Dans la Gambie d’Adama Barrow, où la vie politique s’est progressivement ouverte après des décennies d’autoritarisme, une figure s’est imposée sans appartenir aux filières partisanes classiques : Ahmadou Lamin Samateh. Médecin, chirurgien, universitaire, puis ministre, il incarne cette génération de responsables publics issus des professions techniques, propulsés au gouvernement au nom de la compétence et de la crédibilité. Son parcours, qui mène des salles d’opération de Banjul aux tables de négociation avec les partenaires internationaux, raconte aussi les défis d’un pays aux ressources limitées, confronté à la pression démographique, à l’héritage d’un système de santé fragile et aux secousses de la pandémie.
Le personnage intrigue parce qu’il brouille les repères habituels de la politique ouest-africaine : moins tribun que gestionnaire, moins idéologue que pragmatique, davantage porté sur les réformes administratives et l’investissement public que sur les joutes électorales. Mais, précisément, c’est dans ce rôle de technocrate politique que se joue une partie de son influence : il intervient sur des sujets où l’État est attendu, jugé, parfois critiqué, toujours scruté. Biographier Ahmadou Lamin Samateh, c’est donc retracer un itinéraire personnel, mais aussi raconter un morceau d’histoire contemporaine gambienne, fait d’espoirs de modernisation, d’arbitrages budgétaires et d’une bataille permanente pour renforcer les services essentiels.
Une formation médicale exigeante et un profil forgé par la rareté des moyens
Ahmadou Lamin Samateh est d’abord un produit du secteur de la santé gambien, un univers où l’on apprend tôt à composer avec les pénuries de matériel, le manque de spécialistes et l’éloignement de certaines populations des structures de soins. Son profil est celui d’un médecin formé à haut niveau : il est titulaire d’un diplôme de médecine et chirurgie (MBBS), d’un master en planification et management de la santé (MHPM) et d’un fellowship du West African College of Surgeons (FWACS), marqueur important dans l’espace ouest-africain pour les praticiens en chirurgie.
Cette combinaison dit beaucoup de la manière dont s’est construit son parcours. D’un côté, le MBBS et la formation chirurgicale renvoient à une trajectoire clinique lourde, faite de gardes, de responsabilités et d’années de spécialisation. De l’autre, le MHPM signale un intérêt affirmé pour la gestion des systèmes de santé : la planification, l’organisation hospitalière, l’optimisation des ressources, la lecture des indicateurs, la gouvernance des établissements. Ce double ancrage, médical et administratif, sera déterminant lorsqu’il franchira le seuil du gouvernement.
Son itinéraire s’inscrit aussi dans une réalité longtemps partagée par de nombreux professionnels gambiens : l’absence, à une époque, de certaines filières de formation sur place, obligeant les futurs spécialistes à chercher ailleurs l’enseignement et les stages nécessaires avant de revenir servir le pays. Dans ses prises de parole publiques, Samateh a d’ailleurs évoqué ce contexte et l’idée d’un retour au pays comme responsabilité, avec l’ambition de transmettre et de structurer localement les compétences. À travers lui, on perçoit la tension permanente entre la fuite des cerveaux et l’impératif de bâtir une expertise nationale durable.
Ce socle académique n’est pas qu’un détail biographique. Dans un ministère comme celui de la Santé, où la crédibilité technique pèse lourd face aux partenaires, aux syndicats, aux directions hospitalières et aux organisations internationales, un ministre peut être évalué sur sa capacité à comprendre les dossiers au-delà des notes de cabinet. Samateh arrive dans l’arène politique avec ce type de légitimité : celle qui vient du terrain médical, de la hiérarchie hospitalière et des pairs.
De l’hôpital universitaire de Banjul à l’université : l’ascension d’un chirurgien-enseignant
Avant d’être ministre, Ahmadou Lamin Samateh a passé l’essentiel de sa carrière au cœur de l’Edward Francis Small Teaching Hospital (EFSTH) de Banjul, l’établissement universitaire de référence du pays. Il y travaille depuis le début des années 2000 et y gravit progressivement les échelons, à la fois sur le plan clinique et administratif. Il est décrit comme ayant exercé comme senior consultant general surgeon, puis chef de service et, enfin, directeur médical en chef, une fonction de pilotage qui implique la coordination de services, la gestion des urgences, la supervision des équipes et la relation avec la tutelle.
Cette progression est révélatrice : elle montre un profil capable d’évoluer de la pratique chirurgicale vers la gouvernance hospitalière. Or, dans un pays où l’hôpital central est souvent le point de convergence des cas les plus graves, la fonction de directeur médical en chef n’est pas un poste honorifique. Elle expose à des choix difficiles : arbitrer des priorités de soins, répondre à des crises, gérer des tensions de personnel, composer avec l’approvisionnement en médicaments et équipements, dialoguer avec des partenaires extérieurs.
Parallèlement, Samateh s’investit dans l’enseignement. Il a été senior lecturer en chirurgie à la School of Medicine and Allied Health Sciences de l’Université de Gambie. Là encore, un élément biographique devient un indicateur politique : l’enseignement médical est un lieu où se forment les futures élites du système de santé, mais aussi un espace de normalisation des pratiques, de diffusion de standards, d’encouragement à la recherche et à l’éthique professionnelle. Être enseignant dans ce contexte, c’est participer à la consolidation d’un écosystème national de soins, à une époque où la Gambie cherche à renforcer ses capacités internes.
Le parcours mentionne également son implication dans des instances professionnelles et éthiques, notamment au sein d’organismes nationaux liés à la régulation médicale et à l’éthique de la recherche. Cette dimension est importante dans un secteur où les projets internationaux, les essais, la surveillance épidémiologique et les programmes de santé publique exigent des cadres de conformité, de consentement et de contrôle.
C’est donc un homme déjà habitué aux institutions, aux procédures et au dialogue interprofessionnel qui entre en politique. Cette préparation silencieuse, loin des plateaux et des meetings, explique en partie la manière dont il sera perçu ensuite : moins comme un acteur partisan que comme un administrateur de haut niveau, convaincu que l’amélioration des services passe par des réformes structurantes, de la formation et des partenariats.
La bascule vers le gouvernement : une nomination en 2019 et la logique des technocrates
Le tournant politique intervient en mars 2019. Le président Adama Barrow nomme Ahmadou Lamin Samateh ministre de la Santé, en remplacement de la vice-présidente de l’époque qui occupait auparavant ce portefeuille. L’annonce est présentée comme un choix de compétence, dans un contexte de remaniements. Samateh arrive alors avec un profil différent de nombreux ministres : il est d’abord connu pour sa carrière hospitalière et universitaire.
Cette nomination a plusieurs significations. D’abord, elle traduit l’idée que la santé devient un secteur stratégique, nécessitant une direction perçue comme techniquement solide. Ensuite, elle s’inscrit dans une tendance observée dans plusieurs États de la région : recourir à des technocrates pour piloter des ministères sensibles, notamment lorsque les attentes de résultats sont fortes. Enfin, elle place Samateh au contact direct d’un appareil gouvernemental où les décisions dépassent la seule sphère médicale : budget, diplomatie sanitaire, négociations avec les bailleurs, coordination inter-ministérielle, communication de crise.
Le calendrier politique le place rapidement face à une épreuve majeure : la pandémie de Covid-19. Dans les années qui suivent 2019, la santé devient, partout dans le monde, un centre de gravité du pouvoir. En Gambie, le ministère est impliqué dans la réponse sanitaire, la coordination avec les agences internationales et la conduite de campagnes d’information et de vaccination. Des déclarations officielles de Samateh dans ce cadre montrent un ministre engagé dans la recherche de soutien extérieur, notamment lors de livraisons de vaccins et d’échanges avec des partenaires, tout en insistant sur les besoins du pays pour renforcer durablement le système.
L’exercice du pouvoir dans un ministère de la Santé ne se limite pas à gérer l’urgence : il impose de penser l’après. Sur ce terrain, Samateh met en avant une idée récurrente : transformer le secteur en un système plus orienté vers le service et plus résilient. Résilience est un mot clé des gouvernances sanitaires contemporaines : capacité à encaisser les chocs, à continuer de fonctionner, à se réorganiser rapidement, à stocker, surveiller, former, anticiper. L’ambition affichée est de dépasser la logique du bricolage permanent, même si les contraintes budgétaires restent fortes.
Il faut aussi noter un élément de temporalité administrative : des communications institutionnelles ont pu évoquer sa période de service sur certaines années, tandis que d’autres publications plus récentes continuent de le présenter comme ministre de la Santé. Dans les faits, sa visibilité publique et institutionnelle dans des activités officielles récentes liées à la santé témoigne d’un rôle gouvernemental toujours central dans ce secteur.
Un ministre face aux réalités : infrastructures, partenariats et diplomatie sanitaire
L’action d’Ahmadou Lamin Samateh au gouvernement se lit d’abord à travers les dossiers concrets : modernisation des infrastructures de santé, amélioration de la capacité hospitalière, développement des services spécialisés, et multiplication des partenariats.
L’un des chantiers emblématiques de cette période est la montée en puissance de grands projets d’infrastructures, dont un vaste complexe hospitalier et des structures d’urgence associées, notamment autour de Farato, présenté comme un projet d’ampleur nationale. Des visites de terrain, effectuées avec des équipes du ministère et des partenaires, mettent en scène un ministre soucieux de contrôle qualité, de suivi de chantier et d’évaluation de l’avancement, dans un pays où l’exécution des projets publics est souvent un point de fragilité. Dans ce type de tournée, l’objectif n’est pas seulement d’inaugurer : il s’agit de vérifier l’état réel des travaux, de relever les retards, de rappeler les exigences et de maintenir une pression administrative sur les acteurs impliqués.
Sur le plan international, Samateh s’inscrit dans une diplomatie sanitaire active. Il interagit avec des organisations multilatérales et des partenaires bilatéraux, dans un contexte où la santé est fortement dépendante des financements, de l’expertise et des équipements venus de l’extérieur. Des échanges avec l’Organisation mondiale de la Santé et d’autres acteurs soulignent une posture de gratitude officielle, mais aussi une stratégie : consolider les appuis, inscrire la Gambie dans des programmes régionaux, faire reconnaître les besoins du pays et obtenir des ressources.
Les partenariats avec des organisations non gouvernementales internationales occupent également une place importante. Samateh s’est exprimé sur le rôle d’acteurs spécialisés dans la chirurgie humanitaire et la formation, en défendant l’idée que ces collaborations peuvent combler des lacunes immédiates tout en produisant un effet durable, notamment lorsque la formation des soignants est intégrée à l’intervention. Dans ses tribunes, il met en avant l’enjeu central de la chirurgie dans les pays à revenu faible ou intermédiaire : la rareté des spécialistes, l’accumulation de besoins non traités, la souffrance prolongée de patients faute d’accès à une opération, et l’importance de programmes capables d’apporter, à la fois, des soins et du transfert de compétences.
Cette logique de partenariat est aussi visible dans les relations avec des équipes médicales étrangères, régulièrement saluées pour leur contribution aux soins, à la technologie et à la formation. Samateh a, à plusieurs reprises, exprimé publiquement une reconnaissance envers certaines missions médicales, en soulignant leur sacrifice et leur impact. Ces déclarations, au-delà de la diplomatie, reflètent une réalité opérationnelle : dans un système de santé sous tension, les coopérations médicales peuvent représenter un renfort immédiat, tout en alimentant des débats internes sur l’autonomie, la planification à long terme et la capacité nationale à retenir ses professionnels.
Enfin, le ministre s’inscrit dans des dynamiques régionales ou interrégionales : participation à des rencontres de ministres, prise de parole sur l’immunisation, échanges au niveau du Commonwealth, ou encore implication dans des initiatives ouest-africaines. Là, la fonction de ministre dépasse l’administration nationale : il devient représentant du pays, porteur d’un récit sur les priorités et les progrès, mais aussi négociateur sur des questions de financement, de surveillance épidémiologique et de réponse aux crises.
Un style de leadership discret et les enjeux d’une biographie encore en mouvement
Écrire aujourd’hui la biographie d’Ahmadou Lamin Samateh impose une prudence : son itinéraire politique n’est pas figé, et son image publique repose davantage sur des actes administratifs et des interventions sectorielles que sur une carrière partisane traditionnelle. Ce choix de trajectoire est précisément ce qui fait sa singularité dans le paysage gambien : il est d’abord identifié comme médecin et gestionnaire, puis comme ministre.
Son style, tel qu’il apparaît dans ses activités publiques, renvoie à un leadership de terrain et de réseau : visites d’infrastructures, rencontres avec partenaires, discours centrés sur la capacité du système, appels à la qualité et à l’investissement, mise en avant de la formation et des ressources humaines. Il incarne, dans ce cadre, une figure du ministre technicien, qui s’efforce de relier les besoins concrets des hôpitaux à la mécanique de l’État, en cherchant à obtenir des moyens, à structurer la planification et à convaincre que la santé est un investissement national.
Mais cette position l’expose aussi à des tensions propres à toute politique sanitaire. La population attend des résultats immédiats : accès aux soins, médicaments disponibles, urgences fonctionnelles, baisse des évacuations coûteuses, amélioration des maternités, des services pédiatriques, de la lutte contre les maladies chroniques. Le ministère, lui, travaille sur des temporalités longues : construire, former, équiper, normaliser, financer. Entre ces deux rythmes, le ministre est souvent pris en étau, soumis à des critiques dès que le quotidien se dégrade, même si les causes sont structurelles.
La pandémie a, à cet égard, accéléré l’exposition médiatique des responsables sanitaires. Elle a aussi rappelé la fragilité des États face aux chocs globaux : dépendance aux chaînes d’approvisionnement, concurrence internationale sur les vaccins, fatigue des personnels, impact économique des restrictions, défi de la communication publique. Dans ce contexte, la parole de Samateh s’est inscrite dans une stratégie classique des ministères de la Santé : reconnaître l’appui des partenaires, insister sur l’importance de la vaccination et de l’immunisation, appeler à la solidarité internationale, tout en plaidant pour des renforcements structurels.
Sur le plan personnel, les informations publiques disponibles décrivent un homme marié, père de famille, dont la vie privée reste relativement en retrait de la scène médiatique, comme c’est souvent le cas pour des profils technocratiques. Cette discrétion contribue à une image de sérieux institutionnel, mais limite aussi la dimension narrative que recherchent parfois les portraits politiques : moins d’anecdotes, plus de dossiers.
Au final, la biographie d’Ahmadou Lamin Samateh est celle d’un passage du savoir médical au pouvoir administratif, puis à la décision politique. Elle s’inscrit dans un moment gambien où l’État cherche à consolider ses institutions, à répondre à des attentes sociales fortes et à montrer des signes tangibles de modernisation. Pour ses partisans, il symbolise une approche pragmatique et professionnelle, centrée sur la performance du système de santé. Pour ses critiques potentiels, la question reste celle des résultats mesurables et de l’appropriation nationale des réformes, au-delà des partenariats et des annonces.
Ce qui est certain, c’est que Samateh appartient à cette catégorie de responsables dont l’action se lit moins dans les slogans que dans la transformation lente des administrations : hôpitaux qui s’équipent, chantiers qui avancent, programmes de formation qui s’institutionnalisent, collaborations internationales qui se structurent. Dans un pays où la santé est à la fois une urgence quotidienne et une promesse politique, ce type de trajectoire pèse lourd. Et elle continuera d’être observée, au rythme des crises, des budgets et des progrès attendus par les Gambiens.



