Dans un pays longtemps habitué à la stabilité d’un même parti au pouvoir, l’arrivée d’une nouvelle génération d’élus a pris, ces derniers mois, la valeur d’un signal. Jacob Kelebeng fait partie de ces figures qui condensent à elles seules plusieurs dynamiques : le poids croissant de la jeunesse dans la vie publique, l’ascension d’anciens leaders étudiants, et la volonté affichée de faire des secteurs culturel et sportif des leviers de transformation économique. Élu député de Takatokwane lors des élections générales du 30 octobre 2024, puis nommé ministre des Sports et des Arts dans la foulée, il s’est retrouvé propulsé au premier plan, avec une feuille de route qui touche à la fois à l’identité nationale, à l’emploi et à la place du Botswana sur la scène internationale.
Des racines rurales et un parcours universitaire structurant
Jacob Kelebeng est né le 6 janvier 1989 à Letlhakeng, localité située dans le centre-sud du Botswana. Il revendique une identité ancrée dans les communautés rurales, et sa trajectoire publique s’inscrit souvent dans ce récit : celui d’un enfant de village qui a appris tôt la discipline et la persévérance. Les portraits publiés à son sujet mettent en avant son cadre familial, avec un père présenté comme ancien travailleur minier à la retraite et une mère ancienne employée domestique, eux-mêmes décrits comme des repères de rigueur et d’humilité.
Sur le plan académique, il est associé à l’Université du Botswana (University of Botswana, UB), où il a obtenu une licence en sciences sociales, avec un ancrage en science politique et administration publique. Cette formation, dans un pays où la fonction publique et la gouvernance occupent une place centrale, lui fournit un vocabulaire et une méthode : lire les institutions, comprendre les rapports de force, distinguer les annonces politiques des dispositifs concrets. Il est également présenté comme engagé dans un cursus de master en politique et relations internationales.
Ce passage par l’université n’a pas seulement été celui d’un étudiant : il a constitué un laboratoire politique. Dans beaucoup de démocraties, les organisations étudiantes servent de pépinière pour les partis ; au Botswana, ce rôle est particulièrement visible chez certains responsables devenus, ensuite, des figures nationales. Kelebeng s’inscrit dans ce schéma, avec une expérience qui a façonné ses réflexes de campagne, son sens du compromis, mais aussi une culture de la confrontation argumentée.
L’école de la politique étudiante et l’apprentissage des batailles concrètes
C’est dans le Student Representative Council (SRC) de l’Université du Botswana que Jacob Kelebeng se fait d’abord connaître. Il s’y engage dès 2008, avant d’occuper des responsabilités, notamment comme ministre des Sports au sein de cette structure étudiante. L’intitulé peut sembler secondaire, mais il recouvre souvent, dans la pratique, la gestion de budgets, la coordination d’événements, la négociation avec l’administration universitaire et l’art de fédérer des groupes aux intérêts divergents — autant de compétences directement transférables à la politique nationale.
Le point le plus marquant de ce passage est son accession, à deux reprises, à la présidence du SRC, en 2012 et 2014. Être élu une première fois est un succès ; y revenir suggère une capacité à conserver des réseaux, à reconstruire une majorité, et à traverser les rivalités internes propres aux mouvements étudiants.
Dans les récits disponibles, cette période est associée à des dossiers précis, comme la défense de mécanismes d’examens supplémentaires et l’opposition à certaines évolutions de partage des coûts dans l’enseignement supérieur. Qu’on partage ou non la position, l’enjeu est politique : se forger une réputation sur des sujets où les effets sont tangibles, immédiats, et où l’échec se paie comptant dans les urnes étudiantes.
À cette étape s’ajoute un élément typique des trajectoires militantes : la rencontre de mentors et de figures plus expérimentées. Plusieurs noms de responsables politiques botswanais sont cités comme ayant compté dans son environnement de formation, au contact de débats, de campagnes ou d’épisodes militants. Là encore, l’intérêt n’est pas l’anecdote, mais la mécanique : apprendre à se situer dans une galaxie d’acteurs, comprendre les équilibres entre partis et mouvements, et internaliser les codes d’un champ politique où la loyauté et la discipline de groupe peuvent compter autant que le talent individuel.
De militant partisan à député : la conquête de Takatokwane
Après l’université, Jacob Kelebeng s’inscrit dans la politique partisane. Il a été associé à plusieurs formations d’opposition et à des responsabilités de jeunesse, notamment comme président de la ligue des jeunes de l’Alliance for Progressives (AP), ce qui l’installe dans un rôle d’organisation et de mobilisation au-delà du seul monde universitaire.
Sa trajectoire électorale se joue ensuite dans la circonscription de Takatokwane. Les éléments disponibles décrivent une première tentative en 2019, qui n’aboutit pas, suivie d’une nouvelle candidature lors du cycle électoral de 2024, cette fois sous la bannière de la coalition d’opposition Umbrella for Democratic Change (UDC), avec l’appui de composantes comme le Botswana National Front (BNF).
La campagne de 2024 s’inscrit dans un contexte national majeur : les élections générales du 30 octobre 2024 marquent une reconfiguration historique, l’UDC s’imposant comme force dominante au Parlement et ouvrant une nouvelle séquence politique. Dans ce paysage, Kelebeng remporte Takatokwane et entre à l’Assemblée nationale.
Cette victoire s’accompagne d’un symbole générationnel. Il est présenté comme le plus jeune député élu lors du scrutin, à 35 ans, ce qui attire l’attention dans un pays où les hiérarchies politiques ont souvent été dominées par des figures plus âgées. Cela ne signifie pas une rupture mécanique avec les anciennes pratiques, mais cela impose un style : davantage d’exposition médiatique, une attente d’innovation, et une pression forte pour démontrer que la jeunesse peut rimer avec compétence gouvernementale.
À l’échelle locale, son discours de campagne est rattaché à une logique de développement rural multi-sectoriel, avec des thèmes qui reviennent fréquemment dans les circonscriptions : infrastructures, opportunités économiques, inclusion, et capacité de l’État à transformer des promesses en services accessibles.
Ministre des Sports : refonder la filière, protéger les athlètes, moderniser les structures
La bascule la plus spectaculaire intervient après l’élection. En novembre 2024, dans la composition du gouvernement conduite par le président Duma Boko, Jacob Kelebeng est nommé ministre des Sports et des Arts. Une promotion rapide, qui fait de lui l’un des visages les plus visibles du nouveau pouvoir, et l’expose à une double contrainte : afficher une vision, tout en réglant des dossiers administratifs très concrets.
Sur le volet sportif, plusieurs axes ressortent des prises de parole rapportées. D’abord, l’idée que le sport doit être structuré dès l’école, avec une relance des sports scolaires comme base de détection des talents et comme politique de santé publique. Ce discours s’inscrit dans une logique classique : sans vivier scolaire, difficile d’alimenter durablement l’élite, et sans encadrement, les performances reposent trop sur des parcours individuels.
Ensuite, un thème revient avec insistance : le bien-être des athlètes, y compris après les victoires. Kelebeng met en avant la fragilité de certains parcours, marqués par une réussite sportive suivie de difficultés, notamment financières, une fois les projecteurs retombés. Il évoque la nécessité de programmes de littératie financière, de mentorat et de dispositifs d’accompagnement, afin que le succès sportif ne soit pas un feu de paille mais un tremplin vers une stabilité sociale.
Le troisième axe est celui des infrastructures. Dans un pays qui cherche à se positionner davantage sur l’échiquier sportif régional et international, la qualité des équipements conditionne la capacité à organiser des compétitions, à attirer des événements et à produire des performances de haut niveau. Le message porté est celui d’installations modernisées, capables de répondre aux standards requis, et d’une politique qui ne se limite pas à célébrer les champions, mais investit dans les conditions matérielles de leur émergence.
Enfin, un ministre se juge aussi à la manière dont il gère la machine administrative. Les dossiers liés aux institutions sportives nationales, aux nominations et aux recrutements stratégiques font partie de ces épreuves où l’on attend à la fois transparence, efficacité et respect du droit. Des déclarations rapportées indiquent, par exemple, un suivi du processus de nomination d’une direction à la Botswana National Sports Commission (BNSC), sujet sensible car il touche à la gouvernance quotidienne du sport botswanais.
Pris ensemble, ces éléments dessinent une ligne : traiter le sport non seulement comme un spectacle ou un vecteur d’orgueil national, mais comme un secteur à professionnaliser, avec des carrières à sécuriser et des institutions à stabiliser.
Ministre des Arts : économie créative, réformes et bataille pour la reconnaissance
Le portefeuille confié à Jacob Kelebeng est particulier, car il marie sport et arts. Or, les arts, au Botswana comme ailleurs, sont souvent pris dans un paradoxe : fortement mobilisés dans les discours sur l’identité nationale et la jeunesse, mais moins bien dotés quand il s’agit de budgets, d’infrastructures et de protections sociales.
Sur ce terrain, Kelebeng tient un discours orienté vers l’économie créative : faire de la culture un secteur productif, capable de contribuer à la diversification économique. Lors d’événements consacrés aux acteurs culturels, il met en avant la construction et la modernisation d’infrastructures (théâtres, galeries, studios, lieux de spectacle), et défend l’idée que l’État doit créer des espaces où les œuvres peuvent être produites et monétisées.
L’approche revendique aussi une dimension territoriale : ne pas concentrer les opportunités dans les grandes zones urbaines, mais développer des hubs artistiques communautaires dans les zones rurales, afin d’élargir l’accès aux moyens de production et d’expression. La culture est alors pensée comme une politique d’égalité des chances : permettre à un talent né loin des centres de pouvoir de disposer, malgré tout, d’un minimum d’outils.
L’autre aspect central est celui de la formalisation du secteur. En reprenant l’idée que les artistes sont aussi des acteurs économiques, Kelebeng évoque des dispositifs de soutien tels que des subventions, des prêts à faible taux et des formations entrepreneuriales. Ce type de discours, lorsqu’il se traduit en mesures, peut modifier en profondeur le quotidien d’un secteur souvent fragmenté, où le travail informel et l’absence de protection sociale fragilisent les trajectoires.
À cela s’ajoute une dimension de réforme juridique et de modernisation des politiques publiques. Dans des échanges avec des représentants du monde musical, il est question d’actualiser des textes jugés datés, notamment dans le domaine de la réglementation audiovisuelle. Le message politique est clair : si l’État veut des industries créatives fortes, il doit adapter le cadre légal aux réalités contemporaines, y compris celles de la production numérique et des nouveaux modes de diffusion.
Enfin, comme dans le sport, la culture a ses institutions, ses conseils, ses boards, ses procédures de nomination. Des déclarations rapportées au Parlement indiquent une volonté de revoir certains processus hérités de la période précédente, ce qui souligne une tension classique des alternances : réformer sans désorganiser, corriger sans bloquer, et maintenir la confiance des acteurs tout en installant de nouvelles règles du jeu.
Au total, le ministre défend une culture qui ne serait plus seulement un décor, mais un secteur structuré, créateur d’emplois, et capable d’exporter des contenus — tout en restant confronté à la question la plus difficile : celle des moyens, des arbitrages budgétaires et de la traduction de la vision en politiques durables.



