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L'ACTUALITÉ DE LA GRANDE ÎLE DEPUIS 1929

Les enseignants de l’Atsimo Andrefana montent au créneau : entre revendications salariales et crise du système éducatif à Toliara

La colère gronde à nouveau dans la région Atsimo Andrefana. À Toliara, les enseignants ont investi les abords de la Direction Régionale de l’Éducation Nationale (DREN) pour exprimer leur mécontentement face à ce qu’ils considèrent comme une profonde injustice. Banderoles à la main, ils réclament la reconnaissance de leurs droits fondamentaux, une amélioration de leurs conditions de travail et la démission des responsables qu’ils jugent responsables d’une gestion chaotique du secteur éducatif. Cette mobilisation, qui s’inscrit dans une longue série de protestations, illustre le malaise profond d’un corps enseignant en quête de dignité et de considération.

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Une mobilisation symptomatique d’un malaise profond dans l’enseignement public

Les manifestations qui ont éclaté devant la DREN d’Atsimo Andrefana ne sont pas un simple fait isolé. Elles s’inscrivent dans la continuité d’un mécontentement généralisé des enseignants malgaches, confrontés à des conditions de travail précaires et à une absence persistante de réponses concrètes de la part de l’administration. À Toliara, les syndicats ont choisi de hausser le ton. Leurs pancartes, simples mais percutantes, résument des revendications multiples : hausse des salaires, régularisation des statuts, intégration systématique des diplômés des écoles de formation telles que l’École Normale Supérieure (ENS), le Centre Régional de l’Institut National de Formation Pédagogique (CRINFP), le secteur préscolaire et l’Éducation Non Formelle (ENF).

Cette mobilisation traduit un sentiment d’épuisement collectif. Les enseignants dénoncent une situation où la vocation ne suffit plus à compenser le manque de moyens et la précarité quotidienne. Selon plusieurs représentants syndicaux, la situation est devenue intenable : les promesses faites lors des précédents dialogues sociaux n’ont pas été respectées, et les procédures administratives – notamment les reclassements et les intégrations – restent bloquées depuis des mois, voire des années.

À cela s’ajoute un contexte économique difficile. L’inflation persistante, la hausse du coût de la vie et l’absence de mesures salariales adaptées aggravent les tensions. Beaucoup d’enseignants peinent à subvenir aux besoins de leurs familles, tandis que la charge de travail augmente sans compensation réelle. Cette accumulation de frustrations nourrit une colère qui dépasse désormais la simple revendication financière pour devenir un cri d’alarme sur la survie même du système éducatif dans la région.

Des revendications précises : salaires, indemnités et régularisation

Les syndicats d’enseignants de Toliara ont formulé un cahier de doléances précis, fruit de nombreuses concertations internes. Parmi les principales demandes figure la revalorisation salariale. Les enseignants exigent une augmentation des traitements de base, qu’ils jugent largement insuffisants au regard du coût de la vie dans le Sud. Cette hausse vise à redonner un minimum de dignité à un métier souvent considéré comme ingrat mais essentiel au développement du pays.

Ils réclament également la mise en place d’indemnités spécifiques, notamment une allocation de logement de 300 000 ariary et une prime de risque de 100 000 ariary. Ces montants, loin d’être exorbitants, visent à compenser la réalité du terrain : beaucoup d’enseignants exercent dans des zones enclavées, parfois dépourvues d’infrastructures de base. Les déplacements sont longs, coûteux, et les logements à proximité des écoles sont rares ou insalubres. La prime de risque, quant à elle, s’explique par les conditions sanitaires et sécuritaires parfois précaires auxquelles les enseignants sont confrontés.

Autre point central des revendications : la régularisation des situations administratives. Les enseignants dénoncent les lenteurs et les incohérences dans les processus d’intégration, de reclassement et d’installation. Certains travaillent depuis plusieurs années sans être officiellement titularisés, d’autres attendent toujours la reconnaissance de leur statut après avoir suivi une formation pédagogique complète. Les syndicats demandent donc la numérisation complète du système d’information, afin de mettre fin à la perte de dossiers, aux retards injustifiés et aux erreurs fréquentes dans la gestion du personnel éducatif.

Les syndicats insistent enfin sur la nécessité d’un recrutement systématique et massif des diplômés issus de l’ENS, du CRINFP, du préscolaire et de l’ENF. Selon eux, le déficit d’enseignants dans la région atteint un seuil critique, compromettant la qualité de l’éducation. De nombreuses écoles fonctionnent avec des effectifs réduits, obligeant les enseignants en poste à assurer plusieurs niveaux ou matières simultanément. Cette surcharge nuit à la pédagogie et entraîne une démotivation générale.

Une administration accusée d’immobilisme et de mauvaise gestion

Au cœur de la contestation, une accusation revient avec insistance : celle d’une gestion défaillante de la DREN et du ministère de tutelle. Les enseignants dénoncent un manque de transparence dans la prise de décision et une absence totale de communication avec la base. Les promesses faites lors des réunions de concertation ne seraient jamais suivies d’effets concrets, alimentant la méfiance entre les syndicats et les autorités.

Plusieurs enseignants rencontrés sur place affirment que les démarches administratives sont devenues un véritable parcours du combattant. Dossiers perdus, signatures bloquées, instructions contradictoires : autant de dysfonctionnements qui, selon eux, traduisent l’inefficacité du système. « Nous ne demandons pas des privilèges, seulement le respect de nos droits et un minimum d’efficacité », déclare un enseignant du primaire ayant plus de dix ans d’expérience.

Cette situation alimente également des soupçons de favoritisme et de clientélisme. Certains postes ou intégrations seraient accordés de manière arbitraire, au détriment de critères objectifs tels que l’ancienneté ou le mérite. Face à ces dérives présumées, les syndicats réclament la démission des responsables actuels, estimant qu’un renouvellement de l’équipe dirigeante est nécessaire pour rétablir la confiance et relancer un dialogue social sincère.

Du côté des autorités, la prudence est de mise. La DREN n’a, pour l’instant, fait aucune déclaration officielle détaillée sur les revendications. Des sources internes évoquent toutefois des contraintes budgétaires et administratives, qui limiteraient la capacité de réponse immédiate. Mais pour les syndicats, cet argument ne tient plus : ils estiment que la mauvaise gestion, plus que le manque de moyens, est la cause principale de la dégradation du système éducatif dans la région.

L’éducation dans le Sud : un secteur en crise chronique

Le mouvement social à Toliara met en lumière une réalité bien plus large : celle d’un système éducatif en crise structurelle dans le Sud malgache. Les inégalités régionales sont flagrantes. Alors que certaines zones bénéficient encore d’infrastructures acceptables, d’autres souffrent d’un manque criant de ressources. Dans l’Atsimo Andrefana, beaucoup d’écoles sont construites en matériaux précaires, sans électricité, ni eau potable. Les manuels scolaires manquent, les classes sont surchargées, et le taux d’abandon scolaire reste alarmant.

La pauvreté ambiante pèse lourdement sur la fréquentation scolaire. De nombreux enfants quittent l’école prématurément pour aider leurs familles à subvenir à leurs besoins. Les enseignants, souvent livrés à eux-mêmes, tentent de maintenir un minimum de qualité pédagogique, mais leurs efforts se heurtent à des conditions matérielles déplorables. Certains assurent leurs cours sous des abris de fortune ou à ciel ouvert lorsque les infrastructures s’effondrent sous la pluie.

Dans ce contexte, la revendication d’une revalorisation salariale et d’une amélioration des conditions de travail prend une dimension humanitaire. Elle ne concerne pas seulement le bien-être des enseignants, mais aussi la survie du système éducatif dans une région déjà marginalisée. Sans enseignants motivés et correctement rémunérés, les enfants du Sud risquent d’être durablement exclus du droit fondamental à une éducation de qualité.

Les experts de l’éducation soulignent que cette crise s’inscrit dans un cercle vicieux : le manque de moyens entraîne une baisse de la qualité de l’enseignement, qui à son tour fragilise la formation des futures générations d’enseignants. À long terme, cela menace l’ensemble du développement socio-économique régional. Les syndicats appellent donc à un plan d’urgence spécifique pour les régions défavorisées, combinant investissements publics, incitations salariales et politiques de recrutement équitables.

Vers une impasse ou un sursaut collectif ?

La question qui se pose désormais est celle de l’issue de ce bras de fer. Les enseignants de l’Atsimo Andrefana affirment qu’ils ne comptent pas reculer tant que leurs revendications ne seront pas entendues. Certains évoquent même la possibilité d’une grève générale prolongée, susceptible de paralyser les écoles de la région. Pour les syndicats, le temps du dialogue a assez duré ; ils réclament désormais des actes concrets, chiffrés et planifiés.

Cependant, une telle situation pourrait avoir des conséquences lourdes. La suspension prolongée des cours menacerait la scolarité de milliers d’élèves, déjà fragilisés par les interruptions liées à la pandémie et aux crises économiques successives. Les parents, partagés entre la compréhension et l’inquiétude, appellent à une médiation rapide. Plusieurs organisations de la société civile locales plaident pour la mise en place d’une table ronde réunissant représentants syndicaux, autorités régionales et experts de l’éducation afin de trouver un terrain d’entente durable.

Sur le plan national, le ministère de l’Éducation Nationale est interpellé. Il ne s’agit plus seulement d’une revendication régionale, mais du symptôme d’un malaise généralisé dans tout le pays. Le cas de Toliara pourrait faire tâche d’huile et inspirer d’autres mouvements similaires dans d’autres régions si aucune réponse concrète n’est apportée. Pour éviter l’embrasement, une réforme en profondeur du système de gestion du personnel enseignant semble inévitable.

Les enseignants, eux, espèrent encore un signe fort de la part du gouvernement. Ils ne demandent pas la lune, mais un minimum de respect et de reconnaissance. Leur combat dépasse la simple question pécuniaire : il s’agit d’une revendication pour la dignité et pour l’avenir de l’éducation à Madagascar. Derrière les banderoles et les slogans, c’est toute une génération d’éducateurs qui réclame le droit d’exercer son métier dans des conditions décentes, au service de la jeunesse et du développement du pays.

Conclusion : le devoir d’écoute et la nécessité de réforme

La crise qui secoue la région Atsimo Andrefana est révélatrice des failles profondes d’un système éducatif malmené. Les enseignants de Toliara, en descendant dans la rue, ne cherchent pas la confrontation, mais la reconnaissance. Leurs revendications traduisent une aspiration légitime à plus d’équité, de transparence et de dignité professionnelle. Face à eux, les autorités ont désormais la responsabilité historique de restaurer la confiance et de répondre, enfin, à un malaise qui n’a que trop duré.

La question n’est plus de savoir s’il faut réformer, mais comment et quand. Le recrutement massif, la numérisation des dossiers, la revalorisation des salaires et la rationalisation de la gestion administrative ne sont pas de simples promesses électorales : ce sont les conditions minimales pour redonner vie à un secteur en crise. Tant que ces réformes n’auront pas été engagées, les banderoles continueront de flotter devant les DREN, symbole d’un combat pour la justice sociale et pour l’avenir de l’éducation à Madagascar.

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