Qui est Neal Rijkenberg ?

À Mbabane, capitale administrative d’Eswatini, les arbitrages budgétaires ne se résument pas à des colonnes de chiffres. Dans l’un des derniers royaumes d’Afrique australe, où le système politique repose sur une monarchie dotée d’un pouvoir déterminant, la politique économique est aussi une question de stabilité, de légitimité et de projection internationale. Depuis 2018, un nom revient avec insistance dès qu’il s’agit de finances publiques, de croissance ou de dette : Neal Herman Rijkenberg.

À la fois membre du Parlement et ministre des Finances, réinstallé dans ses fonctions en 2023, Rijkenberg incarne un profil particulier dans la vie publique eswatinienne : celui d’un entrepreneur devenu responsable politique, arrivé au cœur de l’État par nomination royale et porteur d’une ligne économique clairement revendiquée, centrée sur l’investissement, l’attractivité et la discipline budgétaire. Pour ses partisans, il s’agit d’un praticien du secteur privé qui parle le langage des entreprises et tente de moderniser l’action publique. Pour ses détracteurs, il représente une approche libérale qui pose question dans un pays marqué par les inégalités, les tensions sociales et des contraintes structurelles lourdes.

Qui est donc Neal Rijkenberg, et que révèle son itinéraire des équilibres du pouvoir à Eswatini, de la place du secteur privé, et des choix économiques d’un État dépendant de recettes régionales volatiles ? Portrait d’un homme clé, à la fois symbole et acteur d’une trajectoire économique que le pays peine à stabiliser durablement.

Un itinéraire atypique : des affaires au sommet de l’État

Neal Rijkenberg est souvent présenté, y compris par les canaux officiels, comme un ministre issu du monde entrepreneurial. Il est né et a grandi à Madulini, dans la région de Shiselweni, au sud du pays. Très tôt, raconte son profil institutionnel, il manifeste un intérêt pour le commerce, allant jusqu’à lancer une petite activité d’apiculture lorsqu’il est encore lycéen. Ce détail, fréquemment mis en avant, joue un rôle narratif clair : celui d’un « self-made man » local, enraciné et entreprenant, avant d’être figure d’État.

En 1997, il fonde Montigny Investments Limited, une entreprise spécialisée dans la filière bois et les activités connexes. Au fil des années, Montigny devient un acteur majeur de l’industrie forestière en Afrique australe, et l’entreprise est parfois décrite comme l’un des plus grands opérateurs privés intégrés du secteur dans la sous-région. Dans la communication institutionnelle et dans certaines présentations de l’entreprise, cette croissance est associée au rôle de Rijkenberg en tant que fondateur et dirigeant.

Cette trajectoire dans l’industrie n’est pas anodine à Eswatini. Le pays, enclavé, dépend de quelques secteurs structurants (agriculture, industrie sucrière, services, transferts et échanges régionaux). Une figure issue d’un secteur exportateur, habituée aux cycles de marché et aux contraintes d’investissement, arrive donc avec une grille de lecture différente de celle d’un haut fonctionnaire de carrière.

Au-delà des affaires, Rijkenberg est également lié à des activités de gouvernance et d’engagement social, notamment via des structures à dimension religieuse ou communautaire. Les sources officielles indiquent qu’il a cofondé Bulembu Ministries et qu’il a présidé ou siégé dans plusieurs conseils d’administration, associatifs ou paraétatiques. Cette dimension de réseau, entre économie, institutions et société civile confessionnelle, éclaire aussi un aspect central de la vie publique eswatinienne : l’importance des liens entre élites économiques, organisations communautaires et sphères décisionnelles.

Il faut enfin relever une caractéristique d’image : Neal Rijkenberg est régulièrement décrit comme quelqu’un qui revendique un tropisme pour l’agriculture et qui dit l’avoir étudiée. Cette mention récurrente, sans toujours être détaillée publiquement, vise à l’inscrire dans une identité nationale agricole et rurale, dans un pays où une part importante de la population vit hors des centres urbains et dépend encore de revenus ou d’activités liés à la terre. Dans les biographies institutionnelles, le message est clair : un ministre des Finances qui se veut connecté au « pays réel », pas seulement à la macroéconomie.

Une ascension politique dans un système dominé par la monarchie

Comprendre Neal Rijkenberg comme « homme politique » suppose de comprendre, d’abord, le cadre politique d’Eswatini. Le pays fonctionne selon un système où les partis politiques ne jouent pas un rôle électoral classique, et où le pouvoir exécutif est fortement structuré autour de la monarchie et d’un mode d’organisation connu sous le nom de système tinkhundla. Les élections législatives ne se déroulent pas comme des compétitions partisanes : les candidats se présentent en indépendants, dans des circonscriptions liées à des communautés, et un processus de présélection locale précède le vote. Le Parlement, dans ce contexte, est souvent décrit comme ayant un rôle largement consultatif et limité face à l’exécutif.

C’est dans ce cadre que Neal Rijkenberg entre au Parlement et au gouvernement. En 2018, il est nommé membre du Parlement par le roi Mswati III, puis il est nommé ministre des Finances. Cette double qualité, parlementaire et ministérielle, est importante : elle inscrit son action dans une architecture où les nominations et reconductions au gouvernement relèvent d’une décision royale, et où la légitimité politique se construit autant par la confiance du souverain que par la capacité à gouverner et à maintenir la stabilité économique.

En novembre 2023, il est reconduit dans ses fonctions de ministre et de parlementaire, toujours selon les communications officielles. Cette reconduction intervient après les élections législatives de septembre 2023, qui ont renouvelé une partie des sièges de l’Assemblée. Le contexte, à ce moment, reste marqué par des débats sur la représentativité, la place des femmes en politique, et les limites structurelles du système électoral. Des missions d’observation ont noté une participation notable et un déroulement globalement pacifique, tout en soulignant des enjeux persistants d’inclusivité et de représentation.

Dans un tel système, l’idée de « carrière politique » ne se mesure pas seulement au nombre de scrutins remportés. Elle se lit aussi à l’aune de la capacité à durer au gouvernement, à travers des conjonctures régionales parfois difficiles, des tensions sociales internes, et des chocs économiques. La longévité de Rijkenberg au portefeuille des Finances depuis 2018 est donc, en soi, un indicateur : son action est jugée suffisamment stratégique pour être maintenue, ce qui fait de lui l’un des visages les plus stables de l’exécutif sur la période récente.

Son positionnement institutionnel illustre également un phénomène observé dans plusieurs pays : l’arrivée d’un dirigeant d’entreprise dans un ministère économique clé, avec l’idée implicite qu’une gestion « orientée résultats » et « discipline budgétaire » peut s’importer de l’entreprise vers l’État. La différence, ici, tient au contexte : Eswatini n’est pas un État où un ministre est porté par un parti et un programme électoral. Son mandat, sa marge de manœuvre et ses arbitrages se déploient dans un espace où la technicité financière cohabite avec des équilibres politiques spécifiques.

Une ligne économique assumée : croissance, investissement, attractivité fiscale

Sur le fond, Neal Rijkenberg est identifié à une orientation économique pro-investissement et favorable à la croissance, souvent associée à une lecture « pro-marché ». Cette ligne s’est notamment cristallisée autour des débats sur la fiscalité des entreprises.

Au début de l’année 2020, il prend publiquement position sur la question de la compétitivité et de l’emploi, en mettant en avant un enjeu central : la difficulté d’absorption des jeunes sur le marché du travail. Dans une tribune largement reprise, il défend une stratégie de baisse de l’imposition sur les sociétés, présentée comme un outil pour attirer l’investissement, élargir l’activité, et, à terme, soutenir l’emploi. L’annonce phare de cette période est l’objectif d’un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, chiffre qui résonne dans l’imaginaire économique mondial comme symbole d’attractivité fiscale.

Mais l’histoire fiscale d’un pays ne se résume pas à une annonce. Les trajectoires d’application, les compromis et les ajustements comptent. Les informations disponibles montrent que la fiscalité des entreprises à Eswatini a connu des évolutions et des réformes, avec des dispositions plus complexes que l’idée d’un taux unique très bas. Les réformes récentes, entrées en vigueur en 2024, indiquent par exemple une baisse du taux standard dans une amplitude plus limitée et la mise en place de mécanismes additionnels, comme des dispositifs de taxation présomptive pour les plus petits chiffres d’affaires et des retenues à la source sur certains paiements à des non-résidents. Dans le débat public, cela nourrit une lecture nuancée : Rijkenberg a porté l’idée d’une forte baisse pour stimuler l’investissement, mais le cadre final reflète des arbitrages entre attractivité, soutenabilité budgétaire et contraintes de collecte.

Au-delà de la fiscalité, sa doctrine se lit aussi dans la recherche d’une consolidation budgétaire et d’un pilotage plus rigoureux. Les sources gouvernementales mettent en avant une réduction du déficit fiscal sur son premier mandat et des efforts visant à contenir l’endettement ou à en maintenir la trajectoire dans des zones jugées soutenables. Le discours de ce type, dans un pays où les besoins sociaux sont importants, s’accompagne souvent d’une promesse : stabiliser les finances pour éviter une crise de financement, préserver la capacité d’investissement public, et soutenir la crédibilité auprès des partenaires régionaux et internationaux.

Un autre chantier attribué à son action est la création ou la promotion d’un fonds de stabilisation lié à la SACU, l’union douanière d’Afrique australe. Pour Eswatini, les recettes issues de la SACU peuvent être importantes, mais elles sont aussi volatiles car dépendantes de dynamiques régionales et de mécanismes de redistribution. L’idée d’un fonds de stabilisation est, dans la théorie des finances publiques, une réponse classique à la volatilité : mettre de côté dans les années favorables pour amortir les années creuses. Si la mise en œuvre concrète et l’ampleur de ce type d’outil restent des sujets de suivi, le fait que cette logique soit revendiquée est révélateur de la priorité accordée à la résilience budgétaire.

Enfin, Rijkenberg défend régulièrement, dans des interventions publiques, l’idée que la croissance est un impératif. Dans des prises de parole dans des enceintes multilatérales, il insiste sur la nécessité d’un environnement économique qui encourage la production, l’investissement et la création de valeur, et il relie ces objectifs à des questions plus larges comme la dette, la souveraineté budgétaire et le financement du développement. Ce discours s’inscrit dans une tendance continentale : de nombreux responsables africains cherchent à repositionner le débat sur la dette en insistant sur la capacité à financer le développement sans compromettre l’autonomie décisionnelle.

Le ministre des Finances dans une société sous tension : dette, coûts, attentes sociales

La politique économique d’un ministre se mesure aussi à l’état du pays qu’il administre, et aux tensions qui traversent sa société. Eswatini fait face à des défis structurels : croissance inégale, pauvreté, accès aux services, pression démographique, chômage, et dépendance à des recettes externes ou régionales. Dans ce contexte, le ministère des Finances est un lieu de friction permanente entre contraintes budgétaires et attentes sociales.

Ces dernières années, la question de la dette publique et de la soutenabilité budgétaire a pris une place croissante dans les discussions. Des institutions internationales ont publié des analyses et des rapports appelant à améliorer l’efficacité de la dépense publique, à renforcer la mobilisation des recettes et à assurer une meilleure qualité des services publics, tout en évitant une dérive de l’endettement. Pour un ministre des Finances, ces recommandations peuvent être un appui technique, mais elles se transforment aussi en enjeu politique : les réformes budgétaires, la rationalisation et la priorisation des dépenses touchent directement les ménages, les administrations et les intérêts établis.

À cela s’ajoute un phénomène mondial qui, à Eswatini comme ailleurs, affecte le quotidien : le coût de la vie et le coût des services essentiels. Des déclarations récentes attribuées au ministre font état de démarches visant à réduire le coût des données et, plus largement, à améliorer l’accessibilité numérique. Si ce thème peut paraître secondaire dans une économie où l’agriculture et les services de base restent fondamentaux, il est en réalité révélateur : le numérique devient un levier de compétitivité, d’accès à l’éducation, d’intégration économique et d’opportunités pour la jeunesse. Dans un pays où l’emploi des jeunes est régulièrement décrit comme une urgence, toute politique touchant au coût de la connectivité prend une dimension socio-économique et politique.

Mais les arbitrages restent délicats. L’idée de baisser fortement l’impôt sur les sociétés, par exemple, peut être présentée comme une stratégie de long terme : attirer des entreprises, élargir l’assiette fiscale future, stimuler l’emploi. Elle peut aussi être critiquée comme une réduction de recettes immédiates dans un État qui a besoin de financer la santé, l’éducation et les infrastructures. Le débat devient alors une question de calendrier et de confiance : le pays peut-il supporter un manque à gagner aujourd’hui pour un gain espéré demain ? La réponse dépend de la capacité à compenser par d’autres recettes, à réduire certaines dépenses, et à garantir que l’investissement privé suivra effectivement.

Dans la presse et dans certains commentaires économiques, l’approche de Rijkenberg est parfois décrite comme un pari, voire comme une stratégie d’attractivité fiscale susceptible de transformer le pays en place particulièrement compétitive. Une partie du débat public s’est ainsi structurée autour de l’idée, favorable ou critique, d’un Eswatini plus agressif fiscalement pour attirer capitaux et sièges, dans un environnement régional où les pays se concurrencent pour l’investissement. Le mot « paradis fiscal » est parfois apparu dans des tribunes ou des articles, signe que l’enjeu dépasse la technicité : il touche à l’image du pays, à son modèle de développement et à sa relation avec les normes internationales.

La réponse institutionnelle, dans la réalité, passe souvent par des compromis : réformer la fiscalité sans fragiliser la crédibilité budgétaire, attirer l’investissement sans déclencher de réactions négatives de partenaires internationaux, et maintenir la stabilité dans un pays où la contestation politique et sociale a existé ces dernières années. Là encore, le rôle d’un ministre des Finances n’est pas seulement de faire des comptes ; il consiste à tenir une ligne au milieu de pressions contradictoires.

Une visibilité internationale croissante, entre diplomatie économique et lignes de fracture

Ces dernières années, Neal Rijkenberg a gagné en visibilité au-delà des frontières d’Eswatini. Cette projection se lit à travers des interventions dans des forums multilatéraux et des processus africains sur la finance et la dette. Il a notamment prononcé des discours dans le cadre de consultations et de réunions liées à l’Union africaine, où il met en avant la notion de souveraineté budgétaire, la résilience et la capacité des États à financer leurs priorités de développement. Ce type de prise de parole s’inscrit dans un mouvement plus large : plusieurs États africains cherchent à peser collectivement sur les règles internationales de restructuration de dette, sur les conditions de financement climatique, et sur la réforme de l’architecture financière mondiale.

Pour Eswatini, petit pays par la taille, l’accès à cette scène est un enjeu de positionnement. La diplomatie économique y joue un rôle important : obtenir des financements, défendre des marges de manœuvre, attirer des investissements, et bâtir des partenariats techniques. Dans ce cadre, un ministre des Finances capable de porter un message clair et cohérent devient un actif politique.

Cette visibilité s’accompagne cependant de lignes de fracture internes. Le fait même qu’un ministre clé vienne du monde des affaires peut nourrir des interrogations, notamment dans une société où l’économie est traversée par des clivages : secteurs modernes et secteurs ruraux, grandes entreprises et petites activités informelles, élites urbaines et périphéries. La perception publique d’un ministre peut alors être affectée par des soupçons généraux sur les conflits d’intérêts, même en l’absence d’éléments établis, ou par des critiques portant sur les priorités politiques : faut-il d’abord attirer les investisseurs ou d’abord renforcer les services publics ? Faut-il stimuler la croissance par l’offre ou consolider la demande et la protection sociale ?

Dans un État où le système politique limite l’expression partisane, ces débats se déplacent souvent vers d’autres espaces : médias, organisations de la société civile, associations professionnelles, réseaux communautaires et forums internationaux. Les critiques peuvent aussi être amplifiées par l’usage des réseaux sociaux, où les accusations circulent parfois sans la robustesse des standards journalistiques. Il est donc important, pour analyser la figure de Rijkenberg, de distinguer ce qui relève de ses actes et positions documentés de ce qui relève du climat de contestation, de rumeurs ou d’instrumentalisation politique.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que Rijkenberg est devenu un symbole : symbole d’une orientation économique, symbole d’un État qui cherche à se rendre plus compétitif, symbole aussi d’une manière de gouverner où les profils technocratiques et entrepreneuriaux prennent une place forte. Son rôle de ministre des Finances l’expose mécaniquement : toute crise de liquidité, tout budget contesté, toute hausse de prix ou toute réforme fiscale contestée se projette sur son portefeuille, parce qu’il incarne le point de passage des arbitrages.

La question, au fond, n’est pas seulement « qui est Neal Rijkenberg ? », mais « que signifie son rôle dans le moment que traverse Eswatini ? ». Son parcours raconte un pays qui mise sur une combinaison : discipline budgétaire, attractivité, industrialisation, et insertion dans des débats continentaux sur la dette. Il révèle aussi les limites de ce pari : la croissance ne se décrète pas, l’investissement n’obéit pas qu’aux taux d’imposition, et la stabilité sociale dépend autant des opportunités économiques que de la perception d’équité.

Neal Rijkenberg apparaît ainsi comme l’un des visages les plus identifiables du pouvoir exécutif eswatinien depuis 2018. Entrepreneur devenu ministre, il a porté une ligne favorable à la croissance et à l’investissement, en promouvant des réformes fiscales et des outils de stabilisation budgétaire. Reconduit en 2023, il s’inscrit dans la durée, ce qui, dans un système dominé par la monarchie et traversé par des défis sociaux, n’est jamais neutre.

Son action continuera d’être jugée sur des résultats concrets : évolution de l’emploi des jeunes, trajectoire de la dette, capacité à financer les services publics, attractivité réelle du pays, et résilience face à la volatilité des recettes régionales. Dans un pays où la politique se joue autant dans les nominations que dans la rue, autant dans les budgets que dans la perception de justice économique, le ministre des Finances reste un acteur central. Et Neal Rijkenberg, qu’on l’admire ou qu’on le conteste, est devenu l’un des noms incontournables pour comprendre Eswatini aujourd’hui.

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