Quand un nom jusque-là surtout connu des cercles industriels et des spécialistes du secteur électrique apparaît, soudain, au cœur d’un organigramme gouvernemental, la question revient mécaniquement : qui est l’homme, d’où vient-il, et que dit son parcours de la stratégie d’un État ? En Algérie, la nomination de Mourad Adjal au poste de ministre de l’Énergie et des Énergies renouvelables, à l’automne 2025, a cristallisé ce type d’interrogations. Car Adjal n’est pas une figure issue des joutes partisanes classiques ; il incarne plutôt une trajectoire d’entreprise publique, patiemment construite dans les réseaux, les filiales, les centres de distribution et les dossiers techniques, avant de basculer dans l’arène politique au sens institutionnel du terme.
Le passage du management à la décision publique n’est pas inédit dans ce secteur, mais il prend un relief particulier au moment où l’Algérie réaffirme des ambitions de transition énergétique, tout en continuant de dépendre massivement de ses équilibres gaziers et de l’infrastructure électrique. Dans ce contexte, comprendre qui est Mourad Adjal, c’est aussi décrire une manière de gouverner l’énergie : par la continuité administrative, le pilotage d’outils industriels, et une diplomatie des réseaux où la technique devient un langage d’influence.
Un profil façonné par l’électricité : formation, premiers postes et ascension interne
Les éléments publics disponibles dessinent un profil d’ingénieur devenu gestionnaire, puis dirigeant. Mourad Adjal est né en 1967 à Bordj Bou Arreridj. Il obtient un diplôme d’ingénieur d’État en électrotechnique à l’université d’Annaba en 1991, puis complète son cursus par des formations en management en France : une formation en management opérationnel à l’ESSEC (2002), un MBA en marketing-management à l’ESG Groupe Paris (2008), et une formation en management à Euro Med Marseille (2009). Ces jalons académiques, souvent mis en avant dans les biographies officielles, indiquent un parcours où l’expertise technique se double d’une volonté de maîtriser les codes de la gestion et de l’organisation.
Du côté professionnel, les informations les plus détaillées accessibles au public décrivent des débuts dans des fonctions d’ingénierie et de distribution, au sein de l’écosystème Sonelgaz. Il est notamment mentionné qu’il a travaillé comme ingénieur d’études au centre d’El Tarf, avant d’occuper des responsabilités de direction de distribution dans plusieurs wilayas. Entre 2001 et 2005, il est directeur de distribution à Tissemsilt et Chlef ; de 2005 à 2009, il est directeur de distribution à Annaba, avec un rôle lié à un dossier de restructuration de l’ex-zone d’Annaba ; puis il est nommé à Skikda jusqu’en 2010.
Cette progression, essentiellement interne et territoriale, n’est pas anecdotique : dans une entreprise d’infrastructure, la distribution n’est pas seulement un maillon opérationnel, c’est souvent le lieu où se jouent la relation aux usagers, la maintenance, les incidents, et la capacité à tenir la continuité de service. Le fait d’avoir dirigé des distributions à plusieurs endroits du pays peut être lu comme une familiarité avec les réalités du terrain, mais aussi comme une construction de légitimité au sein d’une organisation dont la taille et la complexité imposent des carrières à étapes.
L’année 2010 marque un premier saut de rang : il est promu président-directeur général de SOPIEG, présentée comme une filiale de Sonelgaz. Ensuite, la séquence 2016-2021 le place au centre d’une logique de pilotage de la distribution à l’échelle nationale : il est nommé PDG de la Société algérienne de distribution de l’électricité et du gaz de l’Est (janvier 2016 à mars 2017), puis PDG de la Société algérienne de distribution de l’électricité et du gaz (avril 2017 au 30 décembre 2021). Ces intitulés, très institutionnels, signalent une montée en responsabilité progressive vers la holding et la direction de groupe.
À la tête de Sonelgaz : continuité de service, restructuration et ambitions industrielles
Le 30 décembre 2021, Mourad Adjal est installé dans ses fonctions de président-directeur général du Groupe Sonelgaz. La scène, relatée dans les communications institutionnelles, met en avant une continuité d’État : l’installation est conduite par le ministre de l’Énergie de l’époque, et le nouveau PDG y exprime une forme de loyauté administrative, parlant d’un “mandat” et d’un “poids de la responsabilité”. Il se présente aussi comme “fils de l’entreprise”, formule classique dans les grandes structures publiques quand il s’agit de souligner l’appartenance interne plutôt qu’une nomination exogène.
Que retient-on, sur la période où il dirige Sonelgaz ? Le discours public disponible insiste sur plusieurs axes : développement durable, efficacité et concurrence, cohérence technique du groupe, sécurité d’approvisionnement énergétique, et accompagnement des programmes publics (zones dites d’ombre, agriculture, relance économique, transition énergétique). Là encore, il s’agit de thèmes génériques dans la communication d’une entreprise énergétique, mais leur répétition dessine une ligne : stabiliser l’outil, l’aligner sur les priorités gouvernementales, et préparer des projets structurants.
Des entretiens et publications relayés dans la presse économique algérienne mentionnent, en outre, une restructuration du groupe au cours de cette période, décrite comme une réorganisation des filiales et une consolidation managériale et juridique. Ces éléments, lorsqu’ils sont présentés, cherchent à raconter une entreprise publique modernisée : moins éclatée, plus intégrée, et capable de porter des investissements lourds, y compris sur des chantiers nouveaux (digitalisation, bornes de recharge, équipements industriels).
Un autre point mérite attention : la manière dont Sonelgaz, sous sa direction, est aussi présentée comme un instrument de politique économique. Les communications publiques évoquent l’accompagnement de partenaires économiques, et des ambitions à l’international, notamment vers des marchés régionaux. Dans un secteur électrique, “l’international” ne renvoie pas seulement à exporter un produit : il peut s’agir d’ingénierie, de formation, de maintenance, d’équipements, et surtout d’interconnexions, qui sont autant des dossiers industriels que géopolitiques.
Enfin, le 14 septembre 2025, un décret met fin à ses fonctions de PDG de Sonelgaz, en précisant qu’il est “appelé à exercer une autre fonction”. Dans les jours suivants, cette “autre fonction” se matérialise politiquement : il entre au gouvernement.
Entrée au gouvernement : un ministre de l’Énergie et des Énergies renouvelables au cœur d’un ministère réorganisé
La nomination de Mourad Adjal au poste de ministre de l’Énergie et des Énergies renouvelables intervient dans le cadre de la désignation des membres du gouvernement annoncée mi-septembre 2025. Dans le décret portant nomination des membres, son nom apparaît explicitement avec l’intitulé “ministre de l’énergie et des énergies renouvelables”. En parallèle, l’organisation gouvernementale distingue ce portefeuille de celui des hydrocarbures et des mines, confié à un autre ministre. Autrement dit, la séquence institutionnelle signale une séparation plus nette des périmètres : d’un côté, l’électricité, l’énergie au sens large et la transition ; de l’autre, les hydrocarbures et les mines.
Ce choix d’architecture a une conséquence immédiate : il place l’électricité et les renouvelables au rang de politique publique à part entière, et non comme un simple appendice d’un grand ministère dominé par la rente des hydrocarbures. Pour Mourad Adjal, cela signifie aussi une bascule de posture : d’opérateur chargé de faire fonctionner un groupe, il devient responsable d’orientation, d’arbitrage et de régulation, avec des objectifs d’État qui dépassent la seule performance d’entreprise.
Les défis associés à ce portefeuille sont massifs et, surtout, structurels. La transition énergétique est un horizon politique, mais elle se mesure dans les infrastructures, les réseaux, les capacités de production, la gestion de la demande, et les investissements. Dans la discussion publique, l’un des objectifs fréquemment cités est de porter la part des renouvelables à 30 % de la production électrique ou du mix énergétique à l’horizon 2035. Qu’on l’aborde comme un cap programmatique ou une cible stratégique, cela suppose une accélération industrielle, un déploiement territorial, et des arbitrages budgétaires continus.
Dans cette perspective, la nomination d’un ancien patron de Sonelgaz n’est pas neutre : elle peut être lue comme le choix d’un profil capable de dialoguer avec les opérateurs et de comprendre les contraintes de réseau. Mais elle peut aussi être perçue comme une forme de continuité technocratique : l’État confie le ministère à un homme du système, plutôt qu’à un profil politique au sens partisan.
Diplomatie énergétique et réseaux régionaux : Med-TSO, interconnexions et projection extérieure
Au-delà du périmètre national, Mourad Adjal apparaît également dans des instances régionales liées au transport d’électricité. En 2022, il est élu président de Med-TSO (association des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité méditerranéens), avec un mandat annoncé jusqu’en 2023. Ce type de structure joue un rôle particulier : elle ne décide pas à la place des États, mais elle coordonne, met en cohérence des visions de réseau, et facilite la coopération technique et institutionnelle entre pays.
Ce détail n’est pas seulement honorifique. Dans les politiques énergétiques contemporaines, l’influence passe souvent par les normes, les scénarios, les cartes d’interconnexions, et les projets de sécurisation régionale. Être élu à la tête d’un réseau comme Med-TSO signifie être identifié comme un interlocuteur crédible dans un champ où la confiance technique compte autant que les annonces politiques.
La question des interconnexions est, à cet égard, centrale. Dans le débat public algérien, des projets d’interconnexion électrique avec l’Europe, notamment via l’Italie, sont régulièrement mentionnés comme perspectives stratégiques. Ils sont complexes : ils engagent de longues maturations, des partenariats industriels, des discussions réglementaires et financières, et la question du transport (câble sous-marin, points d’atterrage, stabilité du réseau, capacité à exporter). Ces projets ne se résument pas à une “vente d’électricité” : ils impliquent un système de garanties, de planification, et une capacité à produire, sur le long terme, une électricité dont le coût, la disponibilité et la traçabilité répondent à des exigences croissantes.
Dans ce paysage, le passage d’Adjal par la direction de Sonelgaz, puis par une instance régionale de transport, éclaire une cohérence : l’énergie n’est pas seulement une production, c’est un réseau ; et le réseau est une diplomatie. L’État peut ainsi chercher à articuler transition énergétique et positionnement régional, notamment si la stratégie consiste à développer des capacités renouvelables exportables, ou à se placer dans des corridors énergétiques euro-méditerranéens.
Il reste que, pour un ministre, l’enjeu est aussi domestique : la coopération internationale ne compense pas les contraintes de la demande intérieure, la nécessité de réduire les pertes, de moderniser les équipements, et de maintenir la continuité de service. L’électrification accrue de certains usages, si elle progresse, renforcera encore la pression sur le système. Dans ce contexte, la crédibilité politique d’un ministre se mesure souvent à sa capacité à éviter les crises (coupures, incidents majeurs), autant qu’à lancer des programmes.
Une figure publique au-delà de l’énergie : distinctions, symboles et épisode de l’ES Sétif
La notoriété d’un dirigeant d’entreprise publique peut rester cantonnée aux milieux spécialisés ; elle change d’échelle quand des événements symboliques le projettent sur la scène nationale. Dans le cas de Mourad Adjal, deux séquences illustrent cette visibilité.
La première est institutionnelle et protocolaire : en 2025, il reçoit la médaille de l’Ordre du mérite national au rang “Achir”, lors d’une cérémonie officielle. Dans la grammaire politique algérienne, ce type de distinction sert à reconnaître un rôle, à consolider une figure d’État, et à donner une épaisseur symbolique à des responsables souvent perçus comme purement techniques. Une médaille ne raconte pas une politique, mais elle raconte une place.
La seconde séquence est plus inattendue pour un patron de l’électricité : l’implication de Sonelgaz dans le rachat et la prise en charge de l’Entente sportive sétifienne (ES Sétif). En août 2023, une cérémonie officialise le transfert de propriété du club vers Sonelgaz, en présence d’autorités locales et du PDG du groupe. L’événement est décrit comme une “étape historique” par des responsables locaux, et le nouveau dispositif de gouvernance du club est annoncé, avec des nominations de dirigeants.
Que signifie, politiquement, une telle opération ? Elle s’inscrit dans un mouvement plus large : plusieurs clubs algériens ont, ces dernières années, été adossés à des entreprises publiques. On peut y lire une logique de stabilisation financière et de relance sportive, mais aussi une extension du rôle social et symbolique des grandes entreprises d’État. Pour un PDG, cela devient un exercice de communication et de représentation : parler au nom d’un groupe industriel tout en entrant dans l’imaginaire populaire du football, de l’identité locale et des attentes des supporters.
Enfin, sur le registre de la reconnaissance internationale, Mourad Adjal reçoit en février 2025 un prix lié à l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée : le PAM Sustainability Award, annoncé lors de la 19e session plénière à Rome. Que l’on considère ce prix comme une récompense personnelle, ou comme une valorisation de Sonelgaz et de la stratégie énergétique algérienne, il participe d’un récit : celui d’un dirigeant présenté comme acteur de la transition et de la coopération euro-méditerranéenne.
Ces éléments ne suffisent pas à définir une orientation politique au sens idéologique. Ils construisent plutôt une image : celle d’un homme de l’appareil énergétique, promu pour sa capacité à piloter des systèmes, reconnu dans des instances régionales, et progressivement installé comme figure d’État. La question qui demeure, pour tout observateur, est celle de la transformation : la technocratie peut-elle devenir politique autrement que par la gestion ? L’histoire récente montre que, dans les ministères de l’énergie, la frontière entre technique et politique est poreuse : le moindre choix d’investissement, de priorité territoriale, ou de calendrier de transition, est un arbitrage hautement politique.
Dans le cas de Mourad Adjal, le parcours public disponible dit surtout ceci : l’énergie, en Algérie, est un pouvoir. Et ceux qui la dirigent finissent parfois par gouverner.



