À Praia, capitale du Cap-Vert, son nom s’est imposé dans l’actualité politique à la faveur d’un remaniement gouvernemental au début de l’année 2025. Jorge Figueiredo, médecin de formation, a été appelé à diriger le ministère de la Santé, portefeuille sensible dans un archipel où la question de l’accès aux soins, des ressources humaines et de l’organisation du système sanitaire revient régulièrement au cœur du débat public.
Mais réduire Jorge Figueiredo à un intitulé ministériel serait passer à côté d’un parcours typique de ces trajectoires capverdiennes où les frontières entre administration publique, exercice professionnel et responsabilités politiques sont poreuses. Son itinéraire mêle médecine, gestion sanitaire, expérience municipale sur l’île du Sal et diplomatie, avant de s’achever, pour l’instant, au sommet de l’appareil exécutif.
Dans un pays organisé comme une république démocratique de type semi-présidentiel, où le gouvernement est conduit par un Premier ministre et où le président de la République conserve des prérogatives d’arbitrage, l’arrivée d’un nouveau ministre est rarement un simple changement de visage : elle traduit un choix politique, un calendrier et une stratégie de priorités. C’est à cette lecture que conduit la nomination de Jorge Figueiredo, à un moment où l’exécutif entend afficher un cap sur l’efficacité des services publics et la préparation des échéances à venir.
Un médecin au long cours dans le service public capverdien
Les éléments biographiques disponibles dans les présentations institutionnelles le décrivent d’abord comme un médecin. Jorge Figueiredo est diplômé en médecine et titulaire d’un master en développement des systèmes de santé, un domaine qui, par définition, dépasse la clinique pour s’intéresser à la manière dont un pays organise ses structures, ses financements, ses personnels et ses priorités sanitaires.
Avant son entrée au gouvernement, il a occupé des postes de responsabilité au sein de l’appareil sanitaire capverdien. Il est notamment présenté comme ayant exercé les fonctions de directeur général de la Santé et de délégué de santé dans plusieurs territoires, dont la ville de Praia, Tarrafal de Santiago et l’île du Sal. À ces responsabilités s’ajoutent des expériences hospitalières, en particulier au principal hôpital de Praia, ainsi que dans des structures de délégation de santé.
Ce type de parcours compte au Cap-Vert : l’État, de taille modeste, s’appuie sur des cadres capables de naviguer entre les contraintes d’un archipel (dispersion géographique, logistique, continuité des soins entre îles) et les impératifs d’un service public soumis à des attentes élevées. Dans les prises de parole accordées à la presse, le nouveau ministre a précisément insisté sur ce décalage fréquent entre les investissements en infrastructures et la difficulté, plus durable, de disposer de ressources humaines qualifiées et en nombre suffisant.
Le cœur de son profil se situe là : dans la conviction que la performance d’un système de santé ne se mesure pas seulement à ses bâtiments ou à ses équipements, mais aux équipes qui le font fonctionner, à leur répartition, à leur formation continue et à la capacité de gestion quotidienne. Cette approche, qui peut sembler technique, devient politique dès qu’elle touche à la négociation avec les professions de santé, à la planification budgétaire et aux arbitrages entre îles.
Dans l’archipel, où l’accès aux soins varie selon la taille des îles, la disponibilité de spécialistes et la robustesse des évacuations sanitaires, la trajectoire d’un responsable de santé publique prend naturellement une dimension politique. Elle l’expose aux critiques de l’opposition, aux revendications syndicales et aux attentes des usagers. Jorge Figueiredo arrive au ministère avec ce bagage : une culture professionnelle médicale, mais aussi une expérience administrative de terrain.
De la mairie à la diplomatie : l’élargissement d’un profil politique
L’une des caractéristiques les plus commentées de son parcours est son passage par la politique locale. Plusieurs articles le décrivent comme ancien président de la Câmara Municipal do Sal, c’est-à-dire ancien maire (ou président du conseil municipal) de l’île du Sal. Cette expérience municipale pèse, car Sal est un territoire stratégique : tourisme, croissance urbaine, pression sur les services publics, flux de travailleurs et enjeux de santé liés à la mobilité.
À cette étape locale s’est ajoutée une séquence diplomatique. Des médias capverdiens ont rapporté qu’il avait exercé la fonction d’ambassadeur du Cap-Vert en Angola, et qu’il avait quitté ce poste à la fin du mois de février 2023, sur la base d’un décret publié à l’époque.
La diplomatie, pour un responsable issu de la santé, peut paraître éloignée. Mais dans un petit État insulaire, elle se nourrit souvent de réseaux et d’une capacité à porter des dossiers sectoriels : coopération médicale, formation, partenariats hospitaliers, circulation de professionnels, ou encore coordination dans les crises sanitaires régionales. Les interventions attribuées à Jorge Figueiredo durant sa période d’ambassadeur montrent aussi un registre plus large, évoquant l’importance de l’investissement dans l’éducation et la formation comme leviers de développement, thème fréquent dans les discours diplomatiques capverdiens.
Ce cumul d’expériences nourrit un type de légitimité particulier : la légitimité technicienne (médecin et gestionnaire du système), la légitimité territoriale (ancienne responsabilité municipale) et la légitimité d’État (représentation diplomatique). Lorsqu’un chef de gouvernement compose ou remanie son équipe, il cherche souvent des profils capables de tenir le choc médiatique, de dialoguer avec l’administration, et de s’exprimer à l’international. Le portefeuille de la Santé coche toutes ces cases.
Dans les systèmes politiques de type semi-présidentiel, comme celui du Cap-Vert, le gouvernement est la vitrine de l’action publique, et chaque ministre devient un point d’entrée des critiques comme des attentes. La nomination de Jorge Figueiredo n’est donc pas seulement une promotion personnelle : elle l’expose à une arène nationale, où les problèmes concrets (files d’attente, urgences, évacuations, grèves, pénuries) se transforment rapidement en controverses politiques.
Une arrivée au gouvernement en 2025, dans un contexte de remaniement
Jorge Figueiredo a été nommé ministre de la Santé dans le cadre d’un remaniement annoncé au début de février 2025. La presse capverdienne a décrit une équipe remodelée, avec plusieurs sorties et l’entrée de nouveaux ministres. Dans ce contexte, il a été présenté comme l’une des « nouvelles figures », appelé à remplacer la titulaire précédente, Filomena Gonçalves.
L’investiture des nouveaux membres du gouvernement a eu lieu à Praia, sous la présidence du chef de l’État capverdien, José Maria Neves, selon des dépêches et comptes rendus publiés en français.
Sur le calendrier, plusieurs présentations convergent pour situer sa prise de fonctions ministérielles au 7 février 2025, date reprise par des supports liés à un événement international de santé et par des éléments de communication institutionnelle.
L’enjeu, pour l’exécutif, était alors double. D’une part, réajuster l’architecture gouvernementale et redistribuer certaines responsabilités, dans un pays où la taille du gouvernement et la répartition des portefeuilles font partie des discussions politiques régulières. D’autre part, envoyer un signal de continuité de l’action publique en plaçant à la Santé un profil déjà familier des rouages sanitaires.
Au Cap-Vert, la Santé est une politique de proximité au sens strict : elle se vit à l’échelle des municipalités et des îles, elle dépend des évacuations, des soins primaires, de la capacité à attirer et maintenir des médecins et infirmiers, et de la qualité de la relation entre l’État et les professionnels. Dès ses premières prises de parole relatées par des médias capverdiens, Jorge Figueiredo a mis en avant une logique de « gestion de proximité » et l’idée que l’amélioration passe par l’organisation des services autant que par la multiplication de nouvelles infrastructures.
Cette ligne est cohérente avec le discours qu’il tiendra ensuite : si construire, rénover et équiper est indispensable, « doter » durablement le système de compétences et de personnels en nombre suffisant est plus complexe. Derrière la formule, il y a une promesse implicite : celle de se concentrer sur la gestion, la répartition et la performance, plutôt que sur des annonces visibles mais parfois difficiles à maintenir dans le temps.
Quelles priorités à la Santé : organisation, ressources humaines, modernisation
Au fil des interviews et des déclarations rapportées en 2025, trois thèmes reviennent régulièrement lorsqu’il s’exprime comme ministre : l’organisation du système, la question des ressources humaines et la modernisation, notamment numérique.
Le premier thème est celui de l’organisation. Dans des visites à des services centraux rapportées par la presse, il a expliqué que l’amélioration de la prise en charge pouvait passer par une meilleure structuration des services, parfois « sans grands augmentations » d’infrastructures ou d’équipements, à condition d’optimiser ce qui existe déjà.
Ce discours n’est pas anodin politiquement. Il signifie que, pour le ministre, le problème n’est pas seulement un manque matériel : c’est aussi une question de circuits, de coordination, de gestion des flux et de gouvernance interne. Dans des systèmes de santé insulaires, l’organisation inclut aussi la référence des patients entre îles, l’orientation, la continuité des soins et la circulation de l’information médicale. La modernisation administrative devient alors une promesse d’égalité territoriale : si les dossiers suivent mieux les patients, si les données circulent, si les services sont mieux coordonnés, les écarts de qualité entre îles peuvent se réduire.
Le second thème, central, est celui des ressources humaines. Dans une longue interview, Jorge Figueiredo a dressé un état des lieux du secteur, en insistant sur le défi de disposer de professionnels suffisamment qualifiés et de gérer la relation avec les syndicats.
Ce point touche à des questions sensibles : recrutement, carrières, rémunérations, conditions de travail, formation, mais aussi capacité de l’État à planifier sur plusieurs années. Il y a là une tension classique : les gouvernements peuvent annoncer des investissements matériels, mais la formation d’un spécialiste, la stabilisation d’équipes, la fidélisation dans un archipel, prennent du temps. Le ministre, lui, met cette temporalité au centre de la discussion.
Le troisième thème est la modernisation numérique. Un média de service public a rapporté que Jorge Figueiredo assurait vouloir achever l’informatisation du système de santé « encore cette année » (dans le contexte de février 2025), en présentant cette informatisation comme un outil d’amélioration de la collecte et de l’analyse des données, donc de la gestion des services.
Cette promesse d’informatisation, si elle se concrétise, est politiquement structurante. Elle touche à la transparence des données, à la capacité d’évaluer la performance, à la planification des stocks, à la surveillance épidémiologique et à la coordination entre niveaux de soins. Elle peut aussi devenir un terrain de controverse, car elle suppose des investissements, de la formation des agents, des choix de logiciels, et une adaptation culturelle dans des services parfois déjà sous tension.
Dans le même esprit de présence sur le terrain, des communications institutionnelles ont relaté ses visites à des structures de santé et sa demande d’engagement des équipes pour poursuivre l’objectif de soins de qualité à la population.
Enfin, une dimension plus politique apparaît lorsque le ministre intervient devant le Parlement. À l’été 2025, un média capverdien a rapporté qu’il dénonçait ce qu’il appelait un « mouvement intentionnel » visant à attaquer et discréditer le système national de santé, répondant à des critiques formulées par l’opposition.
Cette séquence illustre un basculement : du registre technique (organisation, ressources humaines, informatisation) vers le registre politique (défense de l’action gouvernementale, confrontation parlementaire, bataille narrative autour de l’état réel du système). Quand un ministre de la Santé conteste publiquement l’idée d’un système « en mauvais état », il ne défend pas seulement des services : il défend une image de gouvernance.
Un style d’action : proximité, communication et rapports de force
Ce qui ressort des éléments publics, c’est un style que ses soutiens décrivent comme « de proximité » et que ses adversaires peuvent interpréter comme une communication offensive. Dans les articles consacrés à ses premiers jours au ministère, il insiste sur la population comme « priorité » et sur la nécessité de rendre les services plus efficaces, davantage que de multiplier les bâtiments.
Ce positionnement a un avantage : il parle à l’usager. L’usager ne mesure pas toujours l’investissement par le nombre de projets annoncés, mais par la disponibilité d’un médecin, la rapidité de prise en charge, la qualité de l’accueil, la régularité des médicaments, la clarté des procédures. En mettant l’accent sur l’organisation et l’efficacité, Jorge Figueiredo tente de s’aligner sur cette attente.
Mais ce positionnement comporte aussi un risque politique : l’organisation est moins spectaculaire que la construction. Elle est plus difficile à prouver rapidement. Elle dépend d’indicateurs, de réformes internes, de négociations sociales, et produit parfois des résultats progressifs. Dans un climat politique polarisé, ces progrès peuvent être contestés, moqués ou minimisés.
Ses relations avec les syndicats et les professionnels, souvent évoquées dans ses entretiens, deviennent ainsi un champ décisif. Un ministre médecin peut être attendu au tournant : on lui prête une compréhension des contraintes du terrain, et donc une obligation de résultats sur la réalité quotidienne des soignants. À l’inverse, il peut être soupçonné, s’il endosse trop fortement la défense du gouvernement, de minimiser la souffrance au travail ou les dysfonctionnements.
La séquence parlementaire de juillet 2025, telle que rapportée, montre qu’il n’hésite pas à contester frontalement certaines critiques, en évoquant une stratégie de discrédit.
Ce type de déclaration s’inscrit dans une logique classique de communication gouvernementale : reprendre l’initiative, déplacer le débat du « mauvais fonctionnement » vers la « mauvaise foi » de ceux qui critiquent, et réaffirmer que le système n’est pas « mal » dans son ensemble. Politiquement, cela peut galvaniser la majorité et rassurer une partie de l’opinion ; mais cela peut aussi durcir les lignes, en donnant à l’opposition un argument : celui d’un ministre qui refuserait d’admettre l’ampleur de certains problèmes.
Dans un pays semi-présidentiel où le gouvernement est conduit par le Premier ministre, la solidarité gouvernementale est une règle. La question est donc de savoir jusqu’où un ministre technicien peut conserver un langage d’expert tout en assumant l’affrontement politique. Le parcours de Jorge Figueiredo, à la fois administratif, municipal et diplomatique, le prédispose à cette double contrainte : parler « métier » et parler « politique ».
Son exposition médiatique, enfin, s’est nourrie d’entretiens au long format et d’émissions où il pose un diagnostic du secteur. Une émission en ligne diffusée par la RTC, la radio-télévision capverdienne, lui a été consacrée autour du diagnostic du système de santé.
Ce type de prise de parole n’est pas neutre : accepter l’exercice du diagnostic public, c’est se placer sur un terrain où chaque phrase peut être utilisée ensuite dans le débat. C’est aussi une manière de montrer qu’on assume la complexité et qu’on se situe dans le temps long, au-delà de la réponse immédiate à un fait divers sanitaire.
Ce que révèle son parcours : la politique capverdienne à l’épreuve des services publics
Au fond, la question « Qui est Jorge Figueiredo ? » renvoie à une interrogation plus large : quel type de dirigeants un pays comme le Cap-Vert met-il en avant lorsqu’il veut consolider ses politiques publiques ? Dans l’archipel, la santé est l’un des domaines où l’État est jugé au quotidien, et où les écarts territoriaux se voient immédiatement. Choisir un ministre issu de la médecine et de la gestion sanitaire revient à signaler que le problème est d’abord une affaire de système.
Sa nomination s’inscrit aussi dans une séquence politique précise. Le remaniement de février 2025, la cérémonie d’investiture à Praia, la recherche de nouvelles dynamiques au sein de l’exécutif : tout cela rappelle qu’un gouvernement, même stable, doit parfois réajuster sa composition pour répondre à l’usure, aux critiques, ou à la nécessité de marquer une inflexion.
Dans une république semi-présidentielle, les institutions structurent la manière dont un ministre agit. La Constitution et l’architecture politique font du gouvernement l’instrument principal de la conduite des politiques publiques, tandis que le président joue un rôle de chef de l’État, garant et arbitre dans certaines circonstances. Cet équilibre rend l’action ministérielle à la fois centrale et encadrée : un ministre peut proposer, impulser, réformer, mais il opère dans une ligne gouvernementale et sous le regard d’un Parlement où l’opposition peut mettre en scène les dysfonctionnements.
Le Cap-Vert, comme beaucoup de démocraties, voit la santé devenir un espace de politisation. Les thèmes techniques se transforment en marqueurs idéologiques : faut-il prioriser l’extension des structures ou l’optimisation ? Faut-il recruter plus, ou mieux organiser ? Faut-il centraliser ou renforcer l’autonomie locale ? Faut-il miser sur le numérique comme accélérateur, au risque de tensions de mise en œuvre ? Dans ces débats, Jorge Figueiredo est présenté comme un ministre qui privilégie l’organisation et les ressources humaines, et qui associe la modernisation à une meilleure gouvernance des données.
Son parcours, enfin, illustre un autre trait des élites capverdiennes : la polyvalence. Passer de la santé à la mairie, puis à l’ambassade, puis à un ministère régalien du quotidien, montre que la carrière politique dans un État insulaire peut emprunter des chemins transversaux. Cela peut être vu comme une force, car l’expérience accumulée élargit la compréhension des enjeux nationaux. Cela peut aussi être critiqué, si l’opinion y voit un système de nominations tournantes. Mais, dans les faits, ces trajectoires existent et structurent la manière dont les décideurs capverdiens se forment au pouvoir.
Ce qui est certain, c’est que Jorge Figueiredo, depuis février 2025, n’est plus seulement un médecin ou un ancien élu local : il est un visage national de la politique publique de santé. Et dans un secteur où les résultats se mesurent dans la vie réelle des gens, la question de son efficacité ne se résoudra ni par sa biographie ni par ses déclarations, mais par la capacité du système à tenir ses promesses : mieux organiser, mieux recruter, mieux coordonner, et moderniser sans casser le fragile équilibre d’un archipel.



