Qui est Brice Oligui Nguema ?

À Libreville, son nom s’est imposé d’abord comme celui d’un militaire, puis comme celui d’un chef d’État. Brice Clotaire Oligui Nguema a émergé sur le devant de la scène en août 2023, lorsque des officiers annoncent la fin du régime d’Ali Bongo Ondimba, quelques heures après la proclamation de résultats électoraux contestés. À la tête du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), il devient alors le visage d’une rupture revendiquée par ses partisans, mais aussi celui d’une transition scrutée par l’opinion gabonaise et par les partenaires internationaux du pays.

En moins de deux ans, le général, longtemps resté dans l’ombre des palais et des casernes, traverse les étapes les plus sensibles d’un changement de régime : stabiliser l’appareil d’État, dessiner un calendrier institutionnel, convaincre à l’extérieur, et répondre à l’intérieur à une demande très forte de justice sociale, de lutte contre la corruption et de meilleure gouvernance. Puis vient l’élection présidentielle d’avril 2025, qu’il remporte largement et qui ouvre un nouveau chapitre : celui d’un pouvoir désormais adossé à un mandat électoral, mais exposé à des attentes considérables et à des accusations récurrentes de continuités avec l’ancien système. Comprendre qui est Brice Clotaire Oligui Nguema, c’est donc lire une trajectoire militaire, un basculement politique, et une promesse de refondation qui reste, pour beaucoup, à éprouver dans la durée.

Des origines au service de l’État : un profil forgé dans l’armée

Brice Clotaire Oligui Nguema est né le 3 mars 1975 à Ngouoni, dans la province du Haut-Ogooué, à l’est du Gabon. Cette région est centrale dans l’histoire politique du pays : elle est associée à la famille Bongo, qui a dominé le pouvoir gabonais pendant plus d’un demi-siècle. Le futur chef de l’État appartient d’ailleurs à la vaste constellation familiale et relationnelle qui a longtemps structuré la vie politique gabonaise, un élément régulièrement évoqué lorsqu’il s’agit d’évaluer, au-delà du discours de rupture, la profondeur réelle du changement de régime.

Son parcours est d’abord celui d’un militaire formé à l’étranger. Il a été formé à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, un passage qui a compté pour de nombreux cadres militaires d’Afrique francophone. Très tôt, il sert sous la présidence d’Omar Bongo, notamment comme aide de camp, une fonction qui suppose proximité, loyauté et connaissance intime des équilibres du pouvoir. Dans un système où les institutions civiles et les forces de sécurité ont longtemps été étroitement imbriquées, être au plus près du chef de l’État n’est pas un détail : cela façonne une culture politique, une compréhension des rapports de force et, souvent, des réseaux.

Le personnage public d’Oligui Nguema, tel qu’il apparaîtra plus tard, se nourrit de cette double matrice : une identité militaire et une familiarité avec le centre du pouvoir. Lorsque la transition s’ouvre en 2023, ses soutiens insistent sur sa capacité à “rétablir l’ordre” et à “restaurer les institutions”. Ses critiques, eux, rappellent qu’il n’est pas un outsider : il a grandi professionnellement dans l’univers même dont il dit vouloir corriger les dérives. Cette tension — homme du sérail ou homme de la rupture — restera un fil rouge de son récit politique.

L’ascension dans la Garde républicaine : une carrière au cœur du dispositif sécuritaire

Avant de devenir chef de l’État, Oligui Nguema est surtout identifié comme l’un des piliers de la Garde républicaine (GR), une force à la fois symbolique et stratégique : protection du président, sécurisation des institutions, et rôle déterminant dans l’équilibre interne des forces armées. Sa progression s’inscrit dans les années où le pays traverse des recompositions à la fois politiques et sécuritaires, notamment après la succession d’Omar Bongo en 2009.

Après l’élection présidentielle de 2009 qui porte Ali Bongo au pouvoir, Oligui Nguema est nommé attaché militaire à l’ambassade du Gabon au Maroc puis au Sénégal. Ce type de poste est souvent interprété de deux manières : reconnaissance et mise en avant à l’étranger, ou éloignement tactique des centres de décision. Dans ses déclarations publiques rapportées par des médias, il a pu présenter ces affectations comme une forme de mise à distance, suggérant que les équilibres internes du pouvoir gabonais, particulièrement sensibles, se jouent aussi par ces mouvements de carrière.

Son retour au Gabon marque un tournant. Il occupe des responsabilités de renseignement au sein de la Garde républicaine, puis, en avril 2020, il est nommé commandant en chef de la Garde républicaine. Ce poste est crucial : il place son titulaire au carrefour de la sécurité présidentielle, de la surveillance des menaces et de la gestion d’unités capables d’agir vite et fort. Dans l’architecture gabonaise, où la stabilité du régime a longtemps reposé sur des forces loyales, la GR joue un rôle disproportionné par rapport à son intitulé.

De cette période, on retient aussi la façon dont il se rend visible sans être encore politique. Le militaire devient un visage familier dans les cérémonies officielles, dans les dispositifs de sécurité lors des événements nationaux, et dans les moments de tension. Il se construit une image d’homme d’action et de discipline. Mais c’est précisément cette position, au sommet d’une force de protection du chef de l’État, qui rendra son basculement de 2023 si déterminant : lorsque la Garde républicaine et des officiers annoncent la fin du régime, le fait que l’homme fort vienne de ce noyau sécuritaire donne au coup de force une crédibilité opérationnelle immédiate.

Août 2023 : le coup d’État et la naissance du CTRI

Le 30 août 2023, au petit matin, des militaires apparaissent à la télévision nationale. Ils annoncent la dissolution des institutions, l’annulation des résultats d’une élection présidentielle dont la victoire d’Ali Bongo venait d’être proclamée, et la fin du régime. L’événement s’inscrit dans un contexte continental où plusieurs coups d’État, en Afrique de l’Ouest et au Sahel, ont déjà reconfiguré le rapport entre armées et pouvoirs civils. Au Gabon, il prend cependant une coloration spécifique : il met fin à une dynastie politique installée depuis 1967, et il est conduit par des hommes issus, pour une part, des rouages internes de l’ancien système.

Brice Clotaire Oligui Nguema est alors désigné à la tête du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Le CTRI se présente comme l’organe chargé de remettre l’État sur des rails institutionnels, de lutter contre la corruption et de préparer un retour à l’ordre constitutionnel. Très vite, le vocabulaire de la “libération” s’impose dans la communication officielle, tandis que, dans l’opinion, les réactions oscillent entre soulagement, prudence et inquiétude. Pour une partie de la population, la chute du régime Bongo est vécue comme une délivrance après des années de frustrations sociales et de contestations électorales. Pour d’autres, le remplacement d’un pouvoir civil par une junte militaire pose un problème de principe : l’État de droit ne se décrète pas par les armes.

Le 4 septembre 2023, Oligui Nguema prête serment comme “président de la transition”. L’acte est hautement politique : il vise à donner une forme institutionnelle au nouveau pouvoir, à en stabiliser la légitimité interne, et à envoyer un signal à l’extérieur.este que, sur le plan international, le Gabon est immédiatement confronté à des sanctions et à des suspensions au sein d’organisations régionales et continentales, comme cela arrive souvent après un coup d’État. Pour le nouveau dirigeant, la diplomatie devient un prolongement de la transition : obtenir une reconnaissance, ou au minimum une normalisation, suppose de présenter un calendrier et de démontrer une volonté de retour à un régime constitutionnel.

Dans les mois qui suivent, le CTRI et la présidence de transition avancent un chronogramme. Les discours mettent en avant la restauration des institutions, la moralisation de la vie publique, et des gestes concrets destinés à convaincre une population qui attend des effets rapides sur le quotidien : administration, coûts, infrastructures, services publics. Mais, déjà, un dilemme apparaît : comment transformer un pouvoir issu d’un coup d’État en pouvoir accepté durablement, sans retomber dans les logiques de personnalisation et de verrouillage qui ont marqué le passé ? La réponse officielle sera, progressivement, de se soumettre au test électoral, tout en contrôlant les conditions de ce retour aux urnes.

Une transition scrutée : réformes, gestes sociaux, critiques et diplomatie

Entre 2023 et 2025, l’action d’Oligui Nguema se déploie sur deux fronts : l’intérieur, où il faut répondre à l’urgence sociale et rétablir une confiance minimale, et l’extérieur, où il faut réintégrer le pays dans les circuits diplomatiques et financiers. Plusieurs épisodes illustrent la fragilité de cet équilibre.

Sur le plan institutionnel, le processus aboutit notamment à une nouvelle constitution adoptée par référendum en novembre 2024, ouvrant la voie à un nouveau cadre politique. Cette refonte est présentée comme une étape majeure vers une “nouvelle République”. Cependant, le contenu du nouveau texte est discuté : certains observateurs y voient une clarification institutionnelle, d’autres un renforcement de l’exécutif. Les débats portent, par exemple, sur l’architecture du pouvoir, la place du Premier ministre, et les modalités de contrôle démocratique. Quoi qu’il en soit, ce référendum marque un point de bascule : la transition ne se limite plus à la gestion d’un interrègne, elle construit des règles du jeu qui conditionneront la vie politique future.

Sur le plan économique et social, le pays reste confronté à des fragilités structurelles : chômage élevé, dépendance aux hydrocarbures, infrastructures vieillissantes, et services publics en tension. La crise des délestages électriques, particulièrement visible à Libreville, illustre cette réalité : malgré des mesures annoncées (accords de fourniture d’électricité, solutions temporaires), les coupures ont pesé sur la vie quotidienne, sur l’économie et sur l’image des autorités à l’approche de l’échéance électorale. Dans un contexte de transition, chaque panne devient un test politique : elle alimente les critiques sur la capacité réelle à gouverner, au-delà des annonces.

La question de la corruption et de l’héritage de l’ancien régime demeure centrale. Les autorités de transition ont multiplié les signaux de rupture, tout en étant accusées, par leurs opposants, de recycler des figures et des pratiques. Les critiques les plus dures s’attachent à l’idée que le changement de régime n’a pas nécessairement changé les mécanismes profonds : réseaux, clientélisme, accès aux ressources, et contrôle de l’appareil d’État. À l’inverse, les partisans du nouveau pouvoir soutiennent que la transition, pour être viable, doit s’appuyer sur des compétences existantes, et qu’une rupture totale créerait un risque de chaos administratif.

La diplomatie d’Oligui Nguema est, elle aussi, révélatrice. Contrairement à d’autres juntes africaines ayant choisi l’affrontement avec certains partenaires occidentaux, il maintient des relations suivies avec la France. Paris, tout en rappelant son opposition de principe aux coups d’État, cherche à préserver ses intérêts stratégiques, notamment en matière de coopération, de stabilité régionale et d’environnement. Le Gabon, pays forestier majeur, occupe une place particulière dans les discussions sur le climat et la préservation des forêts du bassin du Congo. La relation franco-gabonaise a aussi une dimension militaire : la présence française à Libreville a été réorganisée, avec des projets de transformation vers un centre de formation et une coopération limitée dans le temps, signalant une évolution du dispositif plutôt qu’une rupture brutale.

Sur le plan africain, la normalisation progresse. Après une période de suspension liée au coup d’État, l’Union africaine finit par lever ses sanctions en avril 2025, estimant la transition “globalement réussie” et actant un retour du Gabon dans ses instances. Ce geste est politiquement important : il valide, aux yeux de nombreux acteurs, l’idée que le pays a franchi des étapes jugées suffisantes vers le retour à l’ordre constitutionnel. Mais il n’efface pas les interrogations sur la qualité démocratique du processus et sur la capacité des contre-pouvoirs à s’exprimer.

À ce stade, Oligui Nguema a donc un bilan contrasté : des marqueurs institutionnels forts (référendum, calendrier), une diplomatie de réintégration, des gestes et annonces économiques, mais aussi des vulnérabilités persistantes et des accusations de verrouillage. La transition, loin d’être une simple parenthèse, devient un laboratoire où se joue l’avenir du système politique gabonais.

L’élection présidentielle de 2025 : une victoire massive, une légitimité contestée et des défis lourds

Le 12 avril 2025, le Gabon organise une élection présidentielle présentée comme la première depuis le coup d’État de 2023 et comme l’acte de clôture politique de la transition. Brice Clotaire Oligui Nguema se présente, après avoir quitté l’uniforme pour endosser le costume de candidat. Le scrutin se solde par une victoire écrasante : la Cour constitutionnelle confirme par la suite son score à 94,85 % des voix, avec une participation annoncée autour de 70 %. Une telle ampleur de victoire a une double lecture. Pour ses partisans, elle démontre une adhésion populaire, nourrie par la chute de la dynastie Bongo et par l’image d’un dirigeant “bâtisseur”. Pour ses adversaires, elle soulève des questions sur l’équité de la compétition, l’utilisation des moyens de l’État, et l’espace réel laissé à l’opposition.

Son principal rival, l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze, conteste certains aspects du processus, évoquant notamment un usage contestable de ressources publiques durant la campagne, accusations rejetées par le gouvernement. Des observateurs, cités dans la presse internationale, décrivent un processus jugé globalement satisfaisant, ce qui contribue à asseoir le résultat sur la scène extérieure. Mais, à l’intérieur, une victoire aussi élevée nourrit aussi, mécaniquement, la suspicion : dans des pays marqués par des décennies de scrutins contestés, l’écart massif devient souvent un sujet politique en soi.

Oligui Nguema est investi président pour un mandat de sept ans le 3 mai 2025. La cérémonie, organisée dans un stade, est pensée comme un moment de réconciliation et de démonstration populaire, rompant avec certains codes cérémoniels plus institutionnels. Dans son discours et dans sa communication, le président élu présente une feuille de route visant à achever le processus de retour complet à l’ordre constitutionnel, avec un calendrier électoral prévoyant notamment des législatives et des élections locales, puis des sénatoriales, afin de compléter l’architecture institutionnelle du pays. Dans l’espace politique gabonais, cela signifie un enjeu central : transformer une présidence forte en système durable, où un Parlement et des collectivités locales élus jouent réellement leur rôle, et où la compétition politique peut se structurer sans basculer dans la violence ou la répression.

Un autre tournant, en 2025, est la recomposition partisane autour du président. L’enjeu est clair : un chef de l’État élu a besoin d’une base politique pour gouverner, surtout si les institutions ont été redessinées et si la vie parlementaire doit reprendre. Cette structuration, qui passe par des alliances et la création ou l’appui à une formation politique, est un test : elle peut consolider la démocratie si elle favorise le pluralisme, ou au contraire la fragiliser si elle vise à absorber ou neutraliser les forces concurrentes.

Les défis, eux, restent massifs et bien identifiés. D’abord, la question sociale : le Gabon est riche en ressources, mais les inégalités et les fragilités du quotidien alimentent une colère latente. Ensuite, l’économie : la dépendance au pétrole, la nécessité de diversifier, la gestion de la dette et des investissements, ainsi que la modernisation d’infrastructures (énergie, transport, eau) constituent des chantiers lourds. La crise de l’électricité a montré à quel point une difficulté technique peut devenir une crise politique.

Enfin, il y a le défi le plus délicat : la crédibilité démocratique. Oligui Nguema a construit une partie de sa légitimité sur la promesse de rupture avec une “mauvaise gouvernance” passée. Mais son parcours, au sein même de l’appareil sécuritaire de l’ancien régime, et l’ampleur de sa victoire électorale, exposent son pouvoir à un soupçon durable : celui d’une transition ayant surtout changé les têtes, sans changer les règles profondes. Sa réussite politique dépendra donc de la capacité à tolérer la critique, à garantir des espaces réels de concurrence, à laisser fonctionner des institutions de contrôle, et à produire des résultats visibles sur le niveau de vie et la qualité des services publics.

À la fin de 2025, Brice Clotaire Oligui Nguema apparaît ainsi comme l’homme d’un passage : passage d’une dynastie à un nouveau pouvoir, passage d’une junte à une présidence élue, passage d’une promesse de refondation à l’épreuve concrète des faits. Son histoire personnelle, faite d’ascension militaire et de proximité avec les centres du pouvoir, se confond désormais avec une question collective : le Gabon peut-il transformer un coup d’État en rupture démocratique durable, ou n’a-t-il fait que déplacer le centre de gravité d’un système ancien ? L’avenir, plus que les discours, tranchera.

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