Les nouveaux droits de douane américains : un choc économique pour Madagascar, selon la Banque Africaine de Développement
- TAHINISOA Ursulà Marcelle

- 28 oct.
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L’économie malgache fait face à un nouveau défi majeur. La décision américaine d’appliquer de nouveaux droits de douane sur les produits originaires de Madagascar, désormais fixés à 15 % contre 47 % précédemment, provoque de vives inquiétudes dans les milieux économiques et politiques du pays. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), ces mesures auront des conséquences notables sur la croissance, les finances publiques et le tissu industriel malgache. L’institution estime que ces droits pourraient entraîner une perte équivalente à environ 1 % du Produit Intérieur Brut (PIB), tout en accentuant le ralentissement économique déjà perceptible.
Les répercussions ne se limiteront pas au seul niveau macroéconomique. Elles toucheront directement les entreprises locales, les travailleurs des secteurs exportateurs, et, par ricochet, l’ensemble de la population. Dans un contexte où Madagascar peine à relancer son économie après plusieurs années de difficultés, la nouvelle politique tarifaire américaine risque d’aggraver les déséquilibres existants. La BAD dresse ainsi un tableau préoccupant d’un pays confronté à une baisse de ses recettes fiscales, une réduction de l’investissement, et un affaiblissement de ses capacités productives à long terme.

Une perte estimée à 1 % du PIB : le constat alarmant de la BAD
Selon les analyses de la Banque Africaine de Développement, la mise en place des nouveaux droits de douane américains représente une perte directe équivalente à environ 1 % du PIB malgache. Si ce chiffre peut paraître modeste à première vue, il illustre en réalité l’ampleur de l’impact économique sur un pays dont la structure budgétaire demeure fragile. En 2024, les recettes fiscales de Madagascar ne représentaient déjà que 10,8 % du PIB, un niveau nettement inférieur à la moyenne africaine. Cette faiblesse chronique limite considérablement la marge de manœuvre de l’État pour financer ses dépenses publiques et soutenir les secteurs stratégiques.
La BAD souligne que cette baisse de recettes fiscales risque d’être amplifiée par la contraction des exportations vers les États-Unis, principal marché de plusieurs produits malgaches. Le recul des ventes à l’international entraînera mécaniquement une diminution des rentrées de devises, un affaiblissement du commerce extérieur et une baisse de la croissance. De surcroît, la réduction des recettes d’exportation pourrait fragiliser la monnaie nationale, pesant sur la balance des paiements et sur la stabilité macroéconomique du pays.
Dans un tel contexte, la perte estimée de 1 % du PIB ne se limite pas à une simple donnée comptable. Elle reflète un enchaînement de déséquilibres économiques : ralentissement de la production, baisse des revenus, recul de la consommation et contraction des investissements. La BAD anticipe également des répercussions sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat des ménages, déjà affectés par l’inflation et la précarité.
Des répercussions sur l’investissement et le tissu industriel
L’un des points majeurs soulevés par la Banque Africaine de Développement concerne la réduction des investissements, tant publics que privés. Le renchérissement des droits de douane et la baisse des exportations rendent le climat des affaires moins attractif pour les investisseurs étrangers. Ceux-ci risquent de se détourner d’un marché perçu comme moins rentable, surtout si les marges des entreprises exportatrices continuent de se réduire.
Cette diminution des investissements pourrait avoir des conséquences à long terme sur la capacité productive du pays. La BAD prévoit une contraction progressive du nombre d’industries, notamment dans les secteurs orientés vers l’exportation. De nombreuses entreprises, confrontées à la hausse de leurs coûts et à la baisse de leurs débouchés, pourraient être contraintes de réduire leurs effectifs, voire de cesser leurs activités.
Le secteur industriel malgache, déjà vulnérable, repose sur des branches fortement dépendantes du commerce international. La vanille, le textile et l’habillement figurent parmi les plus exposés. Ces industries, qui emploient des dizaines de milliers de travailleurs, subiraient directement les effets du recul des exportations et de la perte de compétitivité. Le ralentissement des investissements entraînerait également une diminution de la productivité, un vieillissement des équipements, et un affaiblissement des capacités d’innovation.
Au-delà de l’industrie, la BAD craint une contagion à d’autres secteurs de l’économie. La réduction des flux d’investissement et la contraction du commerce extérieur pourraient peser sur la construction, le transport et les services financiers. En somme, l’économie malgache, déjà marquée par une faible diversification, se trouverait encore plus exposée à la volatilité des marchés extérieurs.
Hausse du chômage et aggravation des inégalités
Le rapport de la Banque Africaine de Développement met en lumière les conséquences sociales potentielles des nouveaux droits de douane américains. La réduction du nombre d’industries et le ralentissement de l’investissement devraient entraîner une hausse du chômage, notamment parmi les travailleurs des secteurs exportateurs. Ces derniers, concentrés dans les zones industrielles et les régions côtières, risquent de voir leurs emplois menacés par la contraction de la demande internationale.
Le textile, qui représente environ 8 % du PIB malgache, est l’un des secteurs les plus concernés. Il dépend largement du marché américain pour écouler sa production. La baisse de compétitivité due à la hausse des droits de douane réduira les volumes exportés, entraînant une baisse des commandes et des suppressions de postes. La filière de la vanille, qui pèse 19,4 % du PIB, subira également un ralentissement marqué. La diminution des exportations et la pression sur les prix risquent de fragiliser les producteurs locaux, dont beaucoup dépendent exclusivement de ce revenu pour subsister.
À ces difficultés économiques s’ajoute la perspective d’un élargissement des inégalités de niveau de vie. Les ménages les plus pauvres, particulièrement vulnérables aux chocs économiques, seront les premiers touchés par la hausse du chômage et la baisse des revenus. Les zones rurales, où l’agriculture d’exportation constitue souvent la principale source de revenus, verront leur pouvoir d’achat diminuer. Cette situation pourrait accentuer les disparités entre les régions, entre les travailleurs formels et informels, et entre les différentes catégories sociales.
La BAD alerte également sur les risques de tensions sociales découlant de cette situation. L’aggravation du chômage et la dégradation du niveau de vie pourraient provoquer un mécontentement croissant, notamment parmi la jeunesse urbaine. Dans un contexte de ralentissement économique, les perspectives d’emploi risquent de se réduire encore davantage, alimentant un sentiment d’exclusion et de frustration.
Une baisse inquiétante de l’aide américaine
Outre les effets directs des nouveaux droits de douane, Madagascar doit faire face à une réduction significative de l’aide américaine. Selon la BAD, les États-Unis ont diminué leur assistance financière au pays, passant de 226,7 millions de dollars en 2024 à seulement 9,2 millions de dollars en 2025. Cette chute brutale de l’aide extérieure intervient au moment même où l’économie malgache aurait besoin de soutien pour amortir le choc commercial.
L’aide américaine constituait jusqu’ici un levier essentiel pour le financement de nombreux programmes de développement, qu’il s’agisse d’infrastructures, d’éducation, de santé ou de gouvernance. Sa réduction risque de compromettre la mise en œuvre de projets publics vitaux, notamment dans les domaines sociaux et agricoles. La BAD estime que la combinaison entre le recul de l’aide et la baisse des recettes fiscales affaiblira la capacité de l’État à répondre aux besoins fondamentaux de la population.
Cette situation pourrait également limiter la mise en place de politiques de soutien aux secteurs en difficulté. En l’absence de ressources suffisantes, le gouvernement malgache aurait du mal à compenser les pertes subies par les entreprises exportatrices ou à relancer l’investissement public. Les programmes d’aide aux ménages les plus pauvres risquent eux aussi d’être réduits, aggravant les effets sociaux de la crise économique.
L’arrêt brutal de l’assistance américaine pourrait enfin affecter les relations diplomatiques entre Antananarivo et Washington. L’aide au développement, au-delà de sa dimension économique, constituait un outil de coopération et d’influence. Sa disparition fragilise la position de Madagascar sur la scène internationale et limite ses marges de négociation dans les discussions commerciales à venir.
Des exportations fragilisées et un déficit du compte courant aggravé
Les conséquences des nouveaux droits de douane américains se feront particulièrement sentir sur les exportations malgaches. En 2024, celles-ci étaient estimées à 733,2 millions de dollars vers les États-Unis, soit environ 15,75 % du total des exportations du pays. Cette dépendance significative vis-à-vis du marché américain rend Madagascar extrêmement vulnérable aux changements de politique commerciale de Washington.
La BAD avertit que les exportations de vanille et de textile seront les plus touchées. Ces deux secteurs, essentiels pour l’économie nationale, risquent de subir une perte de compétitivité importante. Le renchérissement des droits de douane rend les produits malgaches plus coûteux sur le marché américain, face à la concurrence d’autres pays à faibles coûts de production bénéficiant d’accords préférentiels. Cette situation entraînera une baisse des volumes exportés, une diminution des recettes en devises, et une aggravation du déficit du compte courant.
Le déficit commercial pourrait ainsi se creuser davantage, exerçant une pression supplémentaire sur la monnaie nationale et sur les réserves de change. À long terme, cette détérioration du commerce extérieur risque d’affaiblir la stabilité macroéconomique du pays, compliquant la gestion de la dette publique et la mise en œuvre des politiques budgétaires.
La vanille, considérée comme l’un des produits emblématiques de Madagascar, illustre particulièrement cette fragilité. En tant que premier producteur mondial, le pays dépend fortement de ce marché pour ses exportations agricoles. La perte de parts de marché aux États-Unis pourrait entraîner une chute des prix et une baisse du revenu des producteurs. Quant au textile, il s’agit d’un secteur à forte intensité de main-d’œuvre, jouant un rôle crucial dans la création d’emplois urbains. Le recul des exportations pourrait provoquer une série de fermetures d’usines et une réduction massive de l’emploi féminin, accentuant encore les tensions sociales.
La BAD souligne que sans mesures de soutien ou de diversification, Madagascar aura du mal à compenser ces pertes. La dépendance du pays à quelques produits d’exportation et à un nombre restreint de partenaires commerciaux accentue sa vulnérabilité. Pour atténuer les effets de la crise, il serait nécessaire de renforcer la compétitivité locale, d’élargir les marchés d’exportation et de développer de nouvelles filières à forte valeur ajoutée. Mais ces objectifs nécessitent du temps, des investissements et une stabilité politique durable.
Une économie face à une équation complexe
Au-delà des chiffres et des prévisions, la situation décrite par la Banque Africaine de Développement met en évidence les limites structurelles de l’économie malgache. Le pays dépend encore trop fortement de quelques produits d’exportation et de partenaires extérieurs pour soutenir sa croissance. La décision américaine agit comme un révélateur de cette vulnérabilité : un simple ajustement tarifaire à l’étranger suffit à déséquilibrer l’ensemble du système économique national.
Le gouvernement malgache se trouve confronté à un dilemme difficile. D’un côté, il doit chercher à maintenir ses relations commerciales avec les États-Unis, un partenaire historique et un débouché essentiel pour plusieurs filières. De l’autre, il doit entreprendre des réformes structurelles afin de renforcer la résilience de son économie et de réduire sa dépendance. Cela suppose une politique d’industrialisation, de diversification et de valorisation locale des ressources, tout en maintenant la stabilité sociale et politique.
La BAD insiste sur l’urgence d’une réponse coordonnée, combinant soutien à l’investissement, amélioration du climat des affaires et renforcement de la gouvernance économique. Sans un plan d’action cohérent, la perte estimée de 1 % du PIB pourrait n’être que le prélude à une crise plus profonde. L’enjeu dépasse la simple question douanière : il s’agit de la capacité du pays à préserver sa souveraineté économique dans un environnement mondial incertain.


