 et 35 ans

75%

Sans emploi formel préalable

75%

Revenu quotidien moyen (en Ariary)

8 000 – 15 000

Utilisation du revenu pour besoins essentiels (alimentation, scolarisation, soins)

100%

Source : Enquête, Avril 2025

Selon l’enquête, 87 % des usagers les utilisent pour des raisons économiques. Ils sont aussi particulièrement utilisés par les personnes âgées, les femmes avec enfants, et les petits commerçants.

Le coût d’une course moyenne est estimé entre 500 et 1500 Ariary, ce qui reste largement inférieur à celui des taxis ou des véhicules motorisés. De plus, près de 60 % des cyclo-pousseurs sont des jeunes de moins de 30 ans, souvent sans emploi stable ni formation, pour qui cette activité représente une source de revenus quotidienne.

  1.  Des conditions de travail précaires et non réglementées

L’étude met en évidence l’absence de cadre légal clair encadrant l’activité des cyclo-pousseurs à Toliara. Aucun permis spécifique, ni assurance, ni couverture sociale ne sont exigés. Les cyclo-pousseurs travaillent en moyenne 10 à 12 heures par jour, dans des conditions éprouvantes, notamment en saison sèche sous forte chaleur.

L’entretien avec les autorités locales révèle une volonté de structurer le secteur, mais les efforts restent limités par des moyens financiers et humains insuffisants.


  1. Un danger pour la circulation urbaine ?

L’étude menée à Toliara met en lumière la place essentielle qu’occupent les cyclo-pousses dans la mobilité quotidienne des habitants, tout en révélant un ensemble de tensions liées à l’informalité de cette activité, à l’enjeu sécuritaire et à l’absence d’encadrement institutionnel. Les données collectées confirment plusieurs constats relevés dans la littérature, tout en apportant des éclairages nouveaux propres au contexte tuléarois.

Selon les données disponibles, la ville de Toliara compte actuellement environ 15 000 cyclo-pousses en circulation. Malgré leur faible vitesse, les cyclo-pousses sont régulièrement impliqués dans des accidents, en particulier aux heures de pointe. L’enquête a recensé plus de 40 accidents légers impliquant des cyclo-pousses en 2024, selon les données de la police municipale. Le manque d’infrastructures dédiées (voies réservées, signalisations) accentue les risques, tout comme la méconnaissance du code de la route par certains conducteurs.

Source : Auteure 2025

Les conflits de partage de l’espace public sont également fréquents, en particulier avec les taxis-motos, et les voitures particulières. Cela nuit à la fluidité du trafic et pose des problèmes de cohabitation entre différents modes de transport.

  1. Une activité vitale mais peu régulée

Les entretiens avec les cyclo-pousseurs ont montré que cette activité constitue souvent une solution de dernier recours pour les jeunes issus de milieux précaires. Nombreux sont ceux qui déclarent avoir fui le chômage rural ou l’instabilité familiale pour venir tenter leur chance à Toliara. Ces résultats rejoignent les analyses de Rakotoarisoa (2018) et Randrianarisoa (2020), qui présentent les cyclo-pousses comme un levier d’inclusion socio-économique dans les villes secondaires. La grande majorité des conducteurs interrogés affirment ne posséder aucun document administratif officiel les autorisant à exercer leur métier. Ce manque de formalisation complique leur reconnaissance par les autorités, limite leur accès aux droits sociaux (sécurité sociale, protection contre les abus), et rend difficile toute planification urbaine cohérente.

Il apparaît donc nécessaire de créer un registre municipal des cyclo-pousseurs, permettant d’identifier les acteurs, de sécuriser leur activité et de poser les bases d’une régulation progressive. Ce registre pourrait servir de levier pour de futures politiques d’insertion professionnelle, en partenariat avec les services de l’emploi ou les ONG locales.

  1. Des problèmes de sécurité croissants

L’un des principaux problèmes soulevés par les autorités municipales, les usagers et même certains cyclo-pousseurs concerne la sécurité routière. Plusieurs accidents, parfois mortels, ont été évoqués durant les entretiens. Les cyclo-pousseurs, pour la plupart des analphabètes ou faiblement scolarisés, ne maîtrisent pas les règles du code de la route. Cela engendre des conflits récurrents avec les automobilistes, les motocyclistes et les piétons, en particulier dans les zones à forte densité comme le marché de Bazarikely ou la gare routière d’Andaboly.

Ces résultats corroborent les travaux de Randriambelosoa (2023) sur les conflits d’usage dans les espaces publics urbains et ceux de Rakotoarimanana (2021) sur l'absence de réglementation claire. La mise en place d’une formation de base au code de la route, dispensée en collaboration avec la police municipale ou des structures de formation professionnelle, apparaît comme une mesure simple mais essentielle pour améliorer la sécurité de tous les usagers de la route.

  1. Des tensions spatiales dans l’espace public

L’observation directe sur les principaux axes de circulation de Toliara montre une occupation désorganisée de la voie publique par les cyclo-pousses, en particulier aux heures de pointe. Le stationnement anarchique sur les trottoirs, aux abords des écoles ou des marchés, contribue à la congestion urbaine et à l’insécurité des piétons. Ce constat confirme les limites identifiées par UN-Habitat (2022) et le ministère des Transports (2020) sur les faiblesses des dispositifs municipaux d’encadrement de la mobilité informelle.

 

Source : Auteure 2025

Une délimitation claire de zones de stationnement spécifiques réservées aux cyclo-pousses dans les points névralgiques de la ville (marchés, hôpitaux, gare routière) permettrait non seulement de fluidifier la circulation, mais aussi de reconnaître implicitement leur rôle dans le système de transport urbain. Cela impliquerait une collaboration étroite entre les autorités locales, les associations de pousse-pousseurs et les techniciens en urbanisme.

  1. Vers une intégration dans la politique de mobilité durable

Enfin, l’ensemble des données collectées met en évidence l’absence d’intégration des cyclo-pousses dans les documents de planification urbaine. Aucune politique publique locale ne leur est spécifiquement destinée, et ils restent en marge des réflexions sur la mobilité durable. Ce constat va dans le même sens que les analyses de Rakotondrazafy (2022) et de la Banque mondiale (2023), qui plaident pour une inclusion institutionnelle des transports non motorisés dans les schémas directeurs d’aménagement urbain.

L’étude recommande donc l’intégration explicite des cyclo-pousses dans le plan de mobilité urbaine durable (PMUD) de Toliara. Cela suppose la reconnaissance officielle de leur utilité sociale, mais aussi la mise en œuvre de mécanismes d’organisation (création de syndicats, dialogue régulier avec les autorités, accès à des aides matérielles ou logistiques).

 Discussion synthétique

Les résultats confirment que les cyclo-pousses jouent un rôle irremplaçable dans l’accessibilité urbaine pour les populations à faibles revenus. Ils incarnent un mode de transport écologique, souple, et économiquement inclusif. Cependant, leur efficacité est freinée par leur invisibilité institutionnelle et les problèmes de sécurité qu’ils génèrent. L’enjeu est donc double : garantir leur professionnalisation progressive tout en assurant une cohabitation harmonieuse avec les autres usagers de la ville. Il ne s’agit pas de supprimer les cyclo-pousses, mais de les intégrer intelligemment dans une politique de mobilité inclusive et durable, à la hauteur des défis urbains actuels de Toliara.

IV- Recommandations

Face aux défis croissants liés à la prolifération des cyclo-pousses dans la ville de Toliara, il apparaît indispensable de concilier les impératifs de sécurité urbaine avec les réalités socio-économiques des conducteurs. À cet effet, plusieurs actions prioritaires peuvent être envisagées :

  • Mettre en place un registre municipal des cyclo-pousseurs

  • L’enregistrement systématique des cyclo-pousseurs auprès de la commune urbaine permettrait de mieux structurer le secteur, de connaître les acteurs en activité, et de faciliter les politiques de régulation et d’appui social. Ce registre pourrait servir de base pour l’accès à certaines aides, formations ou équipements.

  • Instaurer une formation de base au code de la route

  • Une sensibilisation obligatoire aux règles de circulation, adaptée au contexte local, est essentielle pour réduire les comportements à risque et améliorer la cohabitation entre les cyclo-pousses, les piétons et les véhicules motorisés. Cette formation pourrait être assurée en partenariat avec la police municipale ou les auto-écoles.

  • Définir et aménager des zones de stationnement spécifiques

  • Pour limiter l’occupation anarchique des voies publiques et fluidifier la circulation, il convient de délimiter des espaces de stationnement autorisés pour les cyclo-pousses, en particulier aux abords des marchés, des établissements scolaires et des zones administratives.

  • Intégrer les cyclo-pousses dans le plan de mobilité urbaine durable de la ville

  • Plutôt que d’exclure ce mode de transport, il est opportun de l’intégrer comme composante complémentaire du système de transport urbain. Cela suppose une meilleure coordination avec les autres moyens de déplacement, une reconnaissance de leur rôle dans la desserte des zones enclavées, et une prise en compte dans les projets d’infrastructures futures (pistes dédiées, zones piétonnes partagées, etc.).

Conclusion

Cette étude relate l’ambivalence des cyclo-pousses dans la ville de Toliara : à la fois vecteurs de mobilité populaire et acteurs de l’économie informelle, mais aussi sources de dysfonctionnements dans la circulation urbaine. Il ne s’agit pas de supprimer ce mode de transport, mais de l’intégrer dans une politique urbaine cohérente et inclusive. Cela implique la mise en place d’une régulation souple mais efficace, associée à des actions de formation des conducteurs, de sensibilisation des usagers, et d’aménagements urbains adaptés.

REFERENCES

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