Qui est Habtamu Itefa ?

Nommé à l’automne 2021 à la tête du ministère éthiopien de l’Eau et de l’Énergie, Habtamu Itefa Geleta incarne une figure particulière dans la vie publique du pays : celle d’un ingénieur devenu décideur, passé des bureaux techniques et de l’enseignement supérieur aux responsabilités gouvernementales. Son profil, plus technocratique que partisan en apparence, s’inscrit pourtant au cœur d’un champ éminemment politique en Éthiopie et dans la région : l’accès à l’eau, l’électrification, la transition énergétique, et la gestion du Nil, sujet sensible où se croisent souveraineté nationale, diplomatie régionale et enjeux de développement. Au fil des dernières années, son nom s’est surtout imposé par ses prises de parole sur les grands projets hydroélectriques, la stratégie d’interconnexion électrique en Afrique de l’Est, et les débats autour des cadres juridiques et institutionnels de coopération dans le bassin du Nil.

Un parcours d’ingénieur : formation, recherche, puis responsabilités universitaires

Habtamu Itefa Geleta est d’abord présenté, dans les biographies institutionnelles disponibles, comme un spécialiste de l’ingénierie de l’eau. Il obtient un premier diplôme en ingénierie de l’irrigation à la fin des années 1990, puis un second diplôme dans le même domaine au milieu des années 2000, tous deux en Éthiopie. Il complète ensuite ce parcours par un doctorat en ingénierie hydraulique en Allemagne, soutenu au début des années 2010. Cette trajectoire, relativement classique pour une partie des élites techniques de la région, place la gestion de l’eau au centre de son identité professionnelle : hydraulique, irrigation, et infrastructures de ressources en eau.

Avant d’entrer dans les cercles gouvernementaux, il commence sa carrière sur le terrain dans une administration régionale chargée de l’eau, puis se dirige vers l’enseignement supérieur. Les présentations officielles indiquent qu’il a été enseignant-chercheur dans des universités éthiopiennes, et qu’il y a exercé des fonctions de management académique, allant de responsabilités de faculté à des postes de direction. Ce passage par le monde universitaire est souvent mis en avant car il participe à construire une image de responsable public “issu de la technique”, capable de faire le lien entre planification, connaissances scientifiques et mise en œuvre.

Dans le paysage politique éthiopien, où coexistent des figures issues des appareils administratifs, des forces politiques régionales, et des institutions de sécurité, ce type de profil permet de comprendre pourquoi son nom n’est pas d’abord associé à une carrière élective ou à un rôle de chef de parti. Il apparaît plutôt comme un responsable public dont la légitimité est fréquemment appuyée sur l’expertise et le parcours administratif. Mais en Éthiopie, la frontière entre “technocratie” et “politique” est poreuse : les secteurs de l’eau, de l’énergie et des grands travaux structurent des choix budgétaires, des relations entre centre et régions, et des rapports de force diplomatiques. Autrement dit, même lorsqu’il est présenté comme ingénieur, sa fonction l’inscrit de fait dans la sphère politique au sens plein.

De l’administration régionale à la scène nationale : la trajectoire oromia

Les biographies institutionnelles font également état d’une séquence clé : son entrée dans l’exécutif régional, au sein de l’État régional d’Oromia, la région la plus peuplée du pays. Il occupe, sur plusieurs années, différents postes de direction dans des administrations régionales liées à l’urbanisme, au logement, aux infrastructures routières, puis aux ressources en eau et énergie. Ce passage est déterminant, parce qu’il le place dans une logique de pilotage de politiques publiques à grande échelle : urbanisation, transport, services essentiels, et planification d’infrastructures.

Dans un pays où le fédéralisme ethno-territorial confère une importance réelle aux exécutifs régionaux, diriger une administration sectorielle en Oromia signifie travailler à la fois sur des besoins massifs (croissance urbaine, routes, services) et sur la coordination avec l’État fédéral. Cette dimension aide à comprendre son profil : il ne s’agit pas seulement d’un ingénieur spécialiste d’hydraulique, mais d’un cadre public ayant déjà géré des institutions, des projets et des administrations à grande budgetisation, dans un espace régional stratégiquement central.

À la fin de cette séquence régionale, il est décrit comme ayant pris la direction de l’organisme régional chargé du développement des ressources en eau et en énergie, avant son passage au gouvernement fédéral. Le secteur est sensible : il touche à l’irrigation, à l’accès à l’eau, à l’énergie, à la planification des barrages et aux réseaux. À ce stade, sa trajectoire est déjà celle d’un décideur, capable de naviguer entre technique et arbitrage politique. Cette expérience régionale constitue, dans les récits officiels, un argument de continuité : il aurait appris à gérer des dossiers concrets avant de se voir confier la responsabilité nationale.

La nomination de 2021 : un ministre au cœur d’un ministère stratégique

Habtamu Itefa est nommé ministre de l’Eau et de l’Énergie au début du mois d’octobre 2021, dans un contexte où le gouvernement fédéral renouvelle son équipe et réorganise certains portefeuilles. Son arrivée s’inscrit dans une période où les autorités éthiopiennes accordent une place importante aux infrastructures et à l’expansion énergétique, autant pour des objectifs domestiques (électrification, industrialisation) que pour le positionnement régional.

Le ministère qu’il dirige couvre un champ large : approvisionnement en eau et assainissement, gestion intégrée des ressources en eau, et développement des énergies, avec un accent mis sur les renouvelables dans les discours publics. Cette configuration, assez courante dans plusieurs pays, associe deux secteurs qui se répondent : l’eau est une ressource de base pour les usages domestiques, agricoles et industriels ; l’énergie, en particulier hydroélectrique, dépend de la gestion hydraulique et des bassins.

Dans ses communications institutionnelles, le ministère insiste sur une approche intégrée, où la mobilisation de la ressource en eau doit soutenir des objectifs économiques, et où l’énergie doit accompagner l’accès aux services et la croissance. Cette vision s’exprime par le vocabulaire de la planification, de la capacité, de l’innovation et de la coopération avec des partenaires. En filigrane, un enjeu demeure constant : réduire l’écart entre ambitions nationales et réalités d’accès aux services, dans un pays vaste, contrasté, et confronté à des défis de développement structurels.

La figure d’un ministre “ingénieur” peut alors être perçue comme cohérente avec une stratégie gouvernementale orientée vers les grands projets et la rationalisation. Mais cette cohérence n’efface pas la dimension politique : le choix des priorités, des investissements, des partenariats et du calendrier de certains projets reste éminemment discuté, en interne comme à l’extérieur du pays.

Barrages, réseaux et exportations d’électricité : le dossier énergétique comme vitrine régionale

Dans les prises de parole publiques attribuées à Habtamu Itefa, un axe revient régulièrement : l’idée que l’Éthiopie veut valoriser un potentiel d’énergies renouvelables, notamment hydroélectrique, pour répondre à la demande intérieure et devenir un acteur de l’interconnexion électrique régionale. La logique est double : assurer une hausse de l’offre énergétique domestique, et exporter de l’électricité afin de soutenir une ambition de hub régional.

À ce titre, le Grand Barrage de la Renaissance (GERD) occupe une place centrale. L’ouvrage, emblématique pour une partie de l’opinion éthiopienne, est présenté par les autorités comme un projet structurant de souveraineté et de développement, financé selon un récit national d’effort collectif. Dans une interview publiée par un média éthiopien, Habtamu Itefa décrit le GERD comme un rêve ancien, associé à l’idée de pouvoir utiliser les ressources du pays, et insiste sur la dimension “continentale” du projet, en le reliant à l’idée que l’ouvrage bénéficierait à des voisins par l’intégration énergétique.

Parallèlement, des communications publiques mettent en avant les exportations actuelles d’électricité vers certains pays voisins et les projets d’extension d’interconnexions. Dans ce cadre, l’énergie est présentée comme un outil de diplomatie économique : échanges transfrontaliers, recettes en devises, et renforcement de la connectivité. Les discours soulignent aussi l’intérêt d’une production majoritairement renouvelable, en lien avec la réduction de la dépendance aux combustibles fossiles, même si les mix énergétiques réels et les trajectoires d’investissement peuvent être complexes et dépendantes de multiples facteurs.

Cette stratégie de rayonnement énergétique s’accompagne d’un discours plus large sur l’industrialisation : une énergie plus abondante est censée soutenir l’activité productive, attirer des investissements et favoriser des chaînes de valeur. En Éthiopie, où l’accès à l’électricité a progressé au fil des décennies mais reste inégal, et où les besoins industriels sont importants, la promesse énergétique est une pièce maîtresse du récit de développement.

Mais cette promesse se confronte nécessairement à des contraintes : financement, maintenance des réseaux, rythme de raccordement, demandes concurrentes (domestiques, agriculture, industrie), et gestion des aléas hydrologiques. À ce niveau, le ministre n’est pas seulement le porte-parole d’une vision : il est aussi, politiquement, celui sur qui se concentrent les attentes lorsque les projets rencontrent des retards, des tensions, ou des arbitrages difficiles.

Le Nil, la diplomatie de l’eau et le débat autour du Cooperative Framework Agreement

L’autre dimension qui rend Habtamu Itefa particulièrement visible est la question du Nil. En Afrique du Nord-Est et en Afrique de l’Est, le Nil est à la fois un fleuve, un système de bassins, et un objet politique. L’Éthiopie, en amont, considère depuis longtemps que les cadres historiques de répartition et d’usage ne reflètent pas, selon sa position, une équité entre pays riverains. Les pays en aval, au premier rang desquels l’Égypte, mettent de leur côté l’accent sur la sécurité hydrique et la dépendance de leur population à un débit stable.

Dans ce contexte, l’entrée en vigueur du Nile River Cooperative Framework Agreement (CFA) a fait l’objet de déclarations publiques relayées par l’agence de presse éthiopienne. Habtamu Itefa y commente le CFA comme un tournant important, l’inscrivant dans une logique de justice, d’inclusivité et de capacité à fonder une commission du bassin du Nil. Il appelle également les États à rejoindre le cadre et à dialoguer sur les préoccupations éventuelles.

Cette séquence illustre un élément clé : la diplomatie de l’eau n’est pas seulement du ressort des affaires étrangères. Dans de nombreux États, ce sont aussi les ministères sectoriels qui structurent l’argumentaire technique, les propositions institutionnelles, et les modalités concrètes de coopération (données, planification, gestion de projets). Le ministre de l’Eau et de l’Énergie se trouve donc, de facto, à l’interface entre expertise hydrologique et positionnement politique.

Il faut également comprendre que, dans l’espace public, les mots employés comptent. Parler de “grande bascule”, de “justice”, d’“égalité de droits” ou d’“inclusivité” renvoie à un vocabulaire qui légitime une revendication nationale, mais qui peut être reçu différemment par d’autres acteurs riverains. La question n’est pas uniquement juridique : elle est aussi narrative. Chaque pays cherche à établir une version crédible de l’équité, de la sécurité et du bénéfice mutuel.

La présence d’Habtamu Itefa dans ce débat témoigne ainsi de la dimension politique de son portefeuille : l’eau n’est pas un simple service public, c’est une variable de souveraineté et un levier diplomatique. Et le fait que son discours soit souvent arrimé aux infrastructures (barrages, interconnexions, gestion des bassins) souligne une stratégie : rendre tangibles, par des projets, des ambitions de développement et de coopération.

Une figure publique entre technocratie, communication politique et enjeux de crédibilité

Que représente, au final, Habtamu Itefa dans le champ politique éthiopien ? D’un côté, il est décrit par les sources institutionnelles comme un ingénieur et un ancien universitaire, devenu gestionnaire public régional puis ministre. Ce récit met l’accent sur la compétence technique et l’expérience de direction. De l’autre, son exposition médiatique est largement liée à des dossiers hautement symboliques : le GERD, l’export d’électricité, la transition énergétique, et le Nil.

Ce double registre n’est pas contradictoire : il est caractéristique de nombreux responsables de secteurs stratégiques, qui doivent à la fois parler aux experts, aux bailleurs, aux partenaires régionaux et au grand public. Dans le cas éthiopien, l’équation est particulièrement exigeante, car les infrastructures hydrauliques et énergétiques se situent à la croisée de plusieurs attentes : développement économique, réduction de la pauvreté, intégration régionale, et affirmation de souveraineté.

Son rôle est aussi celui d’un communicant politique au sens strict : il doit porter un récit national sur l’investissement, la modernisation et la capacité de l’État à produire des résultats. Lorsqu’il affirme que certains projets traduisent une ambition collective, ou que le pays vise une place de hub énergétique, il participe à une construction d’image, interne et externe. Mais cette image se mesure aux résultats : capacité installée, fiabilité des réseaux, accès à l’eau potable et à l’assainissement, efficacité de la gestion des ressources, résilience face aux variations climatiques.

Dans ses interventions relayées, Habtamu Itefa insiste sur l’idée de bénéfices partagés : électricité fournie aux voisins, intégration régionale, et coopération. C’est une manière de présenter les grands projets non comme un jeu à somme nulle, mais comme un moteur de croissance régionale. Sur le dossier du Nil, l’argumentaire consiste à affirmer que les cadres institutionnels recherchés seraient inclusifs, tout en rappelant un sentiment d’injustice historique ressenti par l’amont. Ces formulations structurent une ligne politique : rechercher la légitimité par le droit, la planification et le développement, sans renoncer à la fermeté sur l’usage des ressources.

Enfin, sa trajectoire rappelle un aspect du fonctionnement de l’État : l’ascension peut se faire par les administrations régionales, puis par l’exécutif fédéral, surtout lorsque le profil combine expertise et capacité de direction. Dans un pays où la transformation économique reste un horizon revendiqué, la place d’un ingénieur à la tête d’un ministère stratégique est, en elle-même, un signal politique : celui d’une préférence affichée pour la technicisation des choix publics. Reste que, dans les faits, l’eau et l’énergie ne se gouvernent jamais hors du politique. Habtamu Itefa, en tant que ministre, en est l’un des visages les plus visibles.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *