À Gaborone, son nom circule à la fois dans les couloirs du pouvoir et dans le monde académique. Nono Kgafela-Mokoka incarne un profil encore rare au Botswana : celui d’une universitaire de carrière projetée au premier plan de l’exécutif, à la faveur d’un changement politique et d’une recomposition des priorités gouvernementales. Née en 1965 dans le district de Kgatleng, enseignante-chercheuse en littérature anglaise, elle est aujourd’hui l’un des visages d’un ministère récent, chargé de deux sujets parmi les plus sensibles pour un État : l’école et la protection de l’enfance. Sa trajectoire éclaire autant l’évolution des élites botswanaises que la manière dont le pays entend aborder ses défis sociaux.
Son ascension politique se lit aussi à travers une particularité institutionnelle : elle siège au Parlement en tant que membre spécialement élu, un mécanisme de nomination qui vise, selon plusieurs analyses, à élargir les profils représentés et à renforcer la diversité des compétences au sein de l’Assemblée. Dans un contexte où la représentation des femmes reste un enjeu, sa présence au Parlement et au gouvernement nourrit, au-delà des débats partisans, une réflexion sur la place accordée aux expertes et aux responsables politiques issues de la société civile.
Mais derrière l’étiquette ministérielle, demeure une question centrale : qui est réellement Nono Kgafela-Mokoka, et que dit son parcours des transformations en cours au Botswana ?
Une formation académique solide et un ancrage dans l’enseignement supérieur
Les éléments biographiques disponibles situent Nono Kgafela-Mokoka à la croisée de deux univers : celui de la recherche en sciences humaines et celui de l’engagement public. Selon la fiche publiée par l’Université du Botswana, Kebuang Nono Kgafela-Mokoka est née le 20 avril 1965 à Mathubudukwane, dans le district de Kgatleng. Elle y est présentée comme mariée, mère de deux filles et grand-mère. Cette même source la décrit comme “Senior Lecturer” au Département d’anglais, au sein de la Faculté des humanités, et souligne une expérience d’enseignement qui s’étend sur plusieurs décennies.
Sa carrière universitaire est associée à la littérature anglaise au sens large : la fiche évoque des travaux portant notamment sur la poésie romantique anglaise et Shakespeare, ainsi que sur des champs plus transversaux comme les littératures du Commonwealth et la littérature botswanaise. La même présentation mentionne des axes de recherche liés au genre, à la culture, à la religion et à la langue, en plus d’une activité de publication (chapitres, articles, communications).
Dans le paysage botswanais, ce type de profil n’est pas inédit, mais il demeure relativement singulier à l’échelle d’un gouvernement : une enseignante-chercheuse, formée à l’analyse des textes et des représentations, amenée à arbitrer des politiques publiques concrètes, budgétaires et souvent urgentes. Cette transition du monde académique vers l’action ministérielle pose aussi une question de méthode : comment un parcours fondé sur la recherche et l’enseignement se transpose-t-il dans le rythme politique, fait de décisions rapides, de gestion de crise et de communication ?
Au fil des mois, les sources médiatiques botswanaises insistent sur ce double ancrage, présentant la ministre à la fois comme une responsable politique et comme une universitaire. Ce regard n’est pas neutre : il contribue à façonner une image de compétence technique, utile dans un secteur où les diagnostics (résultats scolaires, infrastructures, inégalités) exigent des outils d’analyse autant que des moyens d’action.
Une entrée au Parlement par la voie des membres spécialement élus
Pour comprendre son rôle, il faut s’arrêter sur un mécanisme institutionnel souvent méconnu hors du pays : celui des “Specially Elected Members of Parliament” (SEMP), c’est-à-dire des membres du Parlement nommés, et non élus au suffrage direct. Plusieurs publications décrivent ce dispositif comme une manière de combler des “lacunes” en matière de compétences, de diversité ou de représentation.
Dans la séquence politique ouverte après les élections et la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale, Nono Kgafela-Mokoka apparaît précisément dans cette catégorie. La presse et des publications d’analyse mentionnent son nom parmi les personnes retenues comme membres spécialement élus pour la 13e législature, aux côtés d’autres profils présentés comme visibles dans la société ou dotés d’expertises spécifiques.
Cette modalité d’accès au Parlement a un impact direct sur la perception publique : d’un côté, elle peut être vue comme une opportunité donnée à des compétences reconnues ; de l’autre, elle alimente parfois un débat classique sur la légitimité démocratique, puisque l’entrée à l’Assemblée ne passe pas par le vote. Les défenseurs du mécanisme mettent en avant la nécessité de corriger des déséquilibres structurels, notamment en matière de représentation féminine, et de permettre à l’exécutif de s’entourer de profils capables de piloter des réformes.
Certaines publications rappellent aussi qu’elle s’était présentée à une élection dans la circonscription de Kgatleng East et qu’elle avait été battue, avant d’être pressentie puis retenue comme membre spécialement élu. Dans un pays où la compétition électorale est exigeante, ce type d’itinéraire — échec dans les urnes puis retour par nomination — renforce l’idée d’une personnalité jugée utile à la gouvernance, même sans victoire électorale directe.
Une nomination à la tête d’un ministère nouveau : enfant et école réunis
La bascule décisive intervient avec sa nomination au gouvernement. Des sources officielles botswanaises indiquent que Nono Kgafela-Mokoka a été annoncée comme ministre du nouveau portefeuille de l’Enfance (Child Welfare) et de l’Éducation de base (Basic Education). Cette architecture ministérielle est significative : elle place sous une même autorité la scolarité obligatoire et les politiques de protection de l’enfance, deux champs souvent liés sur le terrain (violences, absentéisme, vulnérabilité, besoins sociaux).
La création et la structuration du ministère apparaissent également dans la communication gouvernementale. Un article du Daily News (organe public) rapporte qu’une rencontre consultative a été organisée pour réfléchir à l’intégration de ces deux domaines dans un même ministère, et cite la ministre expliquant que l’objectif du forum est précisément d’explorer la manière de réunir l’éducation de base et la protection de l’enfance dans un mandat cohérent.
Cette dimension institutionnelle est importante : elle laisse entendre que l’administration se cherche encore, qu’elle doit clarifier ses responsabilités et ses méthodes, et qu’elle souhaite associer des “stakeholders” à la construction de son périmètre. En termes de politique publique, c’est un chantier considérable : réunir des services, harmoniser des priorités, éviter les doublons et, surtout, ne pas perdre en route les populations concernées.
L’annonce de sa nomination a également été reprise par des médias internationaux. CGTN Africa, par exemple, évoque la mise en place du nouveau ministère et la désignation de Nono Kgafela-Mokoka pour le diriger. Cette reprise souligne que l’enjeu n’est pas seulement domestique : le Botswana, souvent cité comme un pays relativement stable dans la région, est observé sur sa capacité à réformer son système éducatif et à répondre aux défis sociaux.
L’éducation de base, entre résultats, infrastructures et réformes annoncées
Une fois en poste, la ministre est confrontée à un dossier qui cristallise les attentes et les tensions : la performance scolaire et l’orientation des élèves. Plusieurs médias ont relayé des déclarations liées aux résultats du Junior Certificate Examination (JCE), indiquant qu’un nombre important de candidats ne poursuivraient pas vers le secondaire supérieur en raison de performances jugées insuffisantes. Ce type d’annonce place immédiatement le ministère au cœur d’un débat national, car il touche à l’égalité des chances, à la formation future et aux perspectives d’emploi.
L’autre sujet récurrent est celui des infrastructures. Mmegi, média botswanais, rapporte que la ministre a publiquement décrit l’état préoccupant des bâtiments scolaires, en expliquant que des intempéries avaient aggravé une situation déjà dégradée, et en plaidant pour des réponses rapides malgré des contraintes financières. La question des infrastructures dépasse le symbole : elle conditionne la sécurité, la continuité pédagogique et la dignité des conditions d’apprentissage.
Dans les prises de parole attribuées à la ministre, une ligne se dégage : l’idée que la qualité de l’éducation ne se résume pas aux programmes, mais dépend aussi des environnements “child-friendly”, de l’entretien des écoles, et d’une mobilisation coordonnée avec d’autres acteurs. Ce positionnement est révélateur d’un ministère qui cherche à articuler le pédagogique et le social.
Enfin, des débats émergent autour des contenus et des certifications. Un article de presse a récemment rapporté qu’une annonce au Parlement évoquait la fin d’un partenariat entre le Botswana Examinations Council et Cambridge University Press and Assessment concernant les certificats du BGCSE. Même lorsque les détails techniques restent à préciser, ce type de décision est hautement politique : il touche à la reconnaissance internationale des diplômes, à la souveraineté éducative et à la crédibilité du système d’évaluation.
Dans ce contexte, Nono Kgafela-Mokoka se retrouve associée à une période où l’éducation botswanaise est discutée sous plusieurs angles à la fois : le niveau des élèves, les passerelles, la qualité des établissements, et l’orientation stratégique des évaluations. Le défi est d’autant plus complexe que les réformes éducatives sont rarement “instantanées” : elles produisent des effets sur des années, parfois sur une génération. Or, le tempo politique, lui, exige des résultats visibles.
La protection de l’enfance comme test politique et moral
Le portefeuille de la protection de l’enfance donne à son ministère une dimension particulièrement sensible. Il ne s’agit pas seulement de scolariser, mais de protéger. Des articles de presse botswanais rapportent des déclarations où la ministre affiche une volonté d’action directe contre les violences faites aux enfants, en évoquant une posture “hands-on” et une implication personnelle sur certains dossiers.
Parallèlement, la ministre a été citée dans un débat sur les châtiments corporels. Mmegi rapporte qu’elle a appelé à l’adoption d’une loi sur la punition corporelle des enfants à l’école et dans d’autres cadres. Le sujet est explosif dans de nombreux pays, car il touche aux traditions éducatives, à la discipline, aux droits des enfants et aux normes internationales. En l’occurrence, prendre position sur ce terrain expose nécessairement à des critiques, mais offre aussi une lisibilité : celle d’une ministre qui assume de mettre la question des droits de l’enfant au centre du débat public.
Le ministère s’inscrit également dans une diplomatie sectorielle. Une note du ministère chinois des Affaires étrangères, relatant une visite de courtoisie de l’ambassadeur de Chine auprès de la ministre, indique qu’elle a remercié la partie chinoise pour son soutien au développement de la protection de l’enfance et de l’éducation de base. Ce type de communication montre que le portefeuille n’est pas isolé : il interagit avec des partenaires extérieurs, des projets d’appui et des priorités de coopération.
L’action internationale se manifeste aussi sur la scène multilatérale. Des médias ont indiqué que la ministre avait conduit la délégation botswanaise lors d’une conférence générale de l’UNESCO, et qu’elle avait échangé avec la presse en marge de cet événement. Là encore, l’enjeu est double : représenter le pays et inscrire les politiques éducatives dans des cadres de référence internationaux.
Au total, la dimension “enfance” transforme le ministère en espace d’arbitrage moral autant que budgétaire. Il ne suffit pas de rénover des écoles ou d’adapter des examens : il faut aussi traiter des situations de vulnérabilité, des violences, et de tout ce qui conditionne la capacité d’un enfant à apprendre. C’est un terrain où la parole ministérielle est scrutée, où chaque fait divers peut devenir une affaire politique, et où l’État est attendu sur sa capacité à protéger les plus jeunes.
Une actrice de la vie partisane, entre coalition et tensions internes
Au-delà de ses fonctions gouvernementales, Nono Kgafela-Mokoka est aussi décrite comme une responsable politique au sein d’un parti. Des publications la présentent comme vice-présidente du Botswana People’s Party (BPP), une formation liée aux recompositions politiques récentes au sein de coalitions d’opposition.
Cette dimension partisane est essentielle pour comprendre sa marge de manœuvre : un ministre n’est jamais seulement un technicien. Il doit composer avec les équilibres de coalition, les attentes de son camp, les rivalités internes et les pressions publiques. Un article de TheVoiceBW, par exemple, évoque des tensions internes au BPP, indiquant que des responsables, dont elle, auraient été écartés d’une instance du parti, sur fond d’accusations et de contestations liées à l’équilibre entre responsabilités ministérielles et obligations partisanes.
Ces épisodes, lorsqu’ils surviennent, rappellent que la stabilité politique ne dépend pas uniquement des institutions formelles. Elle dépend aussi de dynamiques internes, d’allégeances, de stratégies et de perceptions de loyauté. Pour une ministre issue d’un univers académique, ces logiques peuvent constituer un apprentissage accéléré, parfois brutal : le langage du compromis, les rapports de force, la discipline d’appareil.
Dans le même temps, son statut de membre spécialement élu, son entrée au gouvernement et sa visibilité médiatique peuvent renforcer son poids politique — et donc alimenter des crispations. Être un visage public d’un ministère social, c’est être associée à des décisions qui touchent des milliers de familles. Le bilan d’un ministère de l’enfance et de l’éducation se mesure souvent à l’aune d’histoires concrètes : une école réparée, une violence évitée, une réforme comprise, un examen crédible.
Ainsi, la figure de Nono Kgafela-Mokoka se situe à l’intersection de plusieurs lignes de tension : entre expertise et politique, entre action nationale et représentation internationale, entre réforme et attentes sociales immédiates, entre coalition et vie interne de parti.
Elle incarne, pour ses soutiens, la promesse d’une approche plus analytique et plus centrée sur le bien-être des enfants. Pour ses critiques, elle peut symboliser les incertitudes d’une nomination parlementaire non élective ou les ambiguïtés d’une carrière partagée entre gouvernement et structures partisanes. Dans tous les cas, elle occupe désormais une place où l’on ne peut plus se contenter d’un profil : il faut des résultats, des décisions, et une capacité à tenir ensemble l’école et l’enfance, deux miroirs directs de l’état d’une société.



