Dans le Gabon bouleversé par la rupture institutionnelle d’août 2023, un nom s’est rapidement imposé dans la nouvelle architecture du pouvoir : Brigitte Onkanowa. Officière supérieure de la gendarmerie nationale, promue générale et propulsée au premier rang de l’appareil d’État, elle incarne l’irruption assumée du fait militaire dans la conduite des affaires publiques durant la période de transition. Son parcours est aussi celui d’une femme dans un univers longtemps dominé par les hommes, qui a su occuper des postes d’autorité au moment où le pays redessinait ses équilibres.
De la caserne aux bureaux ministériels, puis de l’exécutif à l’Assemblée nationale, sa trajectoire s’inscrit dans une séquence politique où les frontières entre commandement militaire et responsabilité gouvernementale se sont brouillées. Brigitte Onkanowa n’est pas seulement une personnalité nommée : elle est devenue un symbole, parfois contesté, souvent scruté, d’une transition qui a placé la sécurité, la réforme des forces et la discipline institutionnelle au centre du récit national.
Une enfance à Okondja et une carrière forgée dans la gendarmerie
Brigitte Onkanowa est née à Okondja, dans la province du Haut-Ogooué, à l’est du Gabon. Cette donnée, souvent rappelée dans les présentations officielles et politiques, n’est pas anecdotique : Okondja est aussi l’une de ces localités de l’intérieur dont les élites, lorsqu’elles émergent, portent avec elles une forme de légitimité territoriale, un ancrage local que la politique gabonaise valorise régulièrement. Dans un pays où Libreville concentre les institutions, la référence à la province, au département, à la commune, demeure un marqueur important de reconnaissance et de représentation.
Elle choisit la voie militaire et suit une formation qui l’inscrit durablement dans la gendarmerie nationale. Au fil des années, elle gravit les échelons et construit une carrière au sein d’un corps réputé pour son rôle à la fois sécuritaire et administratif : la gendarmerie, force à statut militaire, est en effet un acteur central du maintien de l’ordre, mais aussi de l’implantation de l’État dans les territoires. Être gendarme au Gabon, ce n’est pas seulement patrouiller : c’est aussi participer à la chaîne de commandement qui relie l’État à ses périphéries.
Son ascension prend une dimension historique en 2018, lorsqu’elle est promue générale de brigade. Dans un univers où l’accès des femmes aux plus hauts grades reste rare, cette promotion la fait entrer dans un cercle restreint et l’installe comme une figure repérable, y compris au-delà des milieux militaires. Cette étape, souvent citée comme un jalon, marque l’affirmation d’une trajectoire qui conjugue compétences professionnelles, endurance institutionnelle et capacité à évoluer dans une hiérarchie exigeante.
Derrière le grade, il y a une réalité : celle d’un parcours mené dans un environnement où l’autorité, la gestion des hommes, l’organisation logistique et la discipline constituent le cœur du métier. Lorsque, plus tard, elle accède à des fonctions politiques, c’est cette culture du commandement qui façonne une partie de son image publique : sobriété, rigueur, langage direct, attention portée à la chaîne de responsabilité. Pour ses soutiens, cela devient un gage de sérieux ; pour ses détracteurs, un signe de militarisation de la gouvernance.
Mais avant de devenir une personnalité gouvernementale, Brigitte Onkanowa est d’abord une militaire. Et c’est précisément cette identité, renforcée par ses promotions, qui la place au centre de la recomposition du pouvoir après le basculement d’août 2023.
Du CTRI au gouvernement : une ascension accélérée dans la transition
Le 30 août 2023, le Gabon entre dans une nouvelle ère politique à la suite du renversement d’Ali Bongo par un groupe de militaires conduits par Brice Clotaire Oligui Nguema. Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) s’installe comme organe de direction, annonçant une refondation institutionnelle et un calendrier de transition. Dans cette structure, très majoritairement masculine, Brigitte Onkanowa apparaît comme l’une des rares femmes à occuper un rang significatif. Sa présence est alors perçue comme un signal : celui d’une volonté d’afficher une ouverture, mais aussi d’intégrer des profils capables d’articuler autorité militaire et représentation publique.
Le 9 septembre 2023, elle rejoint l’équipe gouvernementale formée autour du Premier ministre Raymond Ndong Sima en tant que ministre déléguée auprès de la Présidence, chargée de la Défense nationale. L’intitulé a son importance : rattachée à la Présidence, la Défense devient un secteur stratégique, placé au plus près du centre décisionnel de la transition. Dans un contexte de recomposition du pouvoir, la Défense n’est pas un ministère comme un autre : elle touche à la consolidation du régime, à la stabilité interne, aux relations avec les partenaires internationaux, et à l’encadrement des forces.
Cette première étape gouvernementale s’inscrit dans une logique de continuité et de contrôle. La transition doit rassurer : rassurer les administrations, les partenaires, mais aussi les forces de défense elles-mêmes. Confier ce portefeuille à une générale de la gendarmerie, membre influente du CTRI, permet de verrouiller la chaîne hiérarchique et de limiter les zones d’incertitude.
Le 2 janvier 2024, Brigitte Onkanowa est promue générale de division. Quelques semaines plus tard, le 17 janvier 2024, elle est nommée ministre de la Défense nationale à part entière, à l’occasion d’un remaniement. La séquence est rapide : en quelques mois, elle passe d’un rôle ministériel délégué à la responsabilité pleine et entière d’un ministère clé. Cette accélération est l’un des traits marquants de son parcours, et elle reflète aussi un moment politique où la transition privilégie les profils jugés fiables, expérimentés et alignés sur la doctrine du CTRI.
La fonction, toutefois, ne se limite pas à une question de fidélité. Être ministre de la Défense, c’est piloter une administration, arbitrer des budgets, encadrer des réformes, dialoguer avec des états-majors, et gérer une communication sensible. C’est également se tenir à l’interface entre l’armée et le reste de l’État, dans un pays où la mémoire des rapports entre forces et pouvoir civil est un sujet de débat.
À partir de 2024, Brigitte Onkanowa devient l’un des visages les plus identifiables du gouvernement de transition. Sa parole publique s’inscrit dans une ligne : insister sur le patriotisme, rappeler les devoirs des forces de défense et de sécurité, et mettre en scène l’idée d’une armée au service d’un projet national de redressement. Dans cette narration, la Défense n’est pas seulement un secteur ; elle est présentée comme une colonne vertébrale de la refondation.
Au ministère de la Défense : réformes, budgets et mise en récit d’une armée « refondée »
Diriger la Défense nationale pendant une transition politique n’a rien d’une gestion ordinaire. Les attentes se multiplient : modernisation, revalorisation, amélioration des conditions, mais aussi contrôle strict de la discipline et prévention de toute fragmentation interne. Brigitte Onkanowa hérite d’un ministère qui doit concilier la réalité des moyens et l’exigence politique d’une armée visible, structurée et exemplaire.
Dans les débats publics, plusieurs axes reviennent régulièrement lorsqu’il est question de son passage à la Défense. Le premier tient à la promesse d’une modernisation des forces de défense et de sécurité. Dans un pays confronté à des enjeux de surveillance territoriale, de protection des frontières et de sécurisation des infrastructures, la question des équipements, de la formation et de la logistique est centrale. La période de transition se caractérise par une volonté affichée de rompre avec des pratiques jugées inefficaces ou désorganisées, et de réinvestir dans les capacités opérationnelles.
Le deuxième axe concerne l’attention portée aux statuts et à la condition militaire. Une réforme ne passe pas seulement par le matériel : elle passe aussi par les textes, les protections sociales, et la reconnaissance institutionnelle. À ce titre, l’année 2024 est marquée par une initiative gouvernementale concernant la mise en place d’une mutuelle de santé dédiée aux militaires et à leurs familles. Le geste est politiquement parlant : il s’agit de signifier que l’État-providence militaire, longtemps revendiqué, doit devenir tangible, et que la transition ne se contentera pas de discours.
Le troisième axe est budgétaire et parlementaire. Même en transition, le ministère de la Défense se trouve confronté à l’exigence de justifier ses choix. Brigitte Onkanowa est auditionnée par des commissions parlementaires dans le cadre de l’examen de projets de loi et de textes touchant aux statuts et aux finances. Cette dimension, souvent moins médiatisée que les cérémonies ou les annonces, traduit pourtant un fait important : la Défense, même conduite par une générale, doit composer avec des procédures institutionnelles, des auditions, et des débats sur l’allocation des ressources.
Ainsi, en octobre 2025, elle est auditionnée dans le cadre de la préparation du budget de l’État pour l’exercice suivant. La scène est révélatrice : la ministre, issue de la hiérarchie militaire, vient expliquer et défendre des choix devant des députés. Cette interaction, en apparence classique, prend une tonalité particulière dans un pays où la transition tente d’articuler autorité et retour progressif à des mécanismes de contrôle institutionnel.
À la Défense, Brigitte Onkanowa s’inscrit également dans une logique de coopération internationale. Les relations militaires du Gabon, notamment avec certains partenaires historiques, s’expriment par des visites, des exercices, des cérémonies et des distinctions. L’un des épisodes les plus symboliques de cette période survient en octobre 2025, lorsqu’elle reçoit les insignes de commandeur de la Légion d’honneur lors d’une cérémonie liée à une escale d’un bâtiment français à Owendo. Quelles que soient les interprétations politiques de cette distinction, elle souligne que la ministre est identifiée comme une interlocutrice de premier plan dans les relations de défense, et que la transition gabonaise continue de s’inscrire dans des réseaux diplomatiques et sécuritaires internationaux.
Cette dimension internationale, toutefois, est ambivalente : elle peut être lue comme un signe de reconnaissance et de professionnalisme, mais aussi comme un sujet de débats dans un pays où l’opinion publique, parfois, questionne l’équilibre entre souveraineté et partenariats. La ministre évolue dans ce champ de tensions : afficher la coopération sans donner l’impression d’une dépendance, affirmer la souveraineté tout en maintenant les canaux de dialogue.
Enfin, son passage à la Défense se caractérise par une mise en récit politique de l’armée. Les discours insistent sur les valeurs, la discipline, le sens du devoir. À travers cette rhétorique, la Défense devient une scène de légitimation : si l’armée est présentée comme protectrice, alors la transition se présente comme garante de stabilité. Brigitte Onkanowa, par son statut de générale, est l’un des vecteurs de ce récit.
Campagnes et ancrage local : d’Okondja à la scène électorale nationale
Si Brigitte Onkanowa s’impose d’abord par ses fonctions militaires et ministérielles, elle développe aussi un rôle politique plus visible sur le terrain, notamment à Okondja et dans son environnement territorial. L’ancrage local, au Gabon, reste un élément déterminant : il structure les alliances, la mobilisation et la perception de la légitimité.
En 2024, lors de la campagne précédant le référendum constitutionnel, Brigitte Onkanowa apparaît comme une figure active de la mobilisation en faveur du « oui » à Okondja. Les comptes rendus de terrain insistent sur des réunions, des rencontres avec différentes composantes de la population, et une clôture de campagne marquée par une forte mobilisation locale. Qu’on y voie une expression spontanée d’adhésion ou le résultat d’une organisation politique, l’épisode montre une ministre capable de se déployer dans l’espace public, non plus seulement comme responsable sectorielle, mais comme actrice d’un projet institutionnel.
Cette présence sur le terrain traduit également une transformation : la générale-ministre devient progressivement une personnalité politique, au sens classique du terme, amenée à défendre une orientation nationale et à s’inscrire dans la compétition électorale.
L’année 2025 marque un tournant. La transition gabonaise, engagée dans un processus de recomposition institutionnelle, connaît des étapes électorales. Brigitte Onkanowa est candidate lors des législatives et se présente dans le département de la Sébé-Brikolo, toujours dans le Haut-Ogooué, au premier siège. Sa candidature est associée à l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), formation à laquelle elle est rattachée à partir de 2025, et elle est élue le 27 septembre 2025. Elle entre en fonction comme députée le 17 novembre 2025.
Ce passage du gouvernement au Parlement n’est pas anodin. Il illustre un mouvement observé dans plusieurs transitions : des figures de l’exécutif ou des organes de transition cherchent à se doter d’une légitimité électorale, afin de prolonger leur influence au-delà de la période transitoire. L’élection permet de transformer une nomination en mandat, une désignation en représentation, et, dans certains cas, de consolider une carrière politique.
Sur le plan symbolique, l’élection de Brigitte Onkanowa signale aussi l’installation durable d’un profil hybride : militaire de haut rang et responsable politique. Pour ses partisans, cette hybridité garantit compétence et fermeté ; pour ses opposants, elle pose la question de la place des militaires dans la vie civile et de la nature de la démocratisation.
Son ancrage local, à Okondja et dans la Sébé-Brikolo, devient alors un capital politique. Il lui permet de se présenter non seulement comme une figure nationale, mais comme une élue dotée d’un territoire, donc d’un devoir de représentation, de médiation et de développement. Cette dimension, souvent cruciale dans l’appréciation d’un député, l’oblige aussi à composer avec des attentes concrètes : infrastructures, services publics, emploi, et accès aux ressources.
La politique gabonaise, marquée par des équilibres régionaux, observe avec attention l’émergence de ces nouveaux profils issus de la transition. Brigitte Onkanowa, en entrant au Parlement, rejoint l’arène où les compromis se nouent autrement que par l’ordre hiérarchique : la discussion, la coalition, la construction de majorités.
Une figure féminine dans un univers de pouvoir militarisé, entre symbole et controverse
Au-delà des fonctions, Brigitte Onkanowa occupe une place singulière dans l’imaginaire politique gabonais contemporain, car elle incarne une double rupture : une femme à un rang militaire élevé, et une femme à la tête d’un ministère régalien durant une transition dominée par des militaires.
Dans la plupart des pays, les ministères régaliens restent des bastions masculins. La Défense, plus encore, cristallise des représentations de force, de commandement et d’autorité. Voir une générale prendre la tête de ce portefeuille produit un effet de symbole : celui d’un plafond de verre qui se fissure, au moins partiellement. Cette dimension a été mise en avant dans de nombreux commentaires : le fait qu’une femme incarne le commandement, qu’elle soit visible en uniforme ou dans des cérémonies officielles, bouscule l’ordre habituel des images.
Mais le symbole ne suffit pas à épuiser la réalité. Être femme, dans ce contexte, n’efface pas les débats sur la militarisation du pouvoir. La transition gabonaise a placé des militaires au centre des décisions ; elle a aussi tenté de s’entourer de civils et d’organiser un retour progressif à des institutions renouvelées. Brigitte Onkanowa se trouve au croisement de ces dynamiques : son profil, au lieu de trancher le débat, le rend plus complexe. Elle est à la fois la preuve d’une ouverture (une femme à un poste régalien) et le rappel d’un fait politique (le poids de l’armée dans la transition).
Les controverses, lorsqu’elles existent, se structurent autour de plusieurs questions. La première concerne l’équilibre entre pouvoir civil et pouvoir militaire. La seconde concerne la transformation de la transition en carrière politique. La troisième concerne l’efficacité réelle des réformes annoncées : moderniser l’armée est une promesse lourde, qui se mesure au-delà des discours.
Il faut également noter que la période de transition recompose les loyautés. Les figures issues du CTRI et du gouvernement transitoire sont scrutées : lesquelles se retirent ? lesquelles s’institutionnalisent ? lesquelles gagnent des mandats électifs ? Brigitte Onkanowa, en devenant députée après avoir été ministre, s’inscrit dans le mouvement d’institutionnalisation. Ce choix peut être lu comme une volonté de normalisation : passer par les urnes, accepter la logique représentative, et déplacer l’influence du gouvernement vers le Parlement. Mais il peut aussi être interprété comme une stratégie de continuité : prolonger l’autorité acquise durant la transition.
Enfin, Brigitte Onkanowa reste associée à un moment politique précis : la séquence qui suit août 2023, celle où l’État gabonais tente de se refonder. À ce titre, sa biographie est indissociable d’un contexte. On ne peut la comprendre sans évoquer le CTRI, le gouvernement Ndong Sima, la présidence de Brice Clotaire Oligui Nguema, les réformes institutionnelles, les consultations nationales, et le retour graduel à des mécanismes électoraux.
Aujourd’hui, alors que le pays poursuit sa recomposition, Brigitte Onkanowa apparaît comme l’un des visages d’une transition qui a voulu conjuguer autorité et refondation. Son parcours, de la gendarmerie à la Défense, puis de l’exécutif au législatif, raconte quelque chose de la période : l’émergence de profils hybrides, la valorisation de la discipline, et l’effort de transformer une légitimité de fait en légitimité de droit.
Son avenir politique dépendra de plusieurs facteurs : sa capacité à s’inscrire durablement dans le jeu parlementaire, l’évolution des forces politiques issues de la transition, la perception de son action passée au ministère de la Défense, et, surtout, la manière dont la société gabonaise jugera, avec le recul, les années de transition. Mais une chose est certaine : Brigitte Onkanowa a déjà pris place dans la chronologie politique du Gabon contemporain, comme l’une des figures les plus identifiables de la période où le pouvoir s’est réorganisé autour du treillis, avant de rechercher, à nouveau, l’onction des urnes.



