Qui est Bah Oury ?

Figure emblématique de la scène politique guinéenne contemporaine, Amadou Oury Bah, plus connu sous le nom de Bah Oury, incarne depuis plus de trente ans une trajectoire singulière, faite d’engagements intellectuels, de luttes politiques, d’exil, de retours difficiles et de responsabilités étatiques. Son parcours épouse les soubresauts de l’histoire récente de la Guinée, pays marqué par une succession de régimes autoritaires, de transitions inachevées et de profondes fractures sociales. De l’enfant contraint à l’exil sous la dictature de Sékou Touré au Premier ministre nommé en pleine transition militaire, Bah Oury a traversé toutes les grandes étapes de la vie politique nationale. Intellectuel reconnu, militant des droits humains, opposant historique puis homme d’État, il demeure une personnalité complexe, parfois contestée, mais incontestablement influente. Cette biographie retrace son itinéraire personnel et politique, sans complaisance ni simplification, en s’appuyant sur les faits établis et le contexte historique dans lequel il s’inscrit.

Une jeunesse entre exil, rigueur intellectuelle et conscience politique

Amadou Oury Bah naît en mars 1958 à Pita, en Moyenne Guinée, une région historiquement marquée par une forte tradition religieuse et intellectuelle. Son enfance est rapidement bouleversée par le climat politique qui règne alors en Guinée. Après l’indépendance de 1958, le pays est dirigé par Ahmed Sékou Touré, dont le régime autoritaire se caractérise par une surveillance généralisée, des arrestations arbitraires et une répression sévère des opposants réels ou supposés. Comme de nombreuses familles guinéennes, celle de Bah Oury est directement touchée par ce contexte politique.

En 1964, alors qu’il n’a que six ans, Amadou Oury Bah quitte la Guinée avec son père pour trouver refuge au Sénégal. Cet exil forcé marque profondément son enfance et forge très tôt sa conscience politique. Il grandit à Dakar, dans un environnement où cohabitent des exilés guinéens, des intellectuels africains et une tradition universitaire forte. Le Sénégal de Léopold Sédar Senghor, bien que confronté à ses propres défis, offre un cadre bien plus ouvert que la Guinée voisine.

Très tôt, Bah Oury se distingue par des résultats scolaires exceptionnels. Élève brillant, il se classe parmi les meilleurs du système éducatif sénégalais. Son parcours est jalonné de distinctions académiques majeures, notamment lors du concours général des lycées, où il obtient les premiers prix dans plusieurs disciplines, allant des mathématiques à la philosophie, en passant par l’histoire et le français. Ces performances culminent avec l’obtention du baccalauréat scientifique, qu’il réussit en terminant premier au niveau national.

Cette excellence scolaire lui ouvre les portes de l’enseignement supérieur français. Grâce à une bourse accordée par les autorités sénégalaises, il rejoint la France pour intégrer des classes préparatoires prestigieuses, notamment au lycée Louis-le-Grand à Paris. Ce passage dans l’un des établissements les plus exigeants du système français renforce sa rigueur intellectuelle et son goût pour l’analyse critique. Bien qu’orienté vers les mathématiques, Bah Oury développe également un intérêt marqué pour les sciences humaines, la philosophie politique et l’histoire des institutions.

Après ses études, il enseigne pendant un temps, mais reste profondément préoccupé par la situation de son pays d’origine. La mort de Sékou Touré en 1984 ouvre une nouvelle période en Guinée, marquée par l’arrivée au pouvoir du Comité militaire de redressement national dirigé par Lansana Conté. Pour de nombreux exilés, cette transition suscite l’espoir d’un retour possible et d’une ouverture politique. C’est dans ce contexte que Bah Oury décide de rentrer en Guinée, animé par la volonté de participer activement à la reconstruction politique et institutionnelle du pays.

Le retour en Guinée et l’émergence d’un militant des droits humains

Le retour de Bah Oury en Guinée au milieu des années 1980 ne se fait pas sans difficultés. Le pays sort affaibli de plusieurs décennies de dictature, les institutions sont fragiles, et la culture politique reste dominée par la peur et la méfiance. Toutefois, une timide libéralisation de la vie publique permet l’émergence d’une société civile encore embryonnaire.

Bah Oury s’inscrit rapidement dans cette dynamique. Convaincu que la démocratisation passe par l’éducation citoyenne et la défense des libertés fondamentales, il participe à la création, en 1990, de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen. Cette structure devient l’une des premières organisations indépendantes à documenter les violations des droits humains en Guinée et à sensibiliser la population aux notions de justice, d’État de droit et de responsabilité publique.

Son engagement ne se limite pas au militantisme associatif. Face à la lenteur des réformes politiques et à la persistance de pratiques autoritaires, Bah Oury s’implique directement dans l’opposition politique. En 1991, il figure parmi les fondateurs de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, un parti qui regroupe différentes tendances politiques clandestines et réformistes. L’UFDG se positionne rapidement comme l’une des principales forces d’opposition au régime du président Lansana Conté.

Au sein de ce parti, Bah Oury joue un rôle structurant. Il en devient secrétaire général, puis vice-président. Son style tranche avec celui de nombreux responsables politiques de l’époque. Intellectuel rigoureux, il privilégie les discours argumentés, les programmes politiques et la mobilisation pacifique. Cette approche lui vaut une certaine popularité, notamment auprès des jeunes et des classes urbaines, mais suscite également l’hostilité des autorités.

Les années 1990 et 2000 sont marquées par une succession d’élections contestées, de manifestations réprimées et de dialogues politiques avortés. Bah Oury est à plusieurs reprises interpellé, surveillé, parfois empêché de s’exprimer publiquement. Malgré cela, il persiste dans son engagement, considérant que la construction démocratique est un processus long, nécessitant constance et courage.

De l’opposition au gouvernement, entre espoir et désillusion

L’année 2008 constitue un tournant important dans la carrière politique de Bah Oury. À la suite de mouvements sociaux d’ampleur nationale, déclenchés par la cherté de la vie et la dégradation des conditions socio-économiques, le régime de Lansana Conté accepte la formation d’un gouvernement de large consensus. Dans ce cadre, Bah Oury est nommé ministre chargé de la Réconciliation nationale, de la Solidarité et des Relations avec les institutions.

Cette entrée au gouvernement est perçue de manière contrastée. Pour certains, elle représente une reconnaissance de son combat et une opportunité d’agir concrètement pour la paix sociale. Pour d’autres, elle constitue une compromission avec un système qu’il avait jusque-là combattu. Bah Oury assume ce choix, affirmant que la réconciliation nationale et la reconnaissance des injustices passées sont des préalables indispensables à toute transition démocratique durable.

À ce poste, il engage des initiatives symboliquement fortes. Il reconnaît publiquement la responsabilité de l’État guinéen dans des crimes politiques commis depuis l’indépendance, notamment durant la période du Camp Boiro, lieu emblématique de la répression sous Sékou Touré. Il plaide pour la mémoire, la vérité et la réparation, dans un pays où le silence et l’oubli ont longtemps prévalu.

Cependant, cette expérience gouvernementale est de courte durée. Le décès de Lansana Conté à la fin de l’année 2008 plonge le pays dans une nouvelle période d’instabilité, marquée par un coup d’État militaire. Bah Oury quitte le gouvernement, et la Guinée s’enfonce à nouveau dans une crise politique profonde.

Le traumatisme du 28 septembre 2009 et les années d’exil

Le 28 septembre 2009 reste l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Ce jour-là, une manifestation organisée au stade de Conakry pour dénoncer la candidature du chef de la junte est violemment réprimée par les forces de sécurité. Le bilan humain est dramatique, avec des dizaines de morts, des centaines de blessés et de nombreuses violences sexuelles.

Bah Oury, alors membre actif des forces vives de la nation, est directement impliqué dans l’organisation de cette mobilisation. Bien qu’il ne soit pas physiquement présent sur les lieux au moment des faits, son rôle politique le place au cœur des tensions qui suivent. Les années suivantes sont marquées par une dégradation de sa situation personnelle et politique.

En 2011, dans un contexte de forte instabilité, il est accusé d’atteinte à la sûreté de l’État à la suite d’une attaque armée contre la résidence présidentielle. Bien qu’il conteste toute implication, il est contraint de quitter la Guinée et s’installe en exil, principalement en France. Il est condamné par contumace, ce qui l’empêche de rentrer dans son pays pendant plusieurs années.

Cet exil est une période de réflexion, mais aussi de marginalisation politique. Bah Oury continue de s’exprimer sur la situation guinéenne, participe à des conférences et publie des analyses, mais son influence sur le terrain diminue. En décembre 2015, une grâce présidentielle lui permet finalement de rentrer en Guinée, mettant fin à plusieurs années d’éloignement forcé.

Ruptures politiques, recompositions et accession à la primature

Le retour de Bah Oury en Guinée ne signifie pas pour autant un retour à la stabilité politique. En 2016, il est exclu de l’UFDG, le parti qu’il avait contribué à fonder. Cette rupture intervient à la suite de divergences stratégiques et idéologiques profondes avec la direction du parti. Elle marque la fin d’un long compagnonnage politique et ouvre une nouvelle phase de son engagement.

Bah Oury poursuit son action politique en créant ou en dirigeant de nouvelles formations, cherchant à promouvoir une alternative politique fondée sur le dialogue, la réforme institutionnelle et la réconciliation nationale. Son positionnement, souvent perçu comme modéré, lui vaut à la fois des soutiens et des critiques, dans un paysage politique guinéen fortement polarisé.

Le coup d’État militaire de septembre 2021, qui porte le colonel Mamadi Doumbouya au pouvoir, ouvre une nouvelle période de transition. Dans ce contexte incertain, Bah Oury est progressivement rappelé au premier plan. Le 27 février 2024, il est nommé Premier ministre de la République de Guinée. Cette nomination intervient dans un climat social tendu, marqué par des grèves et des revendications syndicales.

À la tête du gouvernement, Bah Oury hérite d’une mission délicate. Il doit concilier les exigences de la transition, les attentes sociales, la pression internationale et les réalités économiques d’un pays confronté à de profondes difficultés structurelles. Son expérience, à la fois dans l’opposition et au sein de l’État, constitue un atout, mais les défis sont immenses.

Aujourd’hui, Bah Oury incarne une forme de continuité dans la vie politique guinéenne, tout en représentant une tentative de synthèse entre mémoire des luttes passées et responsabilité gouvernementale. Son parcours, fait de combats, de ruptures et de retours, illustre la complexité de la construction démocratique en Guinée et les espoirs, encore fragiles, d’un avenir institutionnel plus stable.

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