À Ouagadougou comme dans les arènes internationales du climat, le nom de Roger Baro s’est progressivement imposé dans un paysage politique burkinabè marqué par la transition, l’urgence sécuritaire et l’enchevêtrement des crises environnementales. L’homme n’a pas été propulsé par une carrière élective classique ni par un long compagnonnage partisan porté par les urnes ; il s’est d’abord construit dans l’administration, au contact des dossiers techniques, des normes, des évaluations et des arbitrages où se fabriquent concrètement les politiques publiques. Nommé ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement à la fin du mois de juin 2023, il arrive à la tête d’un portefeuille dont le périmètre touche au quotidien des populations autant qu’aux engagements internationaux : accès à l’eau, gestion des déchets, prévention des pollutions, assainissement urbain, préservation des ressources naturelles, adaptation au changement climatique et encadrement d’activités économiques à forte empreinte écologique, au premier rang desquelles l’exploitation minière.
Comprendre “qui est” Roger Baro, c’est donc lire un parcours où l’expertise s’est transformée en capital politique, puis en parole publique. C’est aussi saisir ce que la période actuelle fait émerger : des responsables issus de la haute technicité, appelés à représenter l’État dans des forums mondiaux, à négocier, à défendre des intérêts nationaux et à assumer une ligne gouvernementale, tout en pilotant des administrations confrontées à des défis matériels immédiats. Son profil, revendiqué comme celui d’un spécialiste, dit quelque chose d’un pays où l’environnement n’est plus un thème périphérique, mais un nœud stratégique : eau rare et disputée, pression sur les sols, vulnérabilité climatique, pollution liée aux mines et aux activités urbaines, attentes sociales fortes sur l’assainissement, et nécessité de mobiliser des financements extérieurs dans un contexte de contraintes multiples.
Un parcours de formation et une identité de spécialiste
Roger Baro est présenté comme ingénieur du développement rural, avec une spécialisation en vulgarisation agricole obtenue en 2015, et titulaire d’une maîtrise en géographie obtenue à l’université de Ouagadougou en 2007. Cet ancrage académique n’est pas anodin : la géographie, lorsqu’elle est orientée vers le physique et l’aménagement, place au centre les dynamiques des milieux, l’érosion, la dégradation des ressources, l’organisation des espaces ruraux et urbains, et la manière dont les sociétés s’adaptent aux contraintes environnementales. La spécialisation en vulgarisation agricole, de son côté, renvoie à un autre registre : celui du transfert de connaissances, de l’accompagnement des acteurs de terrain, et de la transformation d’une innovation technique en pratique réellement adoptée.
Dans son cas, cette articulation entre analyse des milieux et capacité à “faire passer” des technologies ou des pratiques se retrouve dans ses travaux publiés et dans la thématique récurrente qui traverse sa trajectoire : la question du mercure et, plus largement, la gestion des risques environnementaux liés à l’orpaillage et aux activités extractives. Le mercure, utilisé dans certaines pratiques d’extraction artisanale de l’or, pose des problèmes sanitaires et environnementaux majeurs. Travailler sur ces sujets suppose de naviguer entre l’économie réelle – l’orpaillage comme source de revenus – et les impératifs de protection des populations et des écosystèmes. Cela exige également de comprendre comment une politique de réduction des risques peut être acceptée et mise en œuvre, ce qui renvoie précisément à la logique de vulgarisation : convaincre, former, proposer des alternatives, accompagner, contrôler.
Son profil est ainsi construit sur un socle technique, renforcé par une familiarité revendiquée avec des cadres internationaux de sauvegardes environnementales et sociales. Dans le langage des institutions de financement du développement, ces sauvegardes déterminent les exigences de prévention, de compensation, de consultation des populations, de gestion des risques et de suivi des impacts. Pour un pays qui cherche à financer des programmes d’eau, d’assainissement, de résilience climatique ou de restauration des écosystèmes, maîtriser ces cadres est aussi une manière d’augmenter la capacité de l’État à négocier et à absorber des financements.
Cette technicité, toutefois, ne dit pas tout. Elle devient politique lorsqu’elle se transforme en arbitrage, en priorités publiques, en discours national, et en représentation du pays. Dans les trajectoires ministérielles contemporaines, notamment dans des portefeuilles techniques, la frontière entre “expert” et “responsable politique” se brouille : l’expert apporte la méthode et la crédibilité ; le responsable politique porte une ligne, assume des décisions et se place sous le regard du public.
De l’administration à la fonction ministérielle : une ascension par les dossiers
Roger Baro est décrit comme inspecteur de l’environnement, passé par plusieurs postes de responsabilité au sein de l’appareil administratif. Avant son arrivée au gouvernement, il occupe notamment des fonctions à la Direction générale de la préservation de l’environnement, où il dirige la prévention des pollutions et des risques environnementaux, puis devient directeur général de la préservation de l’environnement. Son parcours comprend aussi des missions liées à l’éducation environnementale et à l’écocitoyenneté, ainsi qu’à la coordination de projets structurants touchant à la réduction, voire à l’élimination du mercure dans l’exploitation minière artisanale et à petite échelle d’or.
Cette succession de postes construit un fil rouge : la gestion du risque. Dans l’environnement, le risque est rarement abstrait. Il est dans l’eau contaminée, dans les déchets mal gérés, dans les pollutions diffuses, dans les carrières et les mines qui laissent des passifs, dans les produits chimiques qui circulent et s’accumulent, dans les impacts qui se traduisent par des maladies, des pertes de productivité, des conflits d’usage, ou des catastrophes locales. Tenir des postes de prévention et de gestion de ces risques revient à habiter le cœur technique de l’action publique : normes, contrôles, évaluations, rapports, plans d’action, coordination d’acteurs, et dialogue avec les partenaires internationaux.
L’entrée au gouvernement intervient à la fin juin 2023. Roger Baro est nommé ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement à la suite d’un décret pris le 25 juin 2023, puis officiellement installé dans ses fonctions le 27 juin 2023. Son exercice ministériel est présenté comme effectif à compter du 29 juin 2023. Cet enchaînement rapide, classique dans les transitions gouvernementales, marque un basculement : celui d’un homme qui connaissait l’appareil de l’intérieur et qui doit désormais le diriger, l’incarner et le défendre publiquement.
Le passage à la fonction ministérielle change la nature des responsabilités. Il ne s’agit plus seulement de piloter une direction, mais de fixer des priorités, d’arbitrer entre urgence et long terme, de coordonner avec d’autres ministères (mines, agriculture, santé, collectivités), et d’assumer une relation politique au territoire. L’environnement, l’eau et l’assainissement sont des domaines où les attentes sont concrètes : le citoyen juge sur la disponibilité de l’eau, l’état des caniveaux, la gestion des déchets, la qualité des infrastructures, ou la capacité des autorités à réduire les nuisances. La dimension politique se loge précisément dans cette confrontation entre l’architecture des programmes et la perception quotidienne de leurs effets.
Dans ce contexte, le choix d’un profil très technique peut être lu comme une volonté de renforcer l’efficacité administrative et la crédibilité des dossiers, en particulier dans un pays qui doit en parallèle défendre sa position sur des scènes internationales où la maîtrise des mécanismes de financement et des conventions environnementales compte autant que les discours.
Une action inscrite dans les enjeux du Burkina Faso : eau, assainissement, pollution, mines
Si Roger Baro est aujourd’hui identifié comme “homme politique”, c’est parce que son portefeuille ministériel concentre des enjeux qui touchent à la souveraineté, à la santé publique et à l’économie. L’eau, d’abord, n’est jamais seulement une ressource : elle est un facteur de stabilité sociale, un préalable à l’activité économique et une question de sécurité humaine. L’assainissement, lui, est une politique silencieuse jusqu’au moment où il devient crise : inondations urbaines, épidémies, accumulation de déchets, pollution des nappes, dégradation du cadre de vie.
Dans ces domaines, le ministre est attendu sur la capacité de l’État à planifier, à financer et à réaliser. Mais il est également attendu sur la régulation : comment organiser la prévention des pollutions, encadrer les produits chimiques, améliorer la gestion des déchets, contrôler les impacts des projets et des chantiers, ou imposer des normes dans des secteurs économiques où la pression est forte.
Le thème des mines occupe une place particulière. Le Burkina Faso est un pays où l’exploitation aurifère a pris une importance économique, avec un secteur industriel structuré mais aussi une exploitation artisanale très présente. Or, l’artisanat minier, lorsqu’il utilise des substances dangereuses ou des pratiques non encadrées, pose des problèmes complexes : contamination, risques sanitaires, dégradation des sols, conflits d’usage de l’eau, accidents, et difficultés de fermeture ou de réhabilitation des sites. Dans son profil, Roger Baro apparaît précisément comme un responsable ayant travaillé sur la réduction du mercure et sur les mécanismes de prévention et de sauvegarde. Il a aussi été administrateur au conseil d’administration de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS), ce qui souligne le lien entre son portefeuille environnemental et les enjeux de gouvernance du secteur artisanal.
La question des produits chimiques et des déchets est un autre axe fort de son domaine de compétences affiché. Dans beaucoup de pays, ces sujets sont à la fois techniques et hautement politiques : ils mettent en jeu des filières économiques, des importations, des habitudes de consommation, des systèmes de collecte, des relations avec les collectivités locales, et des arbitrages budgétaires. L’État doit produire des règles et, surtout, se donner les moyens de les faire appliquer. Là encore, la dimension politique d’un ministre se mesure à sa capacité à transformer une expertise en décisions lisibles, puis en résultats, même partiels.
Enfin, le changement climatique traverse l’ensemble. Atténuation et adaptation ne sont pas des slogans : au Sahel, la variabilité des pluies, les épisodes extrêmes et la pression sur les ressources transforment l’agriculture, l’élevage, les migrations internes, la gestion des villes et la conflictualité autour des usages. Le ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement devient alors un ministère de la résilience, à l’interface entre urgence et planification.
La scène internationale : conventions, climat et diplomatie environnementale
Roger Baro n’est pas seulement un ministre de gestion interne ; il est aussi un acteur de la diplomatie environnementale. Son parcours mentionne un rôle de vice-président des 4e et 5e Conférences des Parties à la Convention de Minamata sur le mercure au compte de l’Afrique, à partir de novembre 2019, ainsi qu’une participation à un groupe technique d’experts chargé d’évaluer l’effectivité de cette convention. Ce type de rôle est révélateur : il ne s’agit plus uniquement de mettre en œuvre des politiques nationales, mais de peser dans la gouvernance internationale d’un traité, d’y porter une voix régionale, et de contribuer à l’évaluation de ce qui fonctionne ou non.
La Convention de Minamata vise à réduire les émissions et rejets de mercure, substance dangereuse pour la santé et l’environnement. Pour un pays concerné par les usages du mercure dans l’orpaillage, l’enjeu est double : protéger les populations et sécuriser l’activité économique en la rendant moins dangereuse. Sur la scène internationale, cela implique de discuter de financements, d’assistance technique, de calendrier, et de partage d’expériences. C’est typiquement le type de dossier où un profil d’expert peut devenir un atout politique, car la crédibilité technique renforce la capacité de négociation.
Cette dimension internationale se retrouve aussi dans sa présence à des événements climatiques et dans les prises de parole associées. En novembre 2025, lors de la COP30 organisée à Belém, au Brésil, Roger Baro est présenté comme portant une position burkinabè centrée sur l’idée de justice climatique pour l’Afrique, avec l’exigence de financements plus importants, accessibles, et majoritairement sous forme de subventions. Ce positionnement s’inscrit dans une ligne largement partagée sur le continent : les pays africains, globalement moins responsables des émissions historiques, subissent fortement les impacts et demandent des mécanismes de solidarité financière à la hauteur des besoins d’adaptation.
Dans ce registre, l’homme politique se distingue moins par la recherche d’un compromis discret que par la capacité à incarner une revendication dans un langage diplomatique. La COP est un espace où la technique et la politique se rencontrent : on y parle de trajectoires d’émissions, de mécanismes de marché, de pertes et dommages, de financement de l’adaptation, mais aussi de symboles, de rapports de force, de narratifs. Un ministre qui y participe doit être à la fois technicien des dossiers et acteur de la mise en scène politique de l’intérêt national.
Cette visibilité internationale a un effet de retour : elle contribue à construire un personnage public. Dans de nombreux pays, le ministre de l’environnement devient une figure politique lorsque la crise climatique devient un sujet central et que les négociations internationales deviennent un théâtre où se joue la crédibilité de l’État. À travers ses interventions, Roger Baro s’inscrit donc dans un rôle qui dépasse la gestion des directions et des programmes : il devient porte-voix.
Une reconnaissance et des controverses implicites : ce que dit sa trajectoire politique
En juillet 2024, Roger Baro reçoit un “Prix Africain de la Gouvernance 2024” le distinguant comme meilleur ministre de l’environnement de l’Afrique, selon le dispositif de ce prix, fondé sur un modèle de notation quantitative et un processus de sélection comprenant des nominations et des évaluations. Cette distinction, qu’on peut lire comme une reconnaissance symbolique, participe aussi à la construction d’une image : celle d’un ministre efficace, repérable à l’échelle continentale, dont le portefeuille est jugé sur la performance et l’impact.
Dans la vie politique, ce type de reconnaissance est ambivalent. Il peut renforcer la légitimité d’un responsable dans son administration et à l’international, en donnant l’impression d’un ministre “qui compte”. Mais il peut aussi exposer à des attentes accrues : si l’on est reconnu, on est attendu. Et l’environnement, parce qu’il touche à des réalités quotidiennes, ne permet pas de se contenter d’une réputation internationale. Le terrain, lui, impose ses contraintes : budgets, infrastructures, coordination, délais, et parfois incompréhension entre ce qui se discute dans les conférences et ce que vivent les populations.
La trajectoire de Roger Baro révèle également une transformation plus large de la figure de l’homme politique. Dans les imaginaires, l’homme politique est souvent l’élu, l’orateur, le chef de parti. Or, dans des gouvernements où les portefeuilles techniques pèsent lourd, et dans des périodes où l’État recherche des profils capables d’absorber des dossiers complexes, l’homme politique peut aussi être le haut fonctionnaire devenu ministre. Sa légitimité ne vient pas d’abord d’une base militante, mais d’un capital de compétence, d’une carrière de responsabilités, et d’une capacité à produire des résultats et à parler le langage des partenaires.
Cette forme de politisation par l’expertise n’est pas sans défis. Un expert, lorsqu’il devient ministre, doit apprendre à gérer le temps politique : celui de l’annonce, de la priorité, du symbole, du rapport au public, et parfois de l’urgence. Il doit aussi composer avec une pluralité d’acteurs : collectivités, société civile, secteurs économiques, partenaires techniques et financiers, autres ministères. Sa réussite se mesure alors à sa capacité à transformer une connaissance des dossiers en décisions lisibles et en actions perceptibles.
Roger Baro apparaît ainsi comme une figure à la croisée des chemins : technicien de l’environnement et de la prévention des risques, devenu ministre d’un portefeuille structurant, appelé à défendre une position nationale sur la justice climatique et les financements, tout en pilotant des politiques dont les résultats se jugent dans les quartiers, les villages, les sites miniers et les services publics. Son parcours dans les domaines du mercure, des pollutions, de l’éducation environnementale et des mécanismes internationaux montre une cohérence rare : celle d’une spécialisation qui, au fil des années, s’est transformée en pouvoir d’agir au sommet de l’État.
Au fond, répondre à la question “qui est Roger Baro ?” revient à décrire une figure politique d’un type contemporain : un responsable issu des métiers de l’environnement, propulsé par la complexité des crises à un rôle de gouvernance et de représentation. Dans un Sahel où la question écologique n’est plus une thématique de second plan, mais une contrainte structurante, ce type de profil est appelé à jouer un rôle croissant. Et c’est peut-être là l’essentiel : derrière le nom d’un ministre, c’est la place même de l’environnement dans la définition des priorités politiques qui se redessine.



