Qui est Cassiel Ato Forson ?

Dans la vie publique ghanéenne, peu de trajectoires illustrent aussi clairement l’entrelacement entre expertise financière et bataille parlementaire que celle de Cassiel Ato Baah Forson. Comptable de formation, fiscaliste, parlementaire de long cours et figure centrale du National Democratic Congress (NDC), il s’est imposé au fil des années comme l’un des porte-voix les plus audibles sur les questions budgétaires. Son nom, longtemps associé aux arbitrages techniques et aux joutes de l’Hémicycle, a fini par se confondre avec la conduite de la politique économique elle-même lorsqu’il a été appelé à diriger le ministère des Finances au début de l’année 2025. Sa biographie, au-delà de l’itinéraire personnel, raconte aussi un moment de l’histoire récente du Ghana : l’exigence de stabilité macroéconomique, les tensions sociales liées au coût de la vie, la pression de la dette et l’attente de résultats rapides.

L’ascension de Cassiel Ato Baah Forson s’est construite par étapes, entre l’ancrage local dans la région du Centre, la consolidation d’un profil académique rare en politique, et une spécialisation constante sur les sujets fiscaux. Elle s’accompagne d’épisodes plus heurtés, notamment une procédure judiciaire liée à l’acquisition d’ambulances, qui a nourri la polarisation politique avant de se conclure par un acquittement en appel. Aujourd’hui, l’homme se retrouve au cœur d’un débat national dont l’objet est aussi simple qu’inquiétant : comment restaurer durablement la confiance sans imposer au pays une austérité socialement explosive.

Des racines dans la région du Centre, une trajectoire scolaire construite par paliers

Cassiel Ato Baah Forson est né le 5 août 1978 et est originaire d’Ajumako Bisease, dans la région du Centre du Ghana. Cet ancrage local n’est pas un simple décor biographique : il structure son identité politique, car c’est dans cette zone qu’il a bâti, élection après élection, une légitimité durable. Dans un pays où la politique est souvent perçue comme très centralisée, l’enracinement territorial reste une ressource décisive, en particulier pour les députés qui, comme lui, revendiquent une proximité constante avec leurs électeurs.

Son parcours scolaire, tel qu’il est documenté dans les biographies disponibles, suit une progression classique mais exigeante : école de base dans sa localité, puis passage par un établissement secondaire de la zone. C’est un itinéraire que de nombreux élus ghanéens mettent en avant, car il permet de relier une origine provinciale à des compétences acquises plus tard dans des institutions plus prestigieuses. Dans son cas, l’argument se renforce avec la suite : Forson ne s’est pas contenté d’un cursus professionnel, il a empilé les formations et les qualifications dans le champ économique au point d’afficher un profil de spécialiste.

Sa formation supérieure est marquée par un passage au Royaume-Uni, avec un diplôme en comptabilité obtenu à la London South Bank University. Cette dimension internationale est importante : à Accra, dans les milieux politiques et administratifs, les cursus britanniques ou anglo-saxons sont souvent considérés comme un marqueur de sérieux technique, notamment dans les métiers de la finance. À cette base s’ajoute un master en fiscalité obtenu à l’Université d’Oxford, puis un master en économie à la Kwame Nkrumah University of Science and Technology (KNUST), avant un doctorat (PhD) en finance ou en management avec option finance, également à la KNUST, obtenu en 2020 selon les éléments biographiques publics.

Dans la politique ghanéenne contemporaine, où l’on rencontre aussi bien des juristes que des entrepreneurs ou des militants issus des syndicats, ce type de trajectoire académique pousse naturellement vers un rôle précis : l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques, la compréhension des mécanismes de la dette, la maîtrise de la fiscalité, la lecture des comptes nationaux. Autrement dit, la finance devient chez lui un langage politique, et non un simple savoir technique.

Comptable, fiscaliste et entrepreneur : une expertise façonnée avant et pendant la vie publique

Avant d’être un ministre exposé, Cassiel Ato Baah Forson est décrit comme un professionnel de la comptabilité et de la fiscalité, avec des affiliations aux organismes professionnels du Ghana dans ces domaines. Cette dimension, souvent répétée dans les portraits, nourrit sa crédibilité lorsqu’il s’exprime sur l’équilibre budgétaire, la collecte de l’impôt ou la soutenabilité de la dette. Dans un contexte où la défiance envers les élites politiques peut être forte, le fait d’arriver avec une identité de technicien constitue un avantage, mais aussi un risque : on attend alors des résultats mesurables, et on le juge sur des indicateurs.

Des biographies publiques mentionnent aussi des expériences dans le secteur privé, avec des fonctions de direction dans des sociétés. L’intérêt de ces passages n’est pas tant la liste des postes que l’image qu’ils dessinent : celle d’un élu capable de parler au monde des entreprises et de comprendre les contraintes de trésorerie, d’investissement et de fiscalité. Au Ghana, comme dans de nombreux pays africains, la frontière entre expertise économique et décision politique est devenue plus poreuse, notamment depuis que les crises monétaires et la hausse du coût de la dette ont obligé les gouvernements à justifier leurs choix avec un vocabulaire de plus en plus technique.

Cette crédibilité s’est particulièrement manifestée dans sa trajectoire parlementaire. Très tôt, Forson a concentré ses efforts sur les dossiers financiers : budgets, lois fiscales, audit des dépenses publiques, mécanismes de financement des infrastructures, surveillance de la dette. Ce positionnement est stratégique : les commissions financières au Parlement sont un lieu de pouvoir discret mais réel, car elles permettent de peser sur les chiffres, de questionner les hypothèses du gouvernement et de rendre visibles certaines contradictions.

Au fil du temps, l’image qui s’est imposée est celle d’un élu pour qui la politique économique n’est pas une rubrique parmi d’autres, mais le cœur du débat national. Ce choix thématique lui permet d’occuper un espace médiatique particulier : celui du commentateur de la conjoncture et du gardien autoproclamé de la discipline budgétaire, qu’il soit dans la majorité ou dans l’opposition.

Un parlementaire de long cours : du siège d’Ajumako-Enyan-Esiam à la direction des blocs

Cassiel Ato Baah Forson entre au Parlement en 2009 comme député de la circonscription d’Ajumako-Enyan-Esiam, sous la bannière du National Democratic Congress. Son maintien durable à ce poste est un fait politique en soi : il traverse plusieurs législatures, ce qui suppose à la fois une organisation locale solide et une capacité à s’adapter aux cycles nationaux. En décembre 2024, il est réélu pour un nouveau mandat, consolidant une fois encore cette relation électorale.

À l’intérieur du Parlement, la montée en responsabilité est progressive. Forson devient Deputy Minister for Finance à partir de mars 2013, sous la présidence de John Dramani Mahama, et occupe ce rôle jusqu’au début de l’année 2017. Ce passage au gouvernement le place au contact direct de la machine budgétaire : préparation des budgets, négociations financières, relations avec les bailleurs et arbitrages entre secteurs prioritaires. Même si la fonction de vice-ministre demeure subordonnée, elle offre une expérience précieuse : celle de la contrainte réelle, lorsque les promesses politiques se heurtent aux équations comptables.

Après cette période gouvernementale, il continue à occuper une place de plus en plus centrale dans les débats économiques, notamment lorsque le Ghana traverse une phase de tensions macroéconomiques, de restructuration de dette et de négociations avec le Fonds monétaire international. Dans les années qui précèdent 2025, son rôle se renforce encore au sein du groupe parlementaire du NDC.

En janvier 2023, il est choisi comme Minority Leader au Parlement, ce qui fait de lui l’un des principaux chefs de file de l’opposition dans l’Hémicycle. Cette fonction n’est pas seulement protocolaire : elle organise la stratégie, discipline le groupe, et fixe les thèmes d’attaque du gouvernement. La finance devient alors un outil de confrontation politique : contester les choix fiscaux de l’exécutif, dénoncer des mécanismes jugés injustes, ou réclamer davantage de transparence.

Après l’alternance politique de début 2025, Forson bascule très brièvement dans une position de chef de la majorité parlementaire, occupant le rôle de Majority Leader et Leader of Government Business au début de la nouvelle législature, avant de rejoindre le gouvernement en tant que ministre des Finances. Cette séquence éclaire sa place dans l’appareil du NDC : un dirigeant parlementaire majeur, suffisamment central pour être placé à la fois au cœur de l’agenda législatif et à la tête du portefeuille économique le plus exposé.

Ministre des Finances en 2025 : la “thérapie de choc” et la recherche de crédibilité

Le tournant arrive en janvier 2025. À peine installé, le président John Dramani Mahama désigne Cassiel Ato Baah Forson comme ministre des Finances. La nomination, annoncée dès le 9 janvier, est présentée comme un choix à la fois politique et technique : un cadre du parti, mais aussi un spécialiste de la fiscalité et de la comptabilité, censé rassurer les marchés, les partenaires et l’opinion. Forson est ensuite investi officiellement lors d’une cérémonie à la Jubilee House le 22 janvier 2025, après le processus de validation parlementaire.

Le contexte est lourd. Le Ghana sort d’une crise économique décrite comme la plus sévère depuis une génération : tensions sur la monnaie, inflation élevée, restructuration de dette, fatigue sociale. Dans ce climat, le ministère des Finances devient le point focal des attentes et des colères. L’économiste politique qu’il est doit parler deux langues : celle des ménages qui voient les prix augmenter, et celle des créanciers qui veulent des signaux de discipline.

Son premier budget, présenté au Parlement en mars 2025, marque les esprits par le vocabulaire employé. Il décrit une économie “en détresse sévère” et défend une stratégie de redressement assimilée à une “thérapie de choc”, avec des coupes de dépenses, des mesures ciblées de recettes et des corrections destinées à rétablir la crédibilité budgétaire. Le message est clair : l’heure n’est pas à la rhétorique, mais aux chiffres, et les chiffres sont mauvais. L’objectif affiché est de réduire les déficits, de contenir la dette et de créer les conditions d’un retour de la confiance.

La difficulté, dans une telle démarche, tient à l’équilibre politique. Une politique de rigueur peut être économiquement cohérente mais socialement explosive. Un ministre des Finances doit donc cadrer le récit : expliquer pourquoi la contrainte est inévitable, promettre que l’effort sera équitablement réparti, et donner des perspectives de sortie. Dans la communication de Forson, l’idée centrale est que l’économie ne s’est pas “retournée”, qu’elle n’est pas déjà sauvée, et qu’il faut cesser de maquiller la réalité. C’est une posture qui s’adresse autant aux acteurs financiers qu’au grand public : la vérité comme précondition de la confiance.

Au fil de l’année 2025, Forson continue à porter la narration du redressement. En novembre 2025, lors d’une nouvelle présentation budgétaire, il souligne des signes de reprise et projette une croissance plus soutenue en 2026, tout en évoquant l’objectif de retour sur le marché domestique de la dette. Ce discours de consolidation vise à montrer que les mesures difficiles n’étaient pas un sacrifice inutile, mais le prix d’une stabilisation.

Il faut aussi noter qu’en août 2025, dans un contexte dramatique lié à un accident d’hélicoptère militaire ayant coûté la vie à plusieurs responsables, Forson se voit confier temporairement la fonction de ministre de la Défense par intérim, en plus de son portefeuille financier. L’épisode est révélateur : au-delà de l’expertise, il est considéré comme une personnalité de confiance au sein de l’exécutif, capable d’assurer une continuité dans une période de choc institutionnel.

Procédure judiciaire, acquittement et construction d’une figure publique polarisante

La biographie politique de Cassiel Ato Baah Forson ne se résume pas à une ascension linéaire. Elle est aussi traversée par un épisode judiciaire qui a durablement pesé sur son image publique : l’affaire liée à l’acquisition d’ambulances entre 2014 et 2016, lorsqu’il était dans l’appareil financier de l’État. L’affaire, très commentée, l’a placé au centre d’accusations de préjudice financier pour l’État. Dans un pays où les débats sur la corruption et la responsabilité publique sont constants, l’impact politique d’une telle procédure est immédiat : l’opposition dénonce une manœuvre lorsqu’elle vise l’un de ses leaders, la majorité y voit la preuve d’une volonté de rendre des comptes.

Au plan judiciaire, les étapes sont essentielles pour comprendre la portée du dénouement. Après des développements devant la High Court, la procédure prend un tournant en 2023, lorsque la juridiction ordonne à Forson d’ouvrir sa défense. L’affaire monte ensuite en appel. Le 30 juillet 2024, la Cour d’appel acquitte et libère Cassiel Ato Baah Forson, ainsi que d’autres coaccusés, renversant la décision qui les contraignait à présenter leur défense. Le verdict est rendu à la majorité de 2 contre 1, détail qui souligne la complexité du dossier et la nature disputée de l’interprétation juridique.

Politiquement, l’acquittement change la dynamique. D’une part, il permet à Forson et au NDC de revendiquer une réhabilitation et de dénoncer un harcèlement politique, argument récurrent dans les systèmes très polarisés. D’autre part, il ne fait pas disparaître le fait que l’affaire a existé, ni le climat de suspicion qui peut s’installer dans l’opinion. Dans de nombreux pays, l’acquittement juridique ne suffit pas toujours à effacer les stigmates politiques, surtout lorsque la confiance dans les institutions est elle-même un sujet de débat.

C’est ici que l’on comprend mieux la stratégie de Forson au ministère des Finances : mettre la transparence et la reddition de comptes au centre du discours, non seulement parce que la situation économique l’exige, mais aussi parce que sa propre trajectoire personnelle l’y pousse. Quand un responsable a été fragilisé par une procédure judiciaire, il peut chercher à se repositionner en garant de la rigueur institutionnelle. La cohérence narrative devient une protection autant qu’un programme.

Au-delà de cet épisode, l’homme public est aussi défini par son style : une rhétorique fondée sur les chiffres, la critique de ce qu’il présente comme une comptabilité créative, et une manière de ramener les débats politiques à des équations budgétaires. Cette posture plaît à une partie de l’électorat, qui y voit une compétence rare. Elle irrite d’autres, qui la jugent trop technocratique ou trop offensive. Dans une démocratie vivante, cette polarisation est presque inévitable lorsqu’un ministre occupe un portefeuille qui touche directement au quotidien : impôts, prix, salaires, subventions, dette.

Sur le plan personnel, les biographies publiques indiquent qu’il est marié, chrétien et père de famille. Les sources disponibles ne sont pas toujours parfaitement homogènes sur les détails, mais l’essentiel, dans un portrait journalistique, est ailleurs : la façon dont la vie privée est généralement tenue à distance du débat public, sauf lorsque des controverses surgissent.

À l’approche de 2026, la question centrale pour Cassiel Ato Baah Forson reste celle des résultats. La politique économique est un terrain où l’argumentation ne suffit pas : l’inflation ressentie, l’accès au crédit, la stabilité de la monnaie, la confiance des investisseurs, le coût des services publics et la capacité de l’État à honorer ses engagements sont les juges finaux. Son parcours, fait de diplômes, de commissions parlementaires, d’une expérience de vice-ministre, d’une direction de groupe parlementaire et d’une arrivée au cœur de l’exécutif, le place dans une position singulière. Il est à la fois l’homme des comptes et l’homme du vote, le technicien et le politique.

Dans un Ghana qui cherche à refermer la parenthèse des turbulences économiques, la biographie de Forson apparaît ainsi comme un miroir : celui d’un pays où la maîtrise de la finance publique est devenue un enjeu de souveraineté, et où la crédibilité d’un dirigeant se mesure autant à son expertise qu’à sa capacité à convaincre une population éprouvée que les sacrifices ont un sens.

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