Qui est Alem Kibreab ?

Dans un pays où l’information institutionnelle circule souvent au compte-gouttes, certains noms émergent pourtant avec régularité dès qu’il est question d’économie, d’investissements étrangers et d’ouverture progressive. Celui d’Alem Kibreab figure parmi ces rares repères. Présenté au fil des années comme directeur général des mines au sein du ministère érythréen en charge de l’énergie et des mines, il apparaît dans des interviews, des comptes rendus de conférences, des annonces liées aux grands projets miniers et, plus récemment, dans des cérémonies diplomatiques. De là à le qualifier d’« homme politique », la nuance est essentielle : Alem Kibreab n’est pas connu comme une personnalité partisane exposée aux joutes électorales, mais plutôt comme un haut responsable d’État, technicien de l’appareil gouvernemental, chargé d’un secteur stratégique.

Son nom revient surtout lorsque l’Érythrée, État indépendant depuis 1993, cherche à transformer un potentiel géologique en recettes publiques, tout en composant avec des défis structurels : infrastructures limitées, besoin de devises, climat d’investissement jugé complexe et controverses récurrentes autour des conditions de travail. Dans l’espace médiatique international, il est ainsi devenu l’un des interlocuteurs les plus cités sur le dossier minier érythréen, un domaine où se mêlent promesses de croissance, enjeux de souveraineté et interrogations sur la gouvernance.

Un haut responsable plus qu’un élu : le profil d’un technocrate d’État

Alem Kibreab est principalement identifié par ses fonctions au sein de l’administration érythréenne, dans la sphère « énergie et mines ». Dans plusieurs publications et reprises d’entretiens, il est décrit comme directeur général des mines, parfois aussi comme directeur général au ministère de l’Énergie et des Mines, un intitulé qui renvoie à un rôle de pilotage : encadrement de l’exploration, délivrance de permis, discussions avec les opérateurs, et communication sur la stratégie du pays.

Cette visibilité publique, inhabituelle dans un système politique où les figures gouvernementales restent souvent peu médiatisées, tient à la nature même du secteur minier : c’est l’un des rares domaines où l’Érythrée doit dialoguer avec des partenaires étrangers, répondre à des questions d’investisseurs, et donner des signaux de stabilité réglementaire. Dans ce contexte, la parole d’un responsable des mines devient un outil de politique économique autant qu’un message technique.

Des archives d’entretiens le montrent déjà à l’œuvre au tournant des années 2010, période où l’Érythrée cherche à se positionner comme « nouvel entrant » sur la carte minière mondiale. À l’époque, le pays met en avant ses atouts géologiques, notamment sa situation sur un ensemble de formations aurifères et polymétalliques connues dans la région. Dans ce discours, Alem Kibreab insiste sur l’idée d’une montée en puissance progressive et sur l’attrait exercé sur des sociétés étrangères, à condition d’encadrer l’activité et de développer les compétences locales. Cette ligne, prudente et planificatrice, revient régulièrement dans ses prises de parole publiques.

Un autre marqueur de sa notoriété internationale est sa participation à des rendez-vous professionnels, notamment des conférences minières en Afrique australe, où l’Érythrée cherche à attirer capitaux et expertise. Les images de ces événements, relayées par des agences et banques d’images, attestent de cette présence sur des scènes où l’on parle investissements, métaux, normes et risques-pays.

Mais ce qui alimente le débat autour de la formule « homme politique », c’est moins une carrière élective qu’un rôle d’intermédiaire entre la stratégie nationale et les attentes du marché international. Dans un État centralisé, la frontière est ténue : un directeur général qui négocie des contrats, porte la parole officielle et incarne une politique sectorielle occupe de fait une position politique, au sens où ses décisions engagent la trajectoire économique du pays.

Le pari des ressources : mines, potasse et ambitions d’infrastructures

Le cœur du récit médiatique autour d’Alem Kibreab se situe dans la séquence où l’Érythrée présente les mines comme un levier de relance et de diversification. Longtemps décrite comme une économie largement agricole, contrainte par des besoins d’infrastructures et par des tensions régionales, l’Érythrée a progressivement mis en avant son sous-sol : or, cuivre, zinc, argent, et surtout potasse, ressource clé pour la production d’engrais.

Dans des interviews accordées au fil des années, le responsable érythréen détaille un calendrier d’ouverture de nouvelles exploitations et l’idée d’un déploiement « par étapes ». Une logique est récurrente : démarrer avec quelques projets pilotes, capitaliser sur les recettes, former une main-d’œuvre, puis élargir. Cette narration vise à rassurer les investisseurs sur la capacité du pays à absorber un choc minier sans basculer dans une économie de rente incontrôlée.

L’un des projets qui cristallise ces ambitions est celui de la potasse dans la région de Colluli, souvent associé à l’idée qu’un minerai peut entraîner, en cascade, la construction d’infrastructures d’exportation. Dans la presse économique, l’idée d’un port nouveau revient à intervalles réguliers. Alem Kibreab est cité comme l’un de ceux qui expliquent l’intérêt d’un site portuaire complémentaire, pensé pour exporter les volumes attendus, réduire les distances logistiques et, surtout, matérialiser une réouverture économique.

Cette articulation mines–infrastructures n’est pas neutre : elle touche à la souveraineté, à la planification territoriale et aux équilibres régionaux en mer Rouge. Parler d’un port, c’est évoquer des routes commerciales, des corridors, des partenariats industriels et, potentiellement, une reconfiguration de la place de l’Érythrée dans les échanges. La promesse est souvent formulée en termes d’attractivité : un port moderne, adossé à des projets miniers, pourrait attirer d’autres investissements, de l’industrie légère à la logistique.

L’autre volet du pari minier, tel qu’il est présenté dans les déclarations publiques, concerne la création d’un tissu de compétences. Des comptes rendus officiels de conférences en Érythrée associent régulièrement le secteur à la recherche, à la formation et au transfert technologique : création d’associations professionnelles, conférences sur les meilleures pratiques, mise en avant d’études d’impact environnemental, et appels à la montée en compétence des ingénieurs et géologues locaux. Dans ces événements, Alem Kibreab apparaît comme un responsable cherchant à inscrire le secteur minier dans une logique de professionnalisation et de planification, plutôt que dans une ruée désordonnée.

On retrouve ce même fil conducteur dans les programmes de formation, parfois organisés avec des partenaires étrangers, où il est question de technologies de l’information géologique, de cartographie, et d’outils modernisant l’exploration et la gestion des données minières. L’enjeu est stratégique : mieux connaître le sous-sol, c’est mieux négocier les contrats, mieux planifier et mieux contrôler.

Entre attractivité et controverses : la question sensible des conditions de travail

Toutefois, parler d’Alem Kibreab sans aborder les controverses qui entourent le secteur minier érythréen reviendrait à tronquer l’image. Car l’industrie extractive, dans le pays, se situe au croisement de deux récits antagonistes : d’un côté, l’argument du développement et des recettes indispensables ; de l’autre, les critiques sur la gouvernance et les risques en matière de droits humains.

L’exemple le plus emblématique est celui des débats autour du recours au travail lié au service national. Des enquêtes journalistiques internationales et des procédures judiciaires à l’étranger ont, ces dernières années, mis en avant des accusations de travail forcé autour de chantiers liés à une mine majeure du pays. Dans ces récits, l’État et les entreprises concernées ont contesté les allégations, soulignant des mécanismes contractuels et niant la présence de conscrits sur certains sites.

Alem Kibreab est intervenu publiquement sur ce sujet dans des déclarations rapportées, défendant la position officielle : il a notamment affirmé que des conscrits n’avaient pas travaillé sur un site précis et attribué certaines accusations à des récits instrumentalisés. La question est particulièrement sensible parce qu’elle engage la réputation internationale du pays, le risque juridique pour les sociétés étrangères et la capacité du gouvernement à attirer de nouveaux partenaires.

Dans un secteur où les investissements se chiffrent en centaines de millions de dollars et où les cycles de développement s’étalent sur des années, la gestion de la réputation devient un enjeu presque aussi important que la teneur d’un gisement. Les déclarations d’un haut responsable des mines servent alors à construire une ligne de défense, à rassurer les opérateurs et à répondre aux médias. Cela place Alem Kibreab dans une posture hybride : technicien des ressources, mais aussi porte-parole d’un État sur un terrain controversé.

Le débat ne se limite pas aux droits du travail. Il inclut aussi la transparence des contrats, la redistribution des recettes, et la capacité de l’administration à encadrer les impacts environnementaux. Les conférences professionnelles évoquées en Érythrée montrent que ces sujets ne sont pas absents des discussions, au moins sur le plan des principes : « exploitation responsable », « développement durable », « évaluations d’impact », « meilleures pratiques ». Mais la manière dont ces principes s’appliquent concrètement dépend de la gouvernance, de l’indépendance des contrôles, et des rapports de force entre l’État et les opérateurs.

Dans ce contexte, Alem Kibreab incarne une fonction : celle qui doit, simultanément, attirer l’investissement et défendre l’image du pays, tout en maintenant un discours de maîtrise des risques. C’est précisément là que la lecture « politique » de son rôle prend sens : il ne s’agit pas seulement de géologie, mais de choix de modèle économique et de réponses à des critiques internationales.

Diplomatie économique : Chine, partenariats et visibilité internationale

Au fil des années, l’Érythrée a diversifié ses interlocuteurs, et la diplomatie économique est devenue une composante structurante des projets miniers. Là encore, Alem Kibreab apparaît dans des séquences où se croisent politique étrangère, contrats et stratégie industrielle.

Des comptes rendus officiels de rencontres avec des délégations internationales le montrent participant à des discussions plus larges que les seules mines. Lors d’échanges avec des responsables d’organisations régionales africaines, il a par exemple été question d’énergie, de difficultés d’approvisionnement et de développement de sources renouvelables et géothermiques. Ce type de discours relie directement le développement minier à un autre défi majeur : produire de l’énergie et la distribuer, condition indispensable à toute industrialisation.

La dimension chinoise est, elle aussi, de plus en plus présente dans les annonces publiques. Des cérémonies officielles, relatées par des canaux diplomatiques, font état de signatures d’accords miniers impliquant des entreprises et des représentants des deux pays. Dans une de ces séquences, Alem Kibreab est mentionné comme « ministre par intérim » chargé de l’énergie et des mines lors de la signature d’un accord sur un projet aurifère. Cet élément est important, car il suggère une responsabilité ponctuellement élargie, au-delà de la direction générale des mines, et une place au premier rang dans la formalisation de partenariats.

Cette visibilité ne signifie pas forcément une promotion durable, mais elle montre que, dans certains moments, il est mandaté pour représenter le ministère au niveau politique. Dans un système où les annonces officielles sont rares et où les remaniements sont peu commentés publiquement, la fonction affichée lors d’un événement diplomatique devient un indice observé de près.

Sur la scène économique, son discours s’inscrit aussi dans une chronologie régionale. Après l’accord de paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie annoncé en 2018, plusieurs déclarations relayées dans les médias ont insisté sur l’idée que la paix change l’environnement d’investissement. Alem Kibreab fait partie des responsables cités pour expliquer que l’attrait pour le pays dépend d’abord de la stabilité régionale. Il est alors mobilisé comme voix officielle d’une Érythrée qui veut tourner une page et se présenter comme « destination » potentielle pour les capitaux.

La diplomatie économique, dans ce cadre, ne se limite pas à séduire des investisseurs : elle sert à repositionner le pays. Parler de mines, de port, d’énergie renouvelable ou de formation technique, c’est proposer une histoire nationale où l’Érythrée n’est pas seulement associée à des tensions et à l’exil, mais à des projets de développement. Que cette narration convainque ou non, elle structure une partie de la communication internationale de l’État, et Alem Kibreab en est l’un des porte-voix les plus réguliers.

Ce que l’on sait de lui, et ce qui demeure opaque : la limite des biographies publiques

À la question « qui est Alem Kibreab ? », une réponse précise bute sur un fait : il existe beaucoup plus d’informations sur ses fonctions et ses déclarations que sur son parcours personnel. Contrairement à des responsables politiques dans des systèmes plus ouverts, sa biographie publique est parcellaire. Les sources accessibles mettent l’accent sur son rôle, ses interventions, les projets dont il parle, mais rarement sur sa formation, ses dates de nomination, son origine, ou sa trajectoire complète dans l’appareil d’État.

Ce silence biographique est en lui-même un élément journalistique. Il rappelle la spécificité du contexte érythréen : une communication institutionnelle souvent centrée sur les projets, les réalisations et les messages de souveraineté, plutôt que sur la personnalisation des carrières. Même lorsqu’un responsable apparaît dans des entretiens, l’éclairage porte sur le secteur, les chiffres, les calendriers, les gisements, plus que sur l’homme.

Ce que l’on peut documenter, en revanche, c’est une continuité : sur plus d’une décennie, Alem Kibreab reste associé au même portefeuille, au même champ de responsabilité. Cette durée suggère une forme de stabilité dans l’administration minière, une expertise accumulée et, probablement, une confiance politique accordée par le sommet de l’État. Dans une politique extractive, la continuité est un signal : elle signifie aux investisseurs que les interlocuteurs ne changent pas tous les six mois, que la mémoire des dossiers reste en place, et que les grandes lignes de la stratégie ne sont pas entièrement réversibles.

Autre élément observable : l’évolution des thèmes qu’il porte. Les premières années, la communication met en avant la découverte, l’entrée sur le marché mondial, l’attrait du « bouclier nubien » et la promesse d’une « ruée » minière. Ensuite, à mesure que les projets avancent, le discours s’élargit vers l’infrastructure (ports, corridors), la formation, la technologie de l’information géologique, et les enjeux de durabilité. Enfin, dans les séquences diplomatiques récentes, apparaissent davantage les mots-clés de partenariats stratégiques, d’énergie renouvelable et de coopération internationale.

Ce glissement thématique raconte quelque chose de l’Érythrée elle-même : un pays qui cherche à passer d’une logique de prospection à une logique d’exploitation, puis d’exploitation à une logique d’écosystème industriel et énergétique. Dans ce récit, Alem Kibreab est moins un personnage que le fil rouge d’un secteur que l’État présente comme moteur.

Reste une question centrale : son rôle est-il celui d’un décideur ou celui d’un exécutant ? Les informations publiques ne permettent pas de trancher. Dans l’industrie minière, les décisions structurantes sont souvent partagées entre plusieurs niveaux : le gouvernement, les ministères, les sociétés nationales, parfois des structures de sécurité, et les entreprises partenaires. Le directeur général des mines peut être un acteur majeur des négociations techniques, des permis et du suivi, tout en restant dépendant d’arbitrages politiques plus hauts.

C’est aussi ce qui explique la prudence nécessaire lorsqu’on le qualifie d’« homme politique ». Au sens strict, il apparaît surtout comme un haut fonctionnaire et un représentant de l’État dans un secteur stratégique. Au sens large, ses prises de parole et ses rôles lors d’accords internationaux l’inscrivent dans le champ politique, car il participe à la définition et à la mise en scène d’une orientation économique nationale.

En définitive, Alem Kibreab est devenu un nom associé à une promesse : celle d’une Érythrée qui mise sur ses ressources naturelles pour financer son développement, moderniser ses infrastructures et gagner une place dans les échanges régionaux. Cette promesse est discutée, contestée, parfois critiquée, mais elle structure l’un des rares espaces où l’État érythréen s’exprime régulièrement à destination du monde extérieur. Et c’est précisément là, dans cet entre-deux entre technique et souveraineté, qu’il faut situer l’homme : un technocrate au cœur d’un dossier hautement politique.

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