Qui est Bello Bouba Maïgari, l’homme politique camerounais ?

Figure familière des coulisses comme des premières lignes du pouvoir à Yaoundé, Bello Bouba Maïgari traverse plus d’un demi-siècle de vie publique camerounaise. Ancien Premier ministre au tout début de l’ère Paul Biya, plusieurs fois ministre, chef de parti, candidat à la présidentielle au moment où le multipartisme renaît au début des années 1990, puis allié durable du pouvoir avant d’en prendre à nouveau ses distances, l’homme incarne à sa manière une partie de l’histoire politique du Cameroun contemporain.

Son parcours se lit comme une succession de séquences où se mêlent ascension administrative, tensions au sommet de l’État, exil et retour, construction d’une formation politique durable dans le Nord, puis participation à des gouvernements successifs. En 2025, alors que le pays s’achemine vers l’élection présidentielle prévue le 12 octobre, son nom revient au centre du jeu, porté par l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) qu’il préside depuis 1992, et par une décision : redevenir candidat, plus de trente ans après sa percée électorale de 1992.

Des origines septentrionales à la formation des grands commis

Né en 1947 à Baschéo, dans le département de la Bénoué, Bello Bouba Maïgari appartient à cette génération de cadres formés dans le sillage de l’indépendance, lorsque l’appareil d’État camerounais se consolide et cherche des administrateurs capables d’occuper rapidement des postes clés. Les premières étapes de son itinéraire sont celles d’un fonctionnaire qui gravit les échelons dans un pays alors structuré autour d’un pouvoir central très vertical.

Après des études secondaires au lycée de Garoua, il intègre l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), pépinière de l’élite administrative camerounaise, dont il sort diplômé en 1970. Il complète ensuite sa formation à l’Institut international d’administration publique de Paris. Dans ces années de formation, le profil de Bello Bouba Maïgari se construit déjà autour de deux traits qui marqueront la suite : une capacité à évoluer au plus près des centres de décision, et un ancrage dans les équilibres régionaux, notamment ceux du septentrion camerounais, espace politique souvent courtisé dans les moments décisifs.

Ses débuts professionnels s’inscrivent dans l’administration territoriale : il sert notamment à la sous-préfecture de Poli, avant d’être appelé progressivement vers des responsabilités plus politiques au cœur de l’État. À partir du début des années 1970, il rejoint la Présidence de la République, puis occupe des fonctions importantes dans l’appareil sécuritaire : il est secrétaire général du ministère des Forces armées (1972-1975), avant d’être nommé secrétaire général adjoint à la Présidence à partir de 1975. Cette trajectoire, typique des hauts responsables de l’époque, le place dans l’environnement immédiat du pouvoir sous Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, à un moment où l’État-parti et l’administration fonctionnent comme un tout.

Ce passage par les sommets administratifs n’est pas seulement un tremplin personnel : il crée des réseaux, une connaissance fine des rouages, et une capacité à naviguer entre les exigences de loyauté institutionnelle et la gestion de rapports de force internes. Dans un système où l’équilibre entre régions, élites et institutions est un paramètre constant, l’ascension d’un jeune cadre venu du Nord n’est jamais neutre.

De la primature à la rupture au sommet de l’État

La bascule intervient au tournant de 1982, lorsque Paul Biya succède à Ahmadou Ahidjo. Dans le gouvernement nommé le 7 janvier 1982, Bello Bouba Maïgari devient ministre d’État chargé de l’Économie et du Plan. Quelques mois plus tard, le 6 novembre 1982, il est nommé Premier ministre par le nouveau président. Il occupe la primature jusqu’au 22 août 1983, date à laquelle il est remplacé par Luc Ayang.

Ces quelques mois à la tête du gouvernement prennent une dimension particulière dans la mémoire politique camerounaise : ils se situent au moment où l’ancienne garde et le nouveau pouvoir se regardent avec méfiance, et où la transition entre Ahidjo et Biya se transforme progressivement en conflit ouvert. Dans ce contexte, la nomination de Bello Bouba Maïgari est interprétée, selon les récits et analyses disponibles, comme un choix chargé de symboles : celui d’un haut responsable du Nord, musulman, placé à un poste central au début de l’ère Biya, dans un pays où les équilibres géopolitiques internes comptent autant que les compétences techniques.

Le 22 août 1983, Paul Biya accuse publiquement Ahmadou Ahidjo de préparer un coup d’État. Le même jour, il annonce le renvoi de Bello Bouba Maïgari de la primature. L’épisode marque une rupture : le Premier ministre devient l’un des visages visibles de la réorganisation du pouvoir. Dans la séquence qui suit, Ahmadou Ahidjo, alors en exil, est jugé par contumace pour un complot et condamné à mort le 28 février 1984. Dans ce cadre, un tribunal propose que d’autres personnes, dont Bello Bouba Maïgari, soient également jugées, mais la procédure à leur encontre est stoppée.

La période 1983-1984 est l’une des plus sensibles de l’histoire récente du Cameroun : elle est traversée par des tensions internes, des suspicions, puis une tentative de coup d’État en avril 1984. Selon les éléments biographiques généralement rapportés, Bello Bouba Maïgari s’exile au Nigeria après l’échec de cette tentative. Le fait est central : l’homme qui fut, quelques mois plus tôt, chef du gouvernement, se retrouve à l’extérieur du pays, dans une position de retrait forcé, à un moment où l’appareil d’État se durcit et où la consolidation du pouvoir de Paul Biya devient l’enjeu majeur.

Cette rupture ne signifie pas une disparition durable de la scène politique. Elle ouvre, au contraire, une longue parenthèse au cours de laquelle Bello Bouba Maïgari va reconstruire une légitimité politique, non plus comme haut commis de l’État, mais comme acteur partisan, puis comme figure d’opposition capable de peser dans le nouveau multipartisme.

La création de l’UNDP et la présidentielle de 1992 : l’opposant qui compte

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, le Cameroun entre dans une phase de libéralisation politique sous pression interne et externe, qui aboutit à la légalisation de partis et à la reprise du multipartisme. Dans ce contexte, Bello Bouba Maïgari annonce, le 25 mai 1990 à Paris, la formation d’un nouveau parti, initialement présenté comme l’Union nationale pour la démocratie et le progrès au Cameroun. La formation est ensuite légalisée en mars 1991 et il rentre au Cameroun le 17 août 1991. Au congrès tenu à Garoua les 4 et 5 janvier 1992, il devient président du parti, succédant à Samuel Eboua.

Ce moment est fondateur. Il fait de Bello Bouba Maïgari non seulement un ancien responsable d’État, mais un patron de parti enraciné dans un espace politique précis : le septentrion camerounais, en particulier la Bénoué. Il est élu député lors des législatives de mars 1992, représentant son département. L’année 1992 est, à cet égard, une année-charnière : elle installe la compétition électorale multipartite et elle révèle, dans les urnes, des pôles d’influence distincts.

L’élection présidentielle du 11 octobre 1992 devient l’épreuve majeure. Bello Bouba Maïgari se présente, après des débats autour de la condition de résidence requise pour candidater, condition qui est modifiée. Dans le scrutin, il arrive troisième avec 19,22 % des suffrages, derrière Paul Biya (39,98 %) et John Fru Ndi (35,97 %). Le résultat n’est pas seulement un score : il le positionne comme un acteur national, au-delà d’une audience régionale, et il démontre la capacité de l’UNDP à mobiliser, en particulier dans certaines zones. Il obtient des majorités notamment dans l’Adamaoua (64,04 %) et dans le Nord (50,42 %), deux espaces dont le poids électoral et symbolique dans les coalitions camerounaises est souvent jugé déterminant.

Comme John Fru Ndi, il conteste les résultats officiels proclamant la victoire de Paul Biya et demande l’annulation du scrutin devant la Cour suprême, sans succès. La séquence 1992 laisse une trace durable : elle associe le nom de Bello Bouba Maïgari à la première grande compétition multipartite, à une opposition structurée, et à l’idée qu’un équilibre national peut se construire sur des alliances et des rapports de force régionaux.

Mais l’après-1992 montre aussi les difficultés de l’opposition camerounaise à rester unie. Des tensions internes traversent l’UNDP, avec des épisodes de rivalités et de dissidences. Au milieu des années 1990, la formation connaît des fractures autour de responsables qui acceptent d’entrer au gouvernement, contre l’avis de la direction du parti. Ces conflits internes, parfois accompagnés d’épisodes de violence politique, affaiblissent la cohésion et compliquent la stratégie nationale de l’UNDP. Ils illustrent aussi la manière dont le pouvoir central, dans un système fortement présidentialisé, peut tenter de recomposer les forces opposantes en intégrant certains acteurs.

En 1997, l’UNDP participe au boycott de l’élection présidentielle d’octobre, dénonçant l’absence, selon le parti, de garanties suffisantes pour une compétition équitable. Parallèlement, le parti subit un recul lors des législatives de la même période. La décennie 1990 s’achève donc sur une opposition morcelée, et sur un Bello Bouba Maïgari confronté à un dilemme classique : demeurer une opposition de principe avec un accès limité aux leviers, ou accepter une participation gouvernementale qui peut être vue comme une dilution.

Le retour au gouvernement : entre participation, longévité et critiques

Après l’élection boycottée de 1997, Bello Bouba Maïgari accepte d’entrer au gouvernement en décembre 1997, en tant que ministre d’État chargé du Développement industriel et commercial. Le geste est lourd de sens : il marque un rapprochement avec le pouvoir après une phase d’affrontement électoral. Il ouvre surtout une longue période de coexistence, faite d’alliances, de compromis et de calculs réciproques, où l’UNDP peut conserver une existence institutionnelle et des positions, tout en subissant la critique de ceux qui y voient une opposition domestiquée.

Cette dimension est essentielle pour comprendre l’homme politique : Bello Bouba Maïgari n’est pas uniquement un opposant des années 1992-1997, il est aussi l’un des symboles de la participation durable de partis non-RDPC à l’architecture gouvernementale camerounaise. La logique est double : pour le pouvoir, intégrer des figures de l’opposition permet de réduire la conflictualité et d’élargir la base ; pour les partis intégrés, la participation offre des ressources, une visibilité, et la possibilité d’agir sur certaines politiques publiques.

Dans cette longue phase, Bello Bouba Maïgari occupe notamment le poste de ministre des Transports (janvier 1984 – octobre 1988, selon les chronologies biographiques couramment reprises), puis, beaucoup plus tard, il devient ministre d’État, ministre du Tourisme et des Loisirs, à partir du 9 décembre 2011. Il s’y installe comme l’un des membres les plus durables des gouvernements successifs. Sa présence à ce portefeuille s’étire sur près de quatorze années, ce qui, dans un système marqué par des remaniements ponctuels, constitue un signe de confiance présidentielle et de stabilité politique.

Le tourisme, au Cameroun, est un ministère à la fois symbolique et stratégique : il touche à l’image internationale, à l’économie des services, au patrimoine naturel et culturel, mais il reste confronté à des contraintes structurelles fortes, notamment les défis d’infrastructures, les questions de sécurité dans certaines régions, et la compétition régionale. La longévité de Bello Bouba Maïgari à ce poste lui permet de se présenter comme un gestionnaire, plus que comme un tribun, et de consolider une stature de “vétéran d’État”.

Mais cette participation n’efface pas les ambiguïtés. L’UNDP, parti historiquement implanté dans le Nord, est régulièrement au centre de débats sur sa relation avec le RDPC (le parti au pouvoir) et sur la nature exacte de ses accords. Dans les années 2000 et 2010, la stratégie de l’UNDP est souvent décrite comme un jeu d’équilibre : préserver une identité propre tout en évitant la marginalisation, négocier des positions tout en conservant une base militante, répondre aux attentes du septentrion tout en s’inscrivant dans un dispositif national très centralisé.

À mesure que le temps passe, ce positionnement nourrit des critiques contradictoires : pour certains, Bello Bouba Maïgari incarne une capacité à “faire de la politique” dans un cadre difficile, en maintenant des canaux de négociation et une présence au sommet ; pour d’autres, il incarne l’essoufflement d’une opposition intégrée, trop dépendante du système qu’elle prétend contester. Cette tension, ancienne, devient particulièrement visible lorsque le Cameroun entre à nouveau dans un cycle préélectoral décisif en 2025.

2025 : la candidature, la rupture et la place dans un scrutin sous haute tension

L’année 2025 replace Bello Bouba Maïgari au cœur de l’actualité politique camerounaise. L’élection présidentielle est prévue pour le 12 octobre 2025. Dans un pays où Paul Biya est au pouvoir depuis 1982, la question du renouvellement, des alliances et de l’état de santé du système politique devient un thème majeur du débat public. Dans ce contexte, la candidature de Bello Bouba Maïgari prend une dimension particulière : elle est celle d’un homme du sérail, mais aussi d’un dirigeant partisan qui affirme une option d’alternance.

Fin juin 2025, l’UNDP l’investit comme candidat. Dans la même séquence, il annonce la rupture politique de son parti avec le RDPC, mettant fin à une longue alliance. Son positionnement est scruté pour une raison simple : il combine une expérience de l’État, une implantation régionale, et une connaissance intime des mécanismes de pouvoir. Des analyses relèvent aussi l’importance électorale des régions du Nord, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord, souvent considérées comme un réservoir de voix déterminant dans les équilibres nationaux.

La question de sa place au gouvernement devient immédiatement un sujet. Pendant l’été 2025, la discussion publique oscille entre annonces, déclarations et actes administratifs. Dans les faits, plusieurs informations convergent vers un retrait effectif de la gestion du ministère du Tourisme et des Loisirs : au début du mois d’août 2025, il est annoncé que Gabriel Mbairobe, ministre de l’Agriculture, est chargé d’assurer l’intérim au ministère du Tourisme et des Loisirs, afin d’assurer la continuité du service public, dans un contexte présenté comme consécutif à la démission de Bello Bouba Maïgari. Cette évolution renforce l’idée d’un basculement : l’homme qui a longtemps incarné un compromis entre opposition et participation choisit, au moins pour cette séquence, de se mettre en position de compétition frontale.

Sur le fond, Bello Bouba Maïgari se présente en 2025 comme une figure de transition possible, portée par une rhétorique d’alternance et une promesse de réforme. Son âge et son parcours suscitent, là encore, des lectures opposées : certains y voient l’expérience nécessaire pour gouverner un État complexe ; d’autres estiment qu’il symbolise une génération politique ancienne, dont la rupture avec le système est tardive. Dans un champ politique où émergent aussi des candidats plus jeunes, la question de la nouveauté devient un critère de débat.

La présidentielle de 2025 s’inscrit en outre dans un environnement sécuritaire et politique tendu. Le Cameroun fait face depuis des années à des défis multiples : conflit dans les régions anglophones, menace liée à Boko Haram dans l’Extrême-Nord, pressions économiques et sociales, et contestations récurrentes sur la transparence électorale. Dans ce décor, chaque candidature significative, surtout lorsqu’elle provient d’anciens alliés du pouvoir, est interprétée comme un signal : celui de fissures possibles dans les arrangements traditionnels, ou celui d’une recomposition de l’opposition.

Bello Bouba Maïgari arrive ainsi à un moment où la question n’est pas seulement “qui est-il ?”, mais “quel rôle peut-il jouer ?”. Dans un scrutin à un tour, où la dispersion des candidatures peut avantager le sortant, sa capacité à bâtir des alliances, à élargir sa base au-delà du septentrion et à apparaître comme une option crédible pour divers segments de l’électorat devient centrale. Les dynamiques de coalition, les ralliements éventuels, et la perception de sa rupture avec le pouvoir détermineront largement le poids réel de sa candidature.

Au fond, le portrait qui se dessine est celui d’un politique au long cours : formé dans l’administration, projeté au sommet très tôt, renversé par une crise au cœur de l’État, revenu par la voie partisane, puis intégré durablement aux gouvernements avant de tenter une nouvelle fois l’aventure présidentielle. Bello Bouba Maïgari n’est pas un météore : il est une continuité, avec ses choix, ses retournements, et ses zones grises, dans un système où la longévité est souvent un signe de pouvoir autant qu’un objet de contestation.

Si l’on veut comprendre l’homme, il faut donc le replacer dans une histoire camerounaise faite d’ajustements permanents : équilibre Nord-Sud, rapports entre partis et présidence, alternance promise mais rarement réalisée, et coexistence d’une opposition multiforme. En 1992, il avait incarné l’un des visages de la compétition retrouvée. En 2025, il revient, chargé de son propre passé, mais aussi de la question la plus lourde de la politique camerounaise contemporaine : celle de la succession, du changement et des conditions concrètes d’une alternance.

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