Qui est Girma Amente ?

Il y a des responsables publics dont le nom circule surtout dans les cercles institutionnels, au rythme des nominations, des remaniements et des réunions multilatérales. Girma Amente appartient à cette catégorie. Longtemps associé à l’administration régionale et au monde académique, cet Éthiopien s’est imposé au fil des ans comme un profil de technocrate, appelé à piloter des portefeuilles stratégiques, avant d’être projeté sur une scène plus internationale.

Son parcours, tel qu’il apparaît à travers les communications officielles et les prises de parole publiques, dessine une trajectoire rare : une formation scientifique en foresterie et en sylviculture, des responsabilités dans l’enseignement supérieur, des fonctions régionales, puis des postes ministériels au niveau fédéral, jusqu’à son arrivée à Genève comme représentant permanent de l’Union africaine auprès de l’Office des Nations unies et d’autres organisations internationales, dont l’Organisation mondiale du commerce. Au moment où l’agriculture reste au cœur des équilibres sociaux et économiques de l’Éthiopie, et alors que la diplomatie africaine cherche à peser davantage dans les grandes négociations globales, cette nomination donne une dimension particulière à son profil.

Une formation scientifique et un passage par l’université, socle d’un profil technocratique

Avant d’être un nom associé aux arbitrages gouvernementaux, Girma Amente est d’abord présenté comme un universitaire de formation, issu des filières liées à la foresterie et à la gestion des ressources naturelles. Son cursus, régulièrement rappelé dans des biographies institutionnelles, s’appuie sur un premier diplôme en foresterie obtenu en Éthiopie, puis sur une spécialisation à l’étranger, dans des établissements européens reconnus pour les sciences forestières. Il est notamment crédité d’une formation de niveau master en production forestière et d’un doctorat en sylviculture.

Ce socle scientifique n’a rien d’anecdotique dans un pays où les enjeux de sols, de dégradation des terres, de reboisement et de productivité agricole s’entrecroisent. L’Éthiopie, où une part majeure de la population vit de l’agriculture et où les zones rurales structurent encore la vie économique, est confrontée à des défis récurrents : dépendance aux pluies dans de nombreuses régions, pression foncière, vulnérabilité aux chocs climatiques, nécessité d’améliorer les rendements et de sécuriser les revenus des ménages ruraux. Dans ce contexte, les profils issus des sciences agronomiques, environnementales ou forestières ont souvent été mobilisés pour porter des programmes de transformation, des projets de restauration des paysages ou des politiques de gestion des ressources.

C’est aussi par l’enseignement supérieur que Girma Amente s’est construit une visibilité nationale. Il a été président de l’université de Haramaya, une institution historique de l’est du pays, fréquemment associée aux formations agricoles et aux sciences de la terre. Dans le système éthiopien, la présidence d’une grande université dépasse souvent la seule dimension académique : elle implique la gestion d’importants effectifs étudiants, la conduite de partenariats, l’encadrement de projets de recherche appliquée et, parfois, des relations étroites avec des ministères ou des autorités régionales autour de programmes de développement.

Ce passage par l’université contribue à expliquer la lecture, souvent faite par les observateurs, d’un profil davantage “gestionnaire” que “militant”. À plusieurs étapes, Girma Amente est décrit comme un cadre habitué aux tableaux de bord, aux stratégies sectorielles et aux programmes structurés, plutôt que comme un dirigeant issu d’une carrière strictement partisane. Dans un pays où la gouvernance a longtemps reposé sur des équilibres complexes entre régions, administrations et appareils politiques, ce type de parcours peut faciliter des transitions rapides entre universités, bureaux régionaux et ministères.

De l’échelon régional aux portefeuilles fédéraux : un itinéraire dans les rouages de l’État

Le parcours de Girma Amente est également associé à l’administration de la région d’Oromia, l’une des plus vastes et des plus peuplées du pays. Il y a occupé des fonctions liées au développement rural et à l’agriculture, dans une configuration institutionnelle où les régions disposent d’importantes responsabilités de mise en œuvre des politiques publiques, notamment dans les secteurs productifs. Les postes de vice-gouverneur ou de responsable de pôles (ou “clusters”) thématiques, lorsqu’ils existent, sont centraux pour coordonner des bureaux techniques, arbitrer des priorités budgétaires et piloter des projets structurants.

Cette étape régionale est souvent présentée comme un passage déterminant. L’agriculture, la gestion des infrastructures rurales, l’accès à l’eau, les pistes, les marchés et les services de vulgarisation constituent des leviers directs de stabilité et de croissance locale. Les responsables régionaux qui y acquièrent de l’expérience se retrouvent fréquemment propulsés au niveau fédéral lorsqu’un gouvernement cherche à renforcer l’exécution, accélérer des programmes ou crédibiliser une stratégie.

Au niveau fédéral, Girma Amente a été ministre des Entreprises publiques à un moment de sa carrière, un portefeuille qui, en Éthiopie, renvoie à la supervision d’entités stratégiques et d’actifs de l’État, ainsi qu’à des projets liés à la performance des entreprises publiques, à leur gouvernance et, parfois, à des processus de privatisation partielle. Cette dimension économique et industrielle contraste, en apparence, avec son ancrage agricole et forestier. Elle s’inscrit cependant dans une logique classique : l’État mobilise des profils réputés “gestionnaires” pour des portefeuilles où il faut piloter des réformes, suivre des indicateurs et négocier avec des partenaires financiers.

En 2017, alors qu’il est explicitement identifié comme ministre en charge des entreprises publiques dans des communications économiques, son nom est associé à des opérations de privatisation et à des recettes supérieures aux prévisions initiales. L’épisode est révélateur de la place qu’occupe alors le ministère : il sert d’interface entre l’appareil d’État, des investisseurs et des structures publiques en transformation. Même si l’architecture exacte des portefeuilles a évolué au fil des gouvernements, cette période contribue à consolider l’image d’un responsable habitué aux dossiers sensibles, où se mêlent souveraineté économique, attentes budgétaires et signaux envoyés aux marchés.

Ce qui ressort, en filigrane, c’est une capacité à naviguer entre secteurs. Girma Amente apparaît tour à tour lié à l’enseignement supérieur, au développement rural, à l’administration régionale, puis à des fonctions économiques, avant de revenir à un ministère central de l’État. Cette polyvalence est souvent recherchée dans des gouvernements qui doivent traiter simultanément des urgences sociales, des transitions économiques et des engagements internationaux.

Ministre de l’Agriculture (2023-2025) : continuités, priorités et communication sur la transformation agricole

La séquence la plus visible, et la plus récente, de la trajectoire de Girma Amente est son passage au ministère fédéral de l’Agriculture, à partir de janvier 2023, jusqu’à son remplacement au début du mois d’août 2025. Le ministère de l’Agriculture, en Éthiopie, occupe une place structurante : il se situe au croisement des politiques de production, de sécurité alimentaire, de gestion des sols, de chaînes de valeur, d’appui aux petits exploitants, et de coordination avec les régions. C’est aussi un ministère politiquement exposé, car l’évolution des récoltes et des prix alimentaires pèse directement sur la stabilité sociale.

Durant son mandat, Girma Amente a mis en avant, dans des discours et interventions publiques, plusieurs thèmes récurrents. Le premier est la sécurité alimentaire, souvent présentée comme une question de souveraineté nationale et de résilience face aux crises globales. Dans un environnement marqué par la volatilité des prix internationaux, les effets des conflits sur les marchés agricoles et l’irrégularité climatique, la rhétorique de l’autosuffisance, ou du moins de la réduction des dépendances, est devenue centrale.

Un autre axe a été la valorisation d’initiatives de production et de transformation. L’Éthiopie communique depuis plusieurs années sur des objectifs d’augmentation de la production céréalière, sur l’amélioration de l’irrigation dans certains bassins, et sur des programmes d’intensification. Dans ce cadre, Girma Amente a relayé, y compris dans des enceintes panafricaines, le récit d’une dynamique de progrès dans la filière blé et dans des politiques d’appui aux producteurs. Les communications officielles insistent aussi sur des mesures d’organisation du secteur : distribution d’intrants, plans de modernisation, et mise en avant de feuilles de route.

S’ajoute un troisième volet, à la frontière entre agriculture et environnement : le lien entre productivité, restauration des terres et politiques de reboisement. Dans plusieurs prises de parole, Girma Amente a cité l’initiative dite Green Legacy, vaste programme de plantation d’arbres mis en avant par les autorités éthiopiennes. Le programme est présenté comme un instrument de lutte contre la dégradation des terres, de restauration des écosystèmes et, plus largement, de réponse au changement climatique. Le chiffre de plusieurs dizaines de milliards de plants mis en terre sur plusieurs années a circulé dans la communication officielle, symbolisant l’ambition environnementale du pays.

Sur le plan institutionnel, son départ du ministère de l’Agriculture, annoncé au 1er août 2025, s’inscrit dans un remaniement discret : la nomination de son successeur a été rendue publique sans qu’un motif détaillé soit communiqué. Le nouveau ministre, Addisu Arega, a été présenté comme issu de la sphère régionale d’Oromia, avec une expérience de coordination de politiques rurales. Dans la tradition gouvernementale éthiopienne, les changements de portefeuille peuvent répondre à des équilibres politiques, à des priorités de performance ou à des réajustements stratégiques, sans que les raisons soient systématiquement détaillées publiquement.

Ce qui est notable, c’est que la transition ne s’est pas traduite par une mise à l’écart durable : quelques semaines plus tard, Girma Amente est associé à une nomination de premier plan à l’échelle continentale, signe qu’il demeure considéré comme un cadre mobilisable, et reconnu, au-delà de la seule administration nationale.

Une diplomatie agricole en toile de fond : relations avec les organisations internationales et cadres panafricains

Au-delà des politiques internes, Girma Amente a été exposé, durant ses fonctions, à la diplomatie agricole et aux cadres de coopération. Ce versant apparaît dans des informations publiques liées à des rencontres avec des organisations internationales et à sa participation à des processus panafricains.

Des échanges institutionnels ont notamment eu lieu avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), où les discussions portent généralement sur des enjeux techniques : mécanisation, innovations, gestion des sols, santé animale, sécurité alimentaire et renforcement des capacités. Ces réunions, souvent très codifiées, permettent aussi de consolider des partenariats, d’orienter des appuis et de positionner un pays sur des priorités régionales. Pour un ministre de l’Agriculture, ces rendez-vous sont autant diplomatiques que techniques : ils servent à obtenir des soutiens, à attirer des projets et à participer au pilotage de programmes transfrontaliers.

À l’échelle de l’Union africaine, Girma Amente est présenté comme impliqué dans plusieurs processus, dont le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (CAADP). Ce cadre est central dans la politique agricole continentale : il structure des objectifs de transformation, des engagements sur la productivité, des indicateurs, et des dialogues entre États, institutions et partenaires. Être identifié comme un acteur familier du CAADP suggère une pratique des négociations et des mécanismes de suivi, qui vont au-delà du seul contexte national.

Son profil est également associé à des thématiques où se croisent agriculture, commerce et diplomatie : les filières exportatrices (comme le café, produit emblématique en Éthiopie), les questions d’accès au marché, les normes et la compétitivité. L’Éthiopie, qui cherche à accroître ses recettes d’exportation et à développer des chaînes de valeur, est confrontée à la fois aux exigences des marchés internationaux et aux contraintes internes (infrastructures, finance, logistique, industrialisation). Dans ce contexte, les ministres de l’Agriculture sont souvent amenés à dialoguer avec des acteurs du commerce, des investisseurs, et des institutions de développement.

L’intérêt de cette dimension multilatérale est qu’elle prépare, de facto, à des fonctions diplomatiques à Genève, place majeure des négociations internationales. Les dossiers agricoles y croisent les débats sur le commerce, la propriété intellectuelle, les normes sanitaires et phytosanitaires, la sécurité alimentaire, les chaînes d’approvisionnement et le financement du développement. Un responsable ayant articulé agriculture, environnement et réformes structurelles dispose d’un langage et de références directement mobilisables dans ces arènes.

Enfin, la communication autour de Girma Amente insiste sur une méthode : “écouter, diagnostiquer, identifier des opportunités” au début d’un mandat. Cette approche, revendiquée lors de son arrivée à Genève, s’inscrit dans une culture administrative où la prise de fonction passe par l’évaluation des équipes, des dossiers en cours et des marges de manœuvre. Elle renforce l’image d’un cadre qui avance par séquences, avec un souci de priorisation.

De l’exécutif éthiopien à Genève : la mission de l’Union africaine auprès de l’ONU et de l’OMC, un poste stratégique

La nomination de Girma Amente comme représentant permanent de l’Union africaine à Genève marque un tournant. Les dates publiquement mentionnées situent sa nomination au 1er juillet 2025 et sa prise de fonctions effective au 1er septembre 2025. Son installation intervient dans un lieu où se négocient des normes et des équilibres globaux : Genève abrite l’Office des Nations unies, une concentration d’organisations internationales, et surtout, l’Organisation mondiale du commerce, où les discussions sur les règles du commerce mondial, les différends et les réformes se déroulent souvent dans un climat de tensions.

Le rôle d’un représentant permanent de l’Union africaine à Genève consiste à porter une voix continentale dans des forums où les rapports de force sont complexes. L’Union africaine cherche à coordonner des positions entre États membres, à défendre des priorités communes et à construire des alliances. Cela implique un travail de diplomatie quotidienne : participation aux réunions, négociation de textes, coordination avec les missions nationales, interaction avec les agences onusiennes, et construction de coalitions sur des sujets aussi variés que la santé, le travail, le commerce, les droits humains, l’environnement, la propriété intellectuelle ou l’aide humanitaire.

Les messages associés à l’arrivée de Girma Amente mettent en avant plusieurs priorités : renforcer l’unité et la collaboration au sein de la mission, maximiser l’efficacité malgré des contraintes de ressources, et accroître la visibilité de l’Afrique dans les enceintes multilatérales. Cette orientation rejoint les débats plus larges sur la capacité de l’Afrique à peser dans les normes globales, notamment sur des sujets qui affectent directement les économies du continent : conditions d’accès aux marchés, subventions agricoles, règles sanitaires, traitement spécial et différencié dans le commerce, mécanismes de financement climatique, ou encore encadrement des technologies.

Dans une cérémonie distincte, Girma Amente a présenté sa lettre de nomination à la direction de l’Office des Nations unies à Genève, acte protocolaire qui confirme son rôle comme observateur permanent pour l’Union africaine. Ce type d’étape institutionnelle, bien que formel, n’est pas secondaire : il ouvre l’accès aux échanges officiels, permet de nouer des relations de haut niveau, et donne le signal d’un mandat qui s’inscrit dans la durée.

La question, en arrière-plan, est celle de la cohérence entre son parcours et le contenu du poste. Un ancien ministre de l’Agriculture, formé aux sciences forestières, devenu gestionnaire d’entreprises publiques, puis représentant permanent à Genève, incarne une évolution où les enjeux techniques, économiques et diplomatiques se rejoignent. La sécurité alimentaire, le commerce des denrées, les chaînes d’approvisionnement, la normalisation, les politiques de subvention et les transitions climatiques sont désormais traités dans des arènes multilatérales où l’expertise sectorielle compte autant que l’habileté diplomatique.

Pour l’Éthiopie, pays hôte de l’Union africaine, cette nomination a aussi une portée symbolique. Les autorités éthiopiennes ont salué publiquement cette désignation, y voyant un signe de reconnaissance du rôle du pays dans la représentation du continent. Dans une capitale où se joue une part importante de la diplomatie économique mondiale, disposer d’un représentant africain dont la trajectoire est adossée à une expérience gouvernementale et à une connaissance des dossiers de développement peut être interprété comme un choix visant à renforcer l’influence africaine.

Reste une réalité : à Genève, la capacité à “parler d’une seule voix” est à la fois un objectif et un défi. Les États africains n’ont pas toujours les mêmes priorités, ni les mêmes structures économiques. Harmoniser des positions sur le commerce agricole, les règles industrielles, la propriété intellectuelle ou les financements climatiques exige un travail constant de médiation. La nomination de Girma Amente s’inscrit ainsi dans une stratégie plus large : consolider une diplomatie africaine de coalition, capable de défendre des intérêts communs sans effacer les diversités nationales.

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