Qui est Aminata Zerbo-Sabané, la femme politique ?

À Ouagadougou, le numérique n’est plus seulement une affaire de start-up, d’applications et de promesses de modernité. Il est devenu un sujet de souveraineté, de services publics, de sécurité et de crédibilité de l’État. Dans ce paysage bousculé par les crises politiques et l’urgence de résultats concrets, une figure s’est imposée par un profil rare en politique : Aminata Zerbo-Sabané, informaticienne et enseignante-chercheuse, propulsée aux commandes du ministère de la Transition digitale, des Postes et des Communications électroniques.

Son nom circule autant dans les amphithéâtres que dans les cénacles gouvernementaux, autant dans les conférences spécialisées que dans les réunions de suivi avec les opérateurs télécoms. Elle incarne une trajectoire contemporaine : celle d’une experte appelée à piloter une transformation nationale, avec ses slogans, ses arbitrages budgétaires et ses tensions, mais aussi ses chantiers structurants. Qui est-elle, et que dit son parcours de la place désormais centrale du numérique dans la stratégie burkinabè ?

Une formation d’ingénieure et un ancrage académique au service d’un État en quête d’efficacité

Aminata Zerbo-Sabané n’a pas suivi le chemin classique des carrières partisanes. Son socle est technique, universitaire et administratif, bien avant d’être politique. Née à Abidjan, elle se forme d’abord dans un environnement où l’enseignement technique occupe une place déterminante : le lycée technique, puis des études supérieures en informatique, avant une spécialisation qui la mènera jusqu’au doctorat. Cette trajectoire, construite sur la durée, l’inscrit dans une génération de cadres pour lesquels les systèmes d’information ne sont pas un outil périphérique, mais une infrastructure vitale : pour la gestion, l’identification, la planification, la traçabilité, et, en filigrane, la confiance.

Le passage par l’enseignement supérieur et la recherche n’est pas un simple chapitre biographique. Dans la région, l’université demeure l’un des rares espaces où s’élaborent des compétences durables, loin des cycles politiques. En rejoignant l’Université Joseph-Ki Zerbo comme enseignante-chercheuse, elle s’installe dans un rôle de transmission et de structuration des savoirs. Ce profil d’universitaire en responsabilité publique n’est pas inédit, mais il reste minoritaire dans les gouvernements, où dominent souvent les profils juridiques, militaires, économiques ou administratifs généralistes. Son cas souligne un mouvement plus large : l’irruption des expertises numériques au sommet de l’État, quand la panne d’un réseau, l’absence d’interopérabilité entre administrations ou l’inefficacité d’un service en ligne deviennent des sujets politiques à part entière.

Dans l’écosystème burkinabè, son nom est également associé à l’encadrement de projets d’innovation portés par la jeunesse, notamment via des dispositifs universitaires d’incubation. Ce point est loin d’être anecdotique. Dans des pays où le chômage des jeunes, l’exode interne et la pression démographique pèsent sur la stabilité sociale, l’innovation technologique est souvent présentée comme une promesse de débouchés. Mais entre le discours et la réalité, l’écart est considérable : financer, accompagner, connecter au marché, sécuriser juridiquement, et surtout créer un environnement où les initiatives survivent au-delà des concours et des cérémonies. Une responsable politique issue du monde académique apporte, au minimum, une sensibilité particulière à cet écosystème, plus attentive aux compétences, aux filières et à la maturation des projets qu’aux effets d’annonce.

Cette culture technique se lit aussi dans la manière de poser les priorités : la question n’est pas seulement de “digitaliser”, mais de savoir quoi digitaliser d’abord, à quel coût, avec quels standards, et avec quelles garanties de continuité. Ce sont des choix qui relèvent autant du politique que de l’ingénierie. Car derrière l’écran, il y a des registres, des bases de données, des centres de données, des réseaux, des identifiants, des protocoles, et des équipes capables de maintenir, corriger et sécuriser. Dans un contexte où les administrations subissent des contraintes fortes, la transformation digitale ne peut pas être un vernis : elle devient un test de gouvernance.

De l’administration à la fonction ministérielle : l’ascension d’une technicienne dans un Burkina Faso en transition

Avant d’être ministre, Aminata Zerbo-Sabané occupe des fonctions au sein de l’appareil public lié au numérique. Ce détail explique beaucoup : elle n’arrive pas comme une personnalité parachutée, mais comme une cadre qui connaît la machine administrative, ses lenteurs et ses angles morts. Elle travaille dans des structures de pilotage et de coordination, là où se construisent les stratégies, les feuilles de route, les programmes budgétaires et les indicateurs. Ce sont des postes souvent invisibles, mais décisifs : ils conditionnent la capacité d’un ministère à transformer un discours en projets, puis en services mesurables par les citoyens.

Son passage à la tête d’une agence nationale dédiée à la promotion des technologies de l’information et de la communication renforce cette image de “chef d’orchestre” du numérique. Dans ces agences, on est au croisement de plusieurs contraintes : la commande publique, les partenariats techniques, l’appui aux administrations, la relation avec le secteur privé, et parfois la coopération internationale. C’est aussi un poste où l’on mesure le fossé entre l’ambition nationale et les réalités de terrain : couverture réseau inégale, équipements insuffisants, compétences concentrées dans la capitale, dépendances technologiques, et difficultés de financement.

L’entrée au gouvernement intervient dans une période particulièrement turbulente. Le Burkina Faso connaît, en 2022, une succession de bouleversements politiques qui installent durablement le vocabulaire de “transition” dans les institutions. Dans ce moment, les portefeuilles ministériels deviennent des instruments de stabilisation et de résultats rapides. La transition digitale, longtemps perçue comme un sujet technique, prend une dimension stratégique : elle touche aux communications, aux données, à l’identification, aux paiements, à la coordination des services publics et, plus largement, à la capacité de l’État à “tenir” son territoire administratif, même lorsque le contexte sécuritaire fragilise certains espaces.

Être reconduite dans un gouvernement de transition n’est jamais neutre. Cela peut signifier une confiance politique dans la compétence, une volonté de continuité sur des projets longs, ou, plus simplement, l’absence d’alternative crédible dans un secteur exigeant. Le numérique a ceci de particulier qu’il pardonne mal l’improvisation : les migrations de systèmes, les réformes d’architecture, la sécurisation des réseaux ou la mise en place d’identifiants uniques se comptent en années, parfois en décennies. Or la transition politique, elle, fonctionne sur un rythme plus rapide, sous pression permanente de résultats visibles. La reconduction d’une ministre technicienne peut ainsi apparaître comme un pari : faire du numérique l’un des rares domaines où la continuité devient possible, même quand le reste du paysage institutionnel change.

Cette trajectoire installe Aminata Zerbo-Sabané dans une position délicate : elle doit à la fois parler le langage de l’État, celui des arbitrages et des délais, et celui des ingénieurs, celui des contraintes structurelles. Elle doit aussi tenir une ligne publique, dans un pays où l’opinion, les médias et les acteurs économiques attendent des signaux concrets : un réseau qui marche, des tarifs compréhensibles, des services accessibles, des plateformes fiables, et des démarches simplifiées. Le numérique est un domaine où la patience des citoyens est faible, parce que les comparaisons sont immédiates : tout le monde a vu ailleurs ce qui fonctionne, et juge sans indulgence ce qui dysfonctionne chez soi.

Télécoms, postes, services numériques : un ministère où la promesse se heurte au quotidien des usagers

Le portefeuille de la Transition digitale, des Postes et des Communications électroniques concentre des enjeux extrêmement concrets. Il ne s’agit pas seulement d’“innovation” au sens noble, mais de services quotidiens : la qualité des appels, la stabilité de la connexion internet, la couverture dans les zones hors des centres urbains, le coût de la data, la protection des consommateurs, la modernisation des postes, l’adressage, et la capacité des administrations à offrir des services en ligne simples et fiables.

Dans cet univers, les opérateurs télécoms jouent un rôle déterminant, parfois ambivalent. Ils sont des partenaires incontournables pour l’économie, mais aussi des acteurs soumis à la critique lorsque la qualité de service se dégrade ou lorsque les prix sont jugés excessifs. Les épisodes de contestation et de boycott dans le secteur, observés ces dernières années, rappellent que la question numérique peut se transformer en colère sociale. Pour une ministre en charge du secteur, chaque promesse sur la “transition digitale” est donc immédiatement ramenée à une expérience vécue : un appel coupé, un internet lent, une zone blanche, une facture incomprise.

Aminata Zerbo-Sabané a ainsi été amenée à présider des réunions de suivi des engagements des opérateurs et à hausser le ton sur la question de la qualité de service. Dans un contexte de régulation, cette posture est doublement risquée. Si l’État n’est pas suffisamment ferme, il est accusé d’impuissance. S’il est trop offensif, il peut inquiéter les investisseurs et fragiliser un secteur qui a besoin de capitaux pour étendre ses infrastructures. La régulation des télécoms est un exercice d’équilibriste : sanctionner quand il faut, négocier souvent, et maintenir un cap de long terme sur la couverture, la modernisation et l’accessibilité.

Le volet “postes” est tout aussi révélateur. Dans de nombreux pays, les services postaux sont pris en étau entre une mission de service public et une économie bouleversée par le numérique. Moderniser la poste, c’est parler d’adressage, de logistique, de paiement, de services de proximité, mais aussi de rôle territorial. Là où le numérique promet la dématérialisation, la poste rappelle que beaucoup de citoyens ont encore besoin d’un guichet, d’un point de contact, d’un service tangible. La transition digitale ne remplace pas les infrastructures sociales ; elle doit, au contraire, s’y articuler.

Quant aux services numériques de l’État, ils représentent le chantier le plus symbolique. Les projets de plateformes, d’identification, de guichets uniques et de services en ligne portent une promesse : celle d’une administration moins lourde, plus transparente, plus rapide. Mais ils exposent aussi le gouvernement à un risque de réputation. Une plateforme qui tombe en panne, une procédure qui échoue, une base de données qui n’est pas mise à jour, une fuite d’informations, et c’est l’ensemble de la stratégie qui est fragilisée dans l’opinion.

Dans ce cadre, des programmes comme la mise en place d’un identifiant unique ou l’accélération de la transformation digitale sont perçus comme des piliers. Ils doivent permettre de réduire les doublons, d’améliorer l’accès aux services, de faciliter les démarches, et de renforcer l’inclusion. Mais ils soulèvent aussi des questions sensibles : comment protéger les données ? Qui y accède ? Quelles garanties de sécurité ? Comment éviter l’exclusion des populations éloignées du numérique ? Comment intégrer les réalités linguistiques, l’accès limité à l’électricité ou aux smartphones, et la fracture entre les zones connectées et celles qui ne le sont pas ?

Une ministre issue de l’informatique arrive avec une grille de lecture structurée : le succès dépend autant de l’architecture technique que de l’adoption sociale. Or l’adoption sociale exige du temps, de la formation, et des relais. C’est là que la dimension politique devient incontournable : le numérique n’est pas seulement une question de logiciels, mais de confiance, de pédagogie et de proximité.

Souveraineté numérique et intelligence artificielle : un discours stratégique qui cherche sa traduction concrète

Depuis quelques années, le vocabulaire de la souveraineté numérique s’impose dans de nombreux États africains. Il renvoie à des préoccupations réelles : dépendance aux infrastructures étrangères, stockage des données, contrôle des réseaux, cybersécurité, et capacité à développer des solutions locales. Au Burkina Faso, ce discours prend une tonalité particulière, dans un contexte où la souveraineté est devenue un thème politique majeur, bien au-delà du numérique.

Aminata Zerbo-Sabané s’inscrit dans cette dynamique. Son ministère ne parle pas seulement d’outils, mais de stratégie nationale : comment faire du numérique un levier d’indépendance, de résilience et d’efficacité publique. Dans les prises de parole publiques, l’idée revient souvent que les solutions ne sont pas toujours “ailleurs” et que l’innovation locale doit être encouragée. C’est un message à la fois mobilisateur et exigeant. Mobilisateur, parce qu’il valorise les compétences nationales. Exigeant, parce qu’il suppose de bâtir un écosystème : former, financer, normer, protéger, et donner des marchés aux solutions locales, sans sacrifier la qualité.

La question de l’intelligence artificielle a aussi fait son entrée dans le débat national. Partout, l’IA est brandie comme une promesse de rattrapage : améliorer l’agriculture, la santé, l’éducation, la gestion des administrations, ou la sécurité. Mais elle suscite aussi des inquiétudes : dépendance à des plateformes étrangères, opacité des algorithmes, risques pour la vie privée, et reproduction des inégalités. Dans un pays où les besoins de base sont immenses, la tentation existe de considérer l’IA comme un luxe. Le défi politique consiste à la présenter comme un outil utile, à condition d’être maîtrisé, encadré et orienté vers des usages concrets.

C’est là que l’approche d’une ministre technicienne peut peser. L’IA, vue depuis un ministère, n’est pas un gadget : elle suppose des données de qualité, des compétences, des cadres juridiques, des capacités de calcul, et des choix d’investissement. Elle suppose aussi une politique de formation qui commence bien avant l’université : mathématiques, logique, programmation, culture scientifique. Si l’on veut “souverainiser” l’IA, il ne suffit pas d’organiser une conférence ou de signer un protocole : il faut construire une chaîne de valeur, du collège aux laboratoires, des incubateurs aux administrations.

La souveraineté numérique, elle, se heurte rapidement à la réalité budgétaire. Construire des infrastructures nationales, renforcer la cybersécurité, héberger localement, développer des solutions propres : tout cela coûte cher. Et cela exige des compétences rares, souvent captées par le secteur privé international. Le pari consiste alors à combiner pragmatisme et ambition : choisir des priorités, sécuriser des partenariats, renforcer le régulateur, et bâtir des compétences locales suffisamment attractives pour retenir les talents.

Dans ce contexte, la ministre est attendue sur une question simple : quelles applications concrètes pour la population ? La souveraineté numérique ne convaincra durablement que si elle améliore la vie quotidienne. Cela peut passer par des services plus rapides, des démarches plus simples, des paiements plus fluides, une meilleure couverture internet, ou une protection renforcée contre les fraudes. L’enjeu est de faire coïncider le grand récit et les petites victoires du quotidien. Sans cela, le discours risque de rester un slogan, et le numérique, une promesse perpétuellement reportée.

Une figure politique atypique : attentes, zones de tension et avenir d’une ministre technicienne

Aminata Zerbo-Sabané demeure une personnalité politique atypique, dans un champ où l’idéologie, les rapports de force et les trajectoires militantes structurent souvent les carrières. Son autorité repose d’abord sur la compétence et la continuité, ce qui peut être une force, mais aussi une vulnérabilité.

La force, parce qu’un secteur comme le numérique exige de la méthode, de la rigueur et une compréhension fine des enjeux techniques. Dans une période de transition, l’État a besoin de profils capables de conduire des projets complexes, de dialoguer avec des opérateurs puissants, de parler aux partenaires techniques et financiers, et de maintenir un cap malgré les secousses politiques. Une ministre technicienne peut aussi rassurer une partie de l’écosystème : universitaires, ingénieurs, entrepreneurs, cadres administratifs. Elle incarne l’idée que la compétence peut, parfois, primer sur les logiques de clans.

La vulnérabilité, parce que la politique ne se limite pas à l’expertise. Elle impose de composer avec des attentes parfois contradictoires : accélérer sans brûler les étapes, moderniser sans exclure, sanctionner sans fragiliser le secteur, afficher des résultats sans maquiller les difficultés. Elle impose aussi une communication lisible, dans un domaine où la technique peut vite devenir incompréhensible pour le grand public. Or une ministre est jugée non seulement sur ce qu’elle fait, mais sur ce que les citoyens perçoivent de ce qu’elle fait.

Les zones de tension, dans ce ministère, sont nombreuses. La première est celle de la qualité de service des télécoms. Les citoyens n’attendent pas des plans à cinq ans, mais une amélioration perceptible. Or les opérateurs invoquent des contraintes d’investissement, de sécurité, de logistique, et parfois de rentabilité. La ministre se retrouve à arbitrer entre pression sociale et réalités industrielles. La deuxième tension concerne la fracture numérique. Digitaliser un service peut accélérer les démarches pour certains, mais compliquer la vie d’autres, notamment dans les zones rurales, pour les personnes âgées ou pour celles qui ne maîtrisent pas les outils. La troisième tension touche à la donnée : plus l’État se numérise, plus il collecte, centralise et traite des informations sensibles. Le risque de cyberattaques, de fuites ou d’usages abusifs n’est jamais abstrait. Il devient un sujet de confiance nationale.

Une autre question, plus politique, traverse son action : quelle place pour le secteur privé local ? Dans de nombreux pays, les solutions numériques de l’État sont achetées clés en main à des prestataires internationaux, parfois sans transfert réel de compétences. Or l’affirmation d’une souveraineté numérique suppose d’ouvrir davantage la commande publique aux acteurs locaux, tout en garantissant la qualité et la sécurité. C’est un équilibre délicat : favoriser l’écosystème national sans tomber dans l’inefficacité ou le favoritisme. Cette question est d’autant plus sensible que le numérique est un domaine où les marchés publics peuvent être importants, et donc convoités.

Enfin, l’avenir d’Aminata Zerbo-Sabané s’inscrit dans une interrogation plus large : le Burkina Faso veut-il faire du numérique un pilier durable de son projet national, au-delà de la transition ? Si oui, la continuité des politiques numériques devient un enjeu institutionnel. Les projets d’identification, les plateformes de services, les réformes de régulation, la cybersécurité, la modernisation des postes : tout cela ne peut pas être reconstruit à chaque changement. Une figure comme la sienne, issue du terrain technique, pourrait alors incarner une forme de stabilisation. Mais cette stabilisation dépend moins d’une personne que d’une capacité collective : budgets, cadres juridiques, institutions, talents, et confiance.

À ce stade, Aminata Zerbo-Sabané apparaît comme un symbole de ce que la transition digitale est devenue au Burkina Faso : une bataille politique menée avec des outils techniques, où l’ingénierie rencontre la souveraineté, et où la performance se mesure autant dans les discours que dans la qualité d’un réseau, la fiabilité d’un service en ligne ou la simplicité d’une démarche administrative. Dans une époque où la politique est souvent perçue comme un théâtre, son profil rappelle une évidence : la crédibilité d’un État se joue aussi dans ses infrastructures invisibles. Et le numérique, désormais, en fait partie.

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