Il ne ressemble pas à ces figures politiques forgées dans les partis, les campagnes électorales et les joutes de tribune. Aboubacar Nacanabo appartient à une autre lignée : celle des hauts profils techniques que l’État appelle quand les équations budgétaires se compliquent, quand la dette pèse, quand la mobilisation des recettes devient une urgence politique autant qu’un impératif comptable. Au Burkina Faso, en pleine transition et sous forte pression sécuritaire et économique, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Prospective est devenu un visage central, parce qu’il tient une manette décisive : l’argent public.
Né en 1979 à Abidjan, de nationalité burkinabè, il s’est construit dans les arcanes de l’administration fiscale avant d’entrer au gouvernement en 2022. Depuis, il traverse les remaniements, conserve son portefeuille et s’impose comme l’un des hommes-clés d’un exécutif qui attend de ses finances qu’elles financent à la fois la continuité de l’État et la réponse aux urgences du moment.
Un parcours d’État : de l’inspection des impôts au cœur du pouvoir
Le fil rouge de la trajectoire d’Aboubacar Nacanabo, c’est la fiscalité. Formé au Burkina Faso, il obtient notamment un diplôme d’inspecteur des impôts, puis poursuit un cursus universitaire en sciences économiques et de gestion. Très tôt, il se spécialise dans les sujets les plus techniques et les plus sensibles pour un pays en développement : contrôle des grandes entreprises, prix de transfert, lutte contre l’érosion de la base d’imposition, fiscalité des multinationales.
Son parcours professionnel s’ancre d’abord à la Direction générale des impôts (DGI), où il occupe des fonctions de vérification et de contrôle des grandes entreprises, jusqu’à coordonner des équipes chargées de dossiers impliquant des secteurs stratégiques comme les mines, les banques ou les télécommunications. Dans ce type de missions, l’enjeu dépasse largement la technique : il s’agit de savoir ce que l’État est en droit de prélever, comment il le justifie, et comment il résiste aux montages d’optimisation qui déplacent les profits loin des administrations fiscales.
Cette expertise, construite dans l’appareil d’État, lui donne un profil rare : celui d’un fonctionnaire rompu aux conflits fiscaux complexes, mais aussi habitué à traduire ces sujets en décisions administratives et politiques. Son curriculum mentionne ainsi la production de notes techniques et de propositions de législation, ainsi que des responsabilités liées aux contentieux administratifs de multinationales.
L’expert de la fiscalité internationale, entre Afrique et normes mondiales
Avant même son entrée au gouvernement, Aboubacar Nacanabo évolue dans un espace où se discutent les nouvelles règles du jeu fiscal mondial : la taxation de l’économie numérique, la réforme des prix de transfert, les débats autour des standards internationaux contre l’évasion fiscale. Son parcours fait apparaître des activités dans des cadres de coopération et d’expertise continentale, notamment au sein de réseaux africains spécialisés.
Il préside, à partir de mars 2021, un réseau d’experts africains en fiscalité internationale (tel que présenté dans son CV), et assume des responsabilités techniques au sein d’instances africaines de coopération fiscale, avec un travail portant sur des sujets comme la solution dite « à deux piliers », la fiscalité des services numériques ou encore la déduction des intérêts et les dispositifs visant à limiter la sous-capitalisation. Son CV décrit également des missions d’assistance technique à destination d’administrations fiscales africaines et des interventions de formation, dans plusieurs pays et sur plusieurs périodes.
Cette dimension internationale compte politiquement. Dans un monde où les recettes fiscales se jouent aussi dans les conventions, les standards, les échanges d’informations et la capacité d’un pays à négocier avec des acteurs globaux, un ministre des Finances n’est pas seulement un arbitre interne : il devient un interlocuteur dans un rapport de forces régional et international. Les profils comme celui de Nacanabo se construisent précisément dans cette zone grise entre expertise et souveraineté fiscale, où les textes comptent autant que les capacités concrètes de contrôle.
De la technostructure au gouvernement : une nomination dans la transition
Aboubacar Nacanabo est nommé ministre de l’Économie, des Finances et de la Prospective en octobre 2022, dans le contexte de la transition burkinabè, et il est ensuite maintenu dans ses fonctions lors des recompositions gouvernementales. Le fait est en soi politique : dans des périodes de transition, les portefeuilles régaliens et financiers sont souvent ceux où la continuité est jugée la plus vitale.
En devenant ministre, il change de nature : il ne s’agit plus seulement de contrôler et d’optimiser le prélèvement, mais de définir un cap budgétaire. Il doit arbitrer entre dépenses de fonctionnement, investissements, priorités sociales, impératifs de sécurité et soutenabilité de la dette. Autrement dit : transformer une expertise fiscale en stratégie économique, sous le regard du pouvoir exécutif, de l’administration, des acteurs économiques et des partenaires régionaux.
Son positionnement public illustre aussi une manière de parler de finances publiques qui vise à rassurer autant qu’à expliquer : performance de collecte, transparence, efficacité administrative, extension des outils numériques. Dans un entretien accordé en 2023, il insiste notamment sur la digitalisation comme levier de modernisation et de performance des services financiers publics.
Réformes et discours de méthode : fiscalité, digitalisation, contrôle des multinationales
Le ministère qu’il dirige est celui des recettes et de la dépense, mais aussi celui de la machine administrative qui les rend possibles : impôts, douanes, trésor, chaîne de la dépense, contrôle, commande publique. Dans son discours public, Aboubacar Nacanabo met en avant l’idée d’un État plus efficace, notamment par la transformation numérique.
Dans l’entretien de 2023, il explique que la loi de finances 2023 n’aurait pas créé de nouvelles taxes, mais aurait réaménagé des dispositifs existants, avec des objectifs présentés comme l’élargissement de l’assiette, l’amélioration du rendement et la lutte contre certaines consommations jugées nuisibles. Il évoque aussi le renforcement du contrôle des prix de transfert pour limiter l’évasion fiscale des multinationales, via des obligations de documentation et des obligations déclaratives sur les transactions intragroupe.
Le cœur de la démarche, tel qu’il la décrit, repose sur des outils : télédéclaration, télépaiement, délivrance de documents fiscaux en ligne, plateformes numériques côté impôts et douanes, extension progressive à la chaîne de la dépense et aux procédures de commande publique. Il cite notamment l’usage d’une plateforme de déclaration et paiement en ligne et l’extension de services digitaux, avec un objectif récurrent : réduire les coûts, limiter les frictions, améliorer l’analyse des données et accélérer les procédures.
Ces orientations ne sont pas uniquement techniques : elles dessinent une vision de l’État. Digitaliser, c’est aussi réduire l’opacité, limiter certains risques de pratiques informelles, accélérer les flux, rendre traçables des opérations, et donc déplacer l’équilibre entre l’administration, les contribuables et les circuits économiques. Dans un pays où la contrainte budgétaire est forte, chaque point de rendement fiscal devient une décision éminemment politique.
Dette, recettes, influence régionale : les chiffres comme argument politique
Le ministère des Finances est aussi celui qui doit répondre à une question simple et brutale : comment tenir la trajectoire d’un État qui doit payer ses engagements, financer ses priorités, et conserver la confiance de ceux qui prêtent ou achètent ses titres ? Sur ce terrain, la dette devient un indicateur central, et la manière de la présenter devient un acte de communication autant qu’un acte de gouvernance.
Un bulletin statistique officiel sur la dette publique du Burkina Faso, portant sur la situation à fin décembre 2024, présente un encours de dette de l’administration centrale de 8 029,60 milliards FCFA, représentant 58,6 % du PIB, avec une répartition entre dette extérieure et dette intérieure. Le document précise également un encours de dette intérieure de 4 777,51 milliards FCFA à fin 2024, ainsi que des éléments sur les titres publics et le service de la dette.
Dans ce cadre, la capacité à mobiliser les ressources internes devient l’un des marqueurs politiques majeurs. Lors d’un Conseil des ministres en décembre 2025, un compte rendu relayé par la presse locale indique que le ministre aurait présenté une mobilisation de 2 500 milliards FCFA de ressources intérieures au 30 septembre 2025, pour un taux de réalisation de 105 % par rapport aux prévisions, et mentionne aussi un règlement de dette intérieure chiffré à 1 200 milliards FCFA.
À l’échelle régionale, Aboubacar Nacanabo apparaît également dans des responsabilités tournantes. En octobre 2025, il est annoncé comme désigné président du Conseil des ministres statutaire de l’UEMOA, à l’issue d’une session tenue à Dakar, pour un mandat présenté comme de deux ans. Là encore, la portée est politique : ce type de fonction, même tournante, renforce un poids institutionnel, et place un ministre au carrefour des discussions monétaires et financières régionales.
Reste que l’image d’un homme politique ne se réduit pas à un CV, ni à des annonces chiffrées. Aboubacar Nacanabo incarne un style de pouvoir : celui du gestionnaire qui avance avec les instruments de la fiscalité, de la dette et de l’administration. Son autorité, dans l’espace public, se construit par la maîtrise des dossiers, la capacité à produire des résultats mesurables et la faculté de tenir un langage de performance. Dans le Burkina Faso de la transition, où l’État cherche des marges de manœuvre, ce profil devient stratégique : parce qu’il offre au pouvoir une promesse difficile à tenir, mais indispensable à afficher — celle d’un État qui collecte mieux, dépense mieux et garde la main sur ses équilibres financiers.



