Qui est Habtamu Tegegn ?

À Addis-Abeba, les remaniements gouvernementaux se lisent souvent comme des instantanés des priorités du moment. Quand l’exécutif décide de placer à la tête d’un ministère un profil technique plutôt qu’un pur apparatchik, le signal est rarement anodin : cela dit quelque chose d’un secteur jugé stratégique, d’un calendrier économique serré, et d’une volonté affichée de transformer des chantiers en résultats visibles. Habtamu Tegegn appartient à cette catégorie de responsables qui arrivent au premier plan par la porte des infrastructures et de la gestion publique, avant d’entrer de plain-pied dans l’arène politique nationale.

Depuis janvier 2023, il occupe un poste clé : le ministère des Mines et du Pétrole, un portefeuille qui concentre des enjeux majeurs en Éthiopie – recettes d’exportation, investissement étranger, industrie des matériaux de construction, gouvernance des licences, lutte contre l’exploitation illégale, arbitrages entre pouvoir fédéral et territoires, et promesse d’un développement qui bénéficie réellement aux communautés locales. Mais sa trajectoire ne commence pas dans les mines. Elle s’enracine d’abord dans un autre univers, tout aussi vital pour un pays vaste et contrasté : les routes, les corridors, la logistique, bref, la capacité d’un État à relier ses régions et à soutenir son économie par l’infrastructure.

Dans un pays où l’image du chantier est aussi politique que le discours, Habtamu Tegegn s’est construit une réputation d’ingénieur-manager, puis de décideur public, avant d’endosser la responsabilité d’un ministère exposé, suivi, critiqué et courtisé. Son nom, enfin, circule d’autant plus qu’il se heurte parfois à un phénomène fréquent à l’ère numérique : les homonymies et les amalgames, qui compliquent la compréhension du personnage public et obligent à distinguer clairement les individus.

Un ingénieur au cœur de l’appareil d’État

Habtamu Tegegn est souvent présenté avec son titre d’ingénieur, une précision qui compte dans un système où les profils techniques ont longtemps été mobilisés pour piloter l’industrialisation, les grands travaux et la modernisation administrative. Avant son entrée au gouvernement, son parcours est associé à la gestion d’organismes publics liés à la voirie et aux infrastructures routières, un domaine où l’État éthiopien investit depuis des décennies pour réduire l’enclavement, sécuriser les échanges et soutenir la croissance.

Les sources institutionnelles et la presse locale soulignent qu’il a occupé des responsabilités dans les autorités routières, notamment à Addis-Abeba, puis à l’échelle fédérale. En 2016, il est identifié comme dirigeant de l’autorité des routes de la ville d’Addis-Abeba, au moment où la capitale mène des programmes de maintenance et de renforcement des capacités, en lien avec des partenaires internationaux. Ces fonctions le placent au carrefour d’une mécanique complexe : appels d’offres, planification, suivi de chantiers, coordination avec des bailleurs, et gestion d’un espace urbain en expansion rapide.

Quelques années plus tard, il se retrouve propulsé dans un rôle de dimension nationale à l’Autorité éthiopienne des routes, structure centrale pour planifier et exécuter la politique routière au niveau fédéral. La période est marquée par une pression forte sur les projets : multiplication des chantiers, enjeux de financement, difficultés de coordination entre administrations, contraintes sécuritaires sur certaines zones, et critiques récurrentes sur les délais, les surcoûts et la qualité d’exécution. Dans ce contexte, l’expérience d’un responsable public ne se mesure pas seulement à la longueur des routes construites, mais à la capacité de remettre de l’ordre dans un portefeuille de projets parfois fragmenté.

C’est ici que la dimension politique s’invite, même avant le ministère. Les auditions parlementaires, les réunions de commission et les échanges avec les élus mettent régulièrement les dirigeants d’agences publiques face à des questions qui dépassent la technique : pourquoi des projets sont-ils à l’arrêt ? Quelles responsabilités pour les entreprises ? Quel rôle de l’État dans la compensation foncière ? Quels arbitrages budgétaires ? Quel impact des tensions locales sur la continuité des chantiers ? Habtamu Tegegn, en tant que responsable d’une institution au cœur de ces débats, a ainsi été amené à rendre compte publiquement et à exposer une lecture des crises des projets routiers, y compris lorsqu’elles sont liées à la sécurité ou à la gouvernance.

Cette trajectoire contribue à expliquer sa crédibilité auprès de l’exécutif : dans de nombreux pays, la bascule d’un dirigeant d’agence vers un ministère se fait lorsque le pouvoir veut “mettre un exécutant” à un poste politique. En Éthiopie, ce type de choix s’inscrit aussi dans une volonté de montrer que l’État peut livrer des résultats concrets, notamment dans des secteurs où les retards et les controverses sont très visibles.

Des routes aux mines : une promotion qui dit l’urgence économique

Le 20 janvier 2023, Habtamu Tegegn est nommé ministre des Mines et du Pétrole dans le cadre d’un mouvement gouvernemental décidé par le Premier ministre Abiy Ahmed. Quelques jours plus tard, le Parlement valide la nomination de plusieurs ministres, dont celle d’Habtamu Tegegn, dans une séquence institutionnelle qui souligne l’importance accordée au secteur extractif.

Le choix peut surprendre à première vue : passer des routes aux mines n’a rien d’évident. Pourtant, le fil conducteur existe. Dans un pays enclavé, la rentabilité d’un projet minier dépend souvent autant de la géologie que de la logistique : routes, accès aux sites, transport des intrants, corridors vers les marchés et vers les points d’exportation. Le ministère des Mines et du Pétrole ne gère pas seulement des permis et des redevances ; il doit aussi penser en écosystème : infrastructures, énergie, stabilité réglementaire, relations avec les régions, et capacité d’attirer des capitaux dans un environnement parfois perçu comme risqué.

Cette nomination intervient à un moment où l’Éthiopie cherche à renforcer ses recettes, à structurer un modèle de croissance plus diversifié, et à valoriser davantage ses ressources naturelles. Les mines, l’or en particulier, jouent un rôle important dans la balance extérieure, tandis que les ressources liées au gaz dans certaines zones du pays alimentent des projets de long terme et des discussions régionales. Sur ces sujets, la parole du ministre est attendue : elle doit rassurer les investisseurs, répondre aux critiques internes, et s’aligner sur une stratégie macroéconomique nationale.

En outre, le portefeuille “Mines et Pétrole” est politiquement exposé. Il est souvent associé à des accusations de favoritisme dans l’attribution des licences, à des contentieux entre investisseurs et autorités, à la question sensible de l’exploitation artisanale et de la contrebande, et aux tensions locales lorsque des communautés estiment ne pas bénéficier des retombées. Dans ce paysage, l’exécutif peut chercher un profil perçu comme “gestionnaire”, capable d’imposer des procédures et de faire appliquer des décisions difficiles – y compris la suspension ou la reprise de licences lorsque des projets n’avancent pas.

Enfin, Habtamu Tegegn est associé au Parti de la prospérité, formation au pouvoir, issue de la reconfiguration du paysage politique autour du Premier ministre Abiy Ahmed. Cette affiliation l’inscrit dans la majorité politique, tout en l’exposant aux critiques adressées au gouvernement, notamment sur la gouvernance et l’équilibre entre sécurité et développement.

Mines et pétrole : priorités affichées, investissements et réforme de la gouvernance

Depuis son arrivée au ministère, Habtamu Tegegn intervient régulièrement sur un ensemble de priorités qui dessinent la doctrine officielle : attirer l’investissement, moderniser la gestion du secteur, renforcer la traçabilité, et lutter contre l’illégalité. L’enjeu est double : d’une part, faire du secteur minier un moteur de recettes et d’emplois ; d’autre part, limiter les pertes liées à l’exploitation informelle et aux circuits parallèles, souvent associés à des réseaux économiques et sécuritaires difficiles à démanteler.

Au printemps 2025, dans des prises de parole rapportées par l’agence de presse publique, le ministre lie explicitement la performance du secteur aux réformes macroéconomiques menées par l’État. Il met en avant une transformation de l’investissement minier et de la productivité, évoque le renforcement de partenariats public-privé, la place de la technologie dans l’identification et le développement des ressources, et la révision de politiques visant à attirer des investisseurs locaux et internationaux. Il insiste aussi sur la nécessité de protéger l’intégrité du secteur, notamment par des mécanismes pour contrer l’exploitation illégale.

À travers ces déclarations, un point apparaît : la stratégie est conçue comme un tout, et non comme une simple administration des permis. Le ministère se veut l’un des vecteurs de la diversification économique. Cela implique de parler non seulement de métaux précieux, mais aussi de minerais utiles à l’industrie et au BTP : ciment, marbre, granit, fer, et plus largement les intrants nécessaires à la construction, dans un pays où la demande reste forte et où les grands projets publics et privés structurent une partie de l’activité.

Sur la scène continentale, Habtamu Tegegn apparaît également dans des événements multilatéraux. En septembre 2023, il prononce des “remarques de bienvenue” lors d’un cadre lié à l’Union africaine, ce qui indique une volonté de donner au ministère une visibilité diplomatique et de l’inscrire dans des discussions régionales sur l’infrastructure, l’énergie et le développement. Ces interventions contribuent à construire son profil : un ministre qui parle investissements, coordination et développement, plus qu’un responsable cantonné à une logique extractive.

Dans la région, la dimension transfrontalière est particulièrement sensible. En mai 2025, lors d’une visite à Djibouti rapportée par la presse djiboutienne, Habtamu Tegegn discute avec son homologue de dossiers structurants : projets de gazoduc, pipeline, connexion ferroviaire liée à l’acheminement de produits pétroliers et, plus largement, intégration énergétique et logistique. Là encore, on retrouve l’ADN “infrastructures” du personnage : les mines, le gaz et le pétrole ne sont pas seulement des ressources, mais des flux, et ces flux dépendent des corridors et des ports.

À ce stade, une nuance est nécessaire : la communication officielle insiste volontiers sur l’attractivité et les réformes, mais la réalité du terrain reste marquée par des défis. La lutte contre l’exploitation illégale est une promesse récurrente dans de nombreux pays miniers ; la rendre effective suppose des moyens de contrôle, une coopération entre administrations, et des réponses socioéconomiques pour les acteurs de l’artisanat minier, qui représentent parfois une économie de subsistance. Le ministère, même lorsqu’il affiche une volonté politique, ne peut pas agir seul : l’architecture étatique et la situation sécuritaire dans certaines zones pèsent directement sur les résultats.

Entre controverses de licences, attentes locales et arbitrages difficiles

Le secteur minier éthiopien concentre des tensions classiques : concurrence entre acteurs, attente de retombées locales, et méfiance face à des projets perçus comme lointains ou inéquitables. À cela s’ajoute une particularité : les rapports entre pouvoir fédéral et États régionaux, dans un système où les équilibres politiques et identitaires jouent un rôle important. Les permis, les projets, les emplois, les compensations, et la sécurité des sites s’inscrivent toujours dans une géographie politique.

Des épisodes relatés par la presse illustrent ces zones de friction. Dans un dossier de licence minière complexe autour du site de Kenticha, par exemple, des articles décrivent un environnement conflictuel : accusations, contestations, injonctions administratives, et récit d’une gouvernance des licences sous pression. Dans ce type d’affaire, le ministère se retrouve au centre d’un triangle instable : d’un côté, des investisseurs qui demandent une sécurité juridique ; de l’autre, des autorités qui veulent sanctionner l’inaction ou les irrégularités ; et, en arrière-plan, des intérêts locaux, économiques et politiques.

Ces affaires pèsent sur l’image d’un ministre, même lorsqu’elles concernent des décisions entamées avant son arrivée. Le titulaire du portefeuille hérite d’un stock de dossiers, de contentieux et d’engagements. Pour Habtamu Tegegn, l’enjeu consiste à montrer une capacité d’arbitrage : reprendre des dossiers, imposer des audits ou des décisions, et – surtout – convaincre que l’État ne se contente pas d’annoncer, mais qu’il tranche.

Au-delà des licences, il y a la question des recettes. Dans un contexte où l’or occupe une place majeure, la traçabilité et la lutte contre la contrebande reviennent comme un leitmotiv. L’État cherche à capter une part plus importante de la production et à orienter les flux vers les circuits officiels, notamment via la banque centrale et les mécanismes de dépôt. Mais l’économie de l’or artisanal, dans de nombreux pays, se nourrit de l’écart entre prix officiels, circuits informels, et pressions sur les mineurs. Les annonces de durcissement peuvent déplacer le problème sans le résoudre, si elles ne s’accompagnent pas d’incitations et d’un encadrement réaliste.

Autre dimension : les matériaux de construction. Le ciment, la pierre, le marbre, le granit, parfois classés comme “mines” dans les politiques publiques, sont essentiels pour soutenir un secteur du bâtiment qui reste un moteur économique et un marqueur politique. En mettant en avant la disponibilité de ressources et la volonté d’aligner offre et demande, Habtamu Tegegn s’inscrit dans une logique d’État développeur : sécuriser les intrants, éviter les pénuries, stabiliser les coûts, et renforcer l’appareil industriel.

Mais c’est précisément là que le ministre est attendu au tournant. Car dès que l’État met en avant la “compétitivité” et la “capacité”, les citoyens, eux, jugent sur les prix, la disponibilité, la transparence des contrats, et l’équité des retombées. Un ministre technique doit donc apprendre un langage politique : parler d’efficacité tout en répondant à la question, plus brûlante, de la confiance.

Une notoriété brouillée par les homonymes et l’ère des rumeurs

À mesure qu’un responsable public gagne en visibilité, son nom circule davantage. Et plus il circule, plus il est exposé aux confusions. Habtamu Tegegn n’échappe pas à une difficulté propre à l’ère numérique : l’existence d’autres personnalités portant un nom très proche – notamment un universitaire basé à l’étranger – alimente parfois des amalgames dans des contenus en ligne.

Cette confusion n’est pas un détail : elle peut produire de la désinformation, surtout lorsque des contenus attribuent à tort à un ministre des propos ou des positions tenus par un homonyme. Dans un environnement politique tendu, où les réseaux sociaux et certains médias militants jouent un rôle puissant, l’amalgame devient une arme : on mélange les identités, on fabrique des raccourcis, on détourne la colère vers une cible symbolique.

Pour le public, la conséquence est simple : comprendre “qui est qui” devient une condition préalable à toute analyse. L’homme politique Habtamu Tegegn, ministre éthiopien, est identifié par ses fonctions gouvernementales, ses prises de parole officielles, ses déplacements institutionnels et ses responsabilités au sein de l’appareil d’État. L’universitaire portant un nom similaire relève d’un autre univers et d’autres controverses. Mélanger les deux conduit à une lecture fausse du débat public.

Cette situation illustre une tension contemporaine : même lorsqu’un responsable public suit un parcours administratif et institutionnel bien documenté, l’information la plus virale n’est pas toujours la plus exacte. La question “Qui est Habtamu Tegegn ?” oblige donc à un réflexe de vérification : s’en tenir aux faits établis sur ses fonctions, son calendrier de nomination, ses responsabilités passées dans les autorités routières, et ses déclarations dans le cadre de l’action gouvernementale.

Dans le fond, cette “brouille” dit aussi quelque chose du rôle qu’il occupe. Les ministères techniques – mines, énergie, infrastructures – peuvent sembler lointains, mais ils touchent à l’argent, aux ressources, aux contrats, aux terres et aux emplois. Ils attirent donc l’attention, les rivalités et les attaques. Un ministre qui promet de rationaliser un secteur aussi convoité se met nécessairement en première ligne.

Habtamu Tegegn apparaît ainsi comme une figure de cette Éthiopie où le pouvoir tente de faire de l’économie un levier de stabilité, tout en composant avec des contraintes lourdes : sécurité, confiance institutionnelle, exigences sociales, et compétition politique. Son profil d’ingénieur devenu ministre incarne une méthode – celle du gestionnaire – mais le terrain sur lequel il évolue reste éminemment politique. Et dans un pays où les ressources naturelles sont à la fois une promesse et un sujet de tensions, la trajectoire d’un ministre des Mines se lit toujours entre deux lignes : la ligne du développement et la ligne du conflit.

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