Qui est Ahmed Hanno ?

Nommé à l’été 2024 au sein d’un remaniement gouvernemental d’ampleur, Ahmed Fouad Abdel-Salam Hanno s’est imposé en quelques mois comme l’un des visages les plus visibles de l’exécutif égyptien sur le terrain culturel. À la différence de nombreux responsables politiques issus d’appareils partisans ou de grands corps administratifs, cet homme de 1968 arrive au sommet de l’État avec un profil d’artiste et d’enseignant, forgé dans les ateliers d’arts plastiques, les amphis universitaires et les institutions culturelles. Sa trajectoire illustre une tendance récurrente dans l’histoire contemporaine du ministère de la Culture en Égypte : la volonté, affichée par le pouvoir, de confier la politique culturelle à des personnalités dont la légitimité est d’abord symbolique et professionnelle, plutôt que strictement politicienne.

Dans un pays où la culture est à la fois un marqueur d’identité nationale, un instrument de diplomatie et un secteur économique en quête de modernisation, l’arrivée d’Ahmed Hanno ouvre une séquence particulière. Parce qu’il est un spécialiste des arts visuels et de l’animation, parce qu’il vient de l’université, et parce qu’il hérite d’un ministère au réseau tentaculaire — théâtres, opéras, musées, palais de la culture, fonds de développement, bibliothèques —, son action est scrutée à travers un double prisme : celui de la promesse d’un renouveau et celui des contraintes structurelles qui pèsent sur la vie culturelle égyptienne. Qui est réellement Ahmed Hanno ? D’où vient-il ? Quelles priorités met-il en avant ? Et que signifie, en Égypte, être « homme politique » quand on accède à un portefeuille aussi éminemment sensible que celui de la Culture ?

Un ministre nommé en 2024 dans un gouvernement remanié

Ahmed Hanno est devenu ministre de la Culture le 3 juillet 2024, à l’occasion de la prestation de serment du nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Moustafa Madbouly. Il succède alors à Nevine El-Kilany, dans un contexte de recomposition ministérielle au cours duquel plusieurs portefeuilles changent de titulaire. La nomination d’Ahmed Hanno s’inscrit dans cette logique de renouvellement : l’exécutif met en avant un profil capable de parler au monde des arts, mais aussi de s’aligner sur une ligne politique centrée sur l’identité et la cohésion sociale.

Dès ses premières déclarations publiques après la prestation de serment, Ahmed Hanno insiste sur un axe qui revient fréquemment dans le discours officiel : « construire » ou « renforcer » le caractère et l’identité égyptienne, en mobilisant la culture comme vecteur de valeurs, de cohésion et d’élévation collective. Dans cette perspective, la culture n’est pas seulement un champ esthétique ou patrimonial ; elle est présentée comme un outil d’éducation civique au sens large, et comme un levier de ce que l’État appelle la construction de l’être humain. Le ministre reprend ainsi un vocabulaire déjà ancré dans les politiques publiques, en soulignant le rôle de la culture pour développer la créativité, encourager l’innovation, soutenir les talents et préserver une identité nationale.

Ce positionnement est important pour comprendre la nature de la fonction : en Égypte, le ministère de la Culture n’est pas un simple département administratif chargé d’événements et de subventions. Il est une interface entre l’État, les créateurs, l’opinion publique et l’image internationale du pays. Les prises de parole de son titulaire participent donc autant à la narration nationale qu’à la gestion d’un secteur. Très vite, Ahmed Hanno multiplie les apparitions : réunions avec les dirigeants des organismes rattachés au ministère, annonces liées aux musées et aux institutions publiques, séquences diplomatiques à dimension culturelle, et communication autour d’événements nationaux.

Cette entrée en fonction intervient aussi dans un contexte où l’Égypte cherche à valoriser davantage la culture comme « industrie créative » et comme composante de l’attractivité touristique. L’enjeu n’est pas seulement de faire vivre les institutions culturelles, mais de leur donner une visibilité capable de dialoguer avec les grandes scènes régionales et internationales. Le ministre, en ce sens, devient un acteur de représentation : il doit tenir un discours rassurant pour les milieux artistiques, tout en montrant une capacité d’organisation et d’alignement sur les priorités gouvernementales.

De la formation artistique à l’enseignement supérieur : un parcours d’universitaire

Le profil d’Ahmed Hanno est d’abord celui d’un universitaire spécialisé dans les arts. Né au Caire le 13 décembre 1968, il se forme aux beaux-arts et s’inscrit dans une trajectoire académique longue. Son cursus, tel qu’il est rapporté par plusieurs présentations biographiques, comprend un diplôme en arts plastiques obtenu au début des années 1990, puis des études supérieures en animation, avant un doctorat en philosophie de l’art. Cette combinaison — pratique artistique, spécialisation en animation et approche théorique — structure son image publique : celle d’un responsable capable de parler à la fois le langage des créateurs et celui des institutions.

Ce n’est pas un détail. L’animation, en Égypte comme ailleurs, occupe une position singulière : elle appartient à l’univers des arts visuels, mais elle dialogue aussi avec les technologies, la narration, la formation, et les industries audiovisuelles. Pour un ministre de la Culture, se revendiquer de cette spécialité revient à signaler une sensibilité aux formes contemporaines, au numérique et aux secteurs créatifs. Ahmed Hanno est d’ailleurs régulièrement présenté comme un spécialiste des arts de l’animation et de la philosophie de l’art, ce qui renforce l’idée qu’il peut porter une modernisation du ministère à travers des outils et des langages adaptés aux nouveaux publics.

Au fil des années, il occupe des fonctions d’enseignement et de direction universitaire. Il est notamment associé à l’université de Helwan, un établissement connu en Égypte pour ses filières artistiques, où il devient doyen de la faculté des beaux-arts en 2019. Plus tard, il est également lié à l’université Al-Galala, où il occupe des postes de direction, dont celui de doyen de la faculté des arts et du design puis, selon certaines biographies, celui de vice-président chargé des affaires étudiantes. Ces fonctions témoignent d’une expérience de gouvernance, de gestion d’équipes et de pilotage de projets institutionnels — autant de compétences cruciales pour diriger un ministère dont l’architecture administrative est lourde et fragmentée.

Ses activités ne se limitent pas à l’enseignement. Ahmed Hanno est cité pour sa participation à des événements et cadres de promotion de l’animation, dont une présidence du Cairo International Animation Forum affilié au Fonds de développement culturel. Dans le paysage culturel égyptien, ces espaces jouent un rôle de passerelle entre la formation, la création et la diffusion. Pour un futur ministre, y évoluer revient à tisser des liens avec les professionnels et à connaître les mécanismes de production culturelle.

À cette dimension institutionnelle s’ajoutent des éléments de reconnaissance artistique. Des notices biographiques mentionnent des distinctions liées à l’animation, comme des prix dans des festivals spécialisés. Qu’on en fasse un marqueur de carrière ou un détail secondaire, cela participe à construire une image : celle d’un ministre « du métier », davantage qu’un pur administrateur. Ce point compte en Égypte, où le dialogue entre l’État et les milieux culturels est régulièrement traversé par la question de la légitimité : qui parle au nom de la culture ? Qui comprend réellement les contraintes des créateurs ? À ce titre, Ahmed Hanno arrive avec une carte d’identité professionnelle relativement claire.

Une conception politique de la culture : identité, cohésion, accès

Lorsqu’Ahmed Hanno parle de ses priorités, un thème domine : la culture comme outil de construction du citoyen et de consolidation de l’identité. Les formulations varient, mais l’idée est constante : la culture doit renforcer des valeurs positives, nourrir l’appartenance et contribuer à la formation d’une conscience collective. Dans son discours, la politique culturelle dépasse la programmation d’événements ; elle devient une politique de société.

Ce type de cadrage n’est pas propre à Ahmed Hanno. Il s’inscrit dans une ligne où la culture est régulièrement présentée comme un rempart contre la fragmentation sociale, une réponse à des défis éducatifs, et un levier de « soft power ». Ce qui change, avec un ministre issu des arts visuels et de l’université, tient à la manière dont cette ligne peut se traduire concrètement : par la mise en avant de la créativité, par une attention aux industries culturelles, ou par une volonté affichée de moderniser les outils de diffusion.

Au cours de ses premiers mois, Ahmed Hanno insiste sur la nécessité de soutenir les talents et de renforcer l’infrastructure culturelle. Dans un pays où la vie culturelle est très concentrée dans la capitale, l’enjeu des régions est central : comment garantir un accès effectif à des activités artistiques, à des livres, à des spectacles, à des lieux de formation ? Le ministère de la Culture dispose d’un vaste réseau d’institutions, notamment les « palais de la culture », qui sont censés irriguer les gouvernorats. Mais le fonctionnement, l’entretien, la programmation et la fréquentation de ces lieux varient fortement selon les zones. Le discours ministériel, qui insiste sur le déploiement et l’accès, répond à cette réalité.

On observe aussi une dimension pédagogique dans la communication du ministre. Dans certaines séquences rapportées par des médias, Ahmed Hanno participe à des échanges et insiste sur la signification même de la culture, sur son rôle social, et sur la nécessité de la rapprocher des citoyens. Cette approche vise à donner au ministère une place « utile », compréhensible, presque quotidienne, loin de l’image d’un secteur réservé à une élite urbaine.

Dans le même temps, la culture est un terrain où s’expriment des tensions. Attentes des créateurs, budgets publics, priorités politiques, enjeux d’image : chaque décision peut être interprétée. Pour un ministre, l’équilibre est délicat. Afficher la défense de l’identité nationale peut séduire un large public et s’aligner sur le discours de l’État ; mais cela peut aussi susciter des interrogations sur la place de la diversité artistique, de la critique, de l’expérimentation. Un ministre issu du monde de l’art est attendu sur sa capacité à protéger les espaces de création, à soutenir les artistes, et à éviter que la culture ne devienne un simple décor politique. La réalité de cette capacité se juge moins aux déclarations qu’aux arbitrages, aux budgets et aux mécanismes de soutien.

Enfin, la culture est aussi un secteur économique. Entre cinéma, musique, édition, arts numériques, festivals, tourisme culturel, la question des « industries créatives » prend de l’importance dans de nombreux pays. Ahmed Hanno, avec son profil d’enseignant et de spécialiste de l’animation, est souvent associé à une sensibilité à ce domaine. Ses premières orientations publiques évoquent la modernisation et le soutien à la créativité, ce qui peut s’inscrire dans une stratégie plus large de valorisation économique des contenus culturels. Là encore, le défi est de transformer des mots en politiques : formations, infrastructures, droits, production, diffusion, partenariats.

Premiers signaux d’action : institutions, musées, patrimoine, diplomatie culturelle

Les premières semaines d’un ministre sont souvent scrutées à travers des gestes symboliques. Ahmed Hanno donne rapidement l’image d’un responsable présent sur le terrain institutionnel : réunions avec des responsables d’organismes rattachés au ministère, visites, annonces liées à des équipements culturels. Cette activité est en soi une manière d’affirmer l’autorité ministérielle sur un ensemble administratif vaste, où coexistent des structures anciennes et de nouvelles initiatives.

Parmi les séquences les plus visibles, on trouve celles liées aux musées et au patrimoine. L’annonce d’une ouverture gratuite de musées à l’occasion de la Journée internationale des musées, par exemple, s’inscrit dans une logique d’accès élargi et de sensibilisation du public, notamment des jeunes. Ce type de mesure a une portée symbolique forte : elle rappelle que les musées sont présentés comme des lieux de mémoire nationale, mais aussi comme des espaces que l’on souhaite rendre plus accueillants.

Autre champ sensible : la valorisation du patrimoine immatériel. Quand un ministre de la Culture annonce une reconnaissance internationale, le message dépasse la gastronomie ou l’ethnographie : il touche à l’image du pays et à la fierté collective. À cet égard, la communication autour de l’inscription du koshary — plat populaire emblématique — sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, telle qu’elle est annoncée par le ministère, est révélatrice. Ce type d’événement, au-delà de la cuisine, est utilisé pour raconter une continuité culturelle, une singularité nationale, et une reconnaissance mondiale.

Le ministre est également présent dans des séquences de coopération culturelle. Dans les États contemporains, la diplomatie culturelle sert à consolider des relations bilatérales, à accompagner des agendas politiques et à promouvoir une image attractive. Lorsque le ministre rencontre des représentants étrangers lors d’événements culturels, ou lorsque des projets communs sont évoqués, la culture devient un langage d’échange qui dépasse les seuls artistes. Cette dimension est particulièrement forte en Égypte, pays au patrimoine monumental et à la place symbolique importante dans le monde arabe et africain. Les actions du ministère peuvent alors se lire comme une articulation entre politique intérieure (accès, identité, institutions) et politique extérieure (rayonnement, partenariats, tourisme culturel).

Enfin, un ministre de la Culture en Égypte est attendu sur sa relation au cinéma, à l’opéra, aux festivals et aux grandes manifestations qui structurent la scène culturelle. La présence du ministre lors d’événements médiatisés, les échanges avec des acteurs du cinéma ou les déclarations autour de grands rendez-vous, participent de cette visibilité. Dans un pays où les industries audiovisuelles ont longtemps constitué un centre de gravité culturel régional, la manière dont le ministère accompagne ou encadre ces secteurs est un indicateur de politique culturelle.

Ces signaux, cependant, ne doivent pas être surinterprétés. Ils disent une intention, une posture, une volonté de présence. Ils ne disent pas encore une réforme. Or, la différence entre une séquence d’installation et une politique durable tient à la capacité du ministre à agir sur les structures : budgets, gestion, rénovation des lieux, politiques de publication, soutien à la création, décentralisation, modernisation numérique.

Les défis d’un ministre-artiste : gouverner un ministère tentaculaire

Être ministre en Égypte, c’est entrer dans une mécanique d’État où la marge de manœuvre se négocie en permanence. Dans le cas de la Culture, les défis sont nombreux et souvent invisibles pour le grand public. Le ministère gère un réseau large, des personnels variés, des institutions qui ont leurs traditions et leurs inerties, et des attentes parfois contradictoires : celles des artistes, celles des administrations, celles de l’opinion, celles du pouvoir politique.

Le premier défi est territorial. Le Caire concentre la majorité des grandes institutions, des médias, des élites artistiques, des budgets et des opportunités. Les gouvernorats, eux, vivent une réalité hétérogène, avec des infrastructures parfois sous-dotées. Les « palais de la culture » sont un outil majeur de présence locale, mais leur fonctionnement dépend de ressources, de programmation, de personnel qualifié, et d’une capacité à attirer des publics. La politique culturelle se mesure alors à une question simple : que se passe-t-il en dehors de la capitale ? Un ministre qui promet d’élargir l’accès doit prouver qu’il peut faire vivre un réseau et pas seulement organiser des événements au centre.

Le deuxième défi est celui de la modernisation. Dans un monde dominé par les plateformes, les usages numériques, la vidéo courte, la musique en streaming et la circulation rapide des contenus, les institutions culturelles traditionnelles ont besoin d’outils adaptés pour exister auprès des jeunes générations. Un ministre issu de l’univers des arts visuels contemporains peut être attendu sur cette dimension : moderniser la communication, soutenir des formats nouveaux, créer des ponts entre institutions et créateurs numériques. Mais la modernisation suppose des investissements et des compétences techniques, ainsi qu’une stratégie cohérente : numérisation d’archives, plateformes de diffusion, formation, partenariats.

Le troisième défi est le rapport aux créateurs. Les artistes attendent souvent du ministère qu’il soutienne, protège, finance et donne de la visibilité. Ils attendent aussi qu’il respecte l’autonomie de création et qu’il évite de réduire la culture à une vitrine officielle. Dans un environnement politique où la culture peut être perçue comme un terrain sensible, le ministre doit maintenir une relation de confiance minimale avec les milieux intellectuels et artistiques. Ahmed Hanno, en tant qu’artiste et professeur, a potentiellement des codes partagés avec eux. Mais il est aussi un membre du gouvernement, tenu par des arbitrages et des orientations générales. La question est donc : comment concilier un langage de proximité avec les artistes et une position institutionnelle qui implique une certaine discipline politique ?

Le quatrième défi est économique. Les institutions culturelles publiques doivent gérer des coûts : rénovation, maintenance, équipements, salaires, sécurité. Dans le même temps, le ministère peut être incité à développer des ressources propres, à attirer du mécénat, à créer des événements rentables, à s’inscrire dans une logique de tourisme culturel. Ce mouvement peut être bénéfique s’il permet de financer la création ; mais il peut aussi accentuer la concurrence entre institutions et favoriser des programmations plus « vendeuses ». Le ministre doit naviguer entre l’exigence de rentabilité et la mission de service public.

Enfin, un défi transversal concerne la mémoire et la narration nationale. La culture en Égypte est intimement liée à une histoire longue : pharaonique, copte, islamique, moderne. Chaque politique patrimoniale, chaque musée, chaque restauration, chaque inscription internationale devient une pièce d’un récit national. Ahmed Hanno, en insistant sur l’identité, se place dans cette logique. Il lui faut alors articuler héritage et création contemporaine : ne pas figer la culture dans la célébration du passé, tout en valorisant ce passé comme ressource.

C’est ici que se joue, au fond, la définition même de l’« homme politique » dans son cas. Ahmed Hanno n’est pas seulement un ministre technicien. Il est un producteur de symboles. Par ses choix, ses discours, ses priorités, il contribue à définir ce que l’État égyptien veut mettre en avant comme « culture » : une identité, un patrimoine, une créativité, une modernité. Son profil d’universitaire peut lui donner une légitimité particulière, mais il ne le protège pas des contraintes d’un ministère exposé. Dans les mois et années à venir, son action sera jugée à l’aune de questions concrètes : quels budgets pour les régions ? quels soutiens à la création ? quelles réformes des institutions ? quelle place pour les jeunes artistes ? quelle stratégie numérique ? quelle capacité à faire du ministère un acteur de la vie quotidienne et pas seulement des grandes cérémonies ?

La trajectoire d’Ahmed Hanno, enfin, raconte quelque chose de plus large : l’importance, en Égypte, de la culture comme affaire d’État. Loin d’être un secteur périphérique, elle est un terrain où se construit un récit national et où se joue une part de l’influence du pays. Dans ce cadre, un ministre de la Culture n’est jamais seulement un gestionnaire. Il est, qu’il le veuille ou non, un acteur politique au sens plein, chargé de faire vivre une idée de l’Égypte, de la transmettre et de la projeter.

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