À Moroni comme à Mutsamudu, son nom s’est imposé en quelques mois comme celui d’une génération montante au sein du pouvoir comorien. Abubakar Ben Mahmoud est devenu ministre de l’Environnement, chargé du Tourisme, dans un contexte où l’exécutif affiche sa volonté de rajeunir une partie de l’équipe gouvernementale. À 35 ans au moment de son entrée au gouvernement, l’intéressé a été présenté, dans la presse locale, comme le plus jeune membre d’un cabinet remanié et resserré autour des priorités du président Azali Assoumani.
Derrière l’image du “jeune ministre”, son profil intrigue : une formation scientifique, un passage par l’enseignement, des responsabilités administratives dans l’organisation des élections à Anjouan, et un ancrage partisan assumé au sein de la Convention pour le renouveau des Comores (CRC), formation majoritaire. Son portefeuille, à la croisée de l’écologie, du développement et de l’attractivité touristique, le place aussi au cœur de débats très concrets sur l’avenir d’un archipel particulièrement exposé au changement climatique, à l’érosion du littoral, aux crises de déchets et à la pression sur les ressources naturelles.
Un symbole de rajeunissement, au cœur d’un gouvernement reconduit
L’entrée d’Abubakar Ben Mahmoud au gouvernement est associée à une séquence politique précise : la composition ministérielle annoncée le 1er juillet 2024, puis un remaniement du 14 avril 2025, présenté comme une continuité, où il conserve son portefeuille. Dans cette architecture, plusieurs ministres nommés en 2024 restent en place et sont explicitement reconduits lors du remaniement de 2025, dont Abubakar Ben Mahmoud à l’Environnement et au Tourisme.
Cet élément de continuité compte : à la différence d’un simple “coup” de communication, la reconduction signale que l’exécutif attend de lui des résultats sur la durée. Dans un pays où les enjeux institutionnels, économiques et sociaux se superposent, le maintien d’un ministre jeune peut être interprété comme un pari sur la stabilité et l’exécution des politiques publiques, mais aussi comme un test : celui de la capacité d’une nouvelle figure à tenir un portefeuille transversal, où l’environnement n’est plus un sujet isolé mais un paramètre qui influe sur l’agriculture, l’énergie, la santé, l’éducation et l’aménagement du territoire.
Le fait que son ministère englobe aussi le tourisme renforce cette dimension : aux Comores, l’attractivité touristique ne se joue pas seulement sur les plages et les paysages, mais sur la qualité des infrastructures, la propreté, la protection des écosystèmes, et la résilience face aux aléas climatiques. Le ministre lui-même décrit ce portefeuille comme interconnecté avec presque tous les autres, une manière de dire que l’environnement n’est plus “un ministère parmi d’autres”, mais une grille de lecture du développement.
D’un parcours scientifique à l’arène politique : itinéraire d’un cadre d’Anjouan
Les éléments publics les plus souvent cités dessinent un parcours atypique au regard des trajectoires politiques classiques. Né à Mremani, dans la région de Nyumakele (Anjouan), Abubakar Ben Mahmoud est présenté comme ayant obtenu un baccalauréat scientifique, poursuivi des études à l’Université des Comores (faculté des Sciences et Techniques), puis continué à Madagascar, à l’Université d’Antananarivo, où il décroche en 2015 un diplôme d’études approfondies (DEA) en sciences de la vie, option entomologie.
Ce détour par les sciences du vivant n’est pas anodin dans un pays où l’environnement est au cœur de problématiques quotidiennes : ressources en eau, sols, biodiversité, forêts, agriculture vivrière, risques sanitaires liés aux déchets. Selon des portraits publiés dans la presse comorienne, il commence sa carrière en 2016 au CRDE de Mremani et Lingoni comme entomologiste, puis devient enseignant de sciences naturelles dans des lycées d’Anjouan.
La bascule vers la sphère politico-administrative se fait ensuite par l’élection et l’organisation électorale : il est mentionné comme ayant été nommé directeur régional des élections à Anjouan, fonction qui l’installe à un carrefour sensible entre administration territoriale et dynamique partisane.
Sur le terrain politique, il est identifié comme un cadre de la CRC, le principal parti au pouvoir. Des articles le décrivent comme coordinateur du parti à partir de 2022, et comme un mobilisateur, notamment auprès des jeunes, dans un paysage politique où la participation et la confiance envers les institutions restent des enjeux centraux.
Enfin, la presse locale évoque également son environnement familial : il est présenté comme le fils de Mahmoud Attoumane, décrit comme ancien gouverneur, et comme père de deux enfants. Ces éléments, lorsqu’ils apparaissent dans les portraits, renvoient à une réalité fréquente dans de nombreux pays : l’ascension politique se construit à la fois par les diplômes, la maîtrise des réseaux administratifs et partisans, et l’inscription dans des sociabilités locales.
Un ministère à double visage : protéger, mais aussi “faire venir”
Abubakar Ben Mahmoud prend donc la tête d’un ministère qui combine protection de l’environnement et responsabilité touristique. Sur le papier, l’association peut sembler naturelle : préserver les écosystèmes, c’est protéger la base même d’un tourisme durable. Dans la pratique, l’équation est plus rude, car elle impose d’arbitrer entre des urgences (déchets, érosion, déforestation) et des ambitions (investissements, emplois, infrastructures, image internationale).
Dans un entretien accordé à la presse comorienne, il insiste sur la transversalité de sa mission, et sur le fait que l’action environnementale ne peut plus être “cloisonnée”. Il cite explicitement l’adaptation au climat, les pratiques agricoles, l’énergie, l’économie bleue et les emplois “verts”, ou encore l’aménagement du territoire. Cette manière de cadrer son rôle suggère une stratégie : se positionner comme un ministre pivot, capable de peser dans les arbitrages interministériels et de donner une cohérence à des politiques parfois dispersées.
Sur le plan normatif, il met en avant le renforcement du cadre juridique, avec la promulgation de textes structurants autour de l’environnement et des déchets, évoqués comme des “lois majeures” pour encadrer la prévention et la gestion durable. Ces textes constituent un marqueur : au-delà des annonces, ils donnent aux administrations des bases légales pour agir, contrôler, sanctionner ou inciter. La promulgation d’une loi-cadre sur la gestion durable des déchets, fin 2024 et promulguée par décret en janvier 2025, est présentée comme une étape importante dans un pays où l’insularité complique l’exportation des déchets et où la mise en place de filières locales est souvent coûteuse.
Dans le même temps, la dimension touristique oblige à tenir un discours d’ouverture et de projection. Le tourisme, aux Comores, est fréquemment pensé comme un levier d’emplois et de devises, mais il est tributaire de facteurs sur lesquels le ministère de l’Environnement n’a pas la main seul : transport, sécurité, santé, qualité des services, accès, investissement. D’où, là encore, l’insistance sur le caractère interministériel de son action.
Cette position peut aussi être politiquement payante : en liant l’environnement à l’économie et à la création d’emplois, un ministre évite l’image d’un “ministère des contraintes” et se présente comme celui des solutions, des financements et des projets. Reste que cette narration se heurte à un terrain où les urgences sont parfois brutales et visibles.
Les urgences écologiques des Comores : forêts, côtes, déchets, climat
Pour comprendre l’exposition d’Abubakar Ben Mahmoud, il faut regarder les dossiers qui s’imposent à lui et qui dépassent sa personne.
La déforestation, d’abord, apparaît comme un sujet emblématique, notamment à Anjouan. Dans un reportage consacré à l’île, il est rappelé que les pressions sur la forêt sont alimentées par une forte densité de population, la recherche de terres agricoles, et des activités économiques qui consomment du bois, dont la distillation d’ylang-ylang. Le ministre y dresse un constat chiffré particulièrement alarmant sur la perte des forêts naturelles sur une période donnée, et souligne la pression démographique comme un facteur aggravant.
Ce type de dossier est politiquement sensible : il touche à la survie économique de familles entières, à des pratiques anciennes et à des marchés internationaux (parfumerie, exportations), tout en rendant visibles les limites d’un modèle où l’on prélève plus vite que la nature ne se régénère. Un ministre de l’Environnement ne peut pas s’y contenter d’un discours moral : il doit proposer des alternatives, des mécanismes d’accompagnement, et souvent des partenariats avec des ONG et des bailleurs, sur un horizon long.
Le littoral, ensuite, constitue un autre front. Les Comores, comme d’autres États insulaires, sont confrontées à l’érosion côtière, à la montée du niveau de la mer, aux submersions, et à la fragilité d’écosystèmes qui protègent naturellement les rivages. Dans ce cadre, des programmes de protection des zones côtières sont présentés comme s’inscrivant dans une stratégie nationale, avec un appel du ministre à l’engagement des partenaires, des institutions et des communautés pour la mise en œuvre.
La question des déchets, enfin, est devenue un marqueur des politiques publiques dans l’océan Indien. Sur une île, chaque tonne de déchets non traitée finit par être visible : dépotoirs à ciel ouvert, brûlage, pollution des sols et de l’eau, atteinte à l’image touristique. Le renforcement du cadre légal sur la prévention et la gestion durable des déchets, promulgué début 2025, vise précisément à sortir d’une gestion improvisée et à structurer des solutions plus pérennes.
À cela s’ajoute le changement climatique, qui, dans le discours du ministre, regroupe des phénomènes très concrets : inondations, sécheresses, submersion marine, dégradation de la biodiversité, risques sanitaires. Ce qui se joue ici n’est pas seulement l’environnement : c’est la stabilité de moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé publique, et la capacité de l’État à protéger des populations déjà exposées à des vulnérabilités économiques.
Le défi, pour un responsable politique, est de transformer ces diagnostics en politiques : planification, financement, contrôle, éducation, et mise en cohérence des acteurs. Or, dans la réalité comorienne comme ailleurs, l’État n’agit pas seul : collectivités, communautés, entreprises, ONG, partenaires internationaux occupent souvent une place déterminante. Le ministre doit donc être à la fois stratège, coordinateur et, parfois, arbitre.
Une figure scrutée : attentes, critiques possibles et test de crédibilité
Dans l’espace public, les jeunes ministres portent souvent une promesse implicite : celle d’une méthode plus moderne, d’une proximité avec la jeunesse, d’une capacité à “faire bouger” des administrations. Abubakar Ben Mahmoud revendique cette posture de trait d’union entre l’État et la jeunesse, et présente la jeunesse comme un moteur d’audace et d’innovation dans la conduite des politiques publiques.
Mais cette promesse est aussi un risque. Car, dans un portefeuille comme l’environnement, les résultats se mesurent rarement à court terme. Replanter une forêt, modifier des pratiques agricoles, structurer une filière de traitement des déchets, renforcer la protection du littoral : tout cela demande des années, parfois des décennies, et dépend de budgets, de compétences, de contrôle et d’adhésion sociale. La politique, elle, fonctionne souvent sur un temps plus court, celui des annonces, des crises et des cycles électoraux.
La question de l’ancrage partisan joue également. Son identification à la CRC, mentionnée dans plusieurs portraits, le place clairement dans le camp du pouvoir. Pour ses soutiens, c’est un atout : accès aux décisions, capacité de faire avancer des réformes. Pour ses critiques, cela peut nourrir l’idée d’une promotion avant tout politique. Dans un pays où la défiance envers les institutions peut exister, la crédibilité se construit alors sur la transparence des choix, la capacité à associer des acteurs divers, et l’acceptation du débat public.
L’autre point sensible est l’équilibre entre écologie et économie. Sur des sujets comme l’ylang-ylang, la déforestation ou la gestion des déchets, un ministre peut être pris en tenaille entre, d’un côté, les impératifs de protection, et de l’autre, les réalités sociales : revenus, emplois, pratiques de survie, coût des alternatives. Là encore, le succès dépendra moins d’un discours que de la construction de solutions : incitations, soutien technique, accès à l’énergie, alternatives au bois, organisation de filières, et contrôle effectif.
Enfin, son cas illustre une question plus large : celle de la place des profils scientifiques et techniques dans la politique. Le fait qu’il ait été formé aux sciences de la vie et à l’entomologie, puis qu’il ait enseigné, peut être vu comme un signal : l’environnement n’est pas seulement une affaire de slogans, mais aussi de compétences et de compréhension des systèmes naturels. À condition, bien sûr, que cette expertise soit réellement mobilisée dans la décision, et pas seulement affichée comme un élément de communication.
À ce stade, Abubakar Ben Mahmoud apparaît surtout comme une figure de transition : un ministre jeune, reconduit, placé à la jonction de deux secteurs où l’archipel joue une part de son avenir. Le test, pour lui, sera de transformer une trajectoire ascendante et un récit de rajeunissement en politiques tangibles, visibles pour les Comoriens, et lisibles pour les partenaires. C’est à ce prix que le “plus jeune ministre” cessera d’être une étiquette pour devenir, aux yeux du pays, un responsable durablement installé dans le paysage politique comorien.



