Longtemps, dans l’archipel des Comores, la parole politique est restée un territoire majoritairement masculin, structuré par des réseaux, des traditions et une vie institutionnelle où les figures féminines, bien que présentes, peinaient à occuper les premiers rôles. L’accession de Fatima Ahamada à des responsabilités gouvernementales de premier plan s’inscrit dans ce mouvement de rééquilibrage, à la fois attendu et encore fragile. Son itinéraire retient l’attention parce qu’il croise plusieurs mondes qui, aux Comores, s’influencent fortement : les médias, l’administration, les mécanismes électoraux et l’action sociale.
Nommée ministre de la Promotion du genre, de la Solidarité et de l’Information, avec la fonction de porte-parole du gouvernement, elle incarne une génération de responsables publiques ayant d’abord appris à produire et à encadrer l’information, avant d’en devenir l’un des visages institutionnels. Dans une société où l’accès aux postes de décision demeure un enjeu sensible, elle apparaît aussi comme un symbole, notamment par l’importance donnée, dans son portefeuille, à l’égalité et à la protection sociale. À ce titre, sa visibilité n’est pas seulement celle d’une ministre : elle devient un repère, pour ses partisans comme pour ses contradicteurs, dans le débat sur la place des femmes dans la gouvernance comorienne.
Des débuts dans l’audiovisuel public à une figure reconnue de l’information
Le parcours de Fatima Ahamada s’ancre d’abord dans le monde des médias. Native d’Itsinkoudi, dans la région de Wachili, elle est titulaire d’une licence en Lettres modernes françaises obtenue en 2007 à l’Université des Comores, un élément qui éclaire, par sa cohérence, la suite de son cheminement professionnel.
Elle intègre l’Office de radiodiffusion et télévision des Comores (ORTC) en 2006. Ce détail est important : il souligne qu’elle entre dans la maison avant même l’obtention formelle de son diplôme, dans un contexte où l’apprentissage “sur le terrain” et les opportunités au sein des institutions publiques jouent souvent un rôle déterminant. Elle y commence comme technicienne de montage à la télévision, avant d’évoluer vers des fonctions éditoriales plus exposées : journaliste, présentatrice du journal télévisé, puis cheffe d’édition.
Ces étapes disent quelque chose de la formation d’un profil : elles impliquent une maîtrise de la production de contenu, la gestion de la pression du direct, la hiérarchisation de l’actualité et la capacité à rendre intelligibles des décisions parfois complexes. En d’autres termes, la chaîne de compétences acquises à l’ORTC dépasse la simple “présence à l’antenne”. Elle conduit à une familiarité avec les institutions, les discours officiels, les crises, mais aussi les attentes d’une population attentive aux messages de l’exécutif.
Dans de nombreux pays, la passerelle entre journalisme et politique fait débat, car elle soulève la question de la neutralité et de la frontière entre information et communication. Aux Comores, où les médias publics occupent une place structurante et où l’espace médiatique est marqué par de fortes tensions politiques, cette transition est observée avec d’autant plus d’acuité. Le fait que Fatima Ahamada ait revendiqué, au moment de ses nouvelles fonctions, sa qualité de “journaliste de métier” éclaire la manière dont elle présente sa légitimité : elle ne la pose pas uniquement sur un ancrage partisan, mais sur une compétence professionnelle et une expérience institutionnelle.
Un autre élément, souvent mentionné dans son portrait, est sa situation familiale : elle est mère de deux filles. Dans une société où la conciliation entre la vie familiale et la vie publique demeure un marqueur culturel fort, cette information n’est pas anodine dans la perception sociale d’une responsable politique.
Du travail institutionnel à la politique : une montée progressive par les rouages de l’État
Réduire la trajectoire de Fatima Ahamada à un passage “des médias à la politique” serait cependant simplificateur. Avant d’être ministre et porte-parole, elle occupe plusieurs fonctions administratives et organisationnelles qui la placent au cœur de dispositifs sensibles : les processus électoraux, la concertation nationale et l’action sociale territoriale.
Elle est indiquée comme commissaire chargée du matériel et de la logistique à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sur la période 2023-2024. Cette responsabilité est particulièrement stratégique : dans un pays où les élections concentrent souvent des tensions, la logistique, la disponibilité du matériel, la planification et la sécurisation des opérations constituent un pilier de la crédibilité du scrutin. Même si la CENI est un organe collégial, le fait d’être associée à une telle fonction positionne une personne au cœur des attentes de transparence et d’efficacité.
En 2017, elle est aussi présentée comme secrétaire générale du Comité de pilotage des Assises Nationales. Ce type de dispositif, dans l’histoire politique comorienne, renvoie à des tentatives de consultation, de diagnostic et de réforme, dans un pays où l’architecture institutionnelle a connu plusieurs évolutions et où l’équilibre entre les îles, l’Union et les autonomies demeure un sujet structurant. Être à un poste de coordination dans un tel comité implique des compétences d’organisation, de synthèse, de dialogue, mais aussi une capacité à naviguer entre sensibilités politiques et demandes sociales.
Avant cela, elle est mentionnée comme conseillère en charge des affaires sociales au gouvernorat de Ndzuani, ce qui l’inscrit dans une proximité concrète avec les questions de solidarité, de vulnérabilité, de services sociaux et de médiation locale. Dans l’archipel, où les disparités territoriales, l’accès aux soins, l’emploi et la protection des familles peuvent varier fortement selon les contextes, les fonctions sociales au niveau d’une île sont souvent confrontées à une réalité très immédiate : prise en charge des situations d’urgence, accompagnement des populations fragiles, articulation entre associations et services publics.
Enfin, elle est citée comme présidente d’Efoicom (Entreprendre au féminin Océan Indien Comores). Cet élément signale une dimension militante et économique de son engagement : la promotion de l’entrepreneuriat féminin, dans un environnement où l’accès des femmes au financement, à la formation et aux réseaux demeure un enjeu majeur.
L’ensemble de ces expériences dessine un profil hybride : à la fois technicienne de l’information, actrice des processus institutionnels et intervenante sur les sujets sociaux. C’est précisément ce type de trajectoire qui, dans de nombreux gouvernements, rend crédible une prise en charge d’un portefeuille qui mêle genre, solidarité et information : trois domaines distincts, mais intimement liés quand l’État veut convaincre, protéger et réformer.
Ministre et porte-parole : une fonction politique exposée, un symbole institutionnel
Le 14 avril 2025, un décret présidentiel annonce la composition d’un nouveau gouvernement à Moroni, sous l’autorité du président Azali Assoumani. Fatima Ahamada y est nommée ministre de la Promotion du genre, de la Solidarité et de l’Information, et elle se voit confier, en plus, la charge de porte-parole du gouvernement. Cette double casquette pèse lourd : elle implique de porter une politique sectorielle (genre et solidarité), tout en représentant la parole collective de l’exécutif.
Son entrée dans la fonction de porte-parole est rapidement mise en scène par la mécanique institutionnelle. Début juillet 2024, lors d’un premier conseil des ministres d’un nouveau gouvernement à Beit-Salam, elle apparaît devant la presse et exprime sa gratitude pour la confiance accordée, en rappelant qu’elle est “journaliste de métier” et en soulignant la dimension symbolique d’une femme ministre en charge du genre et de l’information. Dans la même séquence, l’idée qu’elle serait la première porte-parole femme est également mise en avant, renforçant la portée de sa nomination dans l’imaginaire politique comorien.
Pourquoi cette fonction est-elle si stratégique ? Parce que la porte-parole du gouvernement n’est pas seulement une “voix”. Elle devient un point de passage obligé : c’est elle qui traduit, en mots compréhensibles, des décisions administratives parfois techniques ; qui fixe le ton du gouvernement face aux crises ; et qui s’adresse, semaine après semaine, à une opinion publique attentive, critique, parfois méfiante. Ce rôle suppose une discipline de langage, une capacité à résister aux polémiques, mais aussi une maîtrise du tempo politique : parler trop vite expose à l’erreur, parler trop tard nourrit les soupçons.
Aux Comores, la communication gouvernementale se heurte à plusieurs contraintes : la rapidité de circulation des rumeurs, l’importance des réseaux sociaux, la diversité linguistique et la sensibilité des sujets (insécurité, emploi, coût de la vie, relations internationales). Dans ce contexte, le fait que la porte-parole ait été formée au journalisme dans un média public national peut être vu comme un atout : connaissance des formats, du rapport aux journalistes, des attentes du public, et de la nécessité de clarifier sans surcharger.
Mais cette exposition est aussi un risque. Une porte-parole est jugée sur sa capacité à maîtriser le récit gouvernemental, or elle n’est pas seule à le produire : les actes posés par l’exécutif, les contradictions internes, les attentes sociales et les tensions politiques pèsent sur son discours. Ainsi, être porte-parole, c’est aussi endosser, parfois, des décisions impopulaires, et accepter que l’image personnelle se confonde avec celle d’un gouvernement.
Dans le cas de Fatima Ahamada, la combinaison du ministère du Genre, de la Solidarité et de l’Information place son image au carrefour de deux enjeux particulièrement sensibles : la transformation sociale (droits des femmes, protection de l’enfance, lutte contre les violences) et la construction du récit national par l’information institutionnelle.
Le combat pour l’égalité et la protection : discours, priorités et dossiers sensibles
Au-delà du symbole, ce ministère oblige à traiter des dossiers concrets. Plusieurs prises de parole publiques attribuées à Fatima Ahamada illustrent la ligne qu’elle porte : insister sur la protection des enfants, la lutte contre les violences et la nécessité d’une mobilisation élargie, au-delà de l’État seul.
Lors d’un discours rapporté à l’occasion d’une journée consacrée aux droits de l’enfant, elle souligne à la fois les progrès et les défis persistants, appelant à une collaboration accrue entre société civile, autorités locales et leaders religieux pour protéger les enfants et combattre les violences. Le recours explicite aux leaders religieux, dans une société où l’autorité morale et sociale de ces figures reste importante, indique une approche pragmatique : sur des sujets comme les violences, le mariage précoce ou la protection de l’enfance, la norme sociale ne se modifie pas uniquement par décret.
Le thème du mariage précoce apparaît aussi dans les débats. Une publication rapporte qu’elle évoque ce phénomène comme une “réalité comorienne”, en citant une enquête selon laquelle 25% des filles seraient mariées avant l’âge de 18 ans. Dans un contexte international où la lutte contre les mariages précoces est devenue un indicateur de droits humains et de développement, une telle donnée, lorsqu’elle est reprise par une ministre, agit comme un signal : elle reconnaît publiquement une difficulté, et ouvre la voie à des politiques de prévention, de sensibilisation et de protection.
Sur le plan international, des activités officielles la montrent également en interaction avec des partenaires et institutions autour de la promotion de l’égalité. Une information relate une mission et des échanges où l’appui d’une organisation onusienne à l’action du ministère est mis en avant, en lien avec le leadership féminin, l’égalité et la sécurité des femmes. D’autres comptes rendus évoquent des rencontres bilatérales où la lutte contre les violences basées sur le genre et l’autonomisation des femmes figurent au centre des discussions, avec un accent sur le renforcement des lois, la sensibilisation et l’accès à l’éducation et aux opportunités économiques.
Ces éléments permettent de cerner une logique d’action en trois cercles.
Le premier cercle est social et domestique : protection de l’enfance, prévention des violences, lutte contre les pratiques qui fragilisent les droits des filles. Dans ce registre, l’État ne peut pas se contenter d’annoncer : il doit créer des dispositifs, soutenir des associations, former des acteurs locaux, et produire une parole publique constante, crédible, répétée.
Le deuxième cercle est institutionnel : faire fonctionner un ministère qui combine solidarité et information, c’est assurer une coordination entre plusieurs administrations, clarifier les compétences, mettre en place des organigrammes et des objectifs opérationnels, et rendre compte régulièrement au gouvernement comme au public. Certaines analyses insistent sur la pression exercée, dès les premiers mois, pour structurer le ministère et répondre rapidement aux attentes fixées.
Le troisième cercle est politique : la question du genre, partout, est un sujet de clivage. Elle engage des arbitrages sur le droit, l’éducation, la santé, la place des femmes dans l’économie, et l’évolution des normes. Chaque avancée peut susciter des résistances ; chaque hésitation peut décevoir les attentes. La réussite d’une ministre dans ce domaine dépend donc aussi de sa capacité à construire des alliances, à convaincre au-delà de son camp, et à inscrire les objectifs dans une vision nationale.
Gouverner et convaincre : les défis d’une porte-parole dans un pays en attente de résultats
La carrière de Fatima Ahamada met en lumière une réalité centrale de la politique comorienne contemporaine : la gouvernance ne se joue pas uniquement dans les textes et les décrets, mais dans la capacité à produire un récit public cohérent, à apaiser les tensions, et à démontrer des résultats concrets dans un temps souvent court.
Comme porte-parole, elle est amenée à rendre compte des conseils des ministres et à exposer les priorités de l’exécutif. Des comptes rendus indiquent qu’elle a, par exemple, livré à la presse le résumé d’un conseil des ministres tenu au palais présidentiel de Beit-Salam, évoquant notamment l’insistance du chef de l’État sur la cohésion et la solidarité au sein du gouvernement. D’autres compte rendus la citent sur des sujets de politique publique comme l’organisation d’assises nationales sur l’éducation, montrant que sa parole ne se limite pas à son ministère, mais couvre l’ensemble du champ gouvernemental.
Cette transversalité accroît son exposition : elle doit parler d’éducation, de santé, d’économie, parfois de crises ou de tensions, avec la contrainte d’être précise sans dévoiler ce qui relève encore de l’arbitrage interne. Elle doit également composer avec un environnement médiatique où le commentaire est instantané, où les extraits circulent rapidement et où la moindre formulation peut devenir une polémique.
Dans le même temps, son portefeuille impose des résultats mesurables sur des enjeux très concrets. La “solidarité” renvoie à la protection sociale, aux aides, à la réponse aux vulnérabilités ; l’“information” renvoie à l’organisation du secteur, à la relation entre État et médias, et à la confiance dans la parole publique ; le “genre” renvoie aux politiques de prévention, de droits et d’égalité. Or, ces trois domaines se heurtent souvent à des contraintes de moyens : budgets limités, capacités administratives inégales, pressions locales, attentes élevées.
Une autre dimension du défi est culturelle et politique. Dans une société marquée par des équilibres régionaux, des solidarités de proximité et des sensibilités religieuses et traditionnelles fortes, les politiques publiques sur le genre doivent souvent être portées avec tact, sans perdre leur ambition. Le fait qu’elle insiste sur la collaboration avec les autorités locales et les leaders religieux s’inscrit dans cette réalité : l’efficacité passe autant par l’adhésion sociale que par le texte officiel.
Enfin, la dimension symbolique de sa nomination crée une attente supplémentaire. Une “première” est souvent jugée plus durement : si elle réussit, elle ouvre la porte ; si elle échoue, ses adversaires peuvent en faire un argument contre l’élargissement de la place des femmes. Dans ce sens, Fatima Ahamada ne porte pas uniquement sa carrière : elle porte aussi, malgré elle, une part des espoirs et des scepticismes liés à la féminisation des responsabilités publiques.
Dans l’histoire politique comorienne récente, la question n’est donc pas seulement de savoir qui est Fatima Ahamada, mais ce que sa trajectoire rend possible. Son profil, construit dans l’audiovisuel public, consolidé dans des fonctions institutionnelles sensibles (CENI, Assises nationales), et prolongé par une responsabilité ministérielle et de communication gouvernementale, offre une lecture précise d’un État qui cherche à se moderniser tout en restant pris dans des contraintes sociales et politiques fortes.
À court terme, ses succès ou ses difficultés seront scrutés à travers deux prismes : la capacité du gouvernement à tenir une parole cohérente et crédible, et la capacité du ministère à obtenir des avancées tangibles sur la protection, l’égalité et la solidarité. À plus long terme, sa présence à ce niveau de pouvoir participera, qu’on le souhaite ou non, à redéfinir les contours de la représentation politique aux Comores : non pas par un discours abstrait, mais par l’accumulation ou non de résultats, et par la façon dont une femme, dans un poste aussi exposé, parvient à durer, à décider et à convaincre.



