Qui est Augusto Veiga, l’homme politique capverdien ?

Il y a, dans la trajectoire d’Augusto Veiga, une singularité qui tranche avec les parcours politiques plus classiques : avant d’entrer au gouvernement, il a longtemps été identifié non comme un professionnel de l’appareil partisan, mais comme un acteur central des coulisses de la musique capverdienne et des industries du spectacle. Son arrivée, en août 2024, au poste de ministre de la Culture et des Industries créatives a fait basculer ce profil d’entrepreneur culturel dans la lumière institutionnelle. Depuis, il incarne un ministère placé au croisement de plusieurs attentes nationales : préserver une identité culturelle forte, structurer un secteur économique parfois informel, renforcer la diplomatie culturelle d’un archipel très tourné vers sa diaspora, et faire de la création un moteur de développement.

Dans un pays où la culture a une visibilité internationale disproportionnée par rapport à la taille de la population, et où la musique constitue une carte de visite à la fois affective et politique, la nomination d’un homme du milieu artistique, connu sous le surnom de Gugas, n’est pas un simple détail biographique. Elle raconte une stratégie : donner à la culture une place plus “productive”, au sens économique, tout en assumant sa dimension symbolique. Elle met aussi en scène un passage : celui d’un professionnel habitué à négocier entre artistes, programmateurs, marchés et publics, désormais chargé d’arbitrer entre administrations, budgets, attentes sociales et diplomatie.

Un parcours façonné par la musique et l’économie du spectacle

Avant d’être ministre, Augusto Veiga s’est construit une réputation dans l’univers musical capverdien, notamment comme agent, manager et promoteur. Il est souvent décrit comme un entrepreneur lié au monde de la musique et du spectacle, avec une expérience d’environ vingt-cinq ans dans ces activités. Son nom apparaît associé à des collaborations de proximité avec des groupes capverdiens reconnus, cités dans la presse locale, comme Ferro Gaita ou encore Tubarões. Cette proximité n’est pas qu’une affaire d’affinités artistiques : elle renvoie à une expertise pratique, celle des tournées, des contrats, des réseaux, de la production, et plus largement de la manière dont une scène nationale se projette à l’étranger.

Cette familiarité avec le terrain explique aussi l’importance d’un événement devenu, au fil des ans, un repère dans l’agenda culturel capverdien et au-delà : l’Atlantic Music Expo (AME). Augusto Veiga y a exercé des responsabilités de premier plan, jusqu’à en être, avant son entrée au gouvernement, le directeur général. L’AME s’est imposée comme une plateforme qui met en relation artistes, professionnels et marchés, avec une ambition de connexions transatlantiques, reflet de la position géographique et historique du Cap-Vert, archipel longtemps décrit comme carrefour culturel entre Afrique, Europe et Amériques. Dans ce type d’écosystème, la crédibilité se mesure à la capacité de faire venir des acteurs internationaux, de structurer des vitrines professionnelles, de transformer l’intérêt culturel en opportunités concrètes.

On oublie parfois que ce type d’expérience crée des compétences proches de celles exigées par l’action publique : gouvernance de projets, gestion d’équipes, négociations, arbitrages, production d’événements, articulation entre intérêt général et contraintes de financement. En ce sens, Augusto Veiga n’arrive pas au ministère comme un novice du pilotage : il arrive comme un professionnel de la coordination, habitué à faire travailler ensemble des mondes différents. Mais l’État n’est pas un festival, et la différence est décisive : la temporalité administrative, la redevabilité politique, les règles budgétaires et la pression médiatique transforment la logique d’action.

À cela s’ajoute un aspect plus académique de son profil. Des informations biographiques publiques indiquent qu’il a poursuivi des études en sciences politiques et en langue anglaise aux États-Unis, à l’Université d’Arizona et au Pima Community College. Ces éléments peuvent sembler secondaires, mais ils éclairent une capacité à évoluer dans des environnements internationaux, à manier les codes linguistiques et institutionnels, et à tenir un discours dans des arènes multilatérales où la culture se traite aussi comme un sujet de commerce, de développement et de coopération.

Août 2024 : l’entrée au gouvernement et un ministère au centre des attentes

Le tournant politique intervient au cœur de l’été 2024. Augusto Veiga est nommé ministre de la Culture et des Industries créatives et prend ses fonctions à partir du 8 août 2024, dans le cadre du VIIIe Gouvernement constitutionnel de la IIe République. Cette nomination intervient dans un contexte de remaniement : le titulaire précédent quitte l’exécutif, et l’équilibre gouvernemental se réorganise, avec des portefeuilles réattribués. Le nouveau ministre arrive donc dans un moment où l’exécutif ajuste sa configuration, et où chaque changement est lu comme un signal sur les priorités du pouvoir.

La cérémonie d’investiture, présidée par le chef de l’État, marque l’entrée officielle de ce profil “culture” dans l’appareil gouvernemental. Plusieurs récits de presse locale soulignent alors qu’il s’agit de son premier poste au sein d’un gouvernement, autrement dit une première expérience ministérielle. Ce détail compte : un ministre novice de la machine d’État est immédiatement confronté au double défi de l’apprentissage interne (dossiers, procédures, administration) et de la projection externe (priorités, langage politique, relations inter-ministérielles). Dans les premiers jours, les déclarations rapportées insistent sur l’idée de “prendre le pouls” du ministère, d’identifier les dossiers, et de tracer des chantiers.

Le portefeuille lui-même est significatif : Culture et Industries créatives. La formulation n’est pas neutre. Elle reflète un mouvement international, partagé par de nombreux pays, consistant à intégrer la culture dans une logique économique : emplois, exportations, attractivité, tourisme, innovation. Au Cap-Vert, où la musique et l’identité culturelle occupent une place majeure dans l’imaginaire collectif, ce cadrage ouvre un espace politique sensible. Il faut préserver l’authenticité sans figer, professionnaliser sans uniformiser, soutenir sans capturer.

Augusto Veiga assume également, dans le cadre de ses fonctions, la présidence de la Commission nationale de l’UNESCO pour le Cap-Vert. Là encore, il s’agit d’un poste charnière : l’UNESCO renvoie au patrimoine, à l’éducation, à la culture, mais aussi à des normes et à une diplomatie multilatérale. Pour un pays insulaire, la visibilité et les partenariats internationaux sont des leviers importants. La fonction place le ministre à l’interface entre priorités nationales et agendas internationaux, et renforce sa capacité à porter la culture sur des scènes où elle est discutée comme enjeu de développement durable.

Structurer les industries créatives : entre professionnalisation et réalité du terrain

Dans les discours publics associés à sa prise de fonctions, un mot revient comme une boussole : organiser, structurer, formaliser. Le secteur culturel, au Cap-Vert comme ailleurs, peut être dynamique tout en restant fragilisé par l’informalité : contrats non standardisés, protection sociale incomplète, rémunérations irrégulières, dépendance aux événements, manque d’infrastructures, faible accès au financement. Quand un ministère se fixe comme horizon la “formalisation”, il touche à la fois à l’économie et à la justice sociale : reconnaître un métier d’artiste ou de technicien, c’est aussi donner des droits, définir des règles, créer des conditions de stabilité.

Mais la formalisation est un exercice délicat. Trop rapide, elle peut écraser les petits acteurs. Trop lente, elle laisse perdurer la précarité et les abus. Dans un pays où l’écosystème culturel est souvent fait de micro-structures, de réseaux personnels et de projets ponctuels, la politique publique doit éviter un écueil : importer des modèles administratifs sans tenir compte des pratiques locales. L’expérience de terrain d’Augusto Veiga peut, à cet égard, être perçue comme un atout : il connaît les réalités du métier, les tensions entre création et marché, et la fragilité des carrières.

Le ministère couvre aussi la question des événements structurants. L’Atlantic Music Expo, dont il a été un dirigeant, symbolise une manière de penser la culture : non seulement comme spectacle, mais comme filière. Ce type de plateforme attire des programmateurs, des labels, des agents, des journalistes, et sert d’accélérateur aux artistes. Lorsqu’un ancien responsable d’un tel événement devient ministre, il est attendu sur sa capacité à étendre cette logique à l’ensemble du secteur : former, exporter, mettre en réseau, créer des circuits.

La culture est également liée au tourisme, enjeu majeur pour l’archipel. Les discours publics associés au ministère tendent à présenter la culture comme facteur différenciateur du tourisme : un pays peut vendre des paysages, mais il se distingue durablement par une identité, des festivals, une gastronomie, des musiques, une mémoire. Or, cette stratégie suppose des arbitrages : comment éviter la folklorisation ? Comment faire en sorte que l’économie touristique profite réellement aux créateurs et aux communautés, plutôt que de capter la valeur au profit de quelques opérateurs ? La politique culturelle devient alors une politique d’équilibre : rendre visible sans dénaturer.

Dans ce cadre, les industries créatives ne se limitent pas à la musique. Elles englobent, selon les définitions généralement utilisées par les gouvernements, des domaines comme les arts visuels, le design, la mode, l’audiovisuel, l’édition, parfois même certains segments du numérique. Chaque sous-secteur a ses contraintes : droits d’auteur, accès aux marchés, distribution, formation technique, infrastructures, réglementation. Le défi ministériel consiste à éviter une approche trop générale, et à mettre en place des instruments adaptés : soutien à la production, accès au financement, cadres juridiques, partenariats publics-privés, programmes de formation.

Diplomatie culturelle et diaspora : une projection politique au-delà de l’archipel

L’action d’Augusto Veiga se lit aussi dans la manière dont le Cap-Vert pense sa diaspora. L’archipel est connu pour l’ampleur de sa communauté à l’étranger, et cette diaspora n’est pas seulement une réalité sociale : c’est un acteur politique, économique et culturel. La culture est souvent le langage commun entre l’intérieur et l’extérieur, entre les îles et les communautés capverdiennes disséminées. Musique, langue, références, fêtes, styles : la diaspora entretient et transforme l’identité nationale.

Dans ce contexte, la présence du ministre dans des rencontres avec des organisations de cadres capverdiens, et sa participation à des événements où la culture et l’identité sont discutées comme “expression dans le monde”, prennent une dimension particulière. Il ne s’agit pas seulement de discours : il s’agit de positionner la culture comme outil de cohésion nationale élargie. Quand un ministre de la Culture dialogue avec des réseaux de professionnels de la diaspora, il parle aussi de transfert de compétences, d’investissements, de co-productions, de circulation d’artistes, d’accès à des marchés.

La diplomatie culturelle est également visible dans les échanges bilatéraux. Des informations publiques rapportent par exemple des discussions avec des responsables d’un autre pays sur la coopération dans le tourisme et l’artisanat, et sur l’intérêt de s’inspirer d’expériences étrangères. Là encore, la culture est pensée comme un écosystème : artisanat, patrimoine, tourisme, image internationale. Ce type de démarche s’inscrit dans une logique de coopération Sud-Sud, fréquemment mise en avant dans les politiques de développement : partager des modèles entre pays du Sud, adapter des solutions, renforcer des partenariats.

Sur la scène multilatérale, le ministre est aussi amené à intervenir dans des forums où la “créative economy” est discutée comme levier d’inclusion. Dans ces espaces, la culture est traduite en langage économique : chaînes de valeur, exportations, emplois, commerce. C’est une traduction parfois contestée par les milieux artistiques, qui craignent de voir la création réduite à des indicateurs. Mais c’est aussi une opportunité : accéder à des financements, inscrire la culture dans des politiques transversales, obtenir une reconnaissance de son rôle dans le développement.

Pour un pays comme le Cap-Vert, l’enjeu est double : préserver une souveraineté culturelle (ne pas se dissoudre dans des standards extérieurs) et utiliser l’international comme amplificateur (faire connaître, vendre, attirer). Un ministre issu des réseaux de la musique internationale est, de fait, attendu sur sa capacité à naviguer entre ces deux pôles.

Un nom, un héritage, et une place à définir dans l’échiquier politique capverdien

Augusto Veiga n’entre pas dans la vie publique comme une page blanche. Son nom renvoie aussi à une filiation politique : il est présenté comme le fils de Carlos Veiga, ancien Premier ministre du Cap-Vert. Cette dimension familiale, évoquée dans plusieurs récits autour de sa nomination, nourrit forcément des interprétations. Dans les démocraties, les héritages politiques peuvent être perçus comme une ressource (réseaux, expérience, culture de l’État) ou comme un risque (soupçon de reproduction, d’entre-soi). Au Cap-Vert, pays où la vie politique est structurée et où les figures historiques restent présentes dans la mémoire collective, cette filiation donne à sa trajectoire un relief particulier.

Des récits médiatiques ont également mis en avant un élément plus intime : le rôle qu’aurait joué une conversation avec son père dans sa décision d’accepter le poste. Sans transformer cet aspect en roman, il éclaire un moment de bascule : accepter un ministère, c’est accepter une exposition permanente, des critiques, et une contrainte de résultat. Pour un professionnel de la culture habitué à des relations contractuelles et à des projets, entrer au gouvernement signifie passer à un registre où l’on est jugé à la fois sur les symboles et sur les budgets.

Sa place dans l’échiquier politique se construit donc sur une tension : d’un côté, un profil de technicien du secteur culturel, de l’autre, une fonction éminemment politique, sous l’autorité d’un Premier ministre et au sein d’une équipe gouvernementale qui répond à des équilibres. Il doit convaincre les artistes qu’il comprend leurs réalités, convaincre l’administration qu’il sait gouverner, convaincre les partenaires qu’il sait négocier, et convaincre le public que la culture n’est pas un luxe mais un investissement.

Les défis sont concrets et parfois impitoyables : attentes de résultats rapides, contraintes budgétaires, arbitrages entre îles, nécessité de ne pas concentrer les ressources sur la capitale au détriment d’autres territoires, tout en soutenant des projets qui donnent de la visibilité au pays. Dans le même temps, la culture est un champ où les controverses peuvent surgir vite : sur les financements, sur la sélection des projets, sur la place de certaines esthétiques, sur la valorisation de la langue et des traditions, sur la protection des droits des créateurs.

À la question “qui est Augusto Veiga ?”, la réponse se dessine alors en plusieurs couches. C’est un homme de réseau, issu du monde musical, passé par la gestion d’événements structurants. C’est un ministre nommé en août 2024, chargé d’un portefeuille où la culture est explicitement articulée à l’économie créative. C’est aussi un responsable placé à l’interface entre nation et diaspora, entre identité et marché, entre art et administration. Enfin, c’est une figure dont l’identité publique se construit désormais dans le temps politique : celui des réformes, des budgets, des partenariats, et des résultats, dans un secteur où le symbole est omniprésent mais où l’infrastructure et la réglementation décident, souvent, de la survie des carrières.

Au Cap-Vert, la culture est à la fois une fierté et un enjeu stratégique. En confiant ce ministère à un acteur du milieu, l’exécutif a fait un pari : celui qu’une expertise issue du terrain peut transformer un capital immatériel en politique publique durable. Reste à savoir, au fil des années, comment Augusto Veiga parviendra à inscrire ce pari dans des dispositifs solides, capables de protéger les créateurs, de structurer les filières, et de projeter l’archipel dans le monde sans perdre ce qui fait sa singularité.

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