Nommé à l’été 2024 à la tête du ministère des Awqaf (Affaires religieuses et dotations), Osama Al-Azhari s’est imposé en quelques années comme l’un des visages les plus identifiables de l’interface entre l’institution religieuse d’Al-Azhar, l’appareil d’État et la diplomatie religieuse égyptienne. À la fois prédicateur, enseignant et conseiller, il incarne un profil désormais recherché par les autorités du pays : celui d’un clerc formé dans la tradition azharie, capable de parler au public, de structurer une politique religieuse et de porter à l’étranger une image d’« islam du juste milieu » mise en avant par Le Caire. Son ascension, au croisement du savoir religieux, des médias et du pouvoir, éclaire aussi les enjeux d’un ministère dont les prérogatives dépassent largement l’administration des mosquées : contrôle des prêches, gestion des fondations pieuses, encadrement des imams, et, plus largement, bataille d’influence autour du discours religieux dans une région traversée par de fortes tensions identitaires.
Un parcours d’érudit : de l’enfance à la formation azharie
Osama Al-Azhari naît le 16 juillet 1976 à Alexandrie. Très tôt, sa trajectoire se rattache à l’univers religieux égyptien, avec une socialisation marquée par l’apprentissage du Coran et une orientation vers les filières d’enseignement d’Al-Azhar, l’institution sunnite la plus prestigieuse d’Égypte. Plusieurs récits biographiques insistent sur une enfance et une jeunesse également ancrées dans la Haute-Égypte, notamment dans le gouvernorat de Sohag, souvent présenté comme un repère important de sa formation personnelle et de son rapport à la prédication.
Cette double appartenance, à la fois alexandrine et « saïdi » (de Haute-Égypte), pèse dans la manière dont son profil est perçu : d’un côté, l’accès à un grand centre urbain et intellectuel ; de l’autre, une proximité revendiquée avec des territoires où la religion structure fortement la vie sociale. Dans le paysage égyptien, où la parole religieuse se diffuse autant dans les grandes mosquées du Caire que dans les villes et villages de la vallée du Nil, cette biographie « à cheval » peut être un atout, au moment de s’adresser à des publics divers.
Son itinéraire académique s’inscrit dans les disciplines classiques de l’érudition azharie. Il se spécialise notamment dans des champs comme le hadith (traditions prophétiques), la logique et la doctrine (aqida), cœurs historiques de l’enseignement religieux. C’est précisément sur ces terrains qu’il bâtit une réputation de pédagogue : il est présenté comme enseignant, notamment au sein d’espaces de transmission d’Al-Azhar au Caire. Son nom est associé à des cours au sein de la mosquée d’Al-Azhar, lieu hautement symbolique, et plus précisément au Riwaq al-Atrak, un espace traditionnel d’enseignement. En parallèle, il est également décrit comme ayant exercé un rôle d’enseignant à l’université Al-Azhar, au sein des facultés liées aux « fondements de la religion » (Usul al-Din) et à la prédication (Da‘wah).
La mise en avant de ces disciplines n’est pas neutre. Dans un contexte où l’Égypte cherche à présenter une orthodoxie religieuse structurée et opposée aux discours extrémistes, la maîtrise des sciences traditionnelles permet de revendiquer une légitimité « interne » à la tradition sunnite. Le message politique implicite est clair : l’autorité religieuse ne doit pas être laissée à des prêcheurs autodidactes ou à des entrepreneurs de religion, mais adossée à une chaîne de savoir reconnue.
De la chaire au palais : conseiller religieux et figure de l’appareil d’État
La bascule du strict registre savant vers la sphère politique se cristallise au milieu des années 2010. Osama Al-Azhari est alors identifié comme conseiller du président égyptien pour les affaires religieuses, une fonction associée à la présidence à partir d’octobre 2014. Cette nomination le place dans un espace très particulier : non pas celui d’un ministre, soumis à l’arène gouvernementale, mais celui d’un expert et d’un « pont » entre la présidence, les institutions religieuses et les appareils administratifs.
Dans l’Égypte post-2013, où la question religieuse est au cœur des politiques de sécurité, de cohésion nationale et de légitimation, la figure du conseiller religieux prend une dimension stratégique. Elle vise à articuler plusieurs objectifs : renforcer un discours religieux présenté comme modéré ; soutenir la stabilité institutionnelle ; et donner aux initiatives de l’État une légitimité s’appuyant sur un langage théologique. Dans ce cadre, Al-Azhari devient un nom récurrent dans des événements officiels, des conférences et des rencontres, en Égypte comme à l’étranger.
Son profil est également décrit, selon certaines sources institutionnelles et biographiques, comme lié à des missions de conseil ou de coopération autour de la communication religieuse et des relations internationales des autorités religieuses égyptiennes. Il apparaît aussi, dans certains portraits, comme associé à des cercles de réflexion et à des réseaux académiques, ce qui contribue à le positionner comme un acteur « hybride » : à la fois homme de tradition et intervenant dans les arènes contemporaines du débat public.
Ce type de trajectoire correspond à une tendance plus large : depuis plusieurs décennies, l’État égyptien cherche à encadrer les lieux de production de la norme religieuse, en s’appuyant sur des figures capables de circuler entre trois mondes. Le premier est celui des textes et des sciences religieuses ; le deuxième, celui des institutions (ministères, administrations, établissements de formation des imams) ; le troisième, celui des médias et de la diplomatie culturelle. Al-Azhari est souvent présenté comme appartenant à cette génération d’oulémas qui ne se contentent pas du rôle de professeur ou de prédicateur, mais assument une fonction de représentation.
Le ministère des Awqaf : un portefeuille stratégique au cœur de l’État
En juillet 2024, Osama Al-Azhari est nommé ministre des Awqaf, c’est-à-dire ministre chargé des affaires religieuses et des dotations. Il succède à Mohamed Mukhtar Gomaa, qui a occupé ce poste pendant plus d’une décennie. La nomination d’un profil savant à la tête de ce ministère attire l’attention, car le portefeuille est l’un des plus sensibles du gouvernement égyptien : il ne se limite pas aux cérémonies et à la symbolique. Il englobe la gestion d’un vaste réseau de mosquées, l’encadrement des imams, l’organisation du prêche du vendredi, la supervision d’institutions de formation et l’administration des biens religieux (awqaf), c’est-à-dire les dotations pieuses destinées à financer des activités religieuses ou caritatives.
Le ministère des Awqaf est, en Égypte, l’un des instruments majeurs de la politique religieuse de l’État. Il intervient dans la nomination des prêcheurs, la standardisation des thèmes et l’application de règles sur la prédication. Dans un pays où la mosquée demeure un espace de sociabilité et parfois de mobilisation, la régulation des prêches relève d’un enjeu de sécurité autant que de doctrine.
La nomination d’Al-Azhari s’inscrit dans la recomposition d’un gouvernement et dans une volonté affichée de renouvellement, au moment où l’Égypte fait face à des défis économiques et sociaux importants, mais aussi à des pressions régionales et internationales. Dans ce contexte, le religieux n’est pas un domaine périphérique : il est mobilisé pour appuyer un récit national, lutter contre les radicalisations, et répondre aux tensions confessionnelles.
À ce poste, le nouveau ministre est aussi amené à coopérer étroitement avec d’autres institutions religieuses majeures : Al-Azhar, dirigée par le grand imam Ahmed Al-Tayeb, et Dar al-Ifta (la maison de la fatwa), qui produit des avis juridiques religieux. Les relations entre ces institutions ont parfois été complexes, chacune disposant de son histoire, de ses prérogatives et de ses réseaux. Pour un ministre issu de l’univers azhari, l’équation est délicate : préserver l’autonomie et la stature d’Al-Azhar tout en assumant la mission d’un ministère rattaché au gouvernement et, in fine, à la ligne politique de l’exécutif.
Le rôle se double d’un enjeu social : la gestion des imams et de leurs conditions de travail. Le ministère supervise des milliers de prêcheurs. Les débats autour de la formation, de la rémunération, du statut et de la discipline des imams constituent un sujet récurrent en Égypte, notamment parce que ces acteurs sont au contact direct des populations. La capacité du ministre à « tenir » ce réseau, à la fois en améliorant le professionnalisme et en garantissant l’adhésion à la ligne officielle, fait partie des critères de succès.
Enfin, la question des dotations religieuses est un dossier administratif et financier de grande ampleur. Les awqaf représentent des biens, des terres et des actifs dont la gestion peut être source de contentieux, de réformes et de revendications. Dans plusieurs pays, les dotations constituent un champ où se jouent des enjeux de transparence, de modernisation et de contrôle des ressources liées au religieux. En Égypte, ce domaine est particulièrement sensible, car il touche à des intérêts historiques et à des équilibres locaux.
Diplomatie religieuse : voyages, réseaux internationaux et soft power
Au-delà de l’administration intérieure, Osama Al-Azhari est identifié comme un acteur de la diplomatie religieuse égyptienne. Des biographies institutionnelles mettent en avant de nombreux déplacements et participations à des rencontres internationales, où l’Égypte présente son modèle religieux comme un rempart contre l’extrémisme et comme une référence de modération.
Cette dimension internationale s’inscrit dans une logique de soft power. Depuis des décennies, Le Caire entend maintenir son statut de centre intellectuel du sunnisme, notamment via Al-Azhar et les réseaux éducatifs liés à l’institution. Dans un Moyen-Orient où plusieurs pays investissent le champ religieux pour asseoir leur influence, les autorités égyptiennes cherchent à promouvoir une image d’équilibre, de continuité et de stabilité. Le ministre des Awqaf, en tant que responsable d’un secteur clé, devient naturellement l’un des porte-voix de cette stratégie.
Dans ce registre, Al-Azhari apparaît dans des événements institutionnels à forte portée symbolique : rencontres avec des autorités religieuses étrangères, participation à des conférences, échanges autour de la formation des imams, ou discussions sur la lutte contre les discours de haine et les radicalisations. Des institutions égyptiennes et internationales ont relaté des interventions de sa part dans des cadres officiels, témoignant de cette activité diplomatique.
Cette présence internationale s’inscrit aussi dans un contexte où le « discours religieux » est devenu une catégorie politique en soi. Dans les années 2010 et 2020, l’Égypte a régulièrement mis en avant la nécessité de réformer le discours religieux, de moderniser la prédication et de lutter contre l’instrumentalisation de l’islam par des groupes radicaux. Dans cette perspective, la diplomatie religieuse ne se limite pas à des rencontres de courtoisie : elle vise à construire des coalitions symboliques et institutionnelles contre l’extrémisme, à défendre une interprétation de l’islam compatible avec l’État-nation, et à promouvoir une stabilité régionale.
Le rôle du ministre implique également des interactions avec des institutions religieuses non musulmanes, dans le cadre du dialogue interreligieux ou des rencontres autour de la coexistence. L’Égypte, pays où vit une importante minorité chrétienne copte, met souvent en avant un discours de citoyenneté et de coexistence, même si les tensions confessionnelles demeurent un sujet sensible. Dans ce contexte, la parole du ministre des Awqaf est attendue sur la manière de défendre la cohésion nationale.
Enfin, l’activité internationale d’Al-Azhari s’articule avec celle du grand imam d’Al-Azhar, dont l’aura dépasse largement les frontières de l’Égypte. Les relations entre les deux hommes, symbolisées par des rencontres officielles après la nomination ministérielle, illustrent l’importance de la coordination entre l’institution savante et l’exécutif. Dans un pays où Al-Azhar revendique un statut particulier, le gouvernement doit composer avec une autorité religieuse qui n’est pas simplement un département administratif.
Quels défis pour un ministre du religieux : encadrement, modernisation et bataille du récit
La question centrale, au-delà de la biographie, est celle du défi politique que représente un ministère du religieux dans l’Égypte contemporaine. Le premier enjeu est celui de la crédibilité. Pour encadrer la prédication et peser sur les discours, un ministre doit être reconnu comme légitime par les acteurs religieux eux-mêmes. L’érudition d’Al-Azhari, son enracinement à Al-Azhar et sa réputation d’enseignant jouent ici un rôle évident. Mais la crédibilité se mesure aussi à la capacité de gérer une administration lourde, de négocier avec des réseaux locaux et de tenir une ligne cohérente dans un paysage social fragmenté.
Le second enjeu est celui de la modernisation, terme souvent utilisé mais difficile à traduire en politiques concrètes. Il peut s’agir de la formation des imams, de la mise à jour des outils pédagogiques, de l’usage des médias et des réseaux sociaux, ou de la capacité à répondre à des questions contemporaines : économie, bioéthique, relations interreligieuses, place des femmes, jeunesse, migrations. Le ministre des Awqaf n’est pas seulement un gestionnaire : il est attendu sur la production d’un langage religieux capable de dialoguer avec les transformations sociales.
Le troisième enjeu est celui de la sécurité et de la prévention de l’extrémisme. En Égypte, les autorités ont, depuis des années, mis en place des politiques strictes de contrôle des mosquées et des prêcheurs, notamment pour empêcher que des tribunes religieuses ne deviennent des espaces de mobilisation politique hostile à l’État. Cette orientation, qui relève d’une logique de stabilisation, se heurte parfois à des critiques sur le risque d’une uniformisation excessive du discours, ou sur la capacité réelle à convaincre plutôt qu’à contraindre. Pour un ministre issu du monde savant, la difficulté est de faire exister une pédagogie religieuse persuasive, qui ne soit pas réduite à une administration du contrôle.
Le quatrième enjeu, enfin, est celui de la bataille du récit à l’international. L’Égypte se présente souvent comme un pilier de stabilité régionale et comme un acteur central dans la lutte contre l’extrémisme. Dans cette narration, le ministère des Awqaf et Al-Azhar deviennent des instruments majeurs. Mais le récit se confronte à un environnement régional concurrentiel, où d’autres pays promeuvent leurs propres visions de l’islam, de la modernité et de la légitimité religieuse. Le ministre doit donc composer avec des sensibilités doctrinales diverses, des attentes diplomatiques, et des perceptions parfois critiques sur la situation politique intérieure de l’Égypte.
À ces enjeux s’ajoute une dimension plus quotidienne : celle de la gestion des événements religieux, des grandes fêtes, des campagnes de sensibilisation, et de la coordination avec les institutions qui produisent des fatwas ou des orientations doctrinales. La visibilité du ministre, dans un pays où la religion reste omniprésente, peut devenir un atout, mais aussi une source d’exposition accrue : chaque prise de parole est scrutée, chaque initiative est comparée, chaque débat est susceptible de se politiser.
Osama Al-Azhari apparaît ainsi comme une figure à la fois représentative et révélatrice. Représentative d’une stratégie d’État qui mise sur des clercs institutionnels pour encadrer le champ religieux. Révélatrice d’un moment où la politique religieuse n’est pas seulement affaire de rituels ou de tradition, mais une composante centrale de la gouvernance, de la cohésion nationale et de l’influence internationale. Son parcours, de la chaire au gouvernement, montre comment l’Égypte entend continuer à lier le religieux à l’État, tout en cherchant à adapter ses instruments à des défis nouveaux.



