Dans un pays où la politique se lit souvent à travers les grandes figures partisanes et les épisodes de rupture institutionnelle, certaines trajectoires racontent une autre histoire : celle de l’administration, des réformes patientes et des choix techniques qui finissent par modeler la vie quotidienne. Baboucarr Bouy appartient à cette catégorie de responsables publics dont le nom circule moins dans les tribunes électorales que dans les couloirs des ministères, les salles de formation, les réunions de coordination avec les partenaires du développement ou les séances de questions au Parlement.
Depuis le 1er novembre 2022, il occupe une fonction centrale au sein de l’exécutif gambien : ministre en charge de la Fonction publique, des Réformes administratives, de la Coordination des politiques et de la Délivrance des résultats. Un intitulé long, presque programmatique, qui dit l’ambition assignée au poste : remettre de l’ordre dans l’appareil d’État, moderniser la gestion des ressources humaines, renforcer la culture de performance et rendre l’action publique plus lisible. Son parcours, pourtant, ne commence pas dans un parti politique, mais dans l’éducation, la planification et la réforme des administrations.
De l’enseignement des mathématiques à la technostructure de l’éducation
Les éléments biographiques publiquement accessibles convergent sur une première étape : Baboucarr Bouy débute sa vie professionnelle comme enseignant de mathématiques. Cette origine n’est pas un détail anecdotique. Elle éclaire une manière de penser la politique publique : par les systèmes, les indicateurs, la planification et la recherche de cohérence. Dans plusieurs récits et profils publiés au fil des années, il est présenté comme un responsable dont l’identité professionnelle s’est forgée dans l’école, puis dans l’administration éducative.
Sa formation académique se déroule au Royaume-Uni. Il obtient une licence en mathématiques pures et statistiques à l’Université du Pays de Galles, puis un master en éducation et développement international à l’Institute of Education de l’Université de Londres. Ce double ancrage – sciences quantitatives d’un côté, politiques éducatives et développement de l’autre – correspond à la période où de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest réorganisent leurs stratégies d’éducation, dans le sillage de nouveaux cadres internationaux et de la montée en puissance de la planification sectorielle.
À son retour, en 1994, il rejoint l’administration gambienne comme planificateur au sein de l’appareil éducatif national. Les descriptions disponibles évoquent un contexte difficile : manque de matériels, faibles capacités administratives, infrastructures limitées, et une culture de pilotage encore largement dépendante de routines anciennes. Dans ce paysage, la planification ne consiste pas seulement à écrire des documents, mais à créer des mécanismes : équipes, procédures, coordination entre bailleurs, et outils de suivi.
Cette phase inaugure une trajectoire de long terme au ministère en charge de l’éducation de base et secondaire. Dans les années qui suivent, il gravit les échelons de la haute administration. Les sources accessibles ne donnent pas toutes la même précision sur l’année exacte de début de ses fonctions les plus élevées, mais elles convergent sur un fait majeur : Baboucarr Bouy devient l’un des plus hauts responsables administratifs du ministère, occupant le rôle de secrétaire permanent, c’est-à-dire le chef administratif chargé d’assurer la continuité, la mise en œuvre et l’interface technique entre la ligne politique du ministre et la machine ministérielle.
Son passage à ce niveau s’inscrit dans une époque où l’éducation devient un marqueur central des politiques publiques : scolarisation, parité filles-garçons, amélioration des apprentissages, renforcement des capacités de gestion, et meilleure coordination de l’aide internationale. Les profils publics attribuent à son action des initiatives associées à la modernisation du fonctionnement interne du ministère, au développement de programmes ciblant la scolarisation des filles, et à la mise en place de dispositifs orientés vers la performance et la lecture dans les premières années de scolarité.
En Gambie, comme dans beaucoup de pays à administration resserrée, les frontières entre expertise technique et orientation politique sont souvent poreuses. Le secrétaire permanent n’est pas un simple gestionnaire : il devient fréquemment un acteur clé de la définition des priorités, de la préparation des arbitrages budgétaires, de la négociation avec les partenaires extérieurs, et du suivi des programmes. C’est dans cet espace, à la fois discret et influent, que se construit la réputation de Baboucarr Bouy comme technicien de l’État.
Une décennie au sommet administratif : planification, coordination et réforme du ministère
Le cœur de la carrière de Baboucarr Bouy se situe dans cette longue période où il accompagne, de l’intérieur, l’évolution des politiques éducatives gambiennes. Plusieurs récits publics évoquent une approche centrée sur la structuration : mise en place d’équipes de direction, développement de plans sectoriels, organisation de la coordination avec les bailleurs, et installation de routines de pilotage.
La planification éducative, surtout à partir du milieu des années 1990, est un domaine où se rencontrent les agendas nationaux et les cadres internationaux. Elle implique la construction de documents stratégiques, mais aussi la capacité à convaincre et à aligner. Dans un pays où les ressources publiques sont limitées, la cohérence des programmes et la crédibilité des plans pèsent sur la capacité à mobiliser des soutiens, à éviter la dispersion des projets, et à stabiliser une vision.
Des textes publics décrivent notamment un travail de consolidation des plans du secteur, conçu pour guider l’action du ministère et encadrer les interventions des partenaires. Cette logique d’alignement répond à une tension fréquente : comment préserver la souveraineté des choix nationaux, tout en s’appuyant sur des financements et des expertises extérieures ? L’équilibre, dans la pratique, repose souvent sur des unités de coordination, des dispositifs de dialogue et des règles partagées de programmation.
La période est aussi marquée par des enjeux de gouvernance interne : gestion du personnel, introduction de mécanismes d’évaluation, adoption d’outils de suivi. Dans certains portraits, il est crédité de démarches visant à renforcer un système de management de la performance au sein du ministère, à structurer des comités de coordination, ou à impulser des programmes de lecture au primaire. Ce type d’action est typique des réformes administratives sectorielles : il s’agit de faire fonctionner l’institution, pas seulement de définir des objectifs.
Cette trajectoire dans l’éducation est, en elle-même, une forme de politique. Elle touche aux déterminants de long terme : capital humain, mobilité sociale, cohésion nationale, et avenir économique. Dans un pays où la jeunesse représente une part importante de la population, l’éducation devient un terrain sur lequel se lisent des promesses mais aussi des frustrations, notamment quand la scolarisation augmente plus vite que la qualité des apprentissages ou que les débouchés.
Baboucarr Bouy apparaît alors comme un responsable associé à une vision institutionnelle : bâtir des systèmes capables de durer, avec des procédures qui résistent aux changements de personnes. Cette philosophie, dans les biographies publiques, est souvent résumée par une insistance sur la discipline administrative, la planification et l’intégrité dans le service public.
La reconnaissance internationale : le prix Jit Gill de la Banque mondiale et l’image d’un réformateur
En 2012, Baboucarr Bouy reçoit une reconnaissance internationale majeure : le prix Jit Gill Memorial Award for Outstanding Public Service, décerné par la Banque mondiale. Dans les communications publiques disponibles, il est présenté comme lauréat pour son action dans l’éducation et sa contribution à la qualité de la gouvernance et de la réforme du secteur public, au moment où il occupe des fonctions de premier plan au ministère de l’Éducation de base et secondaire.
Au-delà du trophée, cette distinction a une valeur symbolique : elle place un haut fonctionnaire gambien dans un récit global de “bonne gouvernance”, de réforme, d’intégrité et de capacité à délivrer des résultats. Dans les propos rapportés à l’époque, l’accent est mis sur le leadership, la commitment, la rigueur, et l’idée que l’administration peut être une vocation au service du développement.
Dans le paysage ouest-africain, ce type de reconnaissance confère une visibilité qui dépasse le champ national. Les réformes éducatives et administratives sont souvent accompagnées de réseaux transnationaux : conférences, échanges de pratiques, contributions à des travaux, et coopération technique. Baboucarr Bouy est également associé, dans certains profils publics, à des travaux et organisations liés à la mesure des apprentissages, aux politiques éducatives et aux interventions visant à améliorer la littératie et la numératie dans des zones défavorisées.
Une autre dimension de ce rayonnement tient à ses responsabilités au-delà du ministère. Des sources publiques indiquent qu’il a été impliqué dans la gouvernance du West African Examinations Council, organisme régional chargé d’examens et de certifications dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest anglophone. Être lié à une telle institution renforce une image de responsable familier des standards, des évaluations et des cadres comparatifs. Dans des États où la question de la qualité de l’éducation est devenue centrale, l’expérience des examens et des systèmes d’évaluation est un capital politique et administratif.
Après son départ des fonctions les plus élevées au ministère, il est aussi présenté comme ayant exercé des responsabilités de direction au sein d’une organisation non gouvernementale internationale, Effective Intervention, pour les opérations en Afrique. Là encore, le fil conducteur reste la mesure des apprentissages et la recherche de solutions opérationnelles dans des contextes de pauvreté. Cette expérience dans une organisation internationale est un point de bascule : elle l’inscrit dans une culture de résultats, de preuves, d’évaluations, qui irrigue de plus en plus les politiques publiques.
À ce stade, Baboucarr Bouy n’est pas une figure de campagne électorale. Il est, dans les récits disponibles, un profil d’administrateur-réformateur, reconnu pour sa capacité à structurer des programmes et à soutenir des transformations institutionnelles. Cette réputation prépare, en partie, la logique de sa nomination ministérielle : confier à un technicien de l’État une fonction explicitement tournée vers la réforme et la performance.
2022 : l’entrée au gouvernement, la “ministérialisation” de la réforme et l’épreuve du réel
Le 13 octobre 2022, le président Adama Barrow annonce une recomposition gouvernementale : Baboucarr Bouy est nommé ministre de la Fonction publique, des Réformes administratives, de la Coordination des politiques et de la Délivrance des résultats, avec effet au 1er novembre 2022. Cette entrée au gouvernement le fait passer d’un rôle de haut fonctionnaire et d’acteur du développement à celui de responsable politique, comptable devant l’exécutif, le Parlement et l’opinion.
Quelques jours plus tard, lors de la cérémonie d’assermentation, le message présidentiel fixe le cadre : la fonction publique est présentée comme un centre névralgique, dont dépend le fonctionnement des institutions et la crédibilité de l’action publique. Le président insiste sur la restauration d’une réputation : professionnalisme, engagement, sens du service, et évaluation continue des performances. La rhétorique est classique dans les programmes de réforme administrative, mais elle prend un relief particulier dans un pays où les attentes à l’égard de l’État sont fortes, et où les critiques portent souvent sur la lenteur administrative, les procédures opaques, et la qualité des services.
Pour Baboucarr Bouy, la question devient alors : comment transformer un diagnostic en résultats visibles ? Les chantiers sont multiples. D’abord, la gestion des ressources humaines : effectifs, recrutement, mobilité, discipline, formation. Ensuite, la maîtrise de la masse salariale et des dépenses associées, car la fonction publique pèse sur les budgets. Enfin, la coordination : éviter que chaque ministère avance en silo, renforcer la cohérence, et suivre la mise en œuvre des décisions.
Les informations publiques relatives à son action ministérielle, depuis 2022, dessinent des priorités : modernisation de la gestion du personnel, digitalisation des dossiers, réformes de la paie, dispositifs de suivi et d’évaluation, et initiatives visant à améliorer la présence au travail et l’efficience, notamment par des systèmes biométriques de pointage. Ces projets, dans beaucoup de pays, se heurtent aux mêmes obstacles : résistances internes, contraintes techniques, financement, et complexité de la transformation culturelle.
L’exercice est d’autant plus délicat que la réforme de l’État touche aux intérêts directs de milliers d’agents : salaires, primes, conditions de travail, mais aussi statut et protection. Dans des interventions publiques rapportées, le ministre met l’accent sur la gestion efficiente de la main-d’œuvre et la nécessité d’une fonction publique capable de délivrer. Il évoque également, dans des échanges avec des parlementaires, les difficultés budgétaires qui limitent la capacité à augmenter certaines allocations, malgré des engagements politiques.
Un épisode illustre aussi la nature transversale de sa position : en octobre 2023, il est chargé de superviser temporairement un autre ministère, celui en charge des terres, de l’administration régionale et des affaires religieuses, en plus de ses propres attributions. Ce type de mission supplémentaire signale la confiance de l’exécutif mais aussi les fragilités d’une architecture gouvernementale où les absences ou imprévus exigent des intérims rapides.
Sur le plan international, Baboucarr Bouy apparaît également comme représentant de la Gambie dans certaines enceintes. En 2024, son nom figure sur une déclaration gambienne prononcée dans un cadre onusien lié à la population et au développement, abordant notamment l’accès aux services de santé reproductive, la lutte contre les violences basées sur le genre, l’éducation des filles, et les politiques publiques nationales structurantes. Ce type d’intervention est révélateur : un ministre de la Fonction publique n’est pas cantonné à la gestion interne ; il est aussi mobilisé pour porter, à l’extérieur, une image de gouvernance, de planification et de politique sociale.
Depuis 2022, la fonction de Baboucarr Bouy se lit donc à travers une tension : être le ministre des procédures dans un monde qui demande des résultats immédiats. Digitaliser des dossiers, nettoyer des fichiers de paie, instaurer des systèmes de performance ou renforcer la présence des agents au travail sont des tâches à la fois très concrètes et politiquement sensibles. Elles touchent la confiance dans l’État et, indirectement, la légitimité du pouvoir.
Une figure de réforme au carrefour des attentes : bilan, controverses, limites et horizons
Écrire la biographie d’un responsable public en exercice impose de distinguer le factuel du projectif. Les informations publiques disponibles permettent de tracer des lignes : ses études, sa carrière éducative, son prix international, sa nomination ministérielle, certains dossiers de réforme. Mais elles montrent aussi les limites d’une biographie “complète” : les données personnelles (date de naissance, parcours familial, trajectoire militante) sont peu documentées publiquement. Même son année de naissance n’est pas communiquée de manière précise dans les sources consultables ; il est seulement indiqué qu’il est né au XXe siècle. Dans un article journalistique, cette absence n’est pas un trou à combler par l’imagination : elle dit plutôt quelque chose de la manière dont certaines élites administratives se construisent, davantage autour des fonctions que du récit intime.
Sur le fond, son identité publique repose sur un triptyque : éducation, réforme, performance. Cette continuité est rare dans la vie politique, où les carrières sont souvent faites de ruptures, d’alliances et de repositionnements. Ici, la cohérence est institutionnelle : apprendre, mesurer, planifier, mettre en œuvre.
Cependant, le passage au ministère change la nature de l’évaluation. Un secrétaire permanent peut se targuer de la cohérence d’un plan et de la qualité d’un dispositif ; un ministre est jugé sur la perception : les files d’attente, la rapidité d’un service, la clarté d’une procédure, le ressenti des agents, et la capacité à arbitrer des conflits. L’administration, par définition, se voit surtout quand elle dysfonctionne.
Les chantiers attribués à son ministère renvoient à des enjeux universels. La digitalisation et la mise à jour des dossiers de personnel visent à résoudre des problèmes classiques : doublons, incohérences, agents absents ou non localisés, lenteur des procédures. La modernisation de la paie et la rationalisation des effectifs se heurtent souvent à des réalités sociales : l’État est parfois l’un des plus grands employeurs, et toute réforme est perçue comme une menace potentielle. Les systèmes biométriques de présence, par exemple, sont défendus au nom de l’efficacité mais critiqués lorsqu’ils sont vécus comme une surveillance ou lorsqu’ils mettent en lumière des pratiques ancrées.
Autre contrainte : les finances publiques. Les débats sur les allocations ou les augmentations salariales montrent que même une volonté politique se heurte à la structure budgétaire et à la disponibilité des ressources. L’État doit arbitrer entre rémunération, investissement, dette, et priorités sociales. Un ministre de la Fonction publique se trouve donc dans une position paradoxale : il porte l’exigence de motivation et de performance des agents, tout en expliquant que certaines améliorations matérielles sont freinées par des contraintes macroéconomiques.
La dimension politique, elle, est plus subtile. Baboucarr Bouy n’est pas décrit, dans les informations publiques disponibles, comme une figure de parti au sens classique, mais comme un acteur nommé dans un cadre constitutionnel par le chef de l’État. Cela le place au cœur de la majorité exécutive, et donc exposé aux lectures partisanes : toute réforme, toute réponse au Parlement, toute mesure de rationalisation peut être interprétée à travers le prisme de la compétition politique.
Il reste que sa légitimité, telle qu’elle ressort des profils et communications publiques, se fonde surtout sur la compétence et la réputation d’intégrité. Le prix de 2012, la longue carrière dans l’éducation, l’expérience internationale et régionale, et la cohérence de ses domaines d’action dessinent l’image d’un responsable dont le capital principal n’est pas le charisme électoral mais la capacité à faire fonctionner des institutions.
À moyen terme, la question qui se pose à tout “ministre-réformateur” est celle de la trace. Les réformes administratives sont souvent lentes, invisibles, et fragiles. Elles peuvent être démantelées par manque d’entretien, par changement de priorités ou par rotation des équipes. La durabilité dépend de la capacité à transformer des projets en routines : systèmes d’évaluation acceptés, bases de données entretenues, formations régulières, mécanismes de contrôle perçus comme justes, et capacité de l’État à sanctionner sans arbitraire.
Dans les interventions publiques rapportées, une partie du discours consiste précisément à faire accepter l’idée que l’amélioration du service public passe par la gestion de la main-d’œuvre, la rationalisation, la professionnalisation et l’orientation vers les résultats. Le défi est de concilier cela avec une fonction publique qui attend aussi reconnaissance, conditions de travail et trajectoires professionnelles.
Au final, la biographie de Baboucarr Bouy raconte une Gambie souvent moins mise en scène : celle des réformes quotidiennes, de la fonction publique comme colonne vertébrale, et du pari selon lequel la transformation de l’État peut, à elle seule, améliorer la vie des citoyens. Sa trajectoire est celle d’un homme dont l’autorité s’est construite dans les systèmes éducatifs, la planification et la gestion, avant d’être projetée dans la politique au sens plein : celle des arbitrages, des rapports de force et de l’exigence de résultats.
Son histoire reste en cours. Et c’est peut-être ce qui la rend particulièrement révélatrice : elle montre comment, dans les États contemporains, la frontière entre technocratie et politique n’est pas une ligne, mais un passage.



