Aux Comores, le paysage politique est souvent raconté à travers les figures nationales les plus connues et les grandes séquences électorales. Mais, derrière les têtes d’affiche, des trajectoires plus discrètes dessinent aussi la mécanique du pouvoir : celles d’élus de circonscription, de responsables de groupes parlementaires, de profils rompus aux textes et aux équilibres institutionnels, puis appelés à des fonctions exécutives. Oumouri Madi Hassani appartient à cette catégorie.
Député entre 2015 et 2020, il s’est fait un nom au sein de l’Assemblée de l’Union dans un registre assez précis : le travail parlementaire, l’organisation de groupe, et les sujets juridiques. À partir de 2024, son itinéraire prend une autre direction avec une entrée au gouvernement, dans un portefeuille stratégique à l’ère des usages numériques : postes, télécommunications, économie numérique et transparence. Une transition qui interroge autant qu’elle éclaire : comment un homme venu du Parlement se positionne-t-il face aux défis techniques d’un secteur vital pour l’économie, la souveraineté et le quotidien des citoyens ? Et que dit cette nomination des priorités politiques des Comores au milieu des années 2020 ?
Un ancrage local, une trajectoire qui part de Hahaya et d’Itsandra
Oumouri Madi Hassani est généralement présenté comme originaire de Hahaya, localité de Grande Comore souvent citée pour son rôle dans la vie sociale et politique de l’île. Cet ancrage n’est pas un détail : aux Comores, comme dans de nombreux États insulaires où les communautés sont denses et les réseaux relationnels structurants, la légitimité d’un acteur politique se construit d’abord sur la proximité, la connaissance fine du terrain et la capacité à incarner des attentes concrètes.
Son parcours électif est étroitement associé à Itsandra-Nord, circonscription dont il a été député à l’Assemblée de l’Union de 2015 à 2020. Cette période correspond à une phase de recomposition politique où les alliances, les partis et les majorités parlementaires doivent souvent composer avec les réalités locales, parfois plus déterminantes que les étiquettes nationales. Oumouri Madi Hassani a été élu sous les couleurs du RDC, formation liée à l’ancien gouverneur Mouigni Baraka Saïd Soilihi, ce qui situe son inscription politique dans un courant structuré, avec une base militante et des relais identifiés.
Dans les trajectoires comoriennes, la circonscription n’est pas seulement une “case” électorale : elle est le lieu d’un contrat implicite entre l’élu et les habitants, fait de demandes d’infrastructures, de services publics, d’accès à l’emploi, mais aussi de médiations sociales. Être député, dans ce contexte, implique un rôle de relais permanent : faire remonter des plaintes, soutenir des dossiers, peser sur des arbitrages budgétaires, sans toujours disposer des leviers exécutifs. Cette tension entre promesse et pouvoir réel nourrit souvent les styles politiques : certains privilégient la visibilité, d’autres le travail institutionnel. Le profil d’Oumouri Madi Hassani, tel qu’il ressort de ses fonctions exercées au Parlement, se rapproche plutôt du second type.
Reste qu’un ancrage local solide n’empêche pas l’ambition nationale. Aux Comores, la progression d’un responsable politique passe fréquemment par une étape parlementaire, puis par des fonctions administratives ou gouvernementales. Ce schéma est d’autant plus classique quand l’intéressé s’est distingué sur des sujets juridiques, procéduraux ou de contrôle, qui sont précieux pour l’État : c’est une manière de signaler qu’on maîtrise la “machine” et ses règles. Oumouri Madi Hassani s’inscrit dans cette logique.
2015-2020 : l’expérience de député, le groupe “Haki” et le travail sur les textes
Entre 2015 et 2020, Oumouri Madi Hassani siège à l’Assemblée de l’Union comme député de la 18e circonscription (Itsandra-Nord). Durant cette période, il préside le groupe parlementaire “Haki” et occupe aussi des responsabilités au sein de la commission des lois constitutionnelles, où il est mentionné comme vice-président. Ce triptyque – circonscription, groupe, commission – n’est pas anodin : il correspond au cœur du pouvoir parlementaire.
Un groupe parlementaire, dans toute assemblée, est un outil d’organisation et d’influence. Il sert à structurer une ligne, coordonner les prises de parole, négocier les ordres du jour, peser sur le travail en commission, et, plus largement, rendre lisible un rapport de forces. Présider un groupe, même de taille modeste, revient à occuper un poste de chef d’orchestre : arbitrer, représenter, négocier. Aux Comores, où les majorités peuvent être mouvantes et les coalitions fragiles, cette fonction suppose aussi une capacité à gérer des sensibilités internes, des rapports personnels et des priorités divergentes.
Le fait d’avoir travaillé au sein de la commission des lois constitutionnelles renvoie, lui, à un registre plus technique : textes institutionnels, organisation des pouvoirs, respect des procédures, voire débats sur la conformité et l’interprétation des règles. Dans un pays où les périodes de réformes et de tensions institutionnelles ne sont pas rares, ces questions sont centrales, et les parlementaires qui s’y investissent acquièrent souvent une réputation de “juristes politiques”, même sans être juristes de formation au sens strict.
Dans les prises de position rapportées à l’époque de son mandat, Oumouri Madi Hassani apparaît aussi comme un député qui insiste sur la conformité aux règles, la transparence de certaines procédures et la régularité administrative. Cette ligne est cohérente avec ses responsabilités en commission et avec la culture de groupe : elle peut être mobilisée pour critiquer une décision du pouvoir exécutif, dénoncer des dérives, ou exiger des clarifications sur des dossiers publics.
Il faut replacer cela dans une réalité plus large : dans de nombreux pays, et particulièrement dans des économies insulaires, les entreprises publiques, les marchés, les nominations et la gestion des ressources font l’objet de soupçons récurrents. L’opinion peut réclamer des “résultats” rapides, mais elle attend aussi des garde-fous. Un élu qui se positionne sur ce terrain prend un risque politique – celui d’être accusé de blocage ou de technocratie – mais il peut aussi construire une image de sérieux et de méthode.
Enfin, la période 2015-2020 est souvent perçue comme un moment de formation accélérée pour des responsables politiques : débats en séance, négociations, travail sur les textes, relations avec les ministères, apprentissage des rapports de force. Ce capital d’expérience devient un atout lorsqu’un parcours se prolonge hors de l’hémicycle, dans l’administration parlementaire ou au gouvernement. Dans le cas d’Oumouri Madi Hassani, la suite de la trajectoire va précisément dans ce sens.
De l’hémicycle à l’appareil d’État : une étape administrative avant l’entrée au gouvernement
Après son mandat parlementaire, Oumouri Madi Hassani est cité comme ayant été nommé secrétaire général à l’Assemblée de l’Union, une fonction administrative importante dans la vie institutionnelle. Ce type de poste se situe à la charnière entre politique et administration : il touche à l’organisation interne, à la préparation des travaux, aux procédures, à la coordination des services, et, plus largement, à la continuité de l’institution au-delà des alternances.
Dans le fonctionnement d’une assemblée, le secrétaire général joue un rôle souvent invisible mais décisif : il assure la stabilité, organise la logistique des sessions, sécurise l’application du règlement, supervise des équipes, et garantit que la machine parlementaire tourne. Pour un ancien député, c’est une fonction particulière : il connaît le terrain politique et les codes de l’hémicycle, mais il doit aussi adopter une posture d’organisation, parfois plus neutre, plus administrative.
Cette étape est révélatrice de la réputation d’un profil : on confie généralement ce type de mission à quelqu’un jugé capable de comprendre les attentes des élus tout en respectant la discipline institutionnelle. Elle peut aussi servir de passerelle vers l’exécutif, car elle permet d’élargir son réseau, d’affiner son expertise des procédures, et de se positionner comme un homme de l’appareil d’État, pas seulement un acteur de tribune.
En juillet 2024, la trajectoire change d’échelle : Oumouri Madi Hassani est nommé ministre des Postes, des Télécommunications, de l’Économie numérique et de la Transparence. La date du 1er juillet 2024 est régulièrement citée comme point de départ de cette prise de fonctions. Cette nomination place l’ancien député au cœur d’un portefeuille qui concentre des enjeux économiques, technologiques et politiques à la fois.
Le choix d’associer télécommunications, économie numérique et transparence est particulièrement parlant. Il dessine une idée simple : le numérique ne relève pas seulement des infrastructures techniques (réseaux, opérateurs, services), mais aussi de la modernisation de l’État, de la traçabilité des procédures, et d’une promesse politique de clarté dans la gestion publique. Autrement dit, ce ministère porte à la fois une mission de développement (connectivité, innovation, services) et une mission de régulation morale et institutionnelle (transparence), ce qui peut être délicat.
Pour un responsable venu du Parlement, l’avantage est d’être familiarisé avec les exigences de contrôle et de norme. Le risque, en revanche, est d’arriver dans un univers où la technique, l’investissement et la gestion de projets imposent un autre tempo : celui des cahiers des charges, des plannings, des contraintes budgétaires, des opérateurs, des choix d’architecture. La réussite se joue alors sur la capacité à traduire une ambition politique en actions mesurables, visibles et soutenables.
Télécoms, économie numérique, transparence : un portefeuille stratégique sous pression de résultats
Le ministère confié à Oumouri Madi Hassani touche à l’un des nerfs de la vie quotidienne : la communication. Dans un archipel, les télécommunications sont plus qu’un service : elles conditionnent l’accès à l’information, les échanges économiques, la relation avec la diaspora, les services bancaires, la scolarité à distance, et l’efficacité de l’administration.
Un épisode récent illustre ce positionnement : lors de l’installation d’un nouveau directeur général de Comores Télécom, Oumouri Madi Hassani a publiquement insisté sur la nécessité de résultats concrets et rapides, en évoquant un réseau performant, un personnel motivé, des services fiables, et des chantiers comme le mobile money. Ce type de déclaration situe sa priorité dans une logique de performance : sortir de la simple annonce, demander des livrables, et faire de l’opérateur historique un instrument visible d’amélioration.
Ce discours répond à une attente classique des citoyens : la qualité des réseaux. Dans de nombreux pays, la question des télécoms cristallise un mécontentement immédiat, car elle se traduit par des coupures, des débits faibles, des tarifs jugés élevés, ou une couverture inégale. L’opérateur national, quand il existe, porte souvent une double charge : assurer un service public implicite, tout en se modernisant face à des usages en évolution rapide. L’État, lui, est attendu sur la régulation, la stratégie d’investissement, et parfois sur l’ouverture du marché.
L’économie numérique, de son côté, est un chantier plus large : il ne s’agit pas seulement d’Internet, mais de la capacité à créer de l’activité et des emplois via des services dématérialisés, la formation aux compétences digitales, le soutien aux entrepreneurs, la sécurisation des paiements, et la confiance des usagers. Aux Comores, où les opportunités d’emploi formel sont un enjeu récurrent, le numérique est souvent présenté comme une voie de diversification. Mais ce discours n’est crédible que s’il s’accompagne d’accès réel : équipements, connexions, formation, cadre légal.
Le volet “transparence” ajoute un autre niveau de pression. Il crée une attente de réformes : procédures administratives plus claires, traçabilité, lutte contre les pratiques opaques. Mais un ministère ne peut pas, à lui seul, transformer l’ensemble de l’État. La transparence implique des textes, des contrôles, des systèmes d’information interconnectés, des changements de culture, et parfois des arbitrages politiques difficiles. Ce volet peut cependant servir de fil conducteur : moderniser l’État par le numérique, et justifier les investissements en expliquant qu’ils améliorent aussi la gouvernance.
La dimension internationale est également présente : Oumouri Madi Hassani a été mentionné dans des cadres de rencontres et d’échanges liés aux questions numériques, y compris à l’étranger, ce qui correspond à la réalité d’un secteur dépendant de partenariats, de compétences externes, de fournisseurs et de réseaux. Dans un petit État, la diplomatie sectorielle devient une façon d’accélérer : obtenir des formations, des expertises, des financements, ou des coopérations techniques.
Le défi, pour un ministre, est alors de concilier trois horizons. D’abord, l’urgence : améliorer la qualité perçue des services télécoms, car c’est le baromètre quotidien. Ensuite, le moyen terme : poser un cadre durable pour l’économie numérique, avec des projets identifiables. Enfin, le long terme : installer des mécanismes de transparence et de modernisation administrative, qui prennent du temps mais changent la structure même de l’État.
Une figure politique entre culture institutionnelle et attentes de modernisation
Le cas d’Oumouri Madi Hassani permet de lire une tension fréquente dans la vie politique comorienne : celle entre la culture institutionnelle (règles, procédures, commissions, contrôle) et l’attente de modernisation rapide (infrastructures, services, résultats visibles). Son parcours, qui passe par le Parlement, par une fonction administrative à l’Assemblée, puis par un ministère technique, reflète ce basculement.
Sa marque de fabrique, telle qu’elle apparaît dans les éléments publics connus, est d’abord institutionnelle : responsabilité de groupe, place dans la commission des lois, intérêt pour la régularité et la conformité. Ce socle peut être un atout pour aborder le numérique sous l’angle du cadre : régulation, gouvernance, transparence, intégrité des procédures. Il peut aussi donner une méthode : préférer des textes solides, des organisations claires, des responsabilités définies.
Mais la politique contemporaine se joue aussi sur d’autres terrains : la perception, la vitesse, l’efficacité. Le numérique est précisément un domaine où l’opinion compare, parfois sans indulgence. Les citoyens voient ce qui se fait ailleurs, constatent les avancées régionales, et attendent que la promesse technologique ne reste pas un slogan. Dans ce contexte, un ministre doit autant parler de stratégie que produire des effets concrets : amélioration mesurable de la connectivité, services plus stables, démarches administratives simplifiées, paiements numériques sécurisés.
L’enjeu est également social. La “fracture numérique” n’est pas qu’une formule : elle touche l’accès des jeunes à l’apprentissage, des entrepreneurs à des marchés, des familles à des démarches, et des citoyens à l’information. Dans un archipel, les inégalités territoriales peuvent s’accentuer si certaines zones restent mal desservies. La connectivité devient alors une question d’équité.
La présence du mot “transparence” dans son portefeuille ouvre un autre chapitre : celui de la confiance. Dans beaucoup de pays, la confiance envers les institutions est fragile ; elle dépend de la lisibilité des décisions, de la justice perçue, et de la capacité à traiter les dossiers sans favoritisme. Le numérique peut aider – traçabilité, publication d’informations, simplification – mais il peut aussi renforcer des frustrations si les services sont défaillants ou s’ils excluent une partie de la population.
Enfin, le parcours d’Oumouri Madi Hassani rappelle la force des trajectoires de “professionnels de l’institution” : des élus ou responsables qui ne se construisent pas seulement sur un discours, mais sur la maîtrise des rouages. C’est un profil qui peut stabiliser un ministère, organiser une administration, structurer des priorités. Sa réussite, toutefois, se mesurera à sa capacité à faire coïncider cette culture institutionnelle avec les exigences techniques et sociales d’un secteur en mutation rapide.
Aux Comores, les télécoms et l’économie numérique ne sont pas un luxe : ce sont des infrastructures de souveraineté et des leviers de développement. Oumouri Madi Hassani, passé de l’hémicycle à ce portefeuille, se retrouve donc à un carrefour : celui où l’État doit prouver qu’il peut moderniser sans promettre à vide, réguler sans freiner, et parler de transparence tout en livrant des résultats visibles.



