Qui est Eurico Monteiro, l’homme politique ?

Il y a des responsables politiques dont le parcours épouse, presque au millimètre, l’histoire institutionnelle d’un pays. Eurico Correia Monteiro appartient à cette catégorie. Juriste de formation, artisan de textes, homme de cabinets autant que de tribunes, il traverse plus de trois décennies de vie publique cap-verdienne avec une constance rare : celle d’un technicien de l’État devenu, par étapes, figure politique reconnue.

Longtemps associé aux grandes réformes du début des années 1990, il a occupé des postes ministériels clés au moment où le Cap-Vert consolidait ses institutions pluralistes, avant d’entamer une carrière parlementaire de longue haleine. Puis, après une parenthèse diplomatique à Lisbonne, il est revenu au premier plan en 2025, au cœur d’un remaniement gouvernemental qui l’a placé à la tête de deux portefeuilles, mêlant modernisation administrative et promotion de l’investissement.

Mais qui est exactement Eurico Monteiro ? D’où vient-il, quelles sont les étapes décisives de sa trajectoire, et que dit son itinéraire du pouvoir cap-verdien, de ses priorités et de ses tensions à l’approche des échéances électorales de 2026 ?

Un juriste formé au Portugal, né à São Tomé, revendiqué comme cap-verdien

Eurico Correia Monteiro naît le 22 janvier 1955 à São Tomé, dans une famille cap-verdienne. Avocat et consultant juridique, il se présente d’abord comme un homme de droit : son identité publique se construit autour des textes, des réformes et des mécanismes administratifs plus que d’un charisme de meeting.

Sa formation est étroitement liée au Portugal. Il obtient une licence en droit en 1984 à la Faculté de droit de l’Université de Lisbonne. Il complète ensuite son profil par des formations de spécialisation, notamment en technique législative (feitura de leis) et en administration publique, signalant une orientation claire : faire carrière dans l’architecture de l’État, là où la norme devient politique.

Ce tropisme pour la fabrique du droit se retrouve dans la liste, particulièrement fournie, des travaux auxquels il est associé au fil des années : projets de diplômes législatifs, statuts disciplinaires de la fonction publique, textes relatifs aux retraites et à la survivance, dispositifs sur le domaine public maritime, participation à des commissions techniques liées aux codes de procédure, ou encore contributions à des révisions du code électoral et à des régimes juridiques encadrant la mobilité et les congés dans l’administration publique. La logique est celle d’un juriste législateur, au service d’une administration qu’il entend rendre cohérente et gouvernable.

À ce profil s’ajoute une dimension académique et internationale : il est mentionné comme professeur invité dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur au Cap-Vert, et comme consultant pour des programmes de réforme, notamment en lien avec la réforme de l’administration publique et de la législation maritime, ainsi que des travaux sur la législation municipale. Il revendique enfin la maîtrise du portugais, du français et de l’anglais, ce qui correspond à une trajectoire où la diplomatie et la négociation tiennent une place non négligeable.

Les années charnières : ministre de la Justice et acteur de la consolidation institutionnelle

La carrière politique d’Eurico Monteiro prend une dimension nationale au début des années 1990, période décisive pour le Cap-Vert. Il occupe d’abord le poste de ministre de la Justice, de l’Administration publique et du Travail de 1991 à 1993. Il devient ensuite ministre d’État, de la Justice et du Travail de 1993 à 1995. Ces intitulés, au-delà des mots, situent clairement l’enjeu : justice, administration, travail, trois champs où l’État affirme sa capacité à organiser le droit, l’appareil public et les relations sociales.

Dans la même période, il préside la Commission des investissements externes (1991-1994), un poste qui le place à l’interface entre la souveraineté économique, la régulation et l’attractivité du pays. Cela dit quelque chose de sa position : un ministre juriste, mais aussi un responsable mobilisé sur l’ouverture et la structuration des conditions d’investissement, au moment où le Cap-Vert cherche à affermir sa place et sa crédibilité.

Cette séquence, souvent considérée comme fondatrice, s’accompagne d’un rôle plus discret mais politiquement très lourd : Eurico Monteiro est présenté comme superviseur du projet de Constitution de la République du Cap-Vert de 1992. Cette mention revient de façon récurrente dans les biographies officielles le concernant et renvoie à une fonction d’architecte institutionnel, au-delà des portefeuilles ministériels.

Dans des entretiens publiés en 2025, il revient sur cette période de transition et sur l’objectif de produire une constitution « dense », conçue pour limiter les manœuvres institutionnelles et clarifier les droits et les devoirs. Il évoque aussi le souci d’équilibre des pouvoirs, nourri par l’expérience des risques de concentration du pouvoir, et rappelle les débats de l’époque, menés avec des responsables politiques et juristes impliqués dans la structuration du nouvel ordre constitutionnel.

Au Cap-Vert, comme ailleurs, la constitution n’est pas seulement un texte : c’est un pacte, une frontière, une promesse de stabilité. Être associé à sa supervision place durablement un homme dans la mémoire d’État. Pour Eurico Monteiro, cette empreinte pèse encore aujourd’hui dans la perception publique : celle d’un responsable moins porté sur l’effet d’annonce que sur la solidité des cadres.

Vingt et un ans au Parlement, puis Lisbonne : la longue parenthèse diplomatique

Après sa période ministérielle, Eurico Monteiro devient député à l’Assemblée nationale. Son mandat parlementaire s’étend de 1995 à 2016, soit plus de vingt ans, ce qui témoigne d’une implantation durable et d’une capacité à traverser les cycles politiques.

Un tel parcours parlementaire, au long cours, renforce un profil : celui d’un responsable rompu aux mécanismes institutionnels, habitué aux arbitrages, aux commissions, aux textes, à la négociation des majorités et à l’endurance politique. Il n’est pas rare, dans les systèmes où l’expertise juridique est valorisée, que ces trajectoires produisent des figures de référence, sollicitées lorsque l’État cherche à « réparer » ou « réorganiser ».

En janvier 2017, il est nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Cap-Vert au Portugal, poste qu’il occupe jusqu’à janvier 2025, avant que sa mission ne prenne fin officiellement début février 2025. Le choix de Lisbonne n’est pas anodin : le Portugal est un partenaire historique, linguistique et institutionnel majeur, et un pays où la diaspora cap-verdienne est très présente.

La fin de mission est documentée comme un passage de relais, au moment même où Eurico Monteiro est appelé à revenir au gouvernement. Dans l’espace public, cette période diplomatique est souvent décrite comme celle d’une diplomatie attentive à la communauté cap-verdienne au Portugal, à la fois sur le plan consulaire et symbolique, même si la réalité de l’action diplomatique se lit toujours à plusieurs niveaux : proximité communautaire, relations bilatérales, dossiers économiques, et image du pays.

Cette parenthèse de huit ans, loin d’être un retrait, fonctionne comme un détour stratégique : elle maintient un responsable au cœur des réseaux, des dossiers internationaux et des réalités de la diaspora. Elle lui donne aussi une connaissance de terrain d’un sujet qui compte dans l’économie cap-verdienne : les circulations humaines, les transferts, les compétences, et les investissements en provenance des communautés établies à l’étranger.

Le retour au gouvernement en 2025 : deux portefeuilles, une priorité affichée sur l’efficacité

Le 3 février 2025, dans le cadre d’un remaniement annoncé par le Premier ministre Ulisses Correia e Silva, Eurico Monteiro est nommé ministre. Il quitte alors ses fonctions d’ambassadeur à Lisbonne. Le mouvement est politique, mais il est aussi institutionnel : il accompagne une réorganisation de l’exécutif et la création d’un nouveau ministère dédié à la promotion des investissements et au fomento empresarial (soutien au tissu entrepreneurial), qu’il cumule avec le portefeuille de la Modernisation de l’État et de l’Administration publique.

Cette double casquette dit beaucoup de l’intention : relier la réforme administrative à la dynamique économique. D’un côté, moderniser l’État, améliorer la capacité de réponse, traiter les frictions internes, les règles, les carrières, les processus. De l’autre, rendre l’investissement plus fluide, accompagner les entreprises, attirer des capitaux nationaux, étrangers et issus de la diaspora, et piloter l’écosystème des institutions publiques liées à l’emploi, à la formation et au financement.

Dans la présentation faite autour de ce remaniement, les attributions du ministère nouvellement créé sont décrites de façon détaillée : promotion et attraction de l’investissement privé, suivi des processus d’investissement du moment de la décision jusqu’au post-investissement, soutien à l’entrepreneuriat, appui aux micro, petites et moyennes entreprises, qualification professionnelle, et supervision d’organismes et instruments publics dédiés à ces objectifs.

Le choix d’un juriste chevronné pour porter cette logique n’est pas contradictoire. Dans des économies où l’investissement se heurte souvent à des obstacles procéduraux, aux lenteurs administratives ou à l’incertitude réglementaire, la promesse implicite est claire : stabiliser, clarifier, accélérer. Autrement dit, faire de la règle un levier plutôt qu’un frein. Dans des interviews et interventions de 2025, Eurico Monteiro insiste sur l’idée que son agenda doit s’aligner sur les problèmes concrets des investisseurs et sur les défis de ses deux domaines de compétence.

Ce retour au gouvernement se fait aussi dans un contexte politique commenté : le remaniement a suscité des lectures divergentes dans l’espace partisan, entre défense d’une correction nécessaire et critiques sur le caractère tardif des ajustements. Les débats autour de la recomposition gouvernementale et des équilibres internes montrent que le retour d’Eurico Monteiro n’est pas seulement la nomination d’un technicien ; c’est aussi un signal adressé à l’opinion, à l’administration et aux acteurs économiques.

Un cadre du MpD face à 2026 : discours d’unité, critique interne et recherche de consensus

Eurico Monteiro est présenté comme militant du Movimento para a Democracia (MpD), le parti qui soutient le gouvernement. En septembre 2025, il s’exprime précisément sur la vie interne du MpD, appelant à une critique « constructive » et à la participation active des militants, dans la perspective des élections législatives de 2026. Le message, en apparence classique, est révélateur d’un climat : celui d’un parti au pouvoir qui doit entretenir son unité, reconnaître ses angles morts sans s’affaiblir, et convaincre à nouveau.

Dans ces déclarations, il reconnaît explicitement que « tout n’a pas bien marché », tout en affirmant qu’il existe une conscience claire des failles et une volonté de corriger ce qui ne fonctionne pas. Il met en avant l’importance du dialogue entre forces politiques et de débats sérieux, considérant le consensus comme un outil de développement. À l’approche de 2026, ce positionnement n’est pas anecdotique : il place l’ancien ministre de la Justice, devenu ministre de la modernisation, dans le rôle du responsable qui veut consolider plutôt que fracturer.

Ce discours s’accorde avec l’image qu’il cultive depuis longtemps : celle d’un homme de cadre. Pas un tribun cherchant l’affrontement permanent, mais un responsable qui parle de mécanismes, de correction d’erreurs, d’amélioration des performances, et de nécessité d’accords lorsque l’intérêt du pays l’exige. Dans les systèmes politiques insulaires, où les relations sociales sont denses et où la diaspora compte, la stabilité institutionnelle et la capacité à préserver des ponts entre camps politiques peuvent devenir un capital politique en soi.

La dimension internationale de son portefeuille, centrée sur l’investissement et la relation avec les acteurs économiques, renforce ce profil. Promouvoir le pays suppose de convaincre des investisseurs, mais aussi de rassurer : sur la lisibilité des règles, sur la prévisibilité administrative, sur la capacité de l’État à tenir parole. Cette grammaire de la crédibilité est précisément celle que maîtrisent les juristes de gouvernement, habitués à construire des dispositifs plus qu’à multiplier les promesses.

En 2025, Eurico Monteiro apparaît donc à la fois comme un héritier de la transition constitutionnelle et comme un acteur du présent : un ministre chargé d’accélérer l’État tout en renforçant le lien entre administration et économie, un cadre du MpD qui appelle à l’unité sans nier les difficultés, et un ancien ambassadeur revenu au centre du jeu au moment où le pays se prépare à un nouveau rendez-vous électoral.

Au fond, répondre à la question « qui est Eurico Monteiro ? », c’est observer la continuité d’un fil : le droit comme boussole, l’État comme terrain, et l’idée, souvent répétée à propos des périodes charnières, qu’une démocratie ne se maintient pas seulement par des élections, mais aussi par des institutions solides, des règles claires et une administration capable de servir.

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