Longtemps, son nom a surtout circulé dans les cercles militaires, sur les tableaux d’effectifs et dans les comptes rendus d’opérations. Puis, en décembre 2024, Célestin Simporé a basculé dans un univers autrement plus exposé : celui du gouvernement. Dans un Burkina Faso en transition, confronté à une crise sécuritaire majeure et à une recomposition profonde de l’État, la figure du général devenu ministre incarne une tendance lourde : la porosité grandissante entre commandement militaire et décision politique. Mais réduire Célestin Simporé à un simple uniforme reconverti serait passer à côté d’un itinéraire qui mêle formation académique, spécialisation technique, expériences de terrain et montée progressive dans la hiérarchie. Son arrivée à la tête du ministère en charge de la Défense l’a placé au centre d’une équation nationale où se croisent souveraineté, sécurité, administration et communication. Reste une question : que révèle son parcours sur la manière dont se fabrique aujourd’hui le pouvoir au Burkina Faso ?
Un Burkinabè né à Ouagadougou, formé entre écoles militaires et universités
Célestin Simporé naît le 17 août 1967 à Ouagadougou. Son profil se distingue d’emblée par une double logique : l’ancrage national, d’un côté, et une formation largement construite à l’étranger, de l’autre. Il suit une trajectoire classique des officiers appelés à de hautes responsabilités, avec une étape structurante à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, en France, au début des années 1990. Il y obtient le diplôme de Saint-Cyr, complété par des qualifications de type parachutiste et des entraînements commando, qui pèsent souvent dans la crédibilité d’un futur cadre appelé à commander sur le terrain.
L’autre singularité de son dossier est la place accordée aux études et à la technicité. Officier de l’arme du génie, il s’inscrit dans une spécialité où l’expertise compte autant que l’autorité : construction d’infrastructures, ouverture d’axes, appui aux unités, protection des emprises, capacité à durer. Après des postes de formateur et d’encadrement au Burkina Faso, il effectue des études d’ingénieur en génie civil à l’Université de l’Armée allemande à Munich, de 1999 à 2004. Cet investissement académique n’est pas anecdotique : dans les forces armées, la maîtrise des dimensions logistiques et d’infrastructure pèse directement sur la capacité opérationnelle, particulièrement dans des conflits où la mobilité, la sécurisation des axes et la tenue du terrain font partie des nœuds stratégiques.
À ce socle technique s’ajoute une couche politico-stratégique. Célestin Simporé est diplômé d’État-major (cours à Tunis) et passe par l’École de guerre à Paris (2013-2014). Il obtient aussi un Master II en sciences politiques et sociales, spécialité défense et dynamiques industrielles, à l’Université Paris II Panthéon-Assas. Pour un officier, cette combinaison n’a rien d’ornemental : elle prépare à des responsabilités où l’on ne commande plus seulement des unités, mais où l’on arbitre des ressources, organise des doctrines et dialogue avec d’autres administrations, parfois avec le monde politique.
Enfin, sa biographie officielle mentionne une vie de famille (marié, père de quatre enfants) et un profil linguistique typique d’un cadre burkinabè ayant circulé : mooré, français, notions d’anglais et d’allemand. Ce type d’éléments, souvent relégués à l’arrière-plan, compte pourtant dans la représentation publique : l’homme d’État ne se résume pas à une fonction, il est aussi une figure que le pays projette, approuve ou conteste.
Une carrière dans le génie militaire, entre formation, commandement et missions
La progression de Célestin Simporé s’inscrit d’abord dans un long continuum militaire. Dès le milieu des années 1990, il occupe des postes de cadre formateur au Groupement d’instruction des forces armées à Bobo-Dioulasso, puis instructeur à l’Académie militaire Georges-Namoano à Pô. Dans un système où la transmission et la discipline structurent la chaîne de commandement, former des promotions, encadrer et sélectionner est déjà un signe de confiance institutionnelle.
Il enchaîne ensuite des responsabilités opérationnelles et administratives : chef de section, commandant d’unités, chef de services au bataillon du génie militaire et à la direction centrale du génie à Ouagadougou. Après sa période d’études d’ingénieur en Allemagne, il revient occuper des fonctions de chef de service et commandant d’unité des travaux du bâtiment au sein de la direction centrale du génie. Là encore, la dimension est double : d’un côté, des tâches concrètes de réalisation et de maintenance ; de l’autre, une capacité à planifier, gérer des budgets, organiser des équipes et dialoguer avec des interlocuteurs civils.
Son parcours comprend aussi une mission d’observation en République démocratique du Congo (2006-2007), assortie d’une médaille commémorative mentionnée dans son dossier. Ce passage illustre une facette classique des carrières d’officiers supérieurs : l’exposition à des cadres multinationaux et à d’autres théâtres, qui nourrit ensuite la manière d’appréhender les crises internes.
La décennie suivante consolide sa position dans l’appareil : il dirige le service d’études et de planification du génie militaire (2007-2013), puis devient directeur central adjoint du génie (2014-2015) avant de prendre la direction centrale (à partir du 12 juin 2015). Dit autrement, il s’installe durablement au cœur d’une fonction-clé : celle qui transforme l’ambition stratégique en réalité matérielle. Dans un pays dont le défi sécuritaire se conjugue à des problèmes d’accès, de routes, de bases, d’axes à tenir ou à rouvrir, le génie n’est pas un simple soutien : il devient un multiplicateur de force.
Cette logique de consolidation interne, faite de postes de commandement et de planification, prépare souvent les derniers étages de la hiérarchie. Lorsque la situation sécuritaire se dégrade fortement et que l’institution militaire prend une place plus visible dans l’équilibre du pouvoir, les profils capables d’articuler opérationnel, logistique et stratégie prennent mécaniquement de la valeur. Célestin Simporé appartient à cette catégorie.
De chef d’état-major à ministre : un passage du militaire au politique en pleine transition
Le tournant majeur intervient au printemps 2023 : Célestin Simporé est nommé chef d’état-major général des armées, après avoir été chef d’état-major adjoint. À ce moment, le Burkina Faso vit une période où les questions de commandement et de résultats opérationnels deviennent hautement politiques, au sens strict : l’opinion publique, la trajectoire des autorités de transition, la cohésion des forces et la relation entre État et populations se retrouvent liées à la capacité à reprendre l’initiative sur le terrain.
La chronologie officielle de son CV situe aussi, en amont, une fonction de chef d’état-major général des armées adjoint du 1er février 2022 au 31 mars 2023, et précise qu’il assume le commandement des opérations du théâtre national à partir du 7 décembre 2022, tout en devenant chef d’état-major général des armées à partir du 31 mars 2023. Ces mentions, techniques en apparence, disent en réalité l’essentiel : il n’est pas seulement un administrateur en uniforme ; il est placé dans la boucle de conduite des opérations au moment où l’État burkinabè cherche à reprendre pied dans plusieurs zones contestées.
Deuxième bascule : décembre 2024. Célestin Simporé est appelé au gouvernement comme ministre d’État, ministre de la Défense et des Anciens combattants, dans l’équipe formée sous l’autorité du Premier ministre Jean Emmanuel Ouédraogo. Il succède à Kassoum Coulibaly à ce poste, et il est installé dans ses fonctions le 9 décembre 2024 à Ouagadougou. En entrant au gouvernement, il change de rôle : il ne s’agit plus seulement de commander une institution, mais de la représenter, de la piloter administrativement, de la défendre dans l’espace public, et de s’inscrire dans la cohérence globale de l’action gouvernementale.
Ce passage du militaire au politique ne constitue pas un simple changement d’organigramme. Il impose une nouvelle grammaire. Un chef d’état-major peut se retrancher derrière la discrétion opérationnelle ; un ministre, lui, doit arbitrer, expliquer, recevoir, et répondre, parfois à des attentes contradictoires. Il devient la figure de contact entre les forces, la société et le sommet de l’État. Dans une période de transition, où la légitimité institutionnelle est en débat permanent et où la sécurité est devenue le prisme majeur de la vie publique, la fonction de ministre de la Défense pèse bien au-delà d’un portefeuille classique.
Ce type de nomination a aussi une portée symbolique : elle signale une continuité entre la conduite des opérations et leur pilotage politique. Autrement dit, la transition burkinabè ne sépare pas strictement l’état-major et le gouvernement ; elle organise un continuum, dans lequel des profils issus du commandement peuvent être appelés à endosser la responsabilité ministérielle, avec l’idée implicite de gagner en cohérence et en efficacité.
Une parole attendue sur la guerre, les reconquêtes et la mobilisation nationale
Depuis son arrivée au ministère, Célestin Simporé intervient dans un espace public où la communication sur la guerre est devenue une dimension de la stratégie. Les cérémonies militaires, les commémorations, les visites aux unités, les appels à la mobilisation et les discours sur les résultats sont autant de moments où se fabrique une narration officielle : celle d’un État en lutte, d’une armée en montée en puissance, et d’une société appelée à la résilience.
En 2025, il préside des cérémonies et prend la parole sur la lutte contre le terrorisme, dans un registre de mobilisation et de persévérance. Certains discours mettent en avant une dynamique de reconquête ou un taux de contrôle du territoire présenté comme en progression, tout en rappelant que la situation demeure exigeante et que la guerre n’est pas terminée. Ces messages, répétés par de nombreux responsables dans les États confrontés à des insurrections, remplissent plusieurs fonctions : rassurer sans triompher, maintenir l’adhésion des forces, encourager les populations, et montrer que l’État conserve une capacité d’initiative.
Mais la parole d’un ministre de la Défense dans un contexte comme celui du Burkina Faso n’est jamais neutre. Elle est attendue, disséquée, comparée au vécu des communautés touchées, aux chiffres de déplacements, à l’intensité des attaques et à la perception de la sécurité au quotidien. Elle doit aussi composer avec un impératif de confidentialité : trop parler peut exposer des dispositifs ; trop peu parler nourrit les soupçons et le sentiment d’abandon. Le ministre se retrouve donc au cœur d’un équilibre délicat, où chaque formule engage.
Son profil d’ancien chef d’état-major le place dans une position particulière : il peut apparaître, pour une partie de l’opinion, comme un acteur qui connaît réellement les contraintes du terrain, donc comme quelqu’un dont la parole a plus de poids qu’un responsable uniquement politique. À l’inverse, ce même profil peut susciter d’autres interrogations : le discours ministériel est-il encore celui d’un commandant, ou déjà celui d’un gestionnaire ? La logique prioritaire est-elle la réussite opérationnelle, la consolidation institutionnelle, ou la mise en scène d’une trajectoire politique ?
La question des Anciens combattants, intégrée à son portefeuille, ajoute une autre dimension. Dans des périodes de guerre prolongée, la gestion du retour, des blessures, de la reconnaissance, des pensions et de la mémoire devient un enjeu social majeur. Sans même entrer dans les détails budgétaires, ce champ oblige un ministre à se confronter à la durée : la guerre ne s’arrête pas à la dernière opération, elle laisse des traces dans les familles, les unités et les communautés. Là encore, un ancien officier peut être perçu comme mieux armé pour comprendre ces réalités, mais il est aussi attendu au tournant sur les décisions administratives et les mécanismes de réparation.
Enfin, dans un pays où la mobilisation de forces auxiliaires et la participation citoyenne à l’effort de sécurité ont pris une place significative, le discours ministériel touche directement à la cohésion nationale. Chaque appel à l’unité et chaque mise en avant de la discipline vise autant l’efficacité militaire que la solidité de l’État.
Un homme d’État sous contrainte : entre efficacité, symboles et attentes d’avenir
Qualifier Célestin Simporé d’« homme politique » demande de préciser ce que l’on entend par là. Il ne s’est pas imposé par une trajectoire partisane, ni par une carrière électorale. Il entre dans l’espace politique par la voie institutionnelle, dans le cadre d’un gouvernement de transition, à un poste où l’autorité de l’État se mesure à la fois sur le terrain et dans les perceptions. Il est donc politique au sens le plus concret : il prend des décisions publiques qui engagent la vie du pays, et il incarne une part de la direction nationale.
Dans cette configuration, plusieurs défis structurent sa position.
Le premier est celui des résultats. La Défense est un ministère où les attentes se traduisent en faits : sécurisation de zones, protection des axes, capacité de projection, amélioration de l’équipement, moral des troupes, coordination des commandements. Or, la guerre impose sa propre logique : elle avance par gains et revers, et elle rend difficiles les annonces définitives. Un ministre est donc pris entre l’urgence de montrer des progrès et la prudence nécessaire face à une menace évolutive.
Le deuxième défi est celui de la gouvernance. En devenant ministre, Célestin Simporé doit composer avec des procédures, des administrations, des arbitrages interministériels, des contraintes de finances publiques et des exigences de contrôle. L’efficacité militaire n’est pas automatiquement l’efficacité administrative. Passer d’une chaîne de commandement à une chaîne de décision gouvernementale signifie changer de tempo, de méthodes, et parfois de langage.
Le troisième défi est celui de la confiance. Dans un contexte de conflit, la confiance se fragilise vite : entre populations et forces de sécurité, entre zones rurales et centres urbains, entre victimes et institutions. La figure du ministre de la Défense concentre alors, parfois injustement, des attentes immenses. Il doit convaincre que l’État protège, qu’il écoute, et qu’il s’améliore. Cette dimension est d’autant plus délicate que les crises sécuritaires s’accompagnent souvent de crises humanitaires et sociales, qui dépassent largement le champ strict de la Défense.
Le quatrième défi est symbolique. Le Burkina Faso se transforme, et avec lui les représentations du pouvoir. La présence de profils militaires au gouvernement, la centralité des questions de souveraineté et l’insistance sur la discipline et la mobilisation dessinent une culture politique particulière. Célestin Simporé, par son parcours, devient un symbole de cette culture : celle d’un État qui se veut en lutte, recentré, et orienté vers une logique d’effort national.
Enfin, il y a la question de l’avenir. Certains ministres de la Défense passent, d’autres s’installent durablement ; certains restent des techniciens de l’État, d’autres deviennent des acteurs politiques à part entière, capables d’influer sur l’orientation générale du pays. Dans le cas de Célestin Simporé, la solidité de son parcours, son passage par le sommet du commandement et son portefeuille stratégique le placent dans une zone d’attention permanente. Mais cette attention s’accompagne d’une contrainte : dans le Burkina Faso actuel, le politique se juge à la capacité à faire reculer l’insécurité, à préserver la cohésion, et à tenir une parole crédible.
C’est peut-être là que se situe le cœur de son identité publique : à l’intersection d’une carrière militaire construite sur la durée et d’une responsabilité gouvernementale exercée dans l’urgence. Le général devenu ministre incarne une période où l’État burkinabè cherche à se redéfinir dans la guerre. Et c’est cette tension, entre continuité institutionnelle et pression du présent, qui fait de Célestin Simporé non seulement un responsable, mais une figure politique au sens le plus strict : un homme dont les décisions pèsent sur le destin collectif, et dont l’action est scrutée parce qu’elle touche à ce que le pays a de plus vital.



