À Djibouti, la fonction de Premier ministre n’est pas celle d’un chef de majorité parlementaire au sens classique du terme : elle s’inscrit dans un exécutif où la présidence demeure la clé de voûte institutionnelle et politique. Pourtant, depuis plus d’une décennie, un nom s’est imposé dans la continuité gouvernementale : Abdoulkader Kamil Mohamed. Nommé à la tête de la Primature le 31 mars 2013, puis reconduit à l’issue de l’élection présidentielle de 2016, il incarne une trajectoire faite de montée progressive au sein de l’État, d’ancrage partisan et de promotion d’un profil longtemps décrit comme technicien, devenu coordinateur du pouvoir exécutif.
Son parcours éclaire une réalité djiboutienne souvent résumée trop vite : dans ce pays aride, stratégique par sa position au débouché du détroit de Bab el-Mandeb, la gestion des infrastructures vitales (notamment l’eau), la stabilité administrative et la capacité à piloter des programmes intersectoriels peuvent constituer des chemins d’accès décisifs au sommet. Abdoulkader Kamil Mohamed est précisément l’un de ces responsables dont la carrière, d’abord façonnée par des dossiers techniques, s’est progressivement politisée jusqu’à atteindre l’une des plus hautes responsabilités de l’appareil d’État.
Une trajectoire née dans le Nord et structurée par une formation scientifique
Les biographies officielles disponibles présentent Abdoulkader Kamil Mohamed comme né à Souali, dans la région d’Obock, au nord de Djibouti. La Primature fixe sa date de naissance au 17 septembre 1951, un détail qui peut paraître anodin mais qui, dans un portrait journalistique rigoureux, sert de repère factuel pour distinguer les informations institutionnelles des approximations et variations parfois rencontrées dans des notices secondaires. Cette donnée situe l’homme dans une génération qui a grandi dans les dernières années du territoire alors appelé Côte française des Somalis, avant de connaître l’indépendance, proclamée en 1977.
Les mêmes sources institutionnelles mettent en avant un élément central : la formation. Abdoulkader Kamil Mohamed est titulaire d’une maîtrise en sciences techniques obtenue à l’Université de Limoges, en France, et son profil initial est celui d’un ingénieur tourné vers l’hydraulique et les sciences de l’eau. Dans un pays où l’accès à la ressource hydrique conditionne de nombreux aspects de la vie sociale et économique, cette spécialisation peut devenir, au fil du temps, une forme de capital politique. Elle permet d’abord une insertion durable dans les administrations de service public, puis un accès aux responsabilités ministérielles, avant de nourrir une image de gestionnaire.
La biographie officielle insiste aussi sur sa capacité à travailler dans plusieurs langues, dont le français et l’anglais, ainsi que des langues nationales. Ce multilinguisme est un atout dans une capitale diplomatique et militaire où se croisent institutions internationales, partenaires de développement, acteurs économiques et représentations étrangères. À Djibouti, pays de taille modeste mais placé au carrefour de flux maritimes, militaires et commerciaux, l’exercice du pouvoir suppose souvent une articulation entre dossiers internes et interactions extérieures.
Enfin, au-delà des diplômes, la figure de l’homme public se construit par une accumulation d’expériences. Dans le cas d’Abdoulkader Kamil Mohamed, l’itinéraire raconte une progression au long cours : une carrière d’abord bâtie dans des institutions techniques, puis une entrée dans les cercles de décision politiques, avec une forme de continuité rarement interrompue.
L’eau comme colonne vertébrale : une longue carrière dans le service public hydraulique
Avant d’être un homme de gouvernement, Abdoulkader Kamil Mohamed est d’abord un homme de l’eau. Son parcours administratif est long et structurant : la biographie de la Primature retrace une présence à la tête de l’organisme chargé de l’eau sur une durée particulièrement étendue, d’abord comme directeur général par intérim à la fin des années 1970, puis comme directeur général à partir de 1983, jusqu’en 2005. Cette période correspond à des décennies où Djibouti, devenu État indépendant, se dote de ses institutions, consolide ses réseaux et tente de répondre à des défis matériels lourds, dont la question de l’approvisionnement en eau potable.
L’intérêt d’une telle trajectoire n’est pas seulement biographique. Il est aussi politique : la gestion de l’eau est un dossier de souveraineté et de stabilité sociale. Dans un environnement désertique, les infrastructures hydrauliques ne relèvent pas d’un simple secteur technique ; elles touchent à la santé publique, à l’urbanisation, à la vie économique, à l’attractivité de la capitale et, dans certaines régions, à l’équilibre entre communautés et territoires. Un responsable qui maîtrise ces enjeux peut acquérir une légitimité interne solide, parce qu’il travaille au cœur d’un service public dont l’impact se mesure concrètement.
Les réalisations mises en avant par les sources officielles s’inscrivent dans cette logique. Il est notamment mentionné, au titre de son action, comme impliqué dans l’adduction d’eau vers le plateau du Day et dans l’étude d’une usine de dessalement d’eau de mer destinée à l’alimentation de la ville de Djibouti. Ces éléments, présentés comme jalons de politique publique, renvoient à une réalité : sécuriser l’eau d’une capitale en croissance implique des solutions multiples, du captage de ressources intérieures à des options plus coûteuses et technologiquement exigeantes comme le dessalement.
Dans cette phase, Abdoulkader Kamil Mohamed apparaît comme un responsable habitué à articuler planification, financement et exécution. Ce type de compétence se transpose ensuite à d’autres secteurs : l’agriculture, l’aménagement rural, la défense, et finalement la coordination interministérielle. C’est souvent ainsi que se construit, dans de nombreux États, une “carrière de confiance” : celui qui a été capable de faire fonctionner une institution stratégique se voit confier d’autres portefeuilles, puis des responsabilités de coordination.
On comprend alors ce qui fait la singularité du personnage : il n’émerge pas d’abord comme un tribun, ni comme un opposant devenu symbole, mais comme un cadre d’État. Sa notoriété politique se fabrique dans la durée, par la gestion de dossiers concrets, par la connaissance des mécanismes administratifs et par l’intégration progressive aux structures du pouvoir.
De l’Agriculture à la Défense : deux ministères, deux registres de pouvoir
En 2005, Abdoulkader Kamil Mohamed entre au gouvernement comme ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Mer, avec des attributions incluant les ressources hydrauliques. Il conserve ce portefeuille jusqu’en 2011. La cohérence avec son parcours antérieur est évidente : l’agriculture et l’élevage, dans un pays aride, ne se pensent pas sans une politique de l’eau, qu’il s’agisse de forages, de mobilisation de ressources de surface ou de solutions énergétiques adaptées.
Les biographies institutionnelles attribuent à cette période plusieurs programmes : l’élaboration d’un plan directeur pour le développement du secteur primaire, des forages dans les régions de l’intérieur afin de réduire l’impact des difficultés d’approvisionnement en eau, ainsi que l’installation de pompes à énergie solaire pour alimenter des forages. Dans un contexte où l’accès à l’énergie peut être un frein aux infrastructures rurales, la question du solaire apparaît comme une réponse pragmatique, à la fois technique et budgétaire.
Cette période est aussi présentée comme un moment de structuration institutionnelle : les sources officielles mentionnent la mise en place de l’Office national de l’eau et de l’assainissement de Djibouti (ONEAD). Le récit insiste également sur l’installation d’un premier laboratoire d’analyse alimentaire, décrit comme un instrument destiné à la protection du consommateur. L’agriculture, ici, n’est pas seulement pensée comme production ; elle est associée à des normes, à la sécurité alimentaire, à la qualité sanitaire, et donc à une modernisation administrative.
Les sources mentionnent par ailleurs un programme national de sécurité alimentaire déployé entre 2007 et 2009, avec l’appui d’institutions et de partenaires internationaux. Ce point rappelle une autre dimension de la fonction ministérielle : à Djibouti comme ailleurs, de nombreux programmes passent par des financements et expertises externes, ce qui suppose des compétences de négociation, de suivi, d’évaluation, et une capacité à traduire des priorités nationales en projets éligibles et réalisables.
En 2011, changement de registre : Abdoulkader Kamil Mohamed devient ministre de la Défense nationale, fonction qu’il occupe jusqu’en 2013. Passer d’un ministère de développement rural à un portefeuille sécuritaire signale, dans beaucoup de systèmes politiques, une consolidation de confiance et une insertion plus profonde dans le cœur régalien de l’État. À Djibouti, l’enjeu est d’autant plus fort que le pays joue un rôle géostratégique important et accueille des présences militaires étrangères, ce qui fait de la défense un domaine à la fois national et international.
La biographie officielle associe ce passage à la Défense à des chantiers structurants, dont le lancement d’un programme lié à la loi militaire et la mise en œuvre de l’Académie militaire d’Arta. Quelles que soient les lectures politiques que l’on peut faire, ce type de dossier confirme le rôle de la Défense comme ministère de réforme, de formation et d’organisation, et pas seulement de commandement.
Cette séquence ministérielle a un effet majeur sur l’image du responsable : elle le fait passer du statut de spécialiste de l’eau à celui d’homme d’État polyvalent, à l’aise dans des portefeuilles qui touchent à la souveraineté. Dans la logique des parcours gouvernementaux, elle prépare souvent l’accès à une fonction de coordination, lorsque l’exécutif cherche un profil capable de comprendre des secteurs très différents et de faire circuler l’information au sommet.
Premier ministre depuis 2013 : un chef de gouvernement dans la continuité de l’exécutif
Le 31 mars 2013, un décret de nomination publié au Journal officiel djiboutien désigne Abdoulkader Kamil Mohamed comme Premier ministre de la République de Djibouti. Cette nomination intervient après la démission de son prédécesseur, Dileita Mohamed Dileita. À partir de cette date, Abdoulkader Kamil Mohamed s’installe à la tête de la Primature et devient le principal coordinateur de l’action gouvernementale.
Le rôle du Premier ministre à Djibouti doit être compris dans le cadre institutionnel : la présidence conserve un poids déterminant et, dans la pratique, l’orientation politique majeure est fixée au sommet de l’État, tandis que la Primature est un centre d’organisation, d’harmonisation et de mise en œuvre. C’est précisément l’angle mis en avant par la biographie officielle, qui attribue à Abdoulkader Kamil Mohamed une réorganisation de la Primature, notamment par l’institution d’une administration permanente et d’un Secrétariat général renforcé, afin d’accroître les capacités de coordination et de visibilité de l’action gouvernementale.
Dans la même logique, les sources officielles évoquent un travail de conduite de réunions interministérielles en lien avec la Présidence, et des mécanismes de suivi. Elles mentionnent aussi une évaluation de l’action gouvernementale pour la période 2009-2013, réalisée en 2015. Ce type d’initiative vise généralement à donner une cohérence programmatique à l’action publique, à objectiver les progrès et les retards, et à structurer la redevabilité interne de l’administration.
La continuité au poste est l’autre élément marquant de son portrait. En 2016, après l’élection présidentielle du 8 avril, il remet sa démission conformément à la pratique institutionnelle, puis il est reconduit dans ses fonctions le 11 mai 2016. Cet épisode, relaté par la Présidence, confirme la place du Premier ministre comme responsable appelé à remettre son mandat dans un moment de transition électorale, avant d’être éventuellement reconduit selon les choix du chef de l’État.
Les biographies officielles attribuent également à la période de son exercice des interventions sur des dossiers sociaux et urbains : la question de tensions sociales dans le secteur portuaire, ou la question foncière de la cité Arhiba. Ces éléments sont importants car ils montrent le Premier ministre dans un rôle d’arbitre interne, face à des problématiques sensibles qui touchent au travail, au logement, et à la stabilité sociale.
Dans l’ensemble, Abdoulkader Kamil Mohamed est présenté comme un Premier ministre de méthode : gestion des mécanismes gouvernementaux, recherche d’harmonisation, et prise en main de dossiers transversaux. Ce style s’inscrit dans une logique de continuité, où l’enjeu n’est pas de redéfinir seul une orientation nationale, mais de rendre opérationnelles les décisions prises au sommet et d’assurer la cohérence du gouvernement.
Ancrage partisan, coalition majoritaire et dialogue politique : la dimension politique du parcours
Réduire Abdoulkader Kamil Mohamed à un profil purement technocratique serait incomplet. Les sources institutionnelles soulignent au contraire un long engagement au sein du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), parti au pouvoir. Selon la biographie de la Primature, il est engagé au sein du parti dès le début des années 1980 et gravit progressivement les échelons internes : président d’annexe, membre du comité central, puis membre du comité exécutif. En septembre 2012, il devient premier vice-président du parti, un poste dans l’architecture partisane qui signale une proximité directe avec le centre de décision.
La même biographie indique qu’il prend, à partir de novembre 2012, la présidence de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), coalition soutenant l’exécutif et regroupant plusieurs formations. Cette présidence de coalition, juste avant sa nomination comme Premier ministre, illustre une articulation nette entre le champ partisan et le champ gouvernemental : occuper des responsabilités dans la majorité, c’est aussi devenir un point de passage pour la discipline, la coordination et la cohésion politique.
Les sources mentionnent également son statut de député, avec une élection en février 2008 et une réélection en 2013. Dans l’histoire politique djiboutienne, certains scrutins ont fait l’objet de contestations de la part de l’opposition, un élément qui fait partie du contexte et qui explique que l’exécutif mette régulièrement en avant des initiatives de dialogue. C’est sur ce terrain qu’intervient l’un des faits politiques retenus par la Primature : la mise en œuvre d’un accord-cadre signé le 30 décembre 2015 entre le gouvernement et l’Union pour le Salut National, présentée comme représentant des partis d’opposition, en vue de renforcer le dialogue politique et d’installer un climat plus apaisé.
Cette mention est révélatrice de la manière dont l’exécutif djiboutien construit la narration de la stabilité : un dialogue encadré, des accords, et une volonté affichée de régulation institutionnelle des tensions politiques. Dans un pays où les enjeux économiques et géostratégiques sont importants, la stabilité politique est souvent présentée comme un capital à protéger, et la Primature comme un acteur de médiation.
Enfin, au-delà du champ strictement national, Abdoulkader Kamil Mohamed apparaît dans l’espace public comme un interlocuteur de partenaires étrangers et un représentant de la continuité de l’État. La Présidence met en avant sa formation française et son profil d’ingénieur de l’hydraulique, ce qui contribue à la construction d’une image : celle d’un responsable capable de parler aux bailleurs, aux partenaires militaires, et aux acteurs de développement, tout en restant ancré dans la logique majoritaire.
Au terme de ce parcours, un constat s’impose : Abdoulkader Kamil Mohamed est une figure de centralité administrative et politique. Son itinéraire raconte la promotion progressive d’un cadre d’État, expert d’un secteur vital, devenu ministre, puis responsable d’un portefeuille régalien, avant d’être placé à la tête de la coordination gouvernementale. Sa longévité à la Primature témoigne d’une confiance durable de l’exécutif et d’un style d’action fondé sur la continuité, la gestion et l’organisation.
Dans un pays où l’action publique se déploie sous contrainte de ressources naturelles, de défis sociaux, et d’une géopolitique intense, ce type de profil répond à une demande de stabilité et de mise en œuvre. Pour ses soutiens, Abdoulkader Kamil Mohamed incarne la compétence et la capacité à piloter l’appareil d’État. Pour ses critiques, il peut représenter l’expression d’un système où la continuité du pouvoir se nourrit d’une forte intégration entre administration, parti majoritaire et exécutif. Mais sur un point, les faits vérifiables sont clairs : depuis le 31 mars 2013, Abdoulkader Kamil Mohamed demeure l’un des visages les plus durables de l’exécutif djiboutien, et sa biographie officielle situe sa naissance au 17 septembre 1951, à Souali, dans la région d’Obock.



