Qui est Selamawit Kassa ?

Longtemps, son nom a circulé surtout dans les cercles médiatiques d’Addis-Abeba et parmi les observateurs attentifs de la communication gouvernementale. Depuis l’automne 2024, Selamawit Kassa (en amharique : ሰላማዊት ካሳ) a changé de dimension : propulsée ministre du Tourisme, elle incarne une génération de responsables dont le parcours s’écrit à la frontière du journalisme, de la stratégie publique et de la diplomatie culturelle. Dans un pays où l’image internationale est un enjeu politique autant qu’économique, la fonction dépasse largement la promotion des paysages : elle touche à la narration nationale, à l’attractivité, à la mémoire patrimoniale et aux relations extérieures. Derrière le portrait, une question traverse les chancelleries, les acteurs du tourisme et les opinions publiques : qui est Selamawit Kassa, et que dit sa trajectoire de la façon dont l’Éthiopie entend se raconter au monde ?

Une trajectoire singulière : du journalisme à l’action publique

L’ascension de Selamawit Kassa s’inscrit dans un schéma de plus en plus courant dans plusieurs pays : le passage du champ médiatique au champ politique, au nom d’une compétence-clé devenue centrale dans l’exercice du pouvoir contemporain, la communication. Son parcours est régulièrement décrit comme une traversée des univers professionnels, depuis l’enseignement et le journalisme jusqu’aux institutions de l’État, avec un ancrage fort dans les métiers de la parole publique. Un entretien radiophonique en amharique, diffusé en 2021, raconte précisément cette bascule et insiste sur un itinéraire allant « du journalisme à la politique », en passant par une expérience d’enseignante d’anglais et par des fonctions dans les médias audiovisuels.

Ce passage des médias à l’appareil d’État ne relève pas uniquement d’un changement de carrière. Il renvoie à une transformation plus profonde du rôle de la communication dans la conduite des politiques publiques. Dans un pays marqué, au cours des dernières années, par des tensions internes et par des débats internationaux sur sa trajectoire politique, la manière dont un gouvernement s’adresse à sa population et au monde extérieur devient une dimension structurante de l’action publique. Dans ce contexte, un profil formé aux logiques médiatiques, aux contraintes de l’antenne et aux exigences de narration peut être perçu comme un atout, notamment lorsqu’il s’agit de défendre une ligne officielle, d’expliquer des réformes ou de répondre à des crises.

Les éléments biographiques rendus publics restent cependant relativement sobres. Contrairement à d’autres figures politiques disposant de biographies détaillées, Selamawit Kassa apparaît dans l’espace public surtout à travers ses fonctions, ses prises de parole et les annonces gouvernementales. Cela impose une prudence : raconter son parcours consiste moins à égrener des dates intimes qu’à reconstituer, à partir de sources ouvertes et d’événements datés, la logique d’une progression institutionnelle. Ce que l’on sait, de manière établie, c’est que son itinéraire est associé à une expérience de journaliste, présentée notamment comme ayant eu lieu au sein de Fana Broadcasting Corporate, avant son entrée dans la haute administration de la communication.

Dans l’Éthiopie contemporaine, cette proximité entre médias et pouvoir n’a rien d’anodin. Elle soulève des questions de culture professionnelle, de rapport à la critique, de capacité à gérer la contradiction publique. Pour ses partisans, ce type de parcours apporte une connaissance fine de l’opinion, des formats médiatiques et des mécanismes de désinformation. Pour ses détracteurs, il peut aussi nourrir la crainte d’une politique réduite à une opération d’image. Selamawit Kassa, parce qu’elle arrive au gouvernement par la porte de la communication, concentre mécaniquement ces lectures opposées.

De la communication gouvernementale au rang ministériel

La date qui marque son entrée visible au cœur de l’État est celle de sa nomination comme vice-ministre (ou ministre d’État, selon les traductions) au sein des services de communication gouvernementale. Plusieurs sources convergent pour situer cette prise de fonction au 31 octobre 2021, dans un appareil chargé de la communication de l’exécutif. Cette position, souvent technique en apparence, est en réalité stratégique : elle touche à la gestion du récit gouvernemental, à la coordination des messages des ministères, à la relation avec la presse et, plus largement, à la façon dont l’État se rend lisible.

Trois ans plus tard, le 18 octobre 2024, un nouveau cap est franchi : Selamawit Kassa est nommée ministre du Tourisme dans le cadre d’un remaniement annoncé par le bureau du Premier ministre. L’annonce ne se limite pas à un mouvement interne. Elle intervient dans une séquence politique plus large, avec d’autres nominations de premier plan, ce qui lui confère une portée symbolique : l’exécutif réorganise son équipe et confie le tourisme à une personnalité issue de la communication publique.

La confirmation parlementaire vient ensuite consolider la nomination. Le 29 octobre 2024, la Chambre des représentants du peuple (House of Peoples’ Representatives), chambre basse du Parlement éthiopien, approuve l’entrée en fonction de plusieurs ministres, dont Selamawit Kassa. Ce vote, rapporté comme acquis à une large majorité, inscrit son poste dans le cadre institutionnel formel et la place pleinement au rang des figures politiques nationales.

À partir de là, son profil change : elle n’est plus seulement une responsable de la communication, mais une ministre sectorielle avec des objectifs économiques, des arbitrages budgétaires, des relations avec les régions et une exposition internationale forte. Ce basculement est essentiel pour comprendre l’intérêt que son nom suscite hors d’Éthiopie. Le tourisme est un secteur qui touche à l’emploi, aux devises, à la sécurité, aux infrastructures et à l’image extérieure ; il est aussi un domaine où se croisent acteurs privés, autorités locales, institutions culturelles et partenaires étrangers.

Cette transition interroge aussi la manière dont un gouvernement conçoit les compétences nécessaires à ce portefeuille. Confier le tourisme à une ex-responsable de la communication gouvernementale, c’est envoyer un signal : le secteur est envisagé non seulement comme une filière économique, mais comme une plateforme de projection internationale. C’est aussi une manière d’assumer que, dans les politiques touristiques contemporaines, la bataille se joue autant sur l’expérience des visiteurs que sur la crédibilité du récit national.

Ministre du Tourisme : une fonction économique, diplomatique et symbolique

Depuis son arrivée au ministère, Selamawit Kassa met en avant une ligne directrice : faire du tourisme un moteur de croissance et un instrument de rayonnement. Cette orientation apparaît dans des comptes rendus d’interventions publiques où elle évoque les efforts du gouvernement pour positionner le tourisme comme une force de transformation économique et d’engagement international. L’argument, classique dans de nombreux pays, prend une dimension particulière en Éthiopie, où le patrimoine historique, les sites culturels, les paysages et la diversité des pratiques culturelles constituent un potentiel majeur, mais où les conditions d’accès, la perception sécuritaire et la stabilité politique pèsent fortement sur la fréquentation.

Le poste implique d’abord une gestion interne. Dans un pays fédéral, les politiques touristiques se heurtent à la réalité du terrain : routes, services, hôtellerie, formation, préservation des sites, gouvernance locale. La ministre doit composer avec des attentes parfois contradictoires : attirer des visiteurs internationaux tout en protégeant les lieux ; soutenir le secteur privé tout en régulant ; encourager l’investissement tout en préservant l’authenticité culturelle. À cela s’ajoute la question du tourisme domestique, souvent mobilisé comme amortisseur en période de baisse des arrivées internationales.

Le poste est aussi diplomatique. La ministre du Tourisme se retrouve en première ligne lors de forums, de rencontres bilatérales, d’événements patrimoniaux et de cérémonies symboliques. Cette dimension ressort nettement d’épisodes où Selamawit Kassa apparaît comme interlocutrice de partenaires étrangers, notamment dans les discussions liées au patrimoine et à la culture, deux domaines où l’Éthiopie revendique une place singulière dans l’histoire humaine et africaine.

Enfin, le poste est symbolique, parce que le tourisme est un miroir : il renvoie l’image que le pays veut donner, mais aussi celle que le monde retient. Dans les communications officielles, l’Éthiopie met souvent en avant des marqueurs forts, à la fois historiques et identitaires. La ministre devient alors, de fait, l’une des voix qui portent une promesse : celle d’un pays accessible, attractif, riche d’héritages et tourné vers l’avenir.

Cette promesse n’est pas qu’une question de slogans. Elle suppose de répondre à un défi concret : la confiance. Les voyageurs, les tours-opérateurs et les investisseurs évaluent la stabilité, la qualité des services, la clarté administrative et la perception internationale. De ce point de vue, confier le portefeuille à une spécialiste de la communication publique peut être interprété comme la volonté de maîtriser ce paramètre essentiel, en articulant promotion, diplomatie et discours de sécurité.

Diplomatie culturelle et patrimoine : la scène internationale comme terrain d’action

La dimension internationale du rôle de Selamawit Kassa s’illustre particulièrement dans le champ du patrimoine. Un épisode symbolique, relaté dans la presse francophone, met en scène une restitution d’objets archéologiques par la France à l’Éthiopie : lors d’une visite à Addis-Abeba, le chef de la diplomatie française remet symboliquement des pièces à la ministre éthiopienne du Tourisme, Selamawit Kassa, à l’issue d’un passage par le musée national où se trouve notamment le célèbre fossile de Lucy.

Au-delà du geste, l’événement éclaire deux dynamiques. La première est la montée en puissance de la diplomatie patrimoniale : les États utilisent le patrimoine comme vecteur de relation, de reconnaissance et de coopération scientifique. La seconde est le rôle central du ministère du Tourisme dans ces séquences. Dans plusieurs pays, ces dossiers relèvent de la Culture ; en Éthiopie, la frontière est poreuse, parce que le patrimoine archéologique et historique est aussi un argument touristique majeur. Le fait que la ministre du Tourisme soit la destinataire d’un geste diplomatique de ce type souligne la manière dont Addis-Abeba lie, dans sa projection extérieure, culture, histoire et attractivité.

Cette articulation permet de comprendre pourquoi les déplacements, les interventions et les rencontres de la ministre dépassent le cadre des salons touristiques. Dans les discours rapportés, l’idée d’un tourisme durable, enraciné dans les sites patrimoniaux, revient régulièrement, avec la volonté de faire du secteur un pilier de développement. Cette orientation rejoint les débats globaux sur le surtourisme, la préservation des sites et l’inclusion des communautés locales. Mais, en Éthiopie, elle se heurte aussi à une réalité : les besoins de reconstruction, de consolidation institutionnelle et d’amélioration des infrastructures dans certaines zones.

La ministre agit également comme interface avec les acteurs professionnels du secteur. Des organisations du tourisme éthiopien ont publiquement accueilli sa nomination à l’automne 2024, signe d’une attente forte du secteur privé et des opérateurs quant à la ligne qui sera suivie. Dans ces échanges, l’enjeu est de synchroniser la stratégie nationale avec les contraintes du marché : connectivité aérienne, facilitation des voyages, qualité de service, formation des guides, promotion internationale et cohérence entre la marque-pays et l’expérience réelle.

Dans ce paysage, Selamawit Kassa se distingue par un capital particulier : celui de la parole publique. Une ministre issue de la communication sait que l’image se construit par des signaux répétés, par des scènes diplomatiques, par des messages calibrés. Le risque, dans ce type de stratégie, serait de privilégier la vitrine au détriment de la transformation structurelle. L’équilibre est délicat : trop de communication et pas assez de réformes peuvent alimenter le scepticisme ; trop de réformes sans récit clair peuvent laisser le secteur sans boussole. La ligne affichée, telle que rapportée, consiste précisément à présenter le tourisme comme levier économique et comme outil d’engagement international.

Une figure politique à suivre, entre attentes, contraintes et lectures critiques

L’intérêt pour Selamawit Kassa tient aussi au fait qu’elle se situe à un carrefour politique. En Éthiopie, la composition du gouvernement et les remaniements sont scrutés pour ce qu’ils disent des priorités, des équilibres et des stratégies du pouvoir. Sa nomination, annoncée le 18 octobre 2024 et confirmée par le Parlement le 29 octobre 2024, s’inscrit dans une séquence où l’exécutif recompose plusieurs portefeuilles. Dans ce contexte, l’arrivée d’une personnalité issue de la communication gouvernementale à un ministère à forte visibilité internationale est interprétée comme un choix politique assumé.

Les attentes sont multiples. Le secteur du tourisme, lorsqu’il est présenté comme moteur économique, implique des résultats mesurables : fréquentation, recettes, emplois, investissement, ouverture de lignes, dynamisation de destinations. La ministre est donc attendue sur des indicateurs. Mais elle est aussi attendue sur un registre plus intangible : la capacité à convaincre que l’Éthiopie est un pays où l’on peut voyager, investir, coopérer, filmer, documenter, explorer. Or cette conviction ne dépend pas uniquement du ministère du Tourisme : elle engage la sécurité, la stabilité politique, l’état des infrastructures, les procédures administratives. La ministre devient, de fait, une porte-parole de la normalité, ce qui, dans un environnement perçu comme fragile par certains publics internationaux, est un exercice exigeant.

Les lectures critiques existent également. Dans les sociétés où les relations entre pouvoir et médias sont au cœur du débat public, le passage d’une journaliste à des fonctions gouvernementales peut susciter des interrogations sur l’indépendance, sur la place du débat contradictoire et sur la liberté de la presse. Ici, il faut distinguer deux niveaux : d’une part, son itinéraire personnel, qui reflète un choix professionnel ; d’autre part, les débats structurels sur le rôle des médias et de l’État. Selamawit Kassa, parce qu’elle a été associée au monde médiatique avant de rejoindre la communication gouvernementale puis le gouvernement, cristallise ce questionnement, qu’elle le veuille ou non.

Pour autant, réduire son rôle à une figure de communication serait passer à côté d’un point essentiel : le tourisme, en Éthiopie, est un secteur profondément politique. Il touche à la gestion du patrimoine, à la représentation des identités régionales, aux relations internationales, à l’image du pays et aux équilibres territoriaux. L’action ministérielle est donc jugée sur sa capacité à concilier ces dimensions. Les prises de parole rapportées, insistant sur le tourisme durable et sur son rôle dans la croissance et la projection internationale, indiquent une stratégie qui se veut structurante.

La question demeure : comment traduire cette stratégie en résultats ? Le mandat de Selamawit Kassa, encore relativement récent à l’échelle politique, se jouera sur une combinaison de facteurs. Il y aura les décisions internes : priorités d’investissement, partenariats, réformes. Il y aura les événements externes : perception internationale, dynamique régionale, conjoncture mondiale du voyage. Et il y aura le facteur communicationnel : sa capacité à parler à des publics différents, des communautés locales aux investisseurs, des touristes potentiels aux partenaires diplomatiques.

C’est peut-être là, finalement, que réside sa singularité : Selamawit Kassa est à la fois ministre et narratrice. Elle porte un portefeuille économique, mais aussi une mission d’image. Dans un monde où les pays se disputent l’attention autant que les marchés, l’Éthiopie a choisi, en la nommant, de confier une partie de son récit international à une femme dont le parcours a précisément été façonné par la parole publique.

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