Dans un pays où l’information institutionnelle est souvent centralisée et où les parcours individuels des responsables publics restent peu documentés, Arefaine Berhe fait figure d’exception… par sa longévité. Son nom n’est pas celui d’un tribun de campagne ni d’un chef de parti en tournée permanente. Il renvoie plutôt à un poste stratégique, discret, et pourtant décisif : l’agriculture. Ministre de l’Agriculture de l’État d’Érythrée depuis 1997, Arefaine Berhe s’inscrit dans le cercle restreint des hauts responsables qui traversent les années sans quitter l’appareil gouvernemental. Sa constance au sommet d’un ministère exposé aux chocs climatiques, aux contraintes hydriques et aux enjeux alimentaires en fait un acteur central des politiques publiques érythréennes, même si sa biographie personnelle demeure, elle, largement en retrait.
Qui est donc cet homme politique, à la fois omniprésent dans les événements agricoles nationaux et peu présent dans les récits biographiques ? Pour le comprendre, il faut regarder moins l’homme en portrait serré que la fonction qu’il incarne, les priorités qu’il met en avant, les discours qu’il prononce et les programmes qui structurent l’action de son ministère. Car, en Érythrée, l’agriculture n’est pas seulement un secteur économique : c’est un sujet de souveraineté, une question de résilience, et un révélateur des choix d’État.
Un ministre de l’Agriculture en poste depuis 1997 : la singularité d’une longévité
Le fait le plus solide, le plus constant, et le plus documenté concernant Arefaine Berhe tient en une date : 1997. Cette année-là, il devient ministre de l’Agriculture, à la suite d’un remaniement gouvernemental. Depuis, il demeure à ce poste, ce qui lui confère un statut particulier dans la hiérarchie érythréenne. Dans de nombreux pays, l’agriculture change de titulaire au gré des alternances, des crises ou des arbitrages politiques. En Érythrée, la stabilité ministérielle d’Arefaine Berhe raconte une autre histoire : celle d’un pouvoir exécutif fortement concentré, où la continuité prime, et où certains portefeuilles sont confiés sur le long terme à des profils considérés comme fiables.
Cette longévité n’est pas seulement un détail biographique ; elle a des effets concrets. Elle permet d’inscrire une politique agricole dans la durée, de piloter des programmes pluriannuels, de suivre des filières sur des cycles longs, de consolider des réseaux d’expertise, et d’entretenir une mémoire institutionnelle rare. Mais elle peut aussi poser une question démocratique et administrative : comment se renouvellent les doctrines publiques, comment se construit la reddition de comptes, et comment se mesure l’efficacité d’un ministère lorsqu’un même responsable en reste le visage pendant des décennies ?
Les traces publiques d’Arefaine Berhe proviennent surtout de prises de parole et d’activités ministérielles : conférences sectorielles, rencontres avec des partenaires régionaux, interventions liées à la sécurité alimentaire, à l’irrigation, ou à la modernisation des filières. Son rôle apparaît ainsi moins comme celui d’un acteur partisan visible que comme celui d’un gestionnaire politique au long cours, chargé d’un domaine structurel : produire, sécuriser et organiser l’alimentation d’un pays aux contraintes naturelles fortes.
Un responsable politique dans un État à parti unique : place et marge de manœuvre
Pour situer Arefaine Berhe, il faut rappeler le cadre politique dans lequel il évolue. L’Érythrée est dirigée par un appareil d’État où le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ) est la formation dominante. Dans ce contexte, la frontière entre responsabilités gouvernementales, logique de parti et administration est souvent resserrée. Arefaine Berhe est généralement présenté comme un responsable politique érythréen associé à cette architecture, ce qui éclaire son inscription dans le système.
Ce cadre a une conséquence directe sur la lecture de son action : l’agriculture n’est pas seulement une affaire de rendement, de semences et de pluies. C’est aussi une affaire d’organisation nationale, de mobilisation des ressources, de priorités fixées par le sommet, et d’articulation avec des objectifs plus larges : autosuffisance, réduction de la vulnérabilité, stabilisation des zones rurales, et, plus largement, maintien d’une cohésion sociale autour d’un projet de résilience.
Arefaine Berhe intervient régulièrement dans des événements où l’agriculture est pensée comme une politique de société. Lors d’interventions officielles, il met en avant une vision intégrée : les céréales ne suffisent pas, il faut aussi les légumineuses, les oléagineux, les légumes, et l’élevage, avec une logique d’intensification et de diversification. Dans ce discours, l’agriculture devient une chaîne complète : production, transformation, organisation des marchés, et ancrage territorial.
Le poids réel d’un ministre dans un système aussi centralisé se mesure toutefois difficilement depuis l’extérieur. Dans les pays où les débats parlementaires, les commissions, la presse indépendante et les statistiques publiques détaillées constituent une matière abondante, on peut distinguer le ministre stratège, le ministre exécutant ou le ministre arbitre. En Érythrée, l’observation repose davantage sur les orientations affichées, les programmes lancés et les partenariats institutionnels visibles.
L’agriculture érythréenne comme terrain politique : climat, eau et sécurité alimentaire
Si Arefaine Berhe est un homme politique important, c’est d’abord parce que l’agriculture l’est. L’Érythrée fait face à des défis structurels : climat aride ou semi-aride selon les zones, pluies irrégulières, épisodes de sécheresse, pression sur les ressources en eau, et nécessité de sécuriser des productions vivrières. Dans ce contexte, piloter l’agriculture revient à gérer une part de la sécurité nationale au quotidien.
Les données internationales et les analyses sectorielles convergent sur un point : une large fraction de la population active dépend de l’agriculture. Les estimations disponibles situent la part de l’emploi agricole à un niveau élevé, ce qui traduit l’importance sociale du secteur. Autrement dit, chaque variation de rendement, chaque saison difficile, chaque rupture d’approvisionnement a des conséquences directes sur les ménages, sur les prix, et sur la stabilité des revenus ruraux.
C’est là que la dimension politique du ministère apparaît. Arefaine Berhe se retrouve à la jonction de plusieurs lignes de fracture : ruralité et urbanisation, dépendance aux pluies et besoin d’irrigation, arbitrage entre cultures vivrières et cultures à potentiel commercial, et, surtout, lutte permanente contre l’aléa climatique. La rhétorique ministérielle insiste d’ailleurs sur la nécessité d’une agriculture moins strictement dépendante des précipitations et davantage structurée autour de solutions hydrauliques, de pratiques améliorées et d’une meilleure organisation des filières.
L’eau est le mot-clé. Les projets de barrages et de micro-barrages, souvent construits ou réhabilités avec une forte mobilisation communautaire, sont présentés comme un levier majeur : retenir les eaux de ruissellement, prolonger les périodes d’irrigation, et stabiliser certaines productions. Des communications officielles et des récits de projets mettent en avant des infrastructures capables de stocker des volumes significatifs, avec des effets attendus sur les cycles culturaux et sur la capacité à produire hors saison. Dans un pays où la variabilité des pluies peut bouleverser une année agricole, l’hydraulique n’est pas un simple investissement technique : c’est une politique.
Les discours attribués au ministre dans des événements liés à la Journée mondiale de l’alimentation ou à des conférences thématiques soulignent aussi un autre aspect : la sécurité alimentaire est liée à la nutrition, à l’accessibilité, à la durabilité et à la stabilité des systèmes. La question n’est donc pas uniquement de produire plus, mais de produire mieux, de façon plus régulière, et avec une attention aux équilibres entre cultures.
De la parole aux programmes : filières, recherche, petits producteurs et stratégies récentes
Au-delà des grands enjeux, l’action d’un ministre se lit aussi dans les politiques sectorielles concrètes. Sur ce terrain, Arefaine Berhe apparaît fréquemment associé à des initiatives portant sur des filières spécifiques et sur l’organisation technique du secteur.
Un exemple emblématique est celui de la pomme de terre, devenue un sujet de travail structuré, avec des conférences nationales et une ambition affichée de renforcer l’approvisionnement en semences et la qualité de la production. Les événements consacrés à cette filière insistent sur la recherche, les essais variétaux, la régulation, la distribution, et le marketing. Ils évoquent également des coopérations techniques avec des partenaires scientifiques et des organisations spécialisées, signe que le ministère cherche à s’appuyer sur des compétences extérieures et sur des réseaux régionaux.
La recherche agricole constitue un autre pilier. L’existence d’un institut national dédié, intégré à l’appareil du ministère, traduit une volonté de rationaliser la production par la science, l’expérimentation et l’encadrement technique. Là encore, la cohérence d’ensemble est notable : dans les pays soumis à l’incertitude climatique, la recherche sur les variétés adaptées, la gestion des sols, la lutte contre les maladies et la maîtrise de l’eau est un outil de souveraineté.
Les prises de parole ministérielles lors de conférences sur la chaîne de valeur laitière donnent un autre angle : celui des filières animales et de la valeur ajoutée. Un discours sur le lait, ce n’est pas seulement un discours sur des vaches. C’est un discours sur la transformation, la conservation, la distribution, les standards de qualité, et l’économie rurale. En mettant en avant l’idée de chaîne de valeur, l’approche se rapproche d’une logique de développement : créer des revenus, stabiliser des activités, et améliorer l’offre alimentaire.
Plus récemment, certaines communications publiques ont mis en avant des dispositifs destinés aux petits producteurs, avec des modèles de parcelles productives à petite échelle, intégrant plusieurs types de cultures selon les zones agro-écologiques. L’idée est d’améliorer la productivité et la diversité, y compris dans des zones soumises au stress hydrique, avec une organisation en cycles et une adaptation aux conditions locales. Cette approche suggère un ciblage pragmatique : plutôt qu’un modèle unique imposé partout, des formats modulés selon les environnements.
Enfin, l’international reste présent dans la structuration des politiques agricoles. Des documents de programmation et des interventions lors d’instances multilatérales évoquent des priorités comme la résilience, l’adaptation climatique, et l’appui aux communautés rurales, avec des programmes portés en partenariat avec des organisations de développement. Pour un ministre, ces cadres jouent un double rôle : ils apportent des ressources techniques et financières, et ils fixent aussi des indicateurs, des objectifs, et des calendriers. L’agriculture devient alors un espace où le gouvernement parle à la fois à sa population et aux bailleurs, dans un langage de planification, de résultats et de gestion des risques.
Une figure publique surtout institutionnelle : ce que l’on sait, et ce que l’on ne sait pas
À ce stade, une question demeure : qui est Arefaine Berhe en tant que personne ? Or, c’est précisément ici que le dossier se raréfie. Contrairement à des responsables politiques dont le parcours est raconté à travers études, biographies, interviews, campagnes électorales et débats télévisés, Arefaine Berhe apparaît principalement à travers sa fonction. Les informations sur sa formation, ses origines, ses débuts, ses réseaux, ou sa trajectoire avant 1997 sont peu accessibles dans les sources publiques classiques.
Cette relative opacité biographique n’est pas unique ; elle reflète un environnement médiatique et politique où la personnalisation du pouvoir exécutif, hors des figures les plus centrales, reste limitée dans l’espace public international. Le ministre existe donc surtout comme une signature au bas des politiques agricoles, comme une voix lors de conférences sectorielles, et comme un interlocuteur lors de rencontres institutionnelles.
Cela n’empêche pas de dresser un portrait politique cohérent. Son profil est celui d’un responsable d’appareil, durablement installé, qui incarne une politique de continuité. Ses discours, lorsqu’ils sont rendus publics, insistent sur la diversification des cultures, l’intégration de l’élevage, la modernisation des pratiques, l’importance de la recherche, et la centralité de l’eau. Il est présent dans des événements où l’agriculture est pensée comme une stratégie nationale, pas comme un simple secteur productif.
Dans une région marquée par les chocs climatiques, les tensions sur les marchés alimentaires mondiaux et les fragilités hydriques, cette posture a un sens politique direct. En Érythrée, être ministre de l’Agriculture depuis 1997, ce n’est pas seulement occuper un ministère : c’est être, année après année, l’un des gardiens d’un équilibre vital, entre la terre, l’eau, la production et la stabilité sociale.
La question de son influence réelle, de ses marges d’arbitrage et de la manière dont il pèse sur les décisions stratégiques ne peut toutefois être tranchée qu’avec des éléments plus ouverts : statistiques publiques détaillées, évaluations indépendantes, débats institutionnels et accès aux archives administratives. À défaut, l’homme politique se lit à travers ce qu’il représente : une continuité gouvernementale, un ministère pivot, et une priorité nationale qui, en Érythrée plus qu’ailleurs, engage l’avenir.



