Qui est Kassim Haroun Ali ?

À Djibouti, la décentralisation n’est pas un mot d’ordre récent. Elle est devenue, au fil des années, un chantier de gouvernance à la fois technique et hautement politique, où se croisent les attentes des populations des régions, la montée en puissance des collectivités locales, les impératifs de développement et la question – toujours sensible – du partage de l’autorité entre le centre et les territoires. Dans cet espace, un nom revient régulièrement depuis plusieurs années : Kassim Haroun Ali, ministre délégué chargé de la Décentralisation. Sa fonction le place à l’interface entre l’État, les conseils régionaux, la mairie de la capitale, les administrations locales et des partenaires internationaux engagés dans des programmes d’appui.

Mais qui est-il, au-delà de son titre ? Que recouvre exactement son portefeuille ? Et que dit son action de l’évolution de l’État djiboutien, de ses priorités et de ses tensions internes ? Les éléments disponibles dans les communications institutionnelles, la presse nationale et certains acteurs partenaires dessinent le portrait d’un responsable public dont l’agenda se construit autour de la réforme administrative, de l’équipement des territoires et de la coopération décentralisée. Un acteur qui, par la nature même de son ministère, évolue dans un champ où la réussite se mesure autant à la capacité de faire avancer des dossiers qu’à celle de ménager des équilibres politiques.

Une fonction stratégique dans un État très centralisé

Kassim Haroun Ali porte le titre de ministre délégué chargé de la Décentralisation. Dans l’architecture gouvernementale djiboutienne, un ministre délégué est un membre du gouvernement auquel est confié un périmètre précis, souvent rattaché à une priorité transversale. La décentralisation, à Djibouti, touche au fonctionnement des collectivités, à la gestion de services de proximité, au développement local, à l’état civil, ainsi qu’à la manière dont les politiques publiques nationales se déclinent dans les régions.

Son rôle s’inscrit dans un cadre où la capitale concentre historiquement l’essentiel des administrations, des infrastructures et des emplois formels. Or, la promesse politique de la décentralisation est d’abord celle d’un meilleur équilibre : rapprocher les décisions des citoyens, permettre aux régions de porter leurs projets, et renforcer l’efficacité des services publics au niveau local. Dans la pratique, ce chantier suppose des textes, des budgets, des procédures, des compétences humaines et une coordination constante entre des institutions dont les cultures de travail ne se superposent pas toujours.

Les interventions publiques attribuées au ministre donnent une idée de son approche : insister sur la réforme comme un processus, et non comme une annonce ponctuelle. Dans ce récit institutionnel, la décentralisation est présentée comme un levier de lutte contre la pauvreté, de réduction des inégalités territoriales et d’inclusion. Le ministère, lui, met en avant un objectif récurrent : doter les régions des moyens d’agir, en accompagnant la montée en compétence des administrations locales et en structurant des outils de planification.

Cette fonction place mécaniquement Kassim Haroun Ali au carrefour de plusieurs tensions. D’un côté, les élus locaux et les administrations territoriales demandent plus de marges de manœuvre. De l’autre, l’État central reste garant de l’unité, du contrôle administratif, et de la cohérence budgétaire. Enfin, la décentralisation touche à la légitimité politique : les collectivités sont des lieux où s’expriment des attentes concrètes, mais aussi des ambitions, et où se teste la capacité du pouvoir à produire des résultats visibles.

De 2021 à 2025, une réforme conduite par étapes

Les traces publiques de l’action de Kassim Haroun Ali dans son portefeuille s’observent à travers une chronologie d’événements, d’ateliers et de programmes. Dès 2021, il apparaît en situation de pilotage interne, avec des réunions de travail et des allocutions qui visent à mettre en ordre de bataille l’administration chargée de la décentralisation. L’enjeu est double : consolider une capacité de coordination à l’échelle nationale, et organiser un dialogue fonctionnel avec les collectivités.

Une part importante de cette période est associée au programme ADIL, un dispositif d’appui à la décentralisation et aux initiatives locales, financé par l’Union européenne et mis en œuvre avec l’appui d’acteurs comme Expertise France. La clôture de la première phase du programme, organisée début 2025, a été présentée comme un moment de bilan, mais aussi comme une étape vers une seconde phase, ADIL 2, annoncée dans la continuité et pensée pour prolonger les acquis. Dans les discours rapportés lors de cette clôture, l’idée centrale est que le processus ne s’arrête pas avec la fin d’un programme : il doit se poursuivre, s’élargir, se consolider dans la durée.

C’est un point clé pour comprendre la posture institutionnelle du ministre : la décentralisation, telle qu’elle est exposée dans ces événements, est une réforme qui avance par projets, outils et expérimentations. Les programmes financés par des partenaires extérieurs jouent ici un rôle d’accélérateur : ils peuvent apporter des ressources, des méthodes, et un accompagnement. Mais ils posent aussi une question structurelle : comment transformer des projets soutenus sur plusieurs années en capacités pérennes, financées et portées durablement par l’État et les collectivités ?

En 2025, l’agenda du ministère se traduit aussi par des chantiers de modernisation administrative. Un diagnostic institutionnel et organisationnel du ministère délégué chargé de la Décentralisation, par exemple, a été lancé à l’automne. Ce type de démarche vise généralement à cartographier les procédures, identifier les goulots d’étranglement, clarifier les responsabilités et proposer une organisation plus efficace. Dans le même esprit, un atelier de co-construction destiné à élaborer une feuille de route ministérielle s’est tenu en décembre 2025, signalant une volonté de formaliser des priorités et de rendre l’action plus lisible pour les administrations comme pour les partenaires.

Ces séquences peuvent paraître techniques. Elles sont pourtant au cœur d’une réalité souvent sous-estimée : une réforme de décentralisation se gagne autant dans les textes et les discours que dans les circuits administratifs, les calendriers, les outils de suivi et la formation des agents. En ce sens, Kassim Haroun Ali apparaît surtout, dans les sources disponibles, comme un responsable de pilotage plus que comme une figure politique médiatique.

Sur le terrain, la décentralisation comme politique de projets

Si la décentralisation se décide dans les ministères, elle se juge aussi sur le terrain. Les déplacements et visites attribués au ministre illustrent une stratégie centrée sur des projets concrets : infrastructures locales, initiatives économiques, équipements administratifs, ou programmes de développement régional.

Parmi les exemples fréquemment cités figure la tournée ministérielle dans les régions de l’intérieur, entamée par Obock en janvier 2023. Ce type de déplacement répond à plusieurs objectifs : constater l’état des services, dialoguer avec les autorités locales, remonter des difficultés, mais aussi affirmer symboliquement la présence de l’État au plus près des territoires. Dans un pays où l’écart entre la capitale et certaines zones périphériques peut se mesurer en accès aux services et en opportunités économiques, ces tournées sont un outil politique autant qu’un instrument de suivi.

D’autres visites concernent des projets d’infrastructures et de développement local. Une mission d’inspection des travaux de réhabilitation d’une piste dans le nord du pays, vers Medeho, a été rapportée dans le cadre d’un suivi de chantier. Dans la logique d’une politique de décentralisation, les infrastructures de mobilité constituent un point nodal : elles conditionnent la circulation des personnes, l’accès aux marchés, l’approvisionnement, et parfois même l’accès aux services publics.

La dimension économique et sociale apparaît également à travers des initiatives visant la production agricole ou la sécurité alimentaire. Une visite autour d’un projet d’hydroponie a été présentée comme un exemple de développement local, associant les conseils régionaux et l’administration centrale. Là encore, la décentralisation se matérialise par une articulation entre planification régionale, financement, capacité technique et accompagnement.

En 2025, une visite de travail à Ali-Sabieh, placée sous le signe du développement local et de la coopération institutionnelle, s’inscrit dans la même logique. Il est question, dans les informations disponibles, de projets de construction de locaux commerciaux ou d’infrastructures favorisant l’activité économique. L’intérêt politique est évident : l’emploi et l’activité privée sont au centre des préoccupations, et la décentralisation est souvent présentée comme un moyen de stimuler des dynamiques locales plutôt que de concentrer l’essentiel des opportunités dans la capitale.

Le ministre intervient aussi dans des démarches de coopération entre régions, à travers des conventions de jumelage entre conseils régionaux. Ce type d’initiative vise à créer des échanges, mutualiser des expériences et renforcer les liens entre territoires. Au-delà de l’aspect symbolique, ces jumelages peuvent servir de levier pour structurer des projets communs, favoriser la circulation de compétences et construire une culture de gouvernance locale.

Enfin, un autre volet, plus discret mais essentiel, concerne l’état civil. Les appuis attribués à des partenaires internationaux ont permis l’équipement de bureaux de l’état civil dans certaines régions, ce qui renvoie à une dimension très concrète de l’État de proximité : enregistrer les naissances, mariages, décès, produire des documents, et assurer des services administratifs de base. Dans beaucoup de pays, l’état civil est un déterminant clé de l’accès aux droits et à la citoyenneté. Pour un ministère de la décentralisation, c’est aussi un terrain où l’efficacité se mesure immédiatement.

Une diplomatie de proximité : France, Union européenne, organisations internationales

La décentralisation djiboutienne ne se joue pas seulement à l’intérieur des frontières. Elle se nourrit d’une diplomatie sectorielle, faite de missions, de visites, et de relations de travail avec des institutions étrangères ou multilatérales. Kassim Haroun Ali est régulièrement associé à cette dimension.

Des missions en France ont été rapportées en juillet 2024, avec des échanges autour de la préparation d’ADIL 2 et des discussions avec des partenaires institutionnels. Dans ce type de déplacement, l’enjeu dépasse le protocole : il s’agit d’aligner des calendriers, sécuriser des modalités de gestion, et s’assurer que les programmes d’appui correspondent aux besoins identifiés par les autorités djiboutiennes. Les visites incluent parfois des centres de formation ou des structures spécialisées, ce qui traduit une recherche d’inspiration et de compétences, notamment dans des domaines comme l’agriculture ou la gestion de l’eau.

La relation avec la France apparaît aussi à travers des échanges diplomatiques conduits à Djibouti, où la coopération décentralisée et le jumelage sont évoqués comme des axes possibles de partenariat. Ce point est important : la décentralisation crée un espace où des régions, des villes, ou des associations de collectivités peuvent nouer des liens directs, sans se substituer à la diplomatie d’État, mais en la complétant. Cette coopération dite “décentralisée” peut porter sur la formation, l’appui institutionnel, les infrastructures de services ou la gestion urbaine.

L’Union européenne joue un rôle structurant via le financement d’ADIL. Dans les cérémonies et bilans du programme, la présence de représentants européens, d’agences de mise en œuvre et d’institutions djiboutiennes illustre une configuration classique : l’État définit une orientation, des partenaires apportent des moyens, et l’enjeu devient la capacité à transformer ces moyens en résultats et en institutions durables. La clôture d’ADIL 1 et la perspective d’ADIL 2 s’inscrivent dans ce continuum.

Les échanges avec le Programme des Nations unies pour le développement s’inscrivent dans le même registre. Une rencontre avec la représentante résidente du PNUD, en octobre 2025, a porté sur des domaines possibles de coopération et sur le renforcement d’appuis déjà existants. Parmi les sujets évoqués figure la lutte contre le chômage et la promotion de l’emploi dans les régions, présentée comme une priorité gouvernementale. On y retrouve la logique d’une décentralisation conçue comme un outil de lutte contre la pauvreté, au-delà de la seule réorganisation administrative.

À l’échelle régionale africaine, une rencontre avec le président de la Commission de l’Union africaine est mentionnée dans les communications du ministère. Ce type d’échange contribue à inscrire la décentralisation dans des dynamiques continentales, où les réformes de gouvernance locale sont souvent discutées comme des moyens de stabilisation, d’inclusion et de développement.

Enfin, une visite en Libye en novembre 2024, présentée comme une mission de coopération Sud-Sud autour du développement local, illustre une autre dimension : le partage d’expériences entre pays africains sur la gouvernance territoriale. L’idée est de comparer des initiatives, d’observer des dispositifs, et de mettre en place des bases de coopération durable. Là encore, le rôle du ministre n’est pas seulement technique : il engage une forme de diplomatie sectorielle qui accompagne la politique étrangère.

Entre attentes citoyennes, cadres juridiques et débats publics : les défis du portefeuille

Être ministre de la décentralisation, c’est évoluer dans une zone où l’ambition politique se heurte à des contraintes structurelles. D’abord, la décentralisation suppose des transferts : transferts de compétences, de budgets, de personnels et parfois de pouvoir symbolique. Or, ces transferts sont rarement linéaires. Ils se négocient, se testent, se corrigent. Les collectivités peuvent demander davantage d’autonomie, tandis que l’État central cherche à garder un contrôle sur les normes et les finances. Dans ce jeu, le ministère de la décentralisation devient à la fois moteur et médiateur.

Ensuite, la décentralisation touche à la gouvernance de la capitale, qui concentre une part majeure des enjeux urbains : croissance démographique, services publics, propreté, urbanisme, mobilité, fiscalité locale, et organisation administrative. Les relations entre la mairie, les communes, les préfets et l’État central peuvent être complexes. Le cadre juridique applicable à la Ville de Djibouti prévoit, notamment, des dispositions sur la responsabilité et, dans certains cas, la suspension du maire en cas de faute lourde mettant en péril les services publics, pour une durée limitée. Même lorsque ces dispositions ne sont pas au centre du débat public quotidien, elles rappellent que la décentralisation se déploie dans un système où l’État conserve des mécanismes de contrôle.

La difficulté majeure reste toutefois celle des résultats visibles. Les citoyens jugent rarement une réforme de gouvernance à la seule qualité de ses textes. Ils la jugent à l’accès à l’eau, à la disponibilité de documents administratifs, à l’état des routes, à l’existence de services, à l’emploi. Or, les programmes cités, aussi structurants soient-ils, se traduisent souvent par des avancées progressives : des équipements, des formations, des procédures, des plans régionaux. La question politique devient alors : comment rendre perceptible, année après année, ce qui change concrètement dans la vie quotidienne ?

Kassim Haroun Ali, dans les prises de parole rapportées, associe régulièrement la décentralisation à l’emploi et au développement économique régional. Ce choix n’est pas anodin : il cherche à donner à la réforme un contenu social tangible. Il positionne la décentralisation non comme une redistribution abstraite de compétences, mais comme un instrument pour créer des opportunités dans les territoires.

Le dernier défi est celui de la transparence et de la confiance. Les administrations de décentralisation gèrent des programmes, des subventions, des projets, et des relations avec des collectivités. Plus l’échelle locale gagne en responsabilités, plus la question de la reddition de comptes devient centrale : comment s’assurer que les budgets servent effectivement les projets ? comment suivre les résultats ? comment traiter les critiques et les contestations ? Dans un contexte où les débats politiques peuvent être vifs, toute décision administrative prend rapidement une dimension politique.

Dans cet ensemble, le profil public de Kassim Haroun Ali apparaît, à travers les informations disponibles, comme celui d’un acteur de la réforme plus que d’un tribun : un ministre dont l’actualité est rythmée par des ateliers, des missions de travail, des signatures, des visites de projets et des échanges de coopération. Cela ne dit pas tout de l’homme, car les éléments biographiques personnels accessibles publiquement restent limités. Mais cela dit beaucoup de son rôle : celui d’un responsable placé au cœur d’un chantier d’État, où l’architecture institutionnelle se redessine à bas bruit, au fil des projets, des budgets et des compromis.

À Djibouti, la décentralisation reste une promesse en construction. Et si l’on veut comprendre Kassim Haroun Ali, il faut d’abord comprendre ce que son ministère incarne : une tentative de rapprocher l’administration des citoyens, tout en conservant la cohérence d’un État central. Dans cette tension, son action est un marqueur de la manière dont le pays cherche, progressivement, à faire du territoire non plus seulement un espace administré, mais un espace gouverné.

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