Dans un pays où l’industrialisation est à la fois un objectif économique, un marqueur de souveraineté et un test politique, certains responsables deviennent des visages récurrents de la stratégie gouvernementale. Melaku Alebel fait partie de ceux-là. Ministre de l’Industrie, il apparaît régulièrement dans les communications officielles et lors d’échanges internationaux liés à l’investissement, au développement manufacturier et à la transformation économique. Son profil, à la croisée de l’administration régionale et de l’exécutif fédéral, illustre aussi la manière dont l’Éthiopie cherche à bâtir un appareil productif plus robuste tout en composant avec des contraintes financières, énergétiques, logistiques et commerciales.
Au-delà des intitulés, l’homme incarne une continuité : celle d’une trajectoire forgée dans les échelons locaux et régionaux avant l’accès aux portefeuilles ministériels à Addis-Abeba, et celle d’un discours politique axé sur la montée en puissance de l’industrie, l’attraction d’investissements et l’élargissement des débouchés à l’export. Son nom revient dans les annonces de gouvernement, les forums sectoriels, les rencontres avec des partenaires étrangers et, parfois, dans des échanges plus rugueux devant des parlementaires qui interrogent la réalité des résultats. Qui est donc Melaku Alebel, et que dit son parcours des ambitions industrielles de l’Éthiopie d’aujourd’hui ?
Une formation et un parcours administratif ancrés dans le long terme
Melaku Alebel se présente d’abord comme un produit de l’administration publique éthiopienne. Les éléments biographiques rendus publics par des institutions officielles insistent sur une progression étalée sur plusieurs décennies, depuis des postes locaux jusqu’aux responsabilités nationales. Sur le plan académique, il est notamment mentionné qu’il a obtenu une licence (BSc) en sciences végétales (plant science) à l’université de Haramaya, avant de poursuivre avec un MBA en Executive Business Administration à l’université de Bahir Dar. Cette double coloration, à la fois scientifique et orientée vers la gestion, est souvent mise en avant pour expliquer une approche qui se veut pragmatique : parler de production, de chaînes de valeur, de ressources humaines, de climat des affaires, et pas seulement de politique au sens partisan.
Son expérience professionnelle, telle qu’elle est retracée dans les biographies institutionnelles, met l’accent sur un temps long : des fonctions diverses dans l’ancienne zone de North Goner et au niveau des woredas (échelons administratifs locaux) sur une période allant de la fin des années 1990 à 2010, puis des responsabilités au sein d’organismes régionaux liés au commerce, au transport, à l’industrie et au développement urbain entre 2010 et 2015. Cette phase, moins médiatisée, compte pourtant dans la compréhension de son profil : elle suggère une familiarité avec les réalités d’exécution des politiques publiques, là où les décisions se traduisent en procédures, budgets, contrôles, incitations et arbitrages concrets.
À ce stade, la question n’est pas tant de dresser un portrait psychologique que de situer un type de trajectoire. En Éthiopie, comme dans de nombreux États à forte structuration administrative, les carrières politiques de l’exécutif s’appuient fréquemment sur des parcours au long cours dans la gestion publique. Melaku Alebel s’inscrit dans cette logique : il apparaît moins comme une personnalité surgie d’un militantisme médiatique que comme un responsable issu des rouages institutionnels, ayant navigué entre bureaux, agences et exécutifs régionaux avant d’être propulsé dans le gouvernement fédéral.
L’étape décisive : l’Amhara, laboratoire de responsabilités et tremplin national
Le tournant le plus souvent cité dans sa trajectoire se situe au niveau de l’État régional de l’Amhara, l’une des entités majeures du fédéralisme éthiopien. Avant son entrée au gouvernement fédéral, il est indiqué qu’il a occupé des postes de premier plan dans l’appareil régional, notamment comme commissaire à l’investissement au sein de la commission d’investissement de l’Amhara (2015-2018), puis comme vice-président et chef de bureau en charge de l’industrie et de l’investissement (2018-2020). Dans un pays où la compétition pour attirer l’investissement, développer des zones industrielles, faciliter l’accès au foncier et structurer l’offre productive est intense, ces fonctions constituent une école de pouvoir et un test de crédibilité.
Cette expérience régionale est aussi un point de passage quasi obligé pour des responsables qui aspirent à des portefeuilles économiques au niveau fédéral. Elle place l’élu ou le haut fonctionnaire au contact direct des investisseurs, des contraintes d’infrastructures, des réalités fiscales, des rapports avec les administrations centrales et des attentes sociales liées à l’emploi. Elle oblige également à faire face à un défi récurrent : concilier l’ambition d’industrialiser avec la capacité effective du tissu local à fournir main-d’œuvre qualifiée, intrants, énergie fiable, logistique et sécurité juridique.
Les biographies officielles insistent enfin sur un poste plus bref mais symboliquement fort : Melaku Alebel est mentionné comme ayant été ministre du Commerce (au niveau fédéral) en 2018, avant d’occuper des fonctions associées au ministère du Commerce et de l’Industrie, puis à l’Industrie. Cette séquence peut sembler technique, mais elle dit quelque chose de l’architecture gouvernementale : la politique industrielle se joue souvent à la frontière entre commerce, investissement, normes, compétitivité et exportations. En passant par ces portefeuilles, il s’est positionné dans le cœur stratégique de l’État éthiopien : celui qui doit transformer une croissance démographique et une ambition de développement en capacités productives et en emplois.
Du Commerce et de l’Industrie à l’Industrie : un ministre dans l’axe stratégique du gouvernement
La date d’entrée de Melaku Alebel au premier plan fédéral est associée à des annonces gouvernementales autour d’une recomposition ministérielle. Des communiqués d’agence officielle relatent sa nomination comme ministre en charge du Commerce et de l’Industrie en janvier 2020. Dans la foulée, les biographies institutionnelles indiquent qu’il devient ensuite ministre du Commerce et de l’Industrie sur la période 2020-2021, puis ministre de l’Industrie à partir de 2021, avec une prise de fonction ministérielle indiquée au 20 octobre 2020 dans certaines présentations officielles. Derrière ces dates, il y a une réalité politique : l’exécutif mise sur une continuité de pilotage de l’agenda industriel, avec une figure appelée à défendre une ligne gouvernementale et à dialoguer avec des acteurs multiples, du secteur privé national aux partenaires internationaux.
Son rôle, tel qu’il transparaît dans plusieurs prises de parole et présentations, se situe à la fois sur le registre technique et sur le registre de la mobilisation. Sur le registre technique : réformes de politiques industrielles, stratégies, infrastructures, capital humain, environnement des affaires. Sur le registre de la mobilisation : encouragement du secteur privé, promotion de programmes nationaux, discours sur l’augmentation de la production, la compétitivité et la montée en gamme.
C’est dans ce cadre qu’apparaît l’initiative « Made in Ethiopia », citée dans des communications officielles comme un levier destiné à stimuler la capacité de production et à renforcer exportations et compétitivité. Les formulations publiques mettent en avant une dynamique, présentée comme soutenue par des réformes conduites sur plusieurs années : modernisation des politiques industrielles, amélioration des infrastructures, renforcement de l’environnement des affaires et effort sur le capital humain. Il est également fait mention, dans certaines interventions, de l’importance stratégique de l’énergie pour l’essor industriel, avec une référence au rôle attendu du barrage de la Renaissance (GERD) dans la transformation du secteur manufacturier. La logique est claire : sans énergie abondante et stable, l’industrie reste une promesse plus qu’une réalité.
Mais être ministre de l’Industrie en Éthiopie ne se résume pas à porter des slogans. Le portefeuille est exposé à des indicateurs concrets : volume de production manufacturière, qualité et compétitivité, création d’emplois, substitution aux importations, capacité à exporter, accès aux devises, et intégration aux chaînes de valeur. Sur ces sujets, les déclarations officielles insistent sur une progression, tout en reconnaissant que la consolidation des résultats dépend d’une coopération accrue entre État, secteur privé et associations professionnelles, ainsi que d’un accès élargi aux marchés.
Une politique industrielle confrontée aux contraintes : devises, financement, exportations
La vie d’un ministre se mesure aussi à la confrontation institutionnelle. Melaku Alebel a été interrogé publiquement par des parlementaires sur la performance du secteur manufacturier et, en particulier, sur l’écart entre les ressources allouées et les résultats observés. Lors d’une séance de questionnement rapportée par la presse éthiopienne, des élus ont pointé une tension classique dans les économies en industrialisation : des volumes de financements et d’allocation de ressources qui ne se traduisent pas immédiatement en exportations robustes. Dans cette discussion, le ministre a mis en avant un problème qu’il juge structurel : l’inadéquation des dispositifs de financement et d’accès aux devises pour le secteur manufacturier, et une orientation des banques perçue comme trop tournée vers les services plutôt que vers l’industrie. Il a plaidé pour une évolution de l’orientation du financement afin de soutenir davantage la fabrication.
Ce type d’argumentaire n’est pas anodin. Il révèle l’un des nœuds de l’économie éthiopienne : la rareté relative des devises et la difficulté pour les industriels d’importer certaines machines, pièces, intrants ou technologies nécessaires à la production. Dans un contexte où la balance commerciale et les besoins de financement pèsent, la politique industrielle dépend fortement de mécanismes de crédit, d’allocation de devises, de soutien aux exportations et de coordination entre ministères. Or, un ministère de l’Industrie n’a pas, seul, la main sur ces leviers, souvent partagés avec les autorités monétaires, financières et fiscales.
Le ministre a également cherché à déplacer le regard : au-delà de la seule performance en devises, il a mis en avant la contribution fiscale des grands industriels, rappelant que la fabrication peut générer d’importantes recettes en taxes, finançant des dépenses publiques de développement et de services. Il a, par ailleurs, reconnu la difficulté des entreprises à pénétrer des marchés internationaux très concurrentiels et insisté sur l’importance des chaînes de valeur, notamment la relation entre agriculture et industrialisation : sans modernisation agricole, l’accès à des intrants fiables et compétitifs limite l’industrialisation. Cette articulation agriculture-industrie est un thème récurrent des politiques de transformation structurelle : l’industrie agroalimentaire, le textile, les matériaux, ou encore certaines filières chimiques dépendent de volumes, de qualité et de logistique en amont.
Ces échanges montrent un ministre pris entre deux impératifs. D’un côté, maintenir un récit de progression, indispensable pour soutenir la confiance des investisseurs et la cohésion d’une politique gouvernementale. De l’autre, reconnaître des goulots d’étranglement, car l’industrie ne se décrète pas : elle se finance, se forme, se branche sur des réseaux énergétiques, se connecte à des ports, se conforme à des normes, et se vend sur des marchés qui ne font pas de cadeau.
Diplomatie économique et image publique : du Kaizen aux partenariats technologiques
L’action de Melaku Alebel se lit aussi à travers une diplomatie économique et industrielle active. Son nom apparaît dans des échanges officiels avec des partenaires étrangers et des organisations internationales, dans des formats où l’industrie est abordée sous l’angle des méthodes, de la coopération technologique et de l’attraction d’investissements.
Un exemple emblématique est celui des échanges autour du Kaizen, approche d’amélioration continue popularisée par l’expérience industrielle japonaise et mobilisée depuis des années dans des programmes de productivité. Lors d’une visite officielle liée à un projet de coopération, il est rapporté que le ministre a présenté les activités de l’Éthiopie en matière de Kaizen, avec l’objectif d’étendre la coopération et de renforcer les compétences. La question de la productivité n’est pas seulement technique : elle est centrale pour rendre les produits compétitifs, réduire les coûts, améliorer la qualité et répondre aux exigences des marchés d’exportation.
D’autres séquences relèvent d’une diplomatie technologique : échanges de vues avec des institutions étrangères sur l’innovation ouverte, la transformation numérique, la stabilité de l’approvisionnement énergétique et des programmes transversaux. Dans une rencontre signalée en 2025 avec une organisation japonaise dédiée aux technologies industrielles et énergétiques, les discussions ont porté sur des politiques industrielles et sur des perspectives de coopération future. Ces rendez-vous comptent, car ils montrent que la stratégie industrielle éthiopienne cherche à se brancher sur des réseaux de savoir-faire, de financement et de partenariat, au-delà des déclarations nationales.
Son image publique se construit ainsi sur trois piliers : un ministre gestionnaire, issu d’un parcours administratif, un promoteur d’investissements et un porte-voix de l’ambition de faire de l’Éthiopie un pôle industriel plus influent en Afrique. Des présentations dans des cadres onusiens vont dans ce sens, décrivant son rôle comme celui d’un responsable chargé d’élargir la base manufacturière, de stimuler les exportations et de conduire une transformation économique par l’industrialisation.
Reste que l’image internationale et le discours de transformation se heurtent, à l’intérieur, à l’exigence de résultats, notamment sur les exportations manufacturières, l’emploi urbain, l’intégration des filières et l’accès au financement. Les débats parlementaires rappellent cette tension : l’État peut afficher une stratégie, mais il doit aussi convaincre que l’allocation des ressources produit des retombées mesurables. À ce titre, Melaku Alebel est moins un personnage isolé qu’un révélateur de la trajectoire éthiopienne : une ambition industrielle élevée, une politique publique en mouvement, et des contraintes structurelles qui obligent à arbitrer en permanence.
En définitive, répondre à la question « qui est Melaku Alebel ? » revient à décrire un responsable politique dont la carrière s’est construite au fil d’une montée dans l’administration régionale puis fédérale, et dont la fonction actuelle l’expose au cœur d’un pari national : faire de l’industrie un moteur plus puissant de croissance, de compétitivité et d’emplois. Ses diplômes, ses postes régionaux, sa nomination au gouvernement fédéral et ses prises de parole dessinent un profil de ministre technico-politique, appelé à défendre une stratégie, à négocier des coopérations et à répondre, parfois durement, à l’épreuve des chiffres. Le chantier est immense, les résultats scrutés, et la question demeure ouverte : jusqu’où la politique industrielle éthiopienne, dont il est l’un des visages, parviendra-t-elle à transformer les ambitions en capacités productives durables ?



