À Moroni, les noms des ministres passent parfois vite dans le tumulte politique. Mais certains portefeuilles imposent une visibilité particulière. Celui des Finances en fait partie, parce qu’il touche à tout: le budget de l’État, la dette, les recettes fiscales, la relation avec les banques, les partenaires extérieurs, et, au bout de la chaîne, le prix du riz, du carburant ou de l’électricité pour une population déjà exposée aux chocs. Depuis l’été 2024, Ibrahim Mohamed Abdourazak s’est installé au cœur de cette mécanique. Peu connu du grand public hors de l’archipel, il est devenu l’un des hommes les plus observés de l’exécutif comorien, chargé de tenir l’équilibre d’un État insulaire aux marges de manœuvre étroites.
Son profil s’éclaire d’abord par les actes officiels et les séquences publiques qui jalonnent une prise de responsabilités: nomination, passation, premières lignes politiques et budgétaires, déplacements extérieurs, messages adressés aux partenaires. Dans un pays où la question des ressources publiques reste décisive et où les attentes sociales sont fortes, la figure du ministre des Finances cristallise vite les espoirs, les impatiences et les critiques. Ibrahim Mohamed Abdourazak, lui, a rapidement été projeté dans une double exigence: faire vivre une politique de réformes et, en même temps, rassurer sur la continuité de l’État.
Une nomination qui le place au centre du pouvoir économique
La séquence fondatrice est datée. En juillet 2024, Ibrahim Mohamed Abdourazak est nommé ministre des Finances, du Budget et du Secteur bancaire dans le cadre d’un remaniement gouvernemental. Cette entrée au gouvernement n’est pas un simple changement de casting: elle le positionne au nœud des arbitrages les plus sensibles, entre dépenses publiques, priorités politiques et contraintes de trésorerie.
Dans la foulée, une passation de service avec son prédécesseur, Mze Abdou Mohamed Chanfiou, donne un ton à l’installation. Dans les récits de cette cérémonie, un fil revient: continuité, engagement, volonté de poursuivre une dynamique déjà engagée. La symbolique est importante, car elle traduit une ligne politique fréquente quand un ministère régalien change de mains: rassurer l’administration, les partenaires et le secteur privé sur la stabilité des orientations, tout en laissant entendre que des inflexions sont possibles.
Quelques mois plus tard, le signal de consolidation arrive. Au printemps 2025, au moment d’un réajustement ministériel, Ibrahim Mohamed Abdourazak est maintenu aux Finances. Dans la grammaire gouvernementale, un maintien dans un portefeuille aussi exposé vaut souvent validation politique: il signifie que le chef de l’État et l’exécutif considèrent que la trajectoire engagée mérite d’être prolongée.
Ce maintien intervient alors que les Comores font face à des défis macroéconomiques et à la nécessité de tenir des réformes. Dans les communications publiques, la stabilité du ministère est présentée comme un atout: les négociations économiques, la gestion de la dette et la mise en œuvre de décisions budgétaires s’accommodent mal des ruptures trop fréquentes. Le ministre se retrouve donc, par la force du calendrier, au centre d’une période de consolidation et d’exécution.
Ce que signifie être ministre des Finances aux Comores
Être ministre des Finances, du Budget et du Secteur bancaire aux Comores ne se résume pas à aligner des chiffres. Le portefeuille recouvre plusieurs champs imbriqués: la préparation et l’exécution du budget, la collecte des recettes, la dépense publique, la relation avec les institutions financières, la coordination avec la Banque centrale, et le pilotage d’un secteur bancaire dont la solidité conditionne l’économie réelle.
Cette centralité apparaît aussi dans la manière dont le ministre est appelé à parler du pays à l’extérieur. Quand un État cherche des financements, renégocie des programmes ou veut crédibiliser une réforme, la parole du ministre des Finances est un signal. En février 2025, lors d’une réunion du Forum des Partenaires au Développement (FPaD), il expose des programmes de réformes macroéconomiques, financières et structurelles et évoque les appuis jugés nécessaires pour réussir. Ce type d’exercice est une scène de vérité: il oblige à articuler une vision, à hiérarchiser des priorités, et à convaincre des interlocuteurs qui demandent des garanties de sérieux et de suivi.
Le même rendez-vous éclaire la nature des attentes des partenaires: gestion de la dette, efficacité de la dépense publique, réformes fiscales et financières, gouvernance, lutte contre la corruption, performances des entreprises publiques, résistance aux chocs climatiques. Autrement dit, le ministre des Finances se retrouve au cœur d’un agenda plus large que la simple comptabilité: il doit piloter des transformations qui touchent l’administration, les entreprises publiques et la confiance des citoyens.
À l’intérieur, le ministère doit aussi composer avec une réalité politique: le budget n’est pas qu’un outil technique, c’est un arbitre des priorités. Chaque ligne de dépense peut devenir un sujet national. Les annonces, qu’elles concernent un statut institutionnel, une réforme bancaire ou une coopération internationale, sont immédiatement lues à travers le prisme de la vie chère, de l’emploi et des services publics. Cela explique pourquoi, dès les premiers mois, Ibrahim Mohamed Abdourazak apparaît dans des dossiers qui structurent la vie économique: coopération avec des partenaires, modernisation des cadres financiers, place de l’État dans la coordination des soutiens.
Diplomatie financière: partenaires, institutions et recherche de marges de manœuvre
Depuis sa prise de fonctions, le ministre est associé à une série de séquences extérieures qui dessinent une diplomatie financière active. En septembre 2024, il se rend à Djeddah et visite l’Islamic Corporation for the Insurance of Investment and Export Credit (ICIEC), une entité du groupe de la Banque islamique de développement. L’enjeu affiché est clair: discuter des moyens par lesquels l’institution pourrait soutenir des investissements aux Comores, et donc réduire le risque perçu autour de projets économiques.
À la même période, la relation avec la finance du commerce est mise en avant. Un accord-cadre de trois ans d’un montant annoncé à 330 millions d’euros est présenté dans le cadre du renforcement du partenariat entre l’International Islamic Trade Finance Corporation (ITFC) et l’Union des Comores, signé lors d’une visite à Djeddah. Dans ce type de dispositif, le ministre des Finances joue un rôle de garant politique: il engage l’État dans un cadre pluriannuel et donne un signal de priorité à certains secteurs (énergie, agriculture, soutien aux PME) cités dans la communication autour de l’accord.
Le calendrier 2025 confirme cette projection internationale. Au Koweït, en avril 2025, Ibrahim Mohamed Abdourazak participe aux réunions annuelles communes d’institutions financières arabes (FADES, Fonds monétaire arabe, BADEA). La dimension notable, ici, est la présidence: des informations publiques indiquent qu’il a présidé, le 9 avril 2025 à Koweït City, la réunion annuelle du Conseil des gouverneurs du Fonds monétaire arabe, et qu’il a été désigné président du Conseil des gouverneurs du Fonds monétaire arabe jusqu’en 2026. Dans la diplomatie économique, ce type de fonction est à la fois symbolique et utile: il place un pays au centre de la conversation régionale et peut faciliter des contacts, des appuis techniques et des financements.
Parallèlement, les Comores cherchent à élargir leurs leviers de financement pour les infrastructures. En mars 2025, l’adhésion du pays à Africa Finance Corporation (AFC) est présentée comme une opportunité pour mobiliser des capitaux et bénéficier d’expertise sur des projets structurants. Le ministre des Finances y est cité pour saluer l’intégration comme une chance d’accélérer une transformation économique. Là encore, ce n’est pas une phrase neutre: elle renvoie à une stratégie classique des petits États insulaires, consistant à multiplier les guichets et les partenariats afin de réduire la dépendance à un seul type de financement.
Pris ensemble, ces épisodes dessinent un ministre davantage tourné vers la recherche de marges de manœuvre que vers la simple gestion au jour le jour. Ils montrent un fil directeur: sécuriser le financement de l’économie, rassurer sur la capacité d’exécution, et inscrire les Comores dans des circuits régionaux et internationaux où l’accès au crédit, à l’assurance et à l’expertise pèse autant que les ressources internes.
Réformes, arbitrages et batailles parlementaires: le test de la crédibilité
La crédibilité d’un ministre des Finances ne se joue pas seulement dans les réunions internationales. Elle se mesure aussi aux réformes concrètes et à la capacité de les faire adopter et appliquer. Un exemple emblématique apparaît dans le débat institutionnel autour de la Banque centrale des Comores. Lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée, Ibrahim Mohamed Abdourazak défend un nouveau statut de la Banque centrale et appelle les élus à l’adopter afin de le mettre en application, en présentant des changements touchant notamment le conseil d’administration. Cette séquence est révélatrice: elle place le ministre à l’interface entre l’exécutif, le législatif et l’architecture financière du pays.
Au-delà de la Banque centrale, la question budgétaire s’inscrit dans un calendrier régulier et politiquement sensible: projets de loi de finances, auditions des ministères, arbitrages intersectoriels. Dans cet univers, le ministre des Finances est celui qui doit traduire une vision politique en enveloppes, et une enveloppe en priorités défendables. Même lorsqu’il n’est pas l’acteur unique, sa présence structure l’ensemble: il doit orchestrer une cohérence d’action, expliquer la trajectoire, et répondre aux accusations de dépenses improductives ou d’injustice.
La réunion du FPaD, évoquée plus haut, laisse entrevoir une autre dimension des réformes: elles ne sont pas décrites comme un bloc homogène, mais comme une accumulation de chantiers interdépendants. Gestion de la dette, efficacité de la dépense, réformes fiscales, gouvernance des entreprises publiques, lutte contre la corruption: c’est une liste qui, dans beaucoup de pays, se heurte à des résistances administratives et politiques. Le ministre est alors attendu sur deux fronts: produire des résultats mesurables et éviter la rupture sociale.
Il y a enfin la question de la continuité administrative. Les cérémonies de passation ne sont pas de simples rituels: elles servent à préserver la mémoire institutionnelle et à maintenir l’État en ordre de marche. Les récits publics autour de la prise de fonction insistent sur l’idée de poursuivre une dynamique, de continuer des réformes engagées, et de travailler avec les équipes en place. Dans une administration où la stabilité des procédures compte autant que les annonces, cette posture est un choix politique: elle protège l’exécution tout en limitant les fractures internes.
Ce que l’on sait, et ce qui reste discret, du parcours d’Ibrahim Mohamed Abdourazak
La question “qui est-il?” appelle souvent une biographie détaillée: formation, carrière, réseaux, ascension. Or, dans le cas d’Ibrahim Mohamed Abdourazak, l’information publique accessible se concentre d’abord sur ses responsabilités et ses actions officielles, davantage que sur un récit personnel long et documenté. Cette relative discrétion n’est pas rare dans plusieurs pays: des responsables sont connus d’abord par leurs fonctions, surtout lorsqu’ils entrent au gouvernement à un moment où l’urgence des dossiers écrase la curiosité biographique.
Ce que l’on peut établir avec certitude, en revanche, c’est son ancrage institutionnel depuis 2024: il est nommé en juillet 2024 ministre des Finances, du Budget et du Secteur bancaire; il succède à Mze Abdou Mohamed Chanfiou; il est maintenu dans ce portefeuille au printemps 2025; il représente les Comores dans des enceintes régionales et internationales liées au financement, à l’investissement et aux institutions financières arabes; il s’implique dans des dossiers de réforme du cadre monétaire et bancaire; et il porte, devant des partenaires, un discours sur des réformes macroéconomiques et structurelles.
Il est également présenté, dans certains contextes internationaux, comme gouverneur pour les Comores auprès d’institutions du groupe de la Banque islamique de développement. Cette dimension est importante: le gouverneur est souvent le relais institutionnel de l’État auprès d’un groupe financier, et il pèse sur l’accès à certains outils (assurance, financement du commerce, appui à l’investissement).
Le portrait qui se dessine est donc celui d’un ministre d’abord défini par la pratique: négocier, sécuriser des partenariats, faire adopter des textes structurants, défendre une trajectoire budgétaire, et maintenir la crédibilité de l’État. Dans un pays où les équilibres sont fragiles et où la dépendance à l’environnement international est forte, ce rôle ne laisse guère d’espace à l’improvisation. Ibrahim Mohamed Abdourazak est jugé, avant tout, sur sa capacité à articuler deux impératifs qui s’opposent parfois: l’ambition de réformes et la gestion du quotidien.
Dans l’immédiat, sa trajectoire politique se lit moins comme une saga personnelle que comme une fonction: celle d’un gestionnaire politique des contraintes, placé au centre d’une économie insulaire qui cherche des appuis, une discipline budgétaire et des investissements. En ce sens, la question “qui est-il?” trouve une partie de sa réponse dans la manière dont il occupe le poste: par les textes qu’il défend, les partenariats qu’il active, et la stabilité qu’il incarne dans un ministère qui, aux Comores comme ailleurs, conditionne une part décisive du destin national.



