Dans la République du Congo (souvent appelée Congo-Brazzaville), certains portefeuilles ministériels exposent davantage que d’autres. Le foncier en fait partie : terres urbaines disputées, opérations de déguerpissement, cadastre à moderniser, indemnisations d’expropriation, arbitrages entre projets publics et droits privés. Depuis plus d’une décennie, Pierre Mabiala est l’un des visages les plus identifiés de ces questions, au point d’avoir construit une partie de son image politique sur la présence “sur le terrain”, là où l’administration se heurte à la réalité sociale.
Avocat de formation, membre du Parti congolais du travail (PCT), élu de Makabana (département du Niari), Pierre Mabiala a occupé plusieurs postes de premier plan au sein de l’exécutif, dont le ministère des Affaires foncières et du Domaine public sur une longue durée, ainsi qu’un passage au ministère de la Justice. Au-delà des intitulés, son parcours illustre un trait récurrent de la vie publique congolaise : la continuité des équipes au sommet de l’État et l’importance stratégique des ministères régaliens et transversaux, ceux qui touchent à la sécurité juridique, à l’ordre public, à la propriété et à l’investissement.
Un avocat devenu figure durable de l’exécutif
Pierre Mabiala est présenté par les sources publiques comme un avocat et homme politique congolais né le 15 octobre 1962. Il est rattaché au Parti congolais du travail (PCT), formation dominante de la vie politique congolaise depuis le retour au pouvoir de Denis Sassou-Nguesso à la fin des années 1990, et il occupe depuis plusieurs années une fonction ministérielle de premier plan.
Le portrait biographique le plus couramment repris insiste sur un profil juridique : un diplôme de troisième cycle en droit privé, des études à l’ENA en France (dans le champ du droit parlementaire et du droit privé, selon la notice), puis l’exercice de la profession d’avocat à Brazzaville, avec la création d’un cabinet dans les années 1990. Ces éléments, s’ils relèvent de la biographie classique d’un responsable public, comptent politiquement : au Congo comme ailleurs, la maîtrise des normes et des procédures pèse dans des ministères où la décision se traduit en actes administratifs, en textes, en contentieux, et parfois en confrontations très concrètes autour du terrain.
Son entrée au gouvernement intervient en 2009 : il est alors nommé ministre des Affaires foncières et du Domaine public. Une longévité s’ouvre. Le même portefeuille, ou ses évolutions, le ramèneront régulièrement à la même ligne de front : sécuriser les titres, arbitrer les occupations, conduire ou encadrer des opérations de récupération du domaine public, et défendre la position de l’État lorsque les tensions foncières menacent de dégénérer.
Dans le système politique congolais, le foncier dépasse en effet la seule “gestion immobilière”. C’est un levier de politique urbaine (logement, routes, équipements), un instrument d’attractivité économique (investissements, zones d’activité), et un champ de contestation sociale (quartiers précaires, déguerpissements, indemnisation). Cette charge explique qu’un ministre puisse y acquérir une réputation polarisante : aux yeux des uns, celle d’un homme d’ordre ; aux yeux des autres, celle d’un responsable associé à des décisions douloureuses.
Député de Makabana et cadre du PCT : l’ancrage politique
En parallèle de ses fonctions exécutives, Pierre Mabiala s’inscrit dans la logique classique de la double légitimité : un ancrage partisan et un mandat électif. Il est élu député de la circonscription de Makabana (Niari) en 2012, dès le premier tour, avec un score rapporté à 70,17 % des suffrages selon la notice biographique la plus citée. Il est réélu en 2017, dans un contexte particulier : il est alors le seul candidat dans sa circonscription, ce qui conduit mécaniquement à une réélection annoncée à 100 % des voix.
Au sein du PCT, Pierre Mabiala est également décrit comme ayant accédé au Comité central lors d’un congrès extraordinaire tenu en 2011, et comme un ancien de l’Union de la jeunesse socialiste congolaise, organisation historiquement liée à l’appareil politique. Ces marqueurs sont importants : au Congo, l’architecture partisane et les réseaux internes pèsent souvent autant que la visibilité médiatique dans la trajectoire des ministres.
C’est aussi dans cet entrelacement du local et du national que se construit une partie de sa réputation. Un article d’opinion publié en 2013 par Les Dépêches de Brazzaville (via Adiac) raconte un ministre “en blouse” et “sombrero”, habitué à descendre sur le terrain, et dont l’action est “diversement interprétée”. Le texte met en scène, presque comme un refrain, l’anticipation des bulldozers (“Caterpillar”) quand le ministre arrive : une manière de dire que, dans l’imaginaire public, son nom se confond avec l’exécution matérielle des décisions foncières.
Le même article souligne la polarisation : pour certains, un responsable jugé “injuste” envers les plus modestes ; pour d’autres, un ministre qui “remplit sa tâche” dans un environnement où l’État est souvent accusé de laisser-faire. Cette ambivalence est une clé de lecture : Pierre Mabiala n’est pas seulement une figure administrative, il est un personnage public associé à une façon de gouverner le foncier, avec ce que cela suppose de tensions, de symboles et d’arbitrages.
Le ministère des Affaires foncières : déguerpissements, cadastre et domaine public
La colonne vertébrale du parcours de Pierre Mabiala reste le ministère des Affaires foncières et du Domaine public, qu’il occupe une première fois de 2009 à 2016, puis de nouveau à partir de 2017, avec en plus une responsabilité de relations avec le Parlement. La page officielle du gouvernement congolais le présente aujourd’hui avec le rang de ministre d’État, ministre des affaires foncières et du domaine public, chargé des relations avec le Parlement.
Le foncier, au Congo, cristallise plusieurs dossiers récurrents :
- Les occupations irrégulières du domaine public et les opérations de récupération.
Dès 2014, la presse congolaise rapporte des interventions visant à déguerpir des “occupants illégaux” de certains sites, comme l’ancien domaine de l’Asecna à Brazzaville, au motif de permettre des projets d’intérêt public (en l’occurrence, la construction de logements sociaux, selon l’article). - La modernisation du cadastre et l’outillage administratif.
Dans un compte rendu de conseil des ministres daté du 26 décembre 2019, Pierre Mabiala intervient pour rappeler que le cadastre a été institué au Congo en 1981 et pour déplorer son retard technologique, citant l’informatique, la géomatique, le GPS ou la station totale comme évolutions insuffisamment intégrées. Au-delà du détail technique, l’enjeu est politique : un cadastre défaillant alimente les conflits, fragilise la sécurité des transactions, et complique l’arbitrage entre droits coutumiers, titres modernes et domaine de l’État. - Les dossiers d’expropriation et d’indemnisation.
La question des indemnisations revient régulièrement dans les politiques foncières. Des articles de presse relaient, par exemple, des annonces portant sur le paiement d’indemnités d’expropriation sur plusieurs sites, présentées comme un calendrier d’exécution administrative. - La confrontation entre urbanisation, projets publics et précarité.
Les opérations de déguerpissement, en particulier autour d’emprises publiques ou de zones sensibles, sont politiquement explosives. En 2023, un article de presse locale relate une opération de “mise en demeure” visant des occupations aux abords de casernes militaires, avec mention d’un délai avant démolition et d’un rappel du cadre légal. Même lorsque la base juridique est mise en avant, l’effet social demeure : déplacement de ménages, tensions avec des propriétaires, contestations.
C’est ici que la figure de Pierre Mabiala se “fixe” dans l’espace public. L’action foncière est visible : elle se voit dans les murs détruits ou préservés, dans les bornes déplacées, dans les terrains récupérés, dans les chantiers annoncés. Le ministre devient alors, qu’il le veuille ou non, l’incarnation d’un État qui tranche.
Dans cette logique, son style “terrain” a une fonction politique : montrer que la décision n’est pas seulement signée dans un bureau, mais appliquée. Les Dépêches de Brazzaville décrivent cette dimension spectaculaire, presque scénarisée, qui nourrit autant l’adhésion que la contestation.
Le passage à la Justice : droits humains, État de droit et discours de rigueur
En avril 2016, Pierre Mabiala change de portefeuille : il est nommé ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion des peuples autochtones, fonction qu’il occupe jusqu’en août 2017. La presse congolaise rapporte, à l’époque, une installation marquée par la promesse de “mettre de l’ordre” et de lutter contre les “antivaleurs” dans l’administration judiciaire, avec un discours explicitement rattaché à l’État de droit.
Ce passage est bref à l’échelle d’une carrière, mais politiquement significatif. D’abord parce que la Justice est l’un des ministères les plus sensibles : elle touche à la sécurité, à la détention, au contentieux électoral, aux libertés publiques. Ensuite parce que l’intitulé inclut les droits humains et la promotion des peuples autochtones, thème structurant en Afrique centrale, où les communautés autochtones (souvent désignées localement comme “peuples autochtones” ou “populations autochtones”) sont au cœur de politiques spécifiques, parfois soutenues par des partenaires internationaux.
Dans un contexte où les institutions judiciaires sont régulièrement critiquées pour la lenteur des procédures ou la corruption, un ministre peut tenter de “marquer” son passage par des annonces de fermeté. La presse rapporte ainsi des déclarations visant la monétisation illégale d’actes administratifs (casiers judiciaires, certificats), avec promesse de sanctions contre les agents fautifs.
Mais l’exercice de la Justice est aussi un terrain de langage politique. En 2016, dans une déclaration reprise par Adiac, le ministre qualifie les violences attribuées au pasteur Ntoumi et à sa suite dans le département du Pool comme une entreprise criminelle à grande échelle “de nature terroriste”. Cette formulation s’inscrit dans une séquence de crise sécuritaire interne, où le vocabulaire employé par l’État participe de la qualification des faits, donc des réponses légales et politiques.
À l’été 2017, un remaniement le ramène finalement au foncier, avec une extension de mission vers les relations avec le Parlement. Cette bascule peut être lue comme un retour à son “socle” politique : le dossier foncier, qu’il maîtrise et qui le rend visible, tout en lui donnant un rôle d’interface institutionnelle avec l’Assemblée.
Une image publique entre efficacité revendiquée et controverses structurelles
Écrire sur Pierre Mabiala, c’est aussi écrire sur ce que sa fonction produit : de l’adhésion, du rejet, des récits concurrents. Ce n’est pas propre à sa personne ; c’est l’effet classique d’un ministère qui touche au quotidien, à la propriété et à la survie économique des familles.
Dans les portraits de presse, deux images coexistent. La première est celle d’un ministre d’exécution, qui “descend sur le terrain”, assume la confrontation, et symbolise une reprise en main de l’espace public au nom de l’État. La seconde, plus critique, le présente comme un acteur de décisions perçues comme brutales, notamment lorsque des maisons sont détruites pour occupation jugée illégale ou pour libérer une emprise publique.
Cette dualité se retrouve dans la manière dont certaines initiatives politiques sont racontées. En 2013, Les Dépêches de Brazzaville expliquent qu’il a supervisé, à Dolisie, la création d’une “Dynamique pour la paix” par d’anciens miliciens Cocoyes et Mambas, ex-combattants associés au camp de l’ancien président Pascal Lissouba lors de la guerre du 5 juin 1997. Le texte insiste sur le symbole : l’initiative se déroule dans le Niari, souvent décrit comme une place forte de l’Upads, et mobilise des ex-combattants qui disent vouloir se reconvertir et se réinsérer.
Même dans un registre favorable, ce type d’épisode rappelle que la politique congolaise est traversée par l’héritage des conflits internes des années 1990 et 2000, et que la figure d’un ministre peut aussi jouer un rôle de médiation, d’encadrement, ou de mise en scène d’une réconciliation. L’article évoque, en creux, une réalité durable : des ex-miliciens restent à réinsérer, et les gestes publics servent autant à produire une image qu’à traiter un problème social.
La dimension institutionnelle de son rôle actuel renforce aussi cette position d’interface : être à la fois ministre des Affaires foncières et chargé des relations avec le Parlement, c’est occuper un carrefour entre dossiers techniques et négociation politique. Dans des États où la majorité parlementaire soutient largement l’exécutif, cette mission ne se limite pas à “faire passer des lois” : elle consiste aussi à gérer l’agenda, à coordonner les textes, à tenir la cohérence politique de la majorité.
Enfin, la longévité de Pierre Mabiala au gouvernement est en elle-même un fait politique. Elle signale la confiance maintenue du chef de l’État et des Premiers ministres successifs dans sa capacité à tenir un portefeuille exposé. Elle signale aussi un choix : privilégier, sur un dossier socialement inflammable, des profils rompus à la controverse plutôt que des techniciens plus effacés.
Au fond, la question “Qui est Pierre Mabiala ?” appelle une réponse simple et une réponse plus complexe. La réponse simple : un avocat devenu ministre, député du Niari, cadre du PCT, occupant depuis des années un ministère stratégique et sensible. La réponse complexe : une figure façonnée par un champ — le foncier — où l’action publique se voit, se conteste et se vit, parfois durement, à l’échelle des quartiers et des familles ; un responsable dont la réputation se construit autant sur la loi et les textes que sur les bulldozers et les bornes, autant sur les discours d’État de droit que sur l’épreuve du terrain.



