Né à Nouna, dans la région de la Boucle du Mouhoun, Karamoko Jean-Marie Traoré s’est imposé en quelques années comme l’un des visages les plus visibles de l’appareil d’État burkinabè à l’international. Diplomate de formation, passé par des fonctions administratives à l’Assemblée nationale et par des responsabilités au sein d’un organe lié au G5 Sahel, il occupe depuis décembre 2023 le poste de ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l’Extérieur. Dans un pays traversé par une crise sécuritaire durable et engagé dans une reconfiguration de ses alliances, sa trajectoire, ses prises de parole et ses déplacements racontent aussi une époque : celle d’un Sahel en quête de nouveaux équilibres, entre souveraineté revendiquée, régionalisation accélérée et diplomatie à haute intensité.
Karamoko Jean-Marie Traoré n’est pas une figure issue d’un long parcours partisan au sens classique du terme. Son profil est d’abord celui d’un cadre, rompu aux dossiers techniques, au protocole et aux arènes institutionnelles. Mais la fonction transforme la personne : à la tête de la diplomatie, il devient porte-voix d’une orientation politique plus large, portée au sommet de l’État, et tenue à l’épreuve des faits dans les enceintes internationales comme dans les négociations bilatérales.
D’une formation universitaire à la diplomatie : les jalons d’un parcours de cadre d’État
Karamoko Jean-Marie Traoré naît le 14 octobre 1972 à Nouna. Son itinéraire académique commence à l’Université de Ouagadougou, où il obtient une maîtrise ès lettres, option géographie rurale, en 1998. Ce détour par la géographie, loin d’être anecdotique, s’inscrit dans une tradition de formation où l’analyse des territoires, des dynamiques rurales et des ressources nourrit aussi la compréhension des politiques publiques. Il poursuit ensuite une formation de diplomate à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), au cycle A, dans la filière diplomatie, dont il sort diplômé au début des années 2000.
Le profil revendiqué est celui d’un conseiller des affaires étrangères, métier qui suppose autant la maîtrise des codes que la capacité à porter des positions dans des environnements parfois hostiles ou polarisés. Il est aussi présenté comme ayant suivi plusieurs formations continues, notamment sur la gestion des conflits, le changement climatique et les mécanismes de conciliation. Dans la région sahélienne, où les enjeux de sécurité, de ressources et de gouvernance se superposent, ces thématiques deviennent rapidement plus qu’un simple complément de carrière : elles structurent une grille de lecture.
Son parcours professionnel, avant d’accéder au rang ministériel, alterne périodes dans la fonction publique et expériences hors administration. Il travaille notamment au ministère chargé des Affaires étrangères dans les années 2000, affecté à la direction Europe, puis, plus tard, occupe des responsabilités telles que chef de service Afrique de l’Ouest et directeur Asie–Moyen-Orient et Pacifique. Ces postes ne sont pas seulement des lignes de curriculum vitae : ils correspondent à des espaces diplomatiques stratégiques, entre relations régionales ouest-africaines, coopérations avec des partenaires du Golfe ou d’Asie, et repositionnements géopolitiques.
Entre 2003 et 2012, il est aussi décrit comme ayant mené une carrière dans le secteur privé et le conseil, en lien avec des projets de développement, l’accompagnement d’organisations et des programmes de coopération. Là encore, la trajectoire dessine un profil hybride : un diplomate qui connaît les arènes institutionnelles, mais qui a également fréquenté les logiques de projets, le suivi-évaluation, la formation et l’ingénierie de partenariats. Dans une diplomatie de plus en plus “opérationnelle”, où les États négocient autant des financements que des positions politiques, ce type d’expérience pèse.
Enfin, certains éléments biographiques soulignent ses compétences linguistiques : il parle français, anglais, dioula et mooré. Dans une région où la diplomatie interne (auprès des communautés, de la société civile, des diasporas) se mêle de plus en plus à la diplomatie externe, cet aspect contribue aussi à construire une image de proximité, au-delà des salons officiels.
De l’Assemblée nationale au G5 Sahel : une trajectoire façonnée par l’institutionnel
Avant de devenir ministre, Karamoko Jean-Marie Traoré évolue à des postes où la dimension protocolaire, la coordination et la relation interinstitutionnelle sont centrales. À l’Assemblée nationale du Burkina Faso, il est successivement directeur du protocole, directeur de la diplomatie parlementaire, puis directeur de la coopération parlementaire. Ces fonctions, souvent discrètes, servent pourtant de carrefour : elles mettent en relation délégations étrangères, organisations internationales, parlementaires, administrations et partenaires techniques.
Cette séquence parlementaire est suivie d’une nomination à un poste régional : il devient, à partir de février 2020, secrétaire exécutif du Comité interparlementaire du G5 Sahel (CIP G5 Sahel), basé à Niamey. Le G5 Sahel a longtemps incarné une architecture régionale de coopération sécuritaire et de développement, et la dimension “interparlementaire” vise, en principe, à lui donner une légitimité politique et un relais institutionnel. Même si les équilibres régionaux ont depuis fortement évolué, cette expérience place Traoré au contact des mécanismes de coordination sahélienne, des sensibilités nationales et des injonctions internationales.
Ce passage par une structure régionale n’a rien d’un détail : il correspond à un apprentissage de la diplomatie de coalition. Travailler dans un cadre multilatéral sahélien signifie gérer des priorités divergentes, composer avec des agendas extérieurs, et articuler communication politique et impératifs opérationnels. Dans un espace où les crises se répondent d’une frontière à l’autre, la pratique du compromis et la capacité à parler au nom d’un collectif deviennent des compétences déterminantes.
Ce parcours institutionnel éclaire aussi l’étape suivante : en mars 2022, Karamoko Jean-Marie Traoré est nommé ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la Coopération régionale. Il n’est pas encore le chef de la diplomatie, mais il se trouve déjà dans l’orbite directe du ministère, au cœur des dossiers de coopération et d’intégration régionale. Autrement dit, il arrive au poste ministériel suprême avec une familiarité préalable des circuits internes, des partenaires, et des arbitrages.
Cette continuité, du parlement au régional puis au gouvernement, produit une image de “technicien politique”. Il n’apparaît pas comme un tribun, mais comme un responsable qui incarne une diplomatie de méthode : réunions, procès-verbaux, cadres de coopération, prises de parole codifiées, et, surtout, un récit de souveraineté qui se construit dans la durée.
Ministre des Affaires étrangères depuis décembre 2023 : une fonction exposée, une diplomatie revendiquée
En décembre 2023, Karamoko Jean-Marie Traoré prend la tête du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l’Extérieur. Le poste est l’un des plus sensibles du gouvernement : il concentre les relations bilatérales, la parole internationale, les négociations de coopération, mais aussi la gestion d’un lien particulier avec la diaspora, souvent sollicitée dans les périodes de crise.
Dès lors, le ministre devient une voix attendue sur plusieurs dossiers : la position du Burkina Faso dans les organisations internationales, la relation avec les voisins, et la ligne officielle sur les alliances et partenariats jugés prioritaires. À ce titre, la diplomatie burkinabè est présentée comme engagée dans une “reconfiguration” et une logique de rupture, selon des termes repris lors d’échanges publics avec la presse burkinabè en décembre 2025. L’idée centrale consiste à affirmer des partenariats fondés sur l’intérêt mutuel et le respect réciproque, et à inscrire l’action extérieure dans une cohérence politique nationale.
Cette posture se lit aussi dans les prises de parole internationales. Lors du débat général de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2024, Karamoko Jean-Marie Traoré intervient au nom de son pays. Il met en avant la souveraineté, revendique des “succès significatifs” dans la lutte contre le terrorisme et avance des éléments chiffrés sur le contrôle territorial, en comparant la situation à celle de 2022. Dans l’architecture diplomatique, ce type de discours sert plusieurs objectifs : rassurer des partenaires, légitimer une trajectoire politique, mais aussi influencer le regard extérieur sur un conflit souvent résumé à ses violences.
Le rôle du ministre n’est toutefois pas seulement de parler : il consiste aussi à “tenir” une doctrine dans le réel. La coopération bilatérale, les accords, les commissions mixtes, les formats multilatéraux régionaux, et la gestion de dossiers sensibles exigent des résultats concrets. Dans cet espace, la diplomatie devient un prolongement du rapport de forces : elle vise à obtenir des soutiens, des investissements, des mécanismes de coopération, tout en défendant une ligne politique parfois contestée.
La fonction l’expose enfin à une tension permanente : d’un côté, répondre aux attentes internes de souveraineté et de “nouveaux partenariats”, de l’autre, composer avec des systèmes internationaux où les règles, les sanctions, les alliances et les perceptions pèsent sur les marges de manœuvre. L’homme, lui, doit concilier la prudence du diplomate et la fermeté du responsable politique.
L’Alliance des États du Sahel et la sortie de la CEDEAO : le ministre en première ligne du tournant régional
Depuis 2024, la scène sahélienne connaît une accélération institutionnelle avec l’émergence de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui associe le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Dans ce cadre, Karamoko Jean-Marie Traoré apparaît comme l’un des porte-parole de la dynamique confédérale, notamment lors d’interventions publiques où il présente l’AES comme un cadre d’intégration et de coordination.
En janvier 2025, il défend à la télévision nationale la décision des pays membres de l’AES de se retirer de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qualifiant cette décision d’acte de “survie”. La formule marque un positionnement : elle renvoie à l’idée d’une menace existentielle, et d’une réponse politique présentée comme nécessaire. Dans le langage diplomatique, parler de “survie” vise aussi à déplacer le débat : il ne s’agit plus d’une divergence technique sur des normes régionales, mais d’un choix politique justifié par la sécurité, la souveraineté et la protection des populations.
La création d’une confédération, l’affirmation d’une architecture propre, et le retrait d’une organisation régionale historique, constituent un basculement majeur. Dans ce contexte, le chef de la diplomatie est chargé de transformer une rupture en trajectoire durable : sécuriser les relations avec les pays voisins, préserver les flux, rassurer les communautés migrantes, et éviter que l’isolement politique ne se traduise par un étranglement économique.
Cette diplomatie de l’AES se joue aussi sur le terrain concret des documents, des mobilités et des symboles. La mise en circulation d’un passeport de l’AES, par exemple, devient un marqueur d’identité politique et administrative. La reconnaissance de ce document par certains États hors de la zone, sans que cela n’implique un changement automatique des politiques de visas, illustre une réalité : les symboles sont puissants, mais ils n’effacent pas les rapports de force.
Dans la pratique, la diplomatie confédérale suppose des déplacements conjoints, des positions coordonnées, et des rencontres à plusieurs voix. Le ministre burkinabè s’inscrit dans cette logique, comme en témoignent des visites et réunions où les chefs de la diplomatie de l’AES agissent ensemble. L’objectif est double : montrer l’unité politique, et construire des partenariats extérieurs capables de compenser la perte de certains relais traditionnels.
Reste une difficulté : une confédération naissante doit produire des résultats visibles pour être crédible. Or la région demeure sous la pression de la violence armée, des déplacements de populations, et des fragilités économiques. Le ministre, en première ligne, doit alors gérer une communication politique tout en négociant, souvent discrètement, les conditions pratiques du “nouvel ordre régional” revendiqué.
Entre partenariats stratégiques et diplomatie bilatérale : Russie, Maroc et la recherche de marges de manœuvre
Le mandat de Karamoko Jean-Marie Traoré se caractérise par une intensification des discours sur les “partenariats stratégiques”, avec une attention particulière portée à certains pays. La Russie est régulièrement citée comme un partenaire mis en avant dans les échanges publics et dans la dynamique de reconfiguration diplomatique. Des séquences de travail et de communication présentent la coopération avec Moscou comme un axe important, y compris dans un cadre confédéral avec les autres membres de l’AES.
Dans ce contexte, des visites à Moscou impliquant les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES sont présentées comme des démarches visant à renforcer la coopération. Au-delà de la symbolique, l’enjeu est clair : sécuriser des appuis, diversifier les partenaires, et montrer que le Sahel n’est pas condamné à un tête-à-tête avec ses anciennes dépendances. Pour le ministre burkinabè, il s’agit aussi de tenir une ligne : celle d’un partenariat présenté comme équilibré, et non comme une nouvelle tutelle.
Parallèlement, le Maroc s’impose comme un acteur diplomatique de plus en plus présent dans les interactions avec les États sahéliens. En décembre 2025, à Ouagadougou, le Burkina Faso et le Maroc tiennent une réunion ministérielle de leur commission mixte de coopération, au cours de laquelle douze instruments juridiques sont signés. Les chefs de la diplomatie des deux pays, Karamoko Jean-Marie Traoré et son homologue marocain, coprésident la séquence, qui s’inscrit aussi dans un cadre commémoratif de relations diplomatiques établies depuis plusieurs décennies.
Là encore, le dossier est plus large qu’une liste d’accords. La diplomatie marocaine cherche à consolider son rôle économique et politique au Sahel, tandis que les pays sahéliens enclavés explorent des solutions de désenclavement commercial. L’initiative marocaine visant à offrir un accès aux ports atlantiques apparaît comme un élément de cette stratégie. Le ministre burkinabè, dans ce contexte, n’agit pas seulement au nom de son pays, mais aussi dans une logique régionale, puisque la question de l’accès à la mer concerne également le Mali et le Niger.
Ces dynamiques bilatérales s’inscrivent dans un environnement où les relations avec certains partenaires traditionnels se sont dégradées. Dans ce type de reconfiguration, la diplomatie cherche des relais : investissements, accords, coopération sécuritaire, mais aussi médiations. Les événements liés à la libération de ressortissants français détenus au Burkina Faso, avec un rôle de médiation attribué au Maroc, ont rappelé que, dans la région, les dossiers sensibles se traitent parfois par des canaux indirects.
À l’échelle personnelle, Karamoko Jean-Marie Traoré incarne cette diplomatie de la recherche de marges de manœuvre. Son rôle consiste à formaliser des rapprochements, à sécuriser des cadres, et à produire un récit cohérent : celui d’un pays qui affirme sa souveraineté tout en négociant, parfois intensément, les conditions de sa respiration économique et diplomatique.
Dans une région où les alliances se font et se défont vite, la figure du ministre ne se réduit ni à un porte-parole ni à un simple gestionnaire. Il devient un acteur de la reconfiguration, tenu d’expliquer, de justifier et de concrétiser. Et c’est peut-être là que se situe la clé de lecture : la trajectoire de Karamoko Jean-Marie Traoré est celle d’un diplomate devenu politique par la force des circonstances, dans un Sahel où la diplomatie n’est plus un décor, mais un champ de bataille feutré.



