Qui est Mathias Traoré, l’homme politique ?

Dans l’actualité politique burkinabè, le nom de Mathias Traoré s’est imposé d’abord dans l’ombre des institutions, puis au grand jour, à la tête d’un portefeuille sensible : la Fonction publique, le Travail et la Protection sociale. Son parcours illustre une trajectoire fréquente, mais rarement aussi lisible, dans de nombreux États : celle d’un administrateur formé aux rouages de l’État, passé par des postes techniques et stratégiques, avant d’être propulsé au rang de ministre. Pour comprendre qui est Mathias Traoré, il faut regarder moins la figure médiatique que l’architecture des fonctions qu’il a occupées, les transitions qu’il a traversées et les enjeux qu’il porte aujourd’hui : modernisation administrative, discipline de la dépense et de la gestion des personnels, dialogue social, protection des travailleurs et crédibilité de l’action publique.

Dans un contexte national où l’État reste l’un des principaux employeurs, où la question du travail décent se mêle à celle de la stabilité sociale, et où l’administration est appelée à montrer davantage d’efficacité, le ministère qu’il dirige se situe au cœur des arbitrages. La fonction publique, ce sont des carrières, des concours, des rémunérations, des droits et des obligations. Le travail, ce sont des normes, des tensions et des compromis. La protection sociale, enfin, renvoie à des attentes concrètes : prise en charge, sécurité, dispositifs pour les plus vulnérables. Le visage du ministre apparaît ainsi au carrefour d’un quotidien très concret et d’une politique publique souvent abstraite, mais déterminante.

Un profil d’État avant tout : formation, origine et premiers postes

Le socle de la carrière de Mathias Traoré est d’abord celui d’un cadre de l’administration. Né le 10 mai 1972 à Orodara, il appartient à une génération qui a grandi avec l’idée que l’ascension professionnelle passe par l’école, les concours et la maîtrise des règles publiques. L’entrée dans la fonction publique se fait chez lui par la voie la plus classique et la plus sélective : un concours d’administrateur civil, qu’il réussit en 2001. La formation qui suit, centrée sur l’administration générale, l’amène à intégrer l’École nationale d’administration et de magistrature, passage obligé pour une partie des élites administratives appelées à encadrer les collectivités et les ministères.

Au sortir de cette formation, son parcours s’inscrit dans la logique de l’État de proximité : il est nommé secrétaire général de la mairie de Banfora entre 2004 et 2006. Le poste, souvent discret, n’en est pas moins essentiel : il s’agit de faire tenir ensemble procédures, budgets, services, priorités locales et décisions politiques. Dans les collectivités, la frontière entre administratif et politique est plus fine qu’ailleurs, car la mise en œuvre concrète des politiques publiques se joue dans les actes, les signatures et les calendriers.

Après Banfora, il rejoint la province du Kourwéogo, où il occupe le poste de secrétaire général de province jusqu’en 2007. Là encore, la fonction consiste à coordonner, structurer et rendre opérationnelle l’action administrative sur un territoire, en interface avec les autorités locales. Ces expériences territoriales donnent généralement aux administrateurs une connaissance fine de l’État réel : celui qui doit répondre aux demandes, arbitrer les urgences et composer avec les contraintes.

Au-delà des intitulés, ce début de carrière dessine une constante : une progression par la technicité, la gestion et l’organisation, plutôt que par le militantisme partisan ou l’exposition médiatique. Cela n’empêche pas, plus tard, l’entrée en politique gouvernementale ; cela en explique même une partie, tant les profils administratifs sont recherchés quand l’État veut afficher rigueur et continuité.

Du ministère à l’appareil central : un itinéraire au cœur de la machine publique

En 2008, Mathias Traoré rejoint le ministère en charge de la Fonction publique et de la Réforme. Il y occupe plusieurs responsabilités jusqu’en 2021, dans un ensemble de postes qui l’installent au centre de la transformation administrative. Il est d’abord directeur de la réforme des politiques et des structures publiques de 2008 à 2009, puis directeur général de la Fonction publique jusqu’en 2012. Ces fonctions, souvent techniques, exposent à une matière délicate : comment réformer sans casser, comment moderniser sans désorganiser, comment améliorer la performance sans fragiliser le pacte social qui lie l’État à ses agents.

La période est significative : la réforme des politiques publiques, la rationalisation des structures, la question des concours, la gestion des carrières et l’architecture de l’administration constituent des chantiers permanents. On y gagne une réputation de “réformateur” ou, au contraire, d’“homme de procédures”, selon le regard de ceux qui subissent ou accompagnent les changements. Dans tous les cas, ces responsabilités conduisent à maîtriser un langage et des méthodes : audit, contrôle interne, textes réglementaires, suivi des effectifs, mécanismes d’avancement.

En 2012, il revient à l’école qui l’a formé, l’École nationale d’administration et de magistrature, cette fois en position de direction. Il cumule alors des fonctions de direction générale par intérim et de secrétaire général de l’établissement entre 2012 et 2014. Une telle séquence est souvent révélatrice : on confie à un administrateur non seulement la conduite d’une institution, mais aussi le maintien de ses équilibres internes, la continuité pédagogique, les relations administratives et la stabilité des parcours de formation. C’est là, en quelque sorte, une responsabilité sur le vivier futur des cadres de l’État.

Il est ensuite nommé secrétaire permanent de la coordination des écoles et centres de formation professionnelle de l’État, un poste qu’il occupe jusqu’en 2021. Cette dimension “formation” et “coordination” est importante : elle indique une compétence dans l’organisation interinstitutionnelle, la planification et le suivi d’un système de formation publique. Dans des administrations où les réformes se heurtent parfois à l’insuffisance de compétences disponibles ou à la dispersion des dispositifs, la coordination constitue une fonction stratégique.

Au passage, son parcours mentionne également des représentations au sein de conseils d’administration, notamment dans la société nationale des postes et dans une école spécialisée liée aux eaux et forêts. Ces responsabilités, qui peuvent paraître secondaires, installent souvent des réseaux de travail et une connaissance des opérateurs publics : entreprises ou institutions qui ne sont pas des ministères, mais qui comptent dans le service rendu à la population et dans la gestion de ressources publiques.

À ce stade, Mathias Traoré apparaît moins comme un “homme politique” au sens classique que comme un professionnel de l’État, construit par étapes dans les marges et les centres de l’administration.

2022-2024 : de la Présidence au Secrétariat général du Gouvernement, l’entrée dans la zone stratégique

La bascule vers le sommet de l’État se fait en 2022. Après un retour au ministère en charge de l’administration territoriale, où il travaille à la direction des ressources humaines entre mars 2021 et avril 2022, il est nommé secrétaire général de la Présidence du Faso en conseil des ministres le 30 avril 2022. Le poste est majeur : la Présidence, dans la plupart des régimes, est un lieu où l’on prépare, filtre, organise et pilote. Le secrétaire général, en particulier, contribue à la coordination administrative, à la circulation des dossiers, à la mise en cohérence des priorités, et à la gestion des flux de décisions.

Mais le mouvement ne s’arrête pas là. À partir d’avril 2022, il devient secrétaire général du Gouvernement et du Conseil des ministres, fonction qu’il occupe jusqu’au 8 décembre 2024. Ce poste est l’un des plus techniques et des plus politiques à la fois : il se situe au point de jonction entre l’action gouvernementale et la production normative, entre l’arbitrage politique et la rédaction des textes, entre l’annonce et l’exécution. Le secrétaire général du Gouvernement n’est pas seulement un organisateur de réunions ; il est souvent le garant de la conformité des décisions, de leur cohérence et de leur traduction en actes.

Dans cette fonction, la capacité à gérer l’urgence et la complexité est essentielle. Les conseils des ministres, les remaniements, les textes, les nominations, les réorganisations administratives : tout transite. Le nom du secrétaire général du Gouvernement peut rester méconnu du grand public, mais il est central pour les administrations. C’est aussi un poste qui place celui qui l’occupe au contact de presque tous les ministres, des directions juridiques, des cabinets, des institutions, et parfois des partenaires sociaux lorsqu’il s’agit de textes touchant au travail et à l’administration.

Cette période contribue à expliquer la confiance qui lui est accordée ensuite. Quand un gouvernement souhaite sécuriser un portefeuille aussi sensible que la Fonction publique, il peut choisir un profil politique ou un profil technicien. Ici, la trajectoire signale un choix assumé : celui d’un homme qui a déjà tenu les manettes de coordination et qui connaît l’appareil d’État de l’intérieur.

Décembre 2024 : ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, un poste au contact du social

Le 8 décembre 2024, Mathias Traoré est nommé ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale. Il succède à Bassolma Bazié. L’arrivée au ministère s’accompagne d’une passation où se disent, publiquement, les priorités et les attentes : modernisation de l’administration, amélioration des dispositifs liés au travail décent, gestion des recrutements, concours, protection sociale, et plus généralement la relation entre l’État et ses agents.

Pour un ministre, l’exercice est particulier : la fonction publique n’est pas un secteur parmi d’autres, elle est l’infrastructure humaine de l’État. Elle porte des questions de discipline administrative, d’organisation, mais aussi de motivation, de reconnaissance, de carrière et de justice perçue. Le ministère du Travail, lui, ouvre un autre front : celui de la relation entre employeurs et employés, du droit du travail, des normes, des minima salariaux, des conditions de travail. La protection sociale, enfin, touche directement aux filets de sécurité, aux dispositifs de soutien et aux mécanismes de solidarité.

Dès les premiers mois, le ministre est observé sur un sujet symbolique : la présence effective des agents publics. Une administration qui ne fonctionne pas, ou qui fonctionne irrégulièrement, fragilise la confiance des citoyens et alimente un sentiment d’injustice, surtout lorsqu’elle absorbe une part importante des ressources publiques. Les initiatives de contrôle de présence, les rappels aux obligations et les inspections ont un effet immédiat dans l’opinion : elles renvoient à une promesse de rigueur et de service.

Le portefeuille implique aussi un dialogue continu avec les organisations syndicales et les représentants des travailleurs. Le 1er mai, par exemple, est un moment où les revendications se structurent et se remettent au gouvernement. Dans ce type de séquence, l’enjeu n’est pas seulement d’écouter, mais de maintenir une méthode : canaliser les tensions, éviter les escalades, promettre l’examen des doléances sans céder à l’effet d’annonce.

En parallèle, les sujets techniques demeurent : textes, réformes, dispositifs administratifs. Pour un ministre issu de l’appareil, la tentation peut être de piloter par la procédure. Mais le politique impose une autre grammaire : arbitrer, assumer, communiquer, et surtout produire des résultats visibles. La présence sur le terrain, les visites, les prises de parole publiques participent de cette dimension.

Ce que révèle le personnage public : style, priorités et défis politiques

Qui est Mathias Traoré, au-delà de la liste de ses fonctions ? Les éléments publics disponibles dessinent un profil de rigueur administrative, adossé à une carrière de gestion et de coordination. Ce type de ministre se juge souvent à trois choses : sa capacité à faire fonctionner la machine, son aptitude à préserver un équilibre social, et la cohérence de son action dans un environnement politique parfois instable.

D’abord, son style de gouvernance s’inscrit dans la continuité de son parcours. Un administrateur civil, formé à l’administration générale, habitué aux textes et aux structures, aborde les problèmes par la méthode : diagnostic, cadre réglementaire, contrôle, suivi. Le contrôle de présence des agents publics, par exemple, renvoie à une logique simple : rappeler que la fonction publique est une obligation de service, pas seulement un statut. Dans une administration, ces mesures ne sont jamais neutres : elles peuvent être perçues comme nécessaires par une partie de la population, et comme contraignantes par certains agents. Le rôle du ministre est alors de rendre ces décisions compréhensibles et applicables, sans provoquer de crise durable.

Ensuite, son ministère se situe à l’intersection de la politique et du quotidien. La population juge souvent l’État sur la qualité du service : guichets, délais, accueil, disponibilité, efficacité. Or, ces résultats dépendent largement des agents publics, de leur présence, de leur formation, de leur équipement, et de l’organisation du travail. Un ministre de la Fonction publique porte donc une responsabilité diffuse : il est comptable de ce que les citoyens vivent, même si beaucoup d’éléments échappent à son contrôle direct.

Sur le plan du travail et de la protection sociale, l’équation est plus complexe encore. Les normes du travail, les mécanismes de protection, les minima, les textes : tout cela répond à une société en mouvement, traversée par des contraintes économiques, des attentes d’équité, et des tensions parfois fortes entre secteurs public et privé. Dans ce champ, le ministre doit tenir la ligne : protéger sans promettre l’impossible, réformer sans fragiliser les plus exposés, moderniser sans provoquer d’effondrement de confiance.

Enfin, il y a l’épreuve politique. Un ministre qui vient de l’administration doit apprendre les codes : le rythme médiatique, les exigences de symboles, la nécessité de faire comprendre des dossiers techniques, l’obligation de représenter le gouvernement dans des moments sensibles. Sa participation à des actions publiques, ses prises de parole, ses interactions avec les partenaires sociaux sont autant de scènes où se construit son image.

Mathias Traoré cumule par ailleurs des éléments de biographie qui, sans être déterminants politiquement, contribuent à une forme de portrait : la mention d’une formation religieuse au petit séminaire de Nasso, la maîtrise des technologies de l’information et de la communication, et un répertoire linguistique étendu. Dans un pays multilingue, le fait de parler plusieurs langues nationales peut jouer un rôle dans la proximité avec les populations et la compréhension des réalités locales, même si l’exercice du pouvoir se fait largement en français administratif.

Les défis qui se dressent devant lui sont à la fois structurels et immédiats. Structurels, parce qu’une administration se réforme lentement, et que les effets d’une politique de gestion des ressources humaines se mesurent sur des années. Immédiats, parce que la pression sociale, les revendications, les attentes de résultats, les contraintes budgétaires et l’urgence politique imposent des décisions rapides. À cette tension s’ajoute une réalité : la fonction publique est à la fois un outil et un sujet. Elle doit exécuter les politiques publiques, mais elle est elle-même objet de politiques publiques.

Au final, Mathias Traoré apparaît comme une figure typique des transitions où l’État cherche à se sécuriser : un homme de dossiers, de coordination, de structures, devenu homme de décision. Sa position actuelle l’oblige à convertir un capital de compétence administrative en capacité politique, c’est-à-dire en résultats visibles, en compromis sociaux tenables et en crédibilité publique.

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