Il est des trajectoires politiques qui accélèrent brusquement, au point de faire d’un élu localement identifié une figure nationale exposée, sommée de répondre à des attentes immenses. Aux Comores, Anfani Hamada Bacar appartient à cette catégorie. Longtemps davantage repéré pour son ancrage insulaire et son passage par des fonctions administratives, il a franchi un cap en 2025 en accédant à l’un des portefeuilles les plus sensibles du gouvernement : la Justice, avec un intitulé élargi aux Affaires islamiques, à la Fonction publique et à des responsabilités liées aux droits humains, à la transparence et aux administrations publiques selon les formulations institutionnelles et médiatiques.
Sa montée en première ligne, dans un pays où les rapports entre justice, politique et administration sont un sujet constant de débat, l’installe d’emblée au centre de dossiers lourds : fonctionnement des tribunaux, modernisation des procédures, lutte contre la corruption, relation entre l’État et les citoyens, mais aussi coopération internationale dans le champ judiciaire.
Le profil d’Anfani Hamada Bacar se lit aujourd’hui à travers trois prismes qui se superposent : un parcours politique inscrit dans la mouvance présidentielle, une action ministérielle attendue sur des réformes concrètes, et, depuis l’été 2025, une exposition médiatique liée à des accusations graves rapportées par plusieurs médias, alors même qu’il occupe le poste de garde des Sceaux.
Des racines à Mohéli à l’entrée dans la vie publique
Les éléments biographiques diffusés dans la presse comorienne convergent sur un point : Anfani Hamada Bacar est né le 25 septembre 1975 à Miringoni, sur l’île de Mohéli (Mwali), et il est présenté comme marié et père de quatre enfants. Cette mention n’est pas anodine dans l’archipel, où l’ancrage insulaire continue de structurer les carrières : la politique nationale se fabrique aussi à partir d’équilibres entre îles, territoires et réseaux locaux, et Mohéli, la plus petite des trois îles de l’Union des Comores, cherche régulièrement à faire entendre sa voix dans les arbitrages de l’État.
Avant d’occuper un portefeuille ministériel, il est décrit comme ayant évolué sur des terrains liés au développement économique et social, avec un intérêt revendiqué pour les politiques publiques de proximité : appui aux collectivités, gestion des risques, et dispositifs d’assistance aux personnes vulnérables, notamment en cas de catastrophes naturelles, selon un portrait publié dans la presse locale. Ces thématiques, au-delà de leur dimension technique, renvoient à une réalité comorienne très concrète : vulnérabilité de certaines infrastructures, pression démographique, contraintes budgétaires, et nécessité de coordonner l’action publique sur des territoires fragmentés par la géographie.
Le passage par la sphère administrative est également mis en avant : Anfani Hamada Bacar a, avant son entrée au gouvernement, dirigé la Caisse nationale de solidarité et de prévoyance sociale (CNSPS), selon des informations publiées lors de l’annonce du remaniement. Dans un pays où les organismes sociaux concentrent des attentes fortes et où la question des mécanismes de solidarité reste politiquement sensible, l’expérience d’une telle structure peut servir de tremplin, tout en exposant à l’exigence de résultats.
Sur le plan partisan, il est rattaché à la CRC (Convention pour le renouveau des Comores), formation associée à la mouvance présidentielle. La presse comorienne le présente notamment comme ayant été secrétaire national adjoint de ce parti, signe d’une implication qui dépasse le simple statut d’élu. Cette donnée compte pour comprendre la logique de sa nomination : aux Comores, comme dans beaucoup d’États où la majorité parlementaire et l’exécutif sont étroitement liés, les profils promus au gouvernement sont souvent ceux qui offrent à la fois loyauté politique, expérience institutionnelle et capacité à tenir une administration.
De l’Assemblée au gouvernement : un élu de la majorité présidentielle
Avant d’être ministre, Anfani Hamada Bacar est présenté comme ayant exercé un mandat parlementaire sur la période 2020-2025. Les articles relatant sa prise de fonction au ministère évoquent explicitement ces années passées au sein de la 10e législature, période pendant laquelle il a côtoyé les députés de l’Assemblée nationale et participé à l’élaboration de textes.
Son nom apparaît aussi dans des comptes rendus liés au travail budgétaire : lors de l’examen du projet de loi de finances 2025, il est mentionné comme assurant l’intérim du rapporteur de la commission des finances, et comme ayant présenté un rapport des travaux de la commission. Dans un système politique où le vote budgétaire est l’un des grands rendez-vous institutionnels, cet épisode indique une familiarité avec les enjeux de ressources publiques, de priorisation et de mécanismes d’affectation, sujets qui, indirectement, croisent le champ de la justice (moyens des juridictions, recrutement, formation, équipement, etc.).
Au-delà de la scène nationale, Anfani Hamada Bacar a également été identifié comme membre de la délégation comorienne au Parlement panafricain, où il est associé à la commission des affaires monétaires et financières selon la page institutionnelle de l’organisation. Là encore, l’intérêt n’est pas seulement honorifique : ce type de mandat contribue à structurer des réseaux, à acquérir une pratique des échanges interparlementaires et à inscrire un responsable dans une diplomatie politique continentale.
La bascule vers l’exécutif intervient au printemps 2025. Le 14 avril 2025, un décret présidentiel annonce la composition d’un nouveau gouvernement, et plusieurs médias comoriens rapportent qu’Anfani Hamada Bacar se voit confier le ministère de la Justice, des Affaires islamiques et de la Fonction publique. Le contexte est celui d’un remaniement présenté comme resserré et stratégique par l’Agence de presse africaine, dans la continuité d’une recomposition après les élections.
Quelques jours plus tard, la prise de fonction est officialisée. Dans un article relatant une cérémonie au ministère, il est rapporté qu’Anfani Hamada Bacar a placé l’écoute, la collaboration et l’efficacité au cœur de son action, et qu’il a insisté sur le dialogue avec les agents et les acteurs du système judiciaire pour mener des réformes. Cette séquence de passation, plutôt sobre selon le récit publié, est aussi une manière de signaler une ligne de conduite : rassurer l’administration, éviter une rupture brutale, afficher une volonté de méthode.
À la Justice : priorités affichées, modernisation et coopération
Le portefeuille confié à Anfani Hamada Bacar concentre des responsabilités multiples, ce qui est révélateur de la place de la justice dans l’État comorien. D’un côté, la mission classique du garde des Sceaux : pilotage de la politique judiciaire, suivi des juridictions, articulation avec les magistrats et les professions du droit. De l’autre, des champs qui touchent à la norme sociale et à l’organisation de l’État : affaires islamiques, fonction publique, droits humains, transparence et administrations publiques, tels qu’ils apparaissent dans des communications officielles et des articles de presse.
Dans ses déclarations rapportées lors de sa prise de fonction, il est question d’accélération des procédures judiciaires et de consolidation de la confiance entre citoyens et institution judiciaire, ainsi que d’application effective des lois adoptées durant son mandat parlementaire. Ces mots pèsent dans un pays où les lenteurs de la justice, la distance géographique entre justiciables et tribunaux, et les perceptions d’inégalités d’accès au droit sont régulièrement relevées dans le débat public. Ils traduisent aussi une promesse politiquement risquée : celle d’une justice plus lisible et plus rapide, alors que la machine judiciaire dépend de moyens humains, de procédures, et d’un climat de confiance difficile à décréter.
Un marqueur concret de modernisation est évoqué sur le site institutionnel du ministère, qui indique le lancement d’un nouveau site internet pour faciliter l’accès au droit, dans une logique de transparence et d’efficacité administrative. Même si ce type d’outil ne résout pas à lui seul les difficultés structurelles, il participe d’une stratégie désormais classique : rendre l’information juridique plus accessible, centraliser les textes, clarifier les démarches, et communiquer davantage sur les services publics.
L’action ministérielle s’inscrit aussi dans des projets de renforcement des capacités. En mai 2025, la clôture du projet “Mahakama Ya Wusawa” est présentée comme une initiative visant une justice plus équitable et plus accessible, avec des formations de greffiers et d’auditeurs de justice, dans le cadre du Plan Comores Émergent, selon la presse comorienne. Ce type de programme touche à un nerf de la guerre judiciaire : la compétence et le nombre des personnels, la qualité du greffe, la maîtrise des procédures, la capacité à produire des décisions dans des délais raisonnables. Même sans entrer dans des bilans chiffrés, l’existence même de ces formations traduit une volonté d’investir dans les rouages souvent invisibles de la justice.
La lutte contre la corruption est un autre axe très exposé. En novembre 2025, un article relate une réflexion transversale associant la Cour suprême, une chambre anticorruption et des partenaires comme le PNUD, et cite l’intervention du ministre insistant sur l’ampleur des défis, en référence à des indicateurs internationaux. Sur ce terrain, la parole du garde des Sceaux est toujours doublement attendue : elle doit convaincre l’opinion que l’État se saisit du problème, et rassurer l’administration et les acteurs économiques sur l’existence de règles appliquées de manière cohérente.
La dimension internationale, enfin, est visible dans des communications diplomatiques. L’ambassade de Chine aux Comores rapporte, par exemple, des échanges avec Anfani Hamada Bacar sur des coopérations juridiques entre les deux pays, à la fois au printemps 2025 et à l’automne 2025. Ces rencontres, souvent protocolaires, révèlent toutefois une réalité : le ministère de la Justice n’est pas seulement un organe interne. Il devient un interlocuteur sur l’entraide judiciaire, la formation, les échanges d’expertise, et plus largement la manière dont un État présente son cadre juridique à ses partenaires.
Une figure dans un système politique concentré : la question de la confiance
Pour comprendre la place d’Anfani Hamada Bacar, il faut aussi situer le moment politique. Le remaniement d’avril 2025 intervient après des séquences électorales et dans un contexte de majorité parlementaire associée à la CRC, selon des analyses publiées dans la presse comorienne. Dans un tel environnement, un ministre de la Justice est, de fait, observé au prisme de la séparation des pouvoirs : quelle autonomie réelle de l’institution judiciaire ? Quel équilibre entre l’impératif de stabilité gouvernementale et la nécessité, pour la justice, d’apparaître impartiale ?
La confiance, dans ce domaine, relève autant de la performance que des symboles. Performance : réduire les délais, mieux exécuter les décisions, moderniser le greffe, former, clarifier les circuits. Symboles : respecter les procédures, communiquer avec retenue, éviter que la justice soit perçue comme une simple extension de la politique. Les déclarations de prise de fonction rapportées dans la presse, axées sur l’écoute et la collaboration, peuvent se lire comme un effort pour consolider un climat interne, condition minimale de toute réforme.
À l’extérieur, la parole sur les droits humains participe aussi de cette construction. Le 10 décembre 2025, lors de la Journée mondiale des droits de l’Homme, un article rapporte que le ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement de promouvoir et de défendre les droits humains, en les rattachant à des réalités concrètes comme l’accès à l’eau, à l’éducation, à la sécurité, à la santé, au travail et à la liberté d’expression. C’est une manière de déplacer le débat : rappeler que les droits ne sont pas un concept abstrait réservé aux juristes, mais un ensemble de conditions de vie.
Reste que l’efficacité d’une telle rhétorique dépend de la capacité à produire des résultats visibles, et surtout à maintenir la crédibilité de l’institution. Aux Comores, comme ailleurs, la justice est un terrain où l’expérience quotidienne des citoyens (difficulté d’accès, coût, délais, compréhension des décisions) nourrit des jugements politiques parfois plus puissants que les discours.
Dans cette configuration, le profil d’Anfani Hamada Bacar, issu de la majorité présidentielle, peut être lu de deux façons opposées. Pour les soutiens de l’exécutif, il s’agit d’un responsable “maison”, capable de faire passer des réformes parce qu’il dispose d’un accès direct au centre du pouvoir et d’une base partisane. Pour les sceptiques, le risque est celui d’une confusion des rôles, où le garde des Sceaux serait trop dépendant de la logique politique. Cette tension est structurelle et dépasse sa personne : elle est au cœur de la perception de la justice dans beaucoup de pays où l’exécutif exerce une influence forte.
Les accusations rapportées en 2025 : une séquence explosive pour un garde des Sceaux
Depuis l’été 2025, le nom d’Anfani Hamada Bacar est également associé, dans plusieurs médias, à une affaire de plaintes déposées en France et aux Comores par une jeune femme comorienne réfugiée en France, Raanti A., visant plusieurs personnes, dont le ministre. Les médias qui en ont rendu compte évoquent des accusations très graves, situées sur une période antérieure à sa nomination, et rappellent le principe de présomption d’innocence.
Selon RFI, la plainte déposée en 2025 en France met en cause Anfani Hamada Bacar parmi les personnes accusées par la plaignante, dans un récit où la nomination ministérielle d’avril 2025 est décrite comme un déclencheur ayant conduit à la démarche judiciaire quelques semaines plus tard. Le Monde rapporte également cette affaire et indique que le ministre est cité dans les plaintes visant plusieurs personnalités, dans un dossier mêlant des accusations de violences sexuelles et d’autres infractions alléguées.
Dans l’espace public, l’impact est immédiat, précisément parce qu’il s’agit du ministre de la Justice : la figure chargée d’incarner l’État de droit se retrouve, au moins médiatiquement, dans la position d’une personne mise en cause. Cela crée une tension institutionnelle majeure, même lorsque l’affaire est à un stade de plainte et d’allégations, puisque l’opinion attend de la justice qu’elle traite le dossier avec rigueur, sans intervention politique, et avec les garanties nécessaires pour toutes les parties.
Les informations disponibles publiquement à ce stade, telles que rapportées par les médias, ne permettent pas de conclure sur le fond. Elles documentent l’existence de plaintes, la gravité des accusations, et le fait que l’affaire a suscité des réactions et des prises de position dans l’espace public. L’enjeu, pour l’État comorien, est alors double : d’une part laisser la justice suivre son cours, d’autre part gérer le choc de crédibilité que provoque, qu’on le veuille ou non, une telle séquence au sommet du ministère.
Pour Anfani Hamada Bacar, cette affaire modifie la lecture de son mandat : chaque prise de parole sur la justice, sur la transparence ou sur les droits humains est interprétée à l’aune d’un soupçon public, qu’il appartiendra à la justice, et à elle seule, de dissiper ou de confirmer selon les procédures. Dans une démocratie, la justice ne se rend pas dans les colonnes des journaux, mais dans le cadre d’enquêtes, d’instructions et de débats contradictoires.
Cette séquence, enfin, rappelle une réalité souvent dure : la justice est un ministère d’autorité, mais aussi un ministère de confiance. Un garde des Sceaux peut afficher des priorités, lancer des chantiers, nouer des coopérations, moderniser des outils. Il reste que l’autorité morale et institutionnelle de la fonction dépend, en grande partie, de la perception d’exemplarité et d’impartialité. Lorsque ces éléments sont fragilisés, c’est l’ensemble de l’institution qui se retrouve sous pression.
Ainsi, répondre à la question “qui est Anfani Hamada Bacar ?” suppose de tenir ensemble plusieurs vérités contemporaines : un responsable comorien né à Mohéli, devenu député puis ministre dans la mouvance présidentielle, porteur d’un agenda de modernisation et de lutte contre certains dysfonctionnements, mais désormais pris dans une tempête médiatico-judiciaire dont l’issue conditionnera durablement son image, et au-delà, la confiance dans la justice comorienne elle-même.



