Qui est Mays Mouissi ?

À l’échelle du Gabon, la période ouverte par le renversement du pouvoir en août 2023 a propulsé sur le devant de la scène une génération de profils jusqu’alors davantage identifiés pour leur expertise technique que pour un enracinement partisan classique. Mays Mouissi appartient à cette catégorie. Analyste économique passé par le secteur bancaire et la conformité, longtemps installé en France, il est devenu en quelques mois un visage central de l’appareil d’État de transition, d’abord aux commandes de l’Économie et des Participations, puis à la tête d’un ministère environnemental stratégique dans un pays qui a bâti une partie de sa stature internationale sur la protection de ses forêts.

Son parcours, souvent raconté comme celui d’un technocrate revenu au pays au moment d’un basculement historique, s’inscrit aussi dans une histoire familiale et politique gabonaise marquée par l’opposition, les recompositions et l’émergence de nouveaux instruments de mobilisation. Entre la mémoire de l’Union du peuple gabonais, la consolidation d’un pouvoir transitoire et la création d’une formation politique présidentielle, Mays Mouissi a occupé des positions qui l’ont placé au cœur de dossiers sensibles : transparence des contrats, dialogue avec des bailleurs, lutte contre la vie chère, mais aussi articulation entre ambition économique et impératifs climatiques.

Le suivre, c’est regarder de près la façon dont le Gabon tente de concilier, depuis 2023, une promesse de rupture institutionnelle et les contraintes ordinaires d’un État dépendant de ses recettes extractives, de la confiance de ses partenaires financiers et de la stabilité sociale. C’est aussi mesurer ce que signifie, dans un pays où la politique a longtemps été structurée par des appareils puissants, l’ascension rapide d’un acteur qui revendique une compétence économique, une parole publique directe et un positionnement dans la nouvelle architecture du pouvoir.

Des origines à Libreville, une socialisation entre capitale et province

Mays Lloyd Mouissi naît à Libreville le 21 octobre 1986. Son ancrage familial est régulièrement associé à la province de la Ngounié, et plus précisément à Ndendé, localité dont il est originaire par ses attaches. Cette double géographie, la capitale où se concentrent les institutions et une province souvent citée lorsqu’il est question de trajectoires politiques, revient comme un fil conducteur dans les portraits publiés à son sujet.

Dans les récits biographiques disponibles, sa jeunesse est décrite comme une enfance en partie vécue dans des quartiers populaires de Libreville. La dimension sociale de ces évocations n’est pas anodine : elle sert à expliquer, chez lui, une sensibilité affichée aux sujets de pouvoir d’achat, de conditions de vie et d’accès à l’État. La foi catholique est aussi mentionnée comme élément de socialisation, avec une participation à la vie paroissiale durant l’adolescence.

L’autre élément structurant, plus politique, est le lien familial avec Pierre Mamboundou, figure historique de l’opposition gabonaise. Mays Mouissi est présenté comme son neveu, une proximité qui a pesé dans sa première exposition au militantisme et dans son entrée précoce dans l’univers partisan. Dans le Gabon des années 2000, où l’opposition se structure autour de figures, d’héritages et de réseaux, une telle filiation contribue à situer un jeune acteur, avant même qu’il ne construise son propre profil.

Au-delà de l’arbre généalogique, cette proximité éclaire aussi un choix : plutôt qu’une carrière uniquement privée, il s’oriente vers des sujets économiques et publics, et plus tard vers une prise de responsabilités gouvernementales. Cette articulation entre héritage familial et expertise technique deviendra une clé de lecture de son parcours : celui d’un homme qui se présente à la fois comme analyste des politiques publiques et comme acteur de la transformation institutionnelle.

Études, diaspora et carrière en finance : la fabrique d’un profil technocratique

Le parcours académique de Mays Mouissi est souvent décrit à travers des études supérieures effectuées entre la France et l’Afrique de l’Ouest. Il est associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, à la Paris School of Business et à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Cette trajectoire contribue à le classer parmi les profils formés dans des environnements où les débats macroéconomiques, la gestion financière et les politiques publiques sont abordés avec une grammaire souvent proche de celle des institutions internationales.

Cette dimension “diaspora” est centrale. Longtemps installé en France, il accumule une expérience professionnelle dans des univers réputés exigeants en matière de contrôle interne, de conformité et de gestion du risque. Les éléments biographiques mentionnent un stage puis une expérience dans la banque en ligne BforBank, des passages par Crédit Agricole Assurances, BNP Paribas, ainsi que par un cabinet de conseil. Dans la dernière phase de sa carrière avant son entrée au gouvernement, il est indiqué qu’il occupe une fonction de responsable éthique et conformité au sein du groupe Carrefour.

Ce type de trajectoire, centré sur la conformité, la transparence procédurale et la maîtrise des risques, façonne un rapport particulier à l’État : attention portée à la publication d’informations, à la traçabilité des décisions, à la documentation. Plus tard, lorsqu’il sera ministre, Mays Mouissi mettra en avant une volonté de rendre publics certains documents et de communiquer par bilans chiffrés, ce qui s’inscrit dans une continuité de culture professionnelle.

Parallèlement, il construit une présence publique via l’analyse économique. En 2014, il lance un blog dédié à des analyses financières, budgétaires et économiques, principalement orientées vers l’Afrique francophone. Cette production régulière, à la frontière du commentaire et de la vulgarisation, participe à la constitution d’une réputation d’expert, notamment auprès d’un public de cadres, d’étudiants et de membres de la diaspora intéressés par les débats de politiques publiques.

Dans un paysage médiatique où la parole économique est souvent captée par des institutions, des consultants ou des universitaires, un blog tenu sur la durée peut devenir un outil d’autorité. Il permet aussi de construire un style : expliquer, chiffrer, comparer, proposer des scénarios. C’est précisément ce style qui, après 2023, le distinguera dans un gouvernement de transition soucieux d’afficher compétence et crédibilité face à des partenaires financiers et à une opinion publique en demande de changements.

Premiers pas politiques : l’ombre de l’UPG et l’apprentissage du terrain

L’engagement politique de Mays Mouissi est généralement rattaché à la campagne présidentielle de 2009 au Gabon, lorsqu’il accompagne Pierre Mamboundou, candidat et leader de l’Union du peuple gabonais. Dans les récits disponibles, cette période est décrite comme un apprentissage du pays réel : déplacements dans les neuf provinces, confrontation avec les conditions de vie, découverte d’inégalités territoriales et sociales.

Cette expérience de terrain est présentée comme fondatrice. Elle permet de comprendre comment un profil de diaspora, doté d’outils analytiques, peut intégrer une dimension plus concrète de la politique : l’écoute, la présence, la logistique militante, la communication au contact. Elle explique aussi la façon dont il raconte ensuite ses priorités, notamment lorsqu’il aborde la vie chère, les services publics ou la nécessité d’orienter l’économie vers des retombées tangibles.

Après 2009, il est indiqué qu’il participe à la structuration d’une branche de l’UPG à l’international, à Dakar, où il aurait été impliqué dans la création d’une fédération et en aurait assuré un rôle de porte-parole. La question des fédérations de diaspora n’est pas secondaire : elle illustre la circulation des idées politiques hors du pays, et le rôle des étudiants et jeunes diplômés dans la diffusion d’une culture de contestation ou de réforme.

La mort de Pierre Mamboundou en 2011 marque une rupture. Selon les éléments biographiques, Mays Mouissi prend ses distances avec ce qu’il reste du parti. Ce moment éclaire un trait fréquent dans les recompositions politiques : la disparition d’une figure centrale peut désorienter des réseaux, produire des scissions, ou conduire certains acteurs à se retirer, le temps de redéfinir leur place.

Pendant plusieurs années, la dimension politique de son profil semble alors se déporter vers l’analyse et le commentaire plutôt que vers l’appareil partisan. Autrement dit : plutôt qu’une ascension progressive dans une hiérarchie de parti, il construit une légitimité d’expert, en attendant une fenêtre d’opportunité. Cette fenêtre s’ouvre brutalement en 2023, lorsque le Gabon entre dans une phase de transition institutionnelle.

2023–2025 : ministre de l’Économie dans la transition, entre transparence affichée et contraintes financières

Le 30 août 2023, au lendemain des élections générales, l’armée annonce la dissolution des institutions et l’annulation du scrutin, ouvrant une séquence de transition dirigée par Brice Clotaire Oligui Nguema à la tête du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions. La formation d’un gouvernement de transition intervient dans un climat où la crédibilité externe et la stabilité interne sont des enjeux immédiats : rassurer les partenaires, éviter une crise de financement, répondre à des attentes sociales.

Mays Mouissi est nommé ministre de l’Économie et des Participations le 9 septembre 2023. Cette nomination est l’un des symboles d’un choix assumé : intégrer des profils identifiés pour leur compétence technique, capables de dialoguer avec des créanciers, des investisseurs et des institutions financières, et d’exposer une stratégie économique lisible.

Dans les éléments rendus publics sur son action, la transparence occupe une place récurrente. Il est notamment associé à une démarche de mise à disposition de certains contrats et à une communication par étapes, via des bilans publiés après 100, 200 et 365 jours de fonction. Dans un pays où les secteurs pétrolier, minier et forestier sont au cœur des recettes et des controverses, toute initiative de publication est politiquement chargée : elle peut être saluée comme un progrès, mais aussi contestée selon ce qu’elle révèle ou ce qu’elle ne révèle pas.

Sur le plan réglementaire, il est associé à une réforme du cadre des marchés publics, visant à réserver une partie des marchés de montant inférieur ou égal à un certain seuil aux entreprises locales. Présentée comme une mesure en faveur des PME et PMI gabonaises, cette orientation répond à un discours classique de “préférence nationale” économique, réactivé dans un contexte de transition : il s’agit de produire des effets visibles en matière d’emplois et de tissu entrepreneurial, sans rompre avec l’ouverture aux investissements.

L’autre front majeur est celui des relations avec les bailleurs et créanciers. Dans un contexte post-coup d’État, les signaux envoyés à l’extérieur sont scrutés : continuité des engagements, qualité de la gestion budgétaire, respect des règles de paiement, capacité à mener des réformes. Des annonces publiques relatives à la reprise de coopération avec certaines institutions financières régionales ont été relayées, illustrant un objectif : éviter l’isolement financier et sécuriser la capacité de l’État à financer ses politiques.

Enfin, comme dans de nombreux pays confrontés à l’inflation et à des tensions sur les prix, la lutte contre la vie chère revient dans la communication publique. Pour un ministre de l’Économie, la difficulté est double : agir sur des facteurs souvent importés (prix internationaux, logistique, devises) tout en répondant à des demandes immédiates. Mays Mouissi s’est trouvé, à ce titre, dans la posture classique de l’économiste devenu décideur : traduire des contraintes macroéconomiques en mesures de court terme compréhensibles et acceptables.

Cette période est aussi marquée par une exposition internationale. Lors d’une séquence diplomatique à Paris en mai 2024, des accords ou protocoles de principe économiques ont été évoqués, notamment autour du chemin de fer Transgabonais et de projets environnementaux. Dans ce type de déplacement, l’objectif est autant économique que politique : démontrer que la transition n’a pas fermé la porte aux partenariats, et que l’État gabonais continue d’identifier des projets structurants.

Le 15 janvier 2025, il quitte le ministère de l’Économie et des Participations dans le cadre d’un remaniement, et rejoint un autre poste clé. Ce passage de témoin, qui intervient dans une période où les questions de finances publiques et de relation aux bailleurs restent sensibles, nourrit des lectures multiples : ajustement stratégique, redistribution interne, ou volonté de placer un profil technique sur un autre champ prioritaire.

De l’Économie à l’Environnement, puis la scène partisane : un acteur de la recomposition du pouvoir

Le 15 janvier 2025, Mays Mouissi est nommé ministre de l’Environnement et du Climat. Le choix est significatif pour un pays qui valorise ses forêts dans les négociations climatiques et cherche à conjuguer préservation et exploitation des ressources. Au Gabon, l’environnement n’est pas un portefeuille marginal : il touche à la souveraineté, à la fiscalité, aux concessions forestières, à l’image internationale, et aux arbitrages avec les secteurs extractifs.

Dans le courant de 2025, après l’élection présidentielle d’avril et la formation d’un gouvernement en mai, le ministère évolue dans son intitulé, intégrant explicitement l’écologie et le climat. Cette extension symbolique reflète un cadrage plus large : l’environnement n’est plus seulement une affaire de conservation, mais une matrice transversale de politiques publiques, incluant l’adaptation, la gouvernance carbone et les engagements internationaux.

La présence de Mays Mouissi dans des séquences internationales liées au climat est également documentée, notamment autour d’événements de type COP. Dans ces forums, le Gabon s’efforce généralement de défendre une position de pays forestier, insistant sur la valeur des puits de carbone et la nécessité de financements adaptés. Pour un ministre issu de l’économie, la tentation est forte de traduire l’ambition écologique en équations budgétaires : comment faire rémunérer la conservation, comment financer la transition, comment créer des emplois “verts” sans fragiliser les recettes de l’État.

En parallèle, 2025 marque un tournant partisan. Le 5 juillet 2025, Brice Clotaire Oligui Nguema annonce la création d’un parti politique, l’Union démocratique des bâtisseurs, et Mays Mouissi en devient le secrétaire général. Ce rôle est stratégique : il fait de lui l’un des organisateurs de la structuration nationale du nouveau parti, dans un pays où les scrutins couplés de 2025 doivent installer des institutions de sortie de transition.

À l’automne 2025, lors des élections législatives, Mays Mouissi est candidat dans le département de la Dola, dans la province de la Ngounié. Les résultats publiés dans la presse gabonaise le donnent vainqueur avec environ deux tiers des suffrages face à un adversaire du Parti démocratique gabonais, formation longtemps dominante. La victoire est présentée comme symbolique, car elle traduit la capacité du parti présidentiel à conquérir des fiefs disputés et à se donner une base parlementaire.

Ce passage du gouvernement à l’Assemblée nationale, tout en conservant un rôle partisan, l’installe dans une configuration rare : technocrate devenu ministre, puis organisateur partisan, puis élu. Il incarne ainsi un mouvement plus large : la transformation d’une transition en système politique durable, avec des relais locaux, des élus, des cadres et une stratégie de conquête électorale.

Reste l’enjeu de cohérence. Pour un acteur identifié à la transparence économique, aux bilans chiffrés et à la communication d’expert, le défi est de tenir ce registre dans l’arène électorale, où la demande est aussi émotionnelle et identitaire. Pour un pays forestier, le défi est de faire de l’environnement un vecteur de développement plutôt qu’un simple argument diplomatique. Pour un régime qui promet une rupture, le défi est de produire des résultats qui se voient au quotidien.

Mays Mouissi se situe précisément à cet endroit : dans la tension entre expertise et politique, entre État et parti, entre engagement de transition et installation institutionnelle. Son itinéraire, encore en cours d’écriture, offre un révélateur des choix gabonais depuis 2023 : comment reconstruire la confiance, comment réorganiser l’économie, comment inscrire l’écologie au cœur des arbitrages, et comment transformer une séquence exceptionnelle en ordre politique stable.

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