Longtemps, son nom a circulé dans un univers discret, celui des cartes géologiques, des inventaires miniers et des banques de données scientifiques. Puis, à la faveur d’un remaniement gouvernemental, Karima Bakir Tafer a changé d’échelle et de registre: la géologue s’est retrouvée propulsée sur le devant de la scène, avec un portefeuille éminemment stratégique dans une période où les minerais critiques, la transition énergétique et les rivalités d’investissement s’invitent dans les agendas diplomatiques. Qui est-elle, et que dit son parcours de la manière dont l’Algérie entend piloter son secteur minier?
Au fil des mois, son intitulé exact a varié au gré des communications officielles et des périmètres ministériels, mais le cœur de sa mission, lui, reste lisible: porter la politique des mines, défendre des projets structurants, et donner des gages de méthode à un secteur qui dépend autant de la géologie que de la gouvernance. Entre déplacements à l’étranger, auditions et visites de sites, Karima Bakir Tafer incarne désormais une figure de l’État à la charnière du technique et du politique.
Une formation et une carrière ancrées dans la géologie publique
Les éléments biographiques disponibles dessinent un profil d’ingénieure issue de la filière géologique, spécialisée en hydrogéologie, avec un parcours construit dans les institutions publiques du secteur. Une biographie publiée par une organisation professionnelle internationale la présente comme recrutée au Service géologique de l’Algérie en 1994, affectée à un département consacré à la banque de données géologiques, avec des missions de collecte et de traitement de publications sur la géologie du pays, et la production de livrets thématiques sur des substances utiles selon les régions.
Cette même source insiste sur une carrière jalonnée de responsabilités liées à l’édition et à la diffusion de travaux scientifiques, puis à la géoinformation et à la cartographie, dans un enchaînement typique des métiers “d’infrastructure” de l’action minière: ce qui précède l’exploitation, la conditionne et la documente.
Un entretien accordé en 2022 à un média algérien éclaire l’un des postes-clés qu’elle a occupés avant son entrée au gouvernement: la présidence du comité de direction de l’Agence du Service Géologique de l’Algérie (ASGA), présentée comme un organisme sous tutelle du ministère en charge de l’énergie et des mines, avec pour mission l’élaboration de cartes géologiques et la mise à disposition d’informations sur les ressources minérales au profit des opérateurs.
Dans cet échange, l’ASGA est aussi décrite comme instituée par la loi minière algérienne n° 14-05 du 24 février 2014, et chargée de la gestion de “l’infrastructure géologique”, autour de l’acquisition de données (cartographie, inventaire minéral, levés géophysiques et géochimiques), de leur traitement (bibliothèque des sciences de la Terre, banque nationale de données géologiques opérationnelle depuis 2019 selon le même entretien) et de leur diffusion.
Ces éléments, parce qu’ils proviennent de documents qui parlent d’abord de géosciences, expliquent aussi la singularité de Karima Bakir Tafer dans le paysage politique: elle n’émerge pas d’un appareil partisan très visible ni d’un mandat électif largement médiatisé, mais d’une filière technique de l’État. Une trajectoire qui renvoie à une logique fréquente dans les portefeuilles sectoriels: quand l’enjeu est d’abord industriel, réglementaire et d’investissement, le profil “technocratique” sert de marqueur de crédibilité, en interne comme à l’international.
La nomination au gouvernement et un périmètre devenu stratégique
Le basculement se produit à l’automne 2024. Dans un communiqué repris par l’Ambassade d’Algérie en France, le président algérien Abdelmadjid Tebboune nomme, par décret présidentiel, les membres du gouvernement; Karima Tafer y figure comme “secrétaire d’État auprès du ministre de l’Énergie, chargée des Mines”. La publication de l’Ambassade date du 19 novembre 2024, et reprend un communiqué de la Présidence daté du lundi précédent.
Au-delà de l’intitulé, cette nomination installe Karima Bakir Tafer à l’interface d’un ministère dont le champ couvre l’énergie et, selon les périodes, les mines et les énergies renouvelables. La nomination, dans la même liste, d’un autre secrétaire d’État chargé des énergies renouvelables souligne une organisation par “pôles” et donne une indication politique: la matière minière n’est pas seulement un sous-dossier administratif; elle justifie un portefeuille dédié.
Cette montée en visibilité se lit également dans la presse économique algérienne, qui insiste sur son expérience dans le domaine géologique et minier, et sur ses diplômes d’ingénieur d’État et de master en géologie.
Le calendrier, lui, parle d’une accélération. Au fil de 2025, son nom devient récurrent dans des comptes rendus de visites, de rencontres, et de participation à des rendez-vous internationaux. L’Algérie, comme beaucoup d’États disposant de ressources minières ou d’un potentiel d’exploration, se trouve prise dans un contexte mondial où la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, la montée des technologies de stockage et l’intérêt renouvelé pour certains métaux redessinent les priorités. Dans ce cadre, la parole publique d’une secrétaire d’État “chargée des mines” est scrutée pour ce qu’elle annonce de la trajectoire algérienne: projets, règles du jeu, partenariats, transformation locale.
Les dossiers mis en avant: zinc, plomb, cartographie, loi minière
Si l’on s’en tient aux faits documentés, plusieurs thèmes reviennent avec insistance dans les activités attribuées à Karima Bakir Tafer.
Premier dossier: un projet minier souvent cité dans la presse algérienne, celui de la mine de zinc et de plomb de Tala Hamza – Oued Amizour, dans la wilaya de Béjaïa. Des articles relatent qu’elle a présidé une réunion de travail et de suivi sur ce projet au siège de la wilaya, en insistant sur la mise en place de mécanismes de suivi et sur la tenue des délais, dans un cadre présenté comme transparent et équitable.
Ce type de séquence, très “terrain”, est politiquement parlant: il signale un pilotage par l’exécution, la coordination avec les autorités locales, et une volonté d’éviter que les grands projets miniers ne s’enlisent dans les lenteurs administratives, les ambiguïtés de gouvernance ou l’incertitude sur la répartition des bénéfices.
Deuxième thème: la géologie comme socle. Même devenue responsable politique, Karima Bakir Tafer reste associée à des événements où la géologie est présentée comme un préalable à toute ambition minière. El Moudjahid, par exemple, rapporte qu’elle a présidé l’ouverture d’un atelier national intitulé “La géologie algérienne : bilan, défis et perspectives”.
Dans un pays vaste, où l’exploration et la connaissance du sous-sol conditionnent l’attractivité pour les investisseurs et la capacité de l’État à arbitrer, l’accent mis sur la cartographie et l’inventaire n’est pas anodin. Il prolonge ce qu’elle déclarait déjà lorsqu’elle dirigeait l’ASGA, décrite comme productrice de cartes régulières à différentes échelles, de cartes thématiques, et de synthèses par substances, avec des dispositifs de diffusion des données via une banque nationale et une bibliothèque spécialisée.
Troisième dossier: la réforme du cadre juridique. Plusieurs médias évoquent des prises de parole de la secrétaire d’État autour d’un projet de loi minière, présenté comme un texte destiné à répondre à des défis du secteur et à améliorer le climat d’investissement, en s’appuyant sur des années d’études et de concertation.
Ici, la prudence s’impose: ces articles rapportent des orientations et des arguments avancés lors d’auditions ou de discussions, mais ils ne suffisent pas, à eux seuls, à reconstruire l’ensemble de la réforme ou son contenu final. Ils attestent en revanche d’un fait politique clair: la question de la loi minière est portée au niveau gouvernemental par la secrétaire d’État elle-même, ce qui place Karima Bakir Tafer au centre d’un dossier structurant où se rencontrent souveraineté, attractivité, fiscalité, environnement et partage de la valeur.
Enfin, un quatrième axe apparaît dans plusieurs comptes rendus: l’idée de “valeur ajoutée”, de transformation locale et de projets industriels associés. Dans un compte rendu de participation à un forum minier international, il est indiqué qu’elle a présenté une feuille de route insistant sur l’exploitation de minéraux rares, la transformation locale, le renforcement de la recherche géologique et des projets structurants destinés à augmenter la valeur ajoutée.
Ce vocabulaire, fréquent dans les stratégies minières contemporaines, est politiquement chargé: il traduit une ambition de ne pas rester cantonné au rôle de fournisseur de matières premières, et de lier extraction, compétence, et industrie.
Une diplomatie minière en action: Canada, Londres, et la quête de partenariats
La dimension internationale est sans doute l’un des marqueurs les plus visibles de la fonction exercée par Karima Bakir Tafer.
Au printemps 2025, des articles rapportent sa participation à CIM Connect 2025 à Montréal, un événement où la délégation algérienne aurait cherché à faire avancer les discussions sur le développement de la filière lithium, avec des rencontres en marge, notamment avec le professeur Karim Zaghib, connu pour ses travaux dans les technologies de stockage d’énergie.
Dans le prolongement, plusieurs comptes rendus évoquent une étape à Bécancour (Québec), présentée comme stratégique, autour de la filière de batteries LFP (lithium fer phosphate), dans une perspective de coopération et de transfert de technologies.
Là encore, il faut distinguer ce qui est solidement établi (la participation, les étapes, les thèmes abordés rapportés par des médias) de ce qui relève de la projection ou de l’intention politique (préparer un lancement, favoriser les opportunités). Mais l’ensemble raconte une dynamique: la politique minière est explicitement connectée à l’aval industriel et aux technologies énergétiques, et la secrétaire d’État est envoyée comme porte-voix de cette articulation.
Autre séquence importante: Londres, début décembre 2025, lors de “Resourcing Tomorrow”, présenté comme un événement minier mondial. Une dépêche de l’Agence Presse Service indique sa participation à l’événement, organisé du 1er au 4 décembre à Londres, et précise que des ministres, experts et investisseurs y étaient présents, dans un cadre relayé par un communiqué du ministère.
Le quotidien Horizons rapporte qu’en marge de cette participation, elle a tenu des rencontres bilatérales, et s’appuie lui aussi sur un communiqué ministériel.
Ces déplacements traduisent une diplomatie économique ciblée. Dans les industries extractives, l’affichage compte: rencontrer des acteurs, rassurer sur la trajectoire réglementaire, présenter une feuille de route, et signifier que l’État est “au rendez-vous” de la compétition pour les capitaux et les savoir-faire. C’est un registre où la crédibilité technique du représentant peut jouer un rôle: parler de cartographie, d’inventaires, de transformation locale, et de gouvernance des projets n’est pas un discours d’apparat; c’est une manière de proposer un récit d’investissement.
Cette diplomatie minière s’observe aussi dans des rencontres bilatérales à Alger. Une page de la Radio algérienne recense des articles où elle reçoit, par exemple, l’ambassadeur d’Iran, lequel souligne l’intérêt d’entreprises iraniennes pour investir en Algérie, dans des échanges situés dans le champ mines-hydrocarbures.
L’ensemble de ces éléments ne suffit pas à dresser un bilan chiffré ou à mesurer l’efficacité réelle de la stratégie, mais il trace un fait politique: le portefeuille des mines, porté par Karima Bakir Tafer, se déploie sur une scène internationale, et s’exprime comme un levier de partenariats, de technologies et de projets industriels, autant que comme une politique d’extraction.
Une figure à la frontière du technique et du politique
Alors, que révèle le cas Karima Bakir Tafer sur la nature du pouvoir sectoriel? D’abord, une évidence: elle appartient à une famille de responsables dont la légitimité se construit par l’expertise. Sa carrière racontée dans les documents biographiques et professionnels disponibles insiste sur des métiers de long terme, rarement sous les projecteurs: structurer des bases de données, superviser des publications scientifiques, piloter la cartographie, organiser la diffusion de l’information géologique.
Ensuite, son exposition publique récente s’aligne sur les moments où le technique rencontre le politique: projets miniers à fort enjeu territorial, réforme d’une loi structurante, participation à des forums mondiaux, promotion d’une feuille de route qui promet à la fois investissement et transformation locale.
Ce positionnement a une conséquence directe: elle parle souvent au nom de l’État stratège plus qu’au nom d’une vision idéologique. Dans les textes qui la citent, il est beaucoup question de suivi, de mécanismes opérationnels, de transparence, de feuille de route, d’alignement sur des standards internationaux, de partenariats et de réseaux de coopération.
Enfin, la comparaison implicite avec d’autres figures politiques met en relief un fait: dans certaines politiques publiques, notamment industrielles, la “carrière politique” ne se lit pas dans les codes classiques (campagnes, parti, mandat), mais dans la capacité à tenir une ligne d’action, à articuler les niveaux (local, national, international) et à faire converger des institutions, des opérateurs et des investisseurs. Les séquences documentées sur Tala Hamza – Oued Amizour, sur les ateliers scientifiques, ou sur les forums internationaux, mettent Karima Bakir Tafer dans ce rôle de cheffe d’orchestre sectorielle.
Ce portrait reste forcément contraint par la nature des informations accessibles: il y a peu de détails publiés, dans les sources consultées, sur sa trajectoire personnelle, ses positions sur des débats internes, ou son rôle exact dans les arbitrages gouvernementaux. Mais les faits établis suffisent à répondre à la question initiale: Karima Bakir Tafer est une responsable algérienne issue de la géologie publique, devenue secrétaire d’État chargée des mines à partir du remaniement de novembre 2024, et dont l’action publique documentée se concentre sur le suivi de projets miniers, la valorisation de la connaissance géologique, la réforme du cadre minier et la promotion de partenariats internationaux liés aux minerais et à leurs usages industriels.



