À Praia, capitale du Cap-Vert, un nom s’est imposé dans le débat public depuis la recomposition gouvernementale de 2025 : Victor Coutinho. Longtemps identifié comme une figure technique, issue du monde de l’ingénierie et de l’administration, il occupe aujourd’hui un poste où les attentes sont aussi concrètes que les urgences : les routes, les ports, les réseaux, l’urbanisme, le logement, la qualité des constructions et, au bout de la chaîne, la vie quotidienne des habitants d’un archipel soumis à des contraintes géographiques et climatiques particulières.
Sa trajectoire illustre un profil désormais fréquent dans de nombreux pays : celui d’un responsable dont la légitimité se construit autant par les diplômes, les dossiers et la gestion que par l’ancrage partisan. Au Cap-Vert, où l’action publique se mesure vite sur le terrain, la promesse d’une politique d’infrastructures cohérente, durable et finançable n’est pas un slogan : c’est une équation nationale. Victor Coutinho arrive à ce moment précis, quand le gouvernement réaffirme une priorité à la croissance, à l’emploi et à la modernisation des services, et quand les arbitrages budgétaires, eux, se font sous contrainte.
Un parcours à la croisée de l’ingénierie, de l’administration et des assemblées
Le portrait officiel de Victor Coutinho, tel qu’il est présenté par les autorités capverdiennes, met en avant une formation d’ingénieur : diplômé en ingénierie civile et industrielle, il est également titulaire d’un master en ingénierie de la construction civile et industrielle.
Mais l’essentiel, pour comprendre son entrée durable dans l’espace public, se trouve dans la succession de fonctions exercées avant son arrivée au gouvernement. Son parcours se lit comme une circulation entre plusieurs échelles : l’État central, la municipalité, les organismes publics et les institutions professionnelles. Il a notamment occupé des fonctions politiques et administratives, parmi lesquelles un passage en tant que secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports en 2000, des responsabilités municipales à Praia, ainsi que des mandats au sein d’assemblées (député à l’Assemblée nationale, député municipal et chef de groupe à l’Assemblée municipale de Praia, selon la présentation institutionnelle).
La même source officielle mentionne également des postes de direction dans des structures publiques et para-publiques : direction générale de l’Imprensa Nacional (l’imprimerie nationale), présidence de l’Institut capverdien de solidarité, direction du cabinet chargé de la sauvegarde de Cidade Velha, et participation à une commission d’évaluation des entreprises de construction et de l’immobilier.
À ce socle s’ajoute un profil de consultant, revendiqué dans des programmes et projets associés au développement, ainsi que des activités d’enseignement universitaire et de formation, notamment au sein d’universités présentes au Cap-Vert et auprès d’organisations de formation.
Autre élément notable dans sa trajectoire : sa présence dans un secteur très visible pour les habitants de la capitale, celui de la mobilité et du stationnement. Victor Coutinho a été président du conseil d’administration de l’entreprise de mobilité et de stationnement de Praia (EMEP), fonction qu’il a exercée sur plusieurs années, avec une fin de mission indiquée jusqu’en 2024 dans la biographie institutionnelle.
Dans un pays où la gestion urbaine, la circulation, l’organisation de l’espace public et la planification s’entrechoquent en permanence avec les réalités sociales, cette expérience de terrain peut être lue comme une forme de préparation à un ministère qui touche à la fois à la technique, à la régulation et au quotidien.
Une nomination en 2025, dans une recomposition politique qui redistribue les priorités
Le tournant intervient au début de l’année 2025. Victor Coutinho est alors nommé ministre des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire et du Logement. Le décret présidentiel publié le 6 février 2025 cite explicitement son nom complet, Victor Manuel Lopes Coutinho, et l’associe à ce portefeuille ministériel.
Cette nomination s’inscrit dans une séquence politique plus large : une remodelage gouvernemental annoncé au début février, suivi d’une prise de fonctions des nouveaux ministres.
Le ministère qu’il prend en charge est l’un de ceux où les résultats se voient, se mesurent et se contestent rapidement. Les infrastructures, au Cap-Vert, ne sont pas une politique abstraite : elles structurent l’accès aux services, la sécurité des déplacements, l’approvisionnement, les coûts logistiques, la connexion entre îles et, au-delà, l’attractivité économique, notamment touristique. Le logement et l’aménagement du territoire, eux, concentrent des tensions classiques : pression foncière, besoins sociaux, urbanisation, qualité du bâti, régulation et capacité des collectivités à suivre.
Dans une démocratie d’archipel, le défi est aussi territorial : comment hiérarchiser des investissements entre îles, entre zones urbaines et rurales, entre urgence et planification, entre entretien et nouveaux projets. C’est là que l’arrivée d’un ministre à profil technique est souvent attendue sur une promesse implicite : organiser, planifier, prioriser, et rendre lisible une stratégie.
Un cap revendiqué : qualité des constructions, contrôle, durabilité et résilience
Dans les premières semaines et mois suivant sa prise de fonctions, Victor Coutinho place publiquement la question de la qualité au centre du débat. Des déclarations rapportées par la presse capverdienne insistent sur l’idée qu’un pays petit et archipélagique ne peut accepter le gaspillage lié à des constructions défaillantes et que la “qualité de la construction” doit faire l’objet d’une réflexion collective.
Cette ligne se traduit aussi par des gestes institutionnels : la mise en avant du Laboratoire d’Ingénierie Civile (LEC) comme outil de certification et de contrôle de la qualité des matériaux utilisés dans les infrastructures. Lors d’une visite au laboratoire, le ministre souligne son rôle pour la durabilité des ouvrages et l’intérêt de nouveaux équipements de test, notamment pour des contrôles spécifiques liés à l’acier utilisé dans le béton armé.
Dans un autre registre, ses prises de parole associent la qualité à la durabilité au sens large : environnementale, économique et sociale, avec une insistance sur la notion d’infrastructures “résilientes”, dans un contexte où les risques climatiques pèsent sur les territoires et les budgets.
Ces axes ne sont pas neutres politiquement. Mettre la qualité au premier plan, c’est toucher à des secteurs où les responsabilités sont diffuses : maîtrise d’ouvrage, entreprises, contrôle, normes, importations de matériaux, compétences locales. C’est aussi déplacer le débat : au lieu de se limiter à annoncer des chantiers, il s’agit de défendre l’entretien, la maintenance, la modernisation et la planification, autant de sujets moins spectaculaires mais décisifs pour la longévité des investissements publics.
Ce discours, enfin, répond à une réalité de base : dans un archipel, l’erreur de conception, de matériaux ou d’entretien coûte plus cher, car la logistique est plus complexe, les chaînes d’approvisionnement sont plus fragiles, et les effets d’une défaillance peuvent isoler des zones entières.
Le chantier politique du Plan national des infrastructures : une promesse de méthode
L’un des dossiers les plus structurants associés au nom de Victor Coutinho est l’annonce d’un Plan national des infrastructures, présenté comme une première historique pour le pays. En avril 2025, il annonce au Parlement le lancement d’un concours public pour élaborer ce plan, avec un financement mentionné du côté de la Banque mondiale et de la CEDEAO.
Le sujet dépasse le simple document. Un plan national, surtout sur une période longue, vise généralement à fixer des priorités, des calendriers, des standards et des mécanismes de financement, tout en rendant les choix contestables et donc débattables. Dans les déclarations rapportées, l’idée revient que le plan doit aussi servir de cadre pour mobiliser des ressources et orienter un développement durable.
Des informations publiées en avril 2025 évoquent un appui de la CEDEAO sous forme de subvention et d’assistance technique, avec une précision sur le montant annoncé et une période de validité évoquée pour le futur plan.
Dans le même temps, la politique du logement demeure une composante centrale du portefeuille. Des articles relatant son intervention au Parlement mentionnent des programmes de logements sociaux et de logements destinés aux jeunes, ainsi que des opérations de relogement dans certaines îles.
Le fil conducteur est clair : passer d’une accumulation de projets à une architecture cohérente, capable de résister aux alternances politiques et de guider les investissements, y compris quand les ressources se raréfient. Une telle ambition implique toutefois une difficulté classique : un plan n’est pas une route, un pont ou une maison. Sa réussite dépend de son appropriation par les administrations, les collectivités, les entreprises et, au final, par la capacité de l’État à respecter ses propres priorités.
Dans une longue interview accordée à un média capverdien, Victor Coutinho insiste sur l’idée que les infrastructures ne se résument pas aux “grandes œuvres” mais à l’impact réel des projets sur la vie des personnes et l’économie, en insistant aussi sur les défis de financement et la nécessité de solutions plus “intelligentes” dans la planification.
Une figure attendue sur les résultats, exposée aux critiques et aux arbitrages
Être ministre des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire et du Logement, c’est être exposé à une forme de jugement immédiat : le citoyen voit les routes, subit les chantiers, constate les retards, juge les coûts, compare les promesses aux réalisations. Au Cap-Vert, la contrainte insulaire renforce encore cette tension : la perception d’un déséquilibre territorial peut vite devenir un sujet politique, car la question “où investit-on ?” se double d’une autre : “pour qui investit-on ?”.
Les attentes sont aussi techniques. La mise en avant du contrôle qualité, via le LEC, ouvre un chantier de gouvernance : contrôler davantage signifie souvent durcir les exigences, encadrer les pratiques, et parfois ralentir certains processus. À court terme, cela peut générer des frictions ; à long terme, cela peut réduire les coûts du “mal construit”. Les déclarations du ministre sur la nécessité de ne pas pactiser avec le gaspillage dans un pays archipélagique s’inscrivent dans cette logique.
Il y a aussi, dans son portefeuille, un défi politique plus délicat : le logement. C’est une politique où les besoins sont massifs, où la demande sociale est forte, et où la crédibilité se joue sur des livraisons, des critères d’attribution, des financements, des raccordements aux réseaux, et l’intégration urbaine. C’est également un domaine où les opérations publiques peuvent susciter des controverses, tant sur les choix de localisation que sur les modèles économiques.
Enfin, Victor Coutinho incarne une tension fréquente : celle entre le temps long de la planification et le temps court des cycles politiques. L’annonce d’un Plan national des infrastructures vise précisément à inscrire l’action dans la durée, mais la pression quotidienne impose des réponses immédiates : réparations, entretien, urgences climatiques, chantiers en retard, demandes des municipalités, coûts des matériaux, et impératifs de sécurité.
À cela s’ajoute une dimension institutionnelle : en février 2025, sa nomination est un acte formel inscrit dans un décret présidentiel, ce qui la rend juridiquement et politiquement très visible. On attend donc du ministre qu’il transforme rapidement ce moment symbolique en dynamique concrète.
Au fond, la question “Qui est Victor Coutinho ?” se résume moins à une biographie qu’à une fonction : celle d’un ingénieur-politique appelé à prouver que la méthode, le contrôle et la planification peuvent produire des résultats tangibles, dans un pays où la géographie complique tout et où l’État ne peut pas se permettre de construire sans prévoir l’entretien.



