Dans l’archipel du Cap-Vert, certaines trajectoires publiques se lisent comme une longue conversation avec le monde. Celle de José Filomeno Monteiro appartient à cette catégorie rare : un responsable politique qui s’est construit dans la durée, au carrefour de la diplomatie, du Parlement et de l’appareil d’État, jusqu’à occuper, brièvement mais symboliquement, le poste de ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration régionale. Né en 1955 et décédé en décembre 2025, il laisse l’image d’un serviteur de l’État d’abord formé par les métiers internationaux, puis reconnu par la scène politique nationale. Son nom revient aujourd’hui dans les hommages comme dans les bilans, parce qu’il incarne une manière capverdienne d’exister sur la scène extérieure : par les réseaux, la continuité, le professionnalisme et la centralité de la diaspora.
Un visage de la diplomatie capverdienne
José Filomeno Monteiro est d’abord identifié, au Cap-Vert, comme un diplomate de carrière dont le parcours s’étire sur plusieurs décennies. Il est né à Praia, sur l’île de Santiago, capitale politique du pays, avant de se tourner vers des fonctions qui, par nature, exigent mobilité, méthode et patience.
Dans un petit État insulaire, la diplomatie n’est pas un simple prolongement de la politique intérieure : elle est l’une des conditions de la stabilité économique et sociale. Le Cap-Vert, pays marqué par une forte émigration, une économie ouverte et des dépendances structurelles (flux, liaisons, partenariats, sécurité maritime, coopération), a longtemps fait de la politique extérieure un levier national. Dans ce contexte, Monteiro s’impose comme un profil techniquement armé, habitué aux dossiers et aux relations institutionnelles.
Sa carrière l’amène à représenter son pays dans plusieurs postes de premier plan. Il a été consul général du Cap-Vert à Hong Kong entre 1993 et 2000, une affectation significative pour un État qui, à cette période, cherche à diversifier ses horizons et à comprendre les nouveaux centres de gravité commerciaux.
Plus tard, il endosse le rôle d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès de pays européens clés, notamment la Belgique, les Pays-Bas et la Hongrie, tout en étant représentant permanent du Cap-Vert auprès de l’Union européenne de 2016 à 2024, à Bruxelles. Cette fonction, au cœur des mécanismes communautaires, place un diplomate capverdien dans l’espace où se négocient coopération, mobilités, financements, normes, programmes et dialogues politiques. Pour le Cap-Vert, dont l’histoire récente s’est aussi construite dans le rapport à l’Europe et à ses politiques de voisinage et de partenariat, cette représentation est stratégique.
Cette longue expérience internationale finit par irriguer son image publique : un homme de dossiers, un praticien de l’État, un interlocuteur crédible auprès des partenaires. Au-delà des titres, cette réputation explique aussi pourquoi son passage au gouvernement, même court, a été perçu comme la consécration d’un itinéraire.
Des débuts entre formation à l’étranger et expérience professionnelle
La trajectoire de José Filomeno Monteiro ne se limite pas aux affectations diplomatiques : elle s’ancre aussi dans une formation suivie hors du pays. Selon des notices biographiques reprises par des médias capverdiens, il a fréquenté l’université Howard au début des années 1980, puis obtenu un diplôme en gestion et administration des entreprises à Washington, DC, à l’université Southeastern, entre 1988 et 1992.
Dans un pays où de nombreux cadres ont été formés à l’étranger, ces années ont une importance particulière : elles construisent des réseaux, donnent une familiarité avec les codes internationaux et façonnent une culture administrative et économique utile au retour. Les hommages publiés après son décès soulignent d’ailleurs ce passage par les États-Unis comme un moment d’élargissement d’horizons, susceptible d’avoir renforcé des compétences ensuite mobilisées dans la diplomatie.
Il est également mentionné qu’il a exercé une activité de journaliste dans un titre aujourd’hui disparu, Voz di Povo, élément qui, dans un parcours, n’est pas anodin. La presse, au Cap-Vert comme ailleurs, est un lieu d’apprentissage : rigueur de la narration, sens des faits, attention aux contextes et aux mots. Dans le cas d’un futur diplomate et parlementaire, l’expérience peut contribuer à une capacité d’analyse et à un rapport particulier au débat public, davantage fondé sur l’argumentation que sur l’invective.
De ce point de vue, Monteiro apparaît comme un profil hybride : ni exclusivement technocrate, ni exclusivement partisan, mais situé à une intersection fréquente dans les petites démocraties où les élites publiques cumulent souvent plusieurs métiers au cours d’une vie.
Enfin, il occupe aussi une fonction gouvernementale dès le tournant des années 2000. Les biographies disponibles évoquent un poste de secrétaire d’État adjoint au Premier ministre. Ce passage à l’exécutif, avant même son ministère, illustre une familiarité précoce avec les rouages de l’État et les arbitrages de l’action publique.
Le parcours politique au MpD et au Parlement
S’il est d’abord un diplomate, José Filomeno Monteiro n’est pas resté en marge de la vie partisane. Il appartient au Mouvement pour la démocratie (MpD), l’une des principales formations politiques capverdiennes, et il a été député à l’Assemblée nationale à deux reprises : de 2001 à 2006, puis de 2011 à 2016.
Au Parlement, il préside la Commission des relations extérieures, de la coopération et des communautés, commission qui, au Cap-Vert, est structurante : elle traite des politiques vers la diaspora, de la coopération bilatérale et multilatérale, et de la place du pays dans les organisations régionales et internationales. Ce détail éclaire la cohérence de sa trajectoire : même dans l’arène législative, il reste attaché aux questions internationales et aux communautés capverdiennes à l’étranger.
Les textes publiés lors de son décès évoquent aussi des responsabilités internes au MpD, où il a été cité comme vice-président. Dans un système partisan, ce type de poste indique une reconnaissance par l’appareil du parti, mais aussi une capacité à tenir un rôle d’équilibre : articuler la ligne politique, les sensibilités, les échéances électorales, tout en conservant la crédibilité technique liée à une carrière d’État.
Ce qui ressort des portraits et hommages, c’est l’idée d’un parlementaire respecté pour sa maîtrise des dossiers et pour un style de débat jugé élevé. Sans transformer l’éloge en preuve, ces descriptions convergent néanmoins vers une même figure : un homme dont l’autorité se nourrit davantage d’expertise et de culture générale que de polémique.
Dans la démocratie capverdienne, souvent citée pour sa stabilité relative en Afrique de l’Ouest, cette manière de faire de la politique n’est pas neutre. Elle renvoie à un modèle de gouvernance où l’alternance et les institutions prennent de l’importance, et où la crédibilité internationale du pays se construit aussi sur des personnalités capables de dialoguer avec des partenaires divers. Monteiro s’inscrit pleinement dans cette logique.
Au ministère des Affaires étrangères, une mission brève et symbolique
Le 9 octobre 2024, José Filomeno Monteiro devient ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration régionale, cumulant également le portefeuille des communautés, c’est-à-dire de la relation avec la diaspora. Il succède à Rui Alberto de Figueiredo Soares et quitte cette fonction fin octobre 2025, après avoir cessé d’exercer pour raisons de santé à partir du 27 octobre, avant que son mandat ne s’achève officiellement le 29 octobre 2025.
La brièveté du passage ne doit pas masquer ce qu’il représente : l’arrivée à la tête de la diplomatie d’un homme qui en connaît intimement les mécanismes, les réseaux et les codes. Avant le gouvernement, il a été, durant plusieurs années, le représentant du Cap-Vert auprès de l’Union européenne, à Bruxelles. Le transfert d’un tel profil du champ diplomatique vers la direction politique du ministère suggère une continuité recherchée : faire remonter l’expérience du terrain dans l’arbitrage gouvernemental.
Les bilans publiés après sa mort évoquent un passage marqué par une attention particulière à la diplomatie économique, à la relation avec l’Union européenne et aux partenaires jugés stratégiques, même si l’on manque, dans l’espace public, d’éléments détaillés sur des réformes structurelles précises associées à sa seule période d’exercice. Les diplomaties des petits États se déploient souvent dans la négociation discrète, la consolidation de liens, l’anticipation de crises, la sécurisation de programmes. Dans ce cadre, la présence d’un ministre issu du corps diplomatique peut surtout se mesurer à la qualité des relations maintenues, aux canaux ouverts et à la capacité à protéger les intérêts du pays.
Son ministère intervient à un moment où la région ouest-africaine traverse des recompositions politiques et sécuritaires. Pour un archipel, l’intégration régionale et la coopération ne sont pas des slogans, mais des outils : répondre aux enjeux migratoires, assurer la sécurité maritime, travailler sur les échanges, et préserver la stabilité dans l’environnement proche. Le fait même que son portefeuille mentionne l’intégration régionale souligne l’importance stratégique accordée à cette dimension.
Par ailleurs, l’existence d’un portefeuille des communautés rappelle une réalité structurante : une part significative des Capverdiens vit à l’étranger, et la relation à la diaspora est un dossier permanent, à la fois social, économique, culturel et politique. En présidant auparavant la commission parlementaire dédiée aux relations extérieures et aux communautés, Monteiro arrive au gouvernement avec un historique directement lié à cet enjeu.
Sa sortie du gouvernement, motivée par des raisons de santé, est annoncée avant la fin officielle de son mandat. Cet épisode éclaire aussi une donnée humaine : derrière les fonctions, la fragilité physique peut interrompre une trajectoire et obliger l’État à assurer la continuité. Son successeur au ministère est mentionné dans les listes officielles et les notices biographiques comme José Luís do Livramento Monteiro Alves de Brito.
Une disparition en décembre 2025 et des hommages à la hauteur d’une carrière
Le 8 décembre 2025, José Filomeno Monteiro meurt à Praia, à l’âge de 70 ans, après une longue maladie, selon les annonces et comptes rendus publiés dans la presse et relayés par les autorités. Les hommages officiels évoquent un homme qui a traversé plusieurs moments de la vie nationale, présent « dans les phases marquantes » du pays, du combat pour la liberté et la démocratie jusqu’à l’affirmation internationale du Cap-Vert.
Les réactions rapportées dans les médias capverdiens donnent à voir une tonalité unanime : reconnaissance pour la « dedication au service public », insistance sur le « relevant contributo » laissé au pays, compassion pour la famille et les proches. Le président de la République, José Maria Neves, est cité rendant hommage à une figure décrite comme un homme d’État et une référence, insistant sur la culture, la maîtrise des dossiers et l’élévation du débat.
Au-delà des formulations, l’écho est révélateur : dans un pays où la diplomatie est une dimension vitale, la disparition d’un ancien chef de la politique extérieure touche un domaine sensible, celui de la représentation nationale. Les hommages mentionnent également la tenue des funérailles au cimetière de Várzea, à Praia, ce qui ancre le récit dans une géographie familière aux habitants de la capitale.
Les portraits publiés à cette occasion rappellent aussi des aspects plus personnels, comme son goût pour les arts, sa pratique du piano et une passion évoquée pour le jazz et le blues. Ces détails, rarement présents dans les notices institutionnelles, éclairent la manière dont une personnalité publique est perçue par une société : non seulement à travers ses fonctions, mais aussi par un style, une présence, un rapport au monde.
Au final, répondre à la question « qui est José Filomeno Monteiro ? » revient à décrire un itinéraire de continuité entre plusieurs sphères : la diplomatie professionnelle, la politique partisane, l’activité parlementaire et l’exercice gouvernemental. Ministre des Affaires étrangères d’octobre 2024 à octobre 2025, député à deux reprises, ambassadeur et représentant auprès de l’Union européenne, consul général à Hong Kong, il aura incarné une certaine idée de l’État capverdien : modeste par la taille, mais ambitieux par la projection, attentif à ses communautés à l’étranger, et soucieux de se tenir au niveau des exigences internationales.



