À Lambaréné, ville posée sur l’Ogooué et traversée par une histoire où se mêlent mission médicale, administration et rivalités locales, le nom de Séraphin Akure-Davain renvoie à une trajectoire inhabituelle dans la vie publique gabonaise. Médecin chirurgien de formation, figure associative, élu municipal puis parlementaire, il a longtemps revendiqué une posture d’opposant avant d’occuper, pendant la transition ouverte après le coup d’État d’août 2023, des responsabilités gouvernementales de premier plan. Son passage du secteur de la santé aux joutes partisanes, ses ruptures successives avec des formations politiques, puis sa nomination à la tête de portefeuilles stratégiques, dessinent le portrait d’un acteur à la fois enraciné dans le terrain et inséré dans les reconfigurations nationales.
Dans un Gabon où la politique s’écrit souvent à l’intersection des fidélités locales, des équilibres de pouvoir au sommet de l’État et des attentes pressantes en matière de services publics, le parcours de Séraphin Akure-Davain éclaire une séquence de l’histoire récente : celle d’une transition qui a redistribué les cartes, rapproché des adversaires d’hier et placé au premier plan des profils parfois extérieurs aux carrières administratives classiques. Sa biographie raconte aussi une tension familière : comment gouverner, réformer et incarner une promesse de rupture, quand on a été construit par des années de contestation, de négociations et de combats d’influence.
Une enfance gabonaise et une formation médicale exigeante
Né le 22 février 1958 à Lambaréné, à l’hôpital Albert-Schweitzer, Séraphin Akure-Davain appartient à cette génération qui a grandi dans un Gabon déjà indépendant, mais encore marqué par la structuration progressive de ses élites nationales. Son père est présenté comme douanier et sa mère comme femme au foyer, une configuration familiale relativement répandue dans les années 1960, où la stabilité professionnelle du parent fonctionnaire ouvre souvent un accès plus régulier à la scolarité, y compris lors de mobilités internes.
Son enfance se déroule en partie à Port-Gentil, capitale économique du pays, où il effectue ses études primaires de 1963 à 1969. Le fait de passer par Port-Gentil n’est pas anodin : la ville, portée par l’activité pétrolière et portuaire, concentre depuis longtemps des opportunités, mais aussi un brassage social qui façonne des trajectoires. Pour le secondaire, il rejoint Libreville et fréquente le collège Bessieux ainsi que le petit séminaire Saint-Jean, avant d’obtenir en 1976 un baccalauréat série D. Ce choix de filière, orientée vers les sciences, annonce la suite : la médecine comme horizon de professionnalisation, mais aussi comme vecteur d’ascension sociale et d’autorité symbolique.
Il intègre ensuite la faculté de médecine à Libreville, au sein du Centre universitaire des sciences de la santé, et obtient un doctorat d’État en médecine en 1983. Cette période le place dans un environnement où l’État gabonais, riche de la rente pétrolière, cherche à développer ses structures sanitaires tout en dépendant encore largement de formations spécialisées à l’étranger pour les disciplines techniques.
La spécialisation se poursuit en France : il obtient un diplôme inter-universitaire de spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologique en 1992. Le parcours mentionne également une maîtrise d’anatomie et de cinésiologie à l’Hôtel-Dieu de Nantes, ainsi qu’un diplôme d’études approfondies en biomécanique à Paris. Cet ensemble de formations, à dominante chirurgicale, installe un profil de praticien hautement qualifié, susceptible d’occuper des fonctions hospitalières de responsabilité une fois de retour au Gabon.
Dans l’imaginaire politique gabonais, les figures issues de la médecine ne sont pas rares, mais elles se distinguent souvent par une réputation de rigueur, un ancrage dans le concret, et une capacité à incarner la notion de service. Chez Séraphin Akure-Davain, cette dimension médicale n’est pas un simple épisode biographique : elle devient, au fil du temps, un ressort de légitimité, notamment lorsqu’il s’agit de parler de gouvernance, de gestion des institutions, ou de proximité avec les préoccupations quotidiennes.
Le médecin, l’associatif et l’ancrage à Lambaréné : une notabilité en construction
De retour au pays, ses premières expériences professionnelles se déroulent notamment à la Fondation Jeanne Ebori et au centre médico-social de Makokou. Le détour par Makokou, dans l’Ogooué-Ivindo, renvoie à une réalité du système de santé gabonais : les besoins sont importants hors de Libreville, les conditions de travail peuvent être plus difficiles, et les médecins y acquièrent souvent une connaissance fine des limites logistiques et humaines de l’action publique.
Entre 1992 et 1994, il exerce aussi des fonctions d’attaché hospitalier en chirurgie à l’hôpital Louise-Michel d’Évry, en région parisienne. De telles expériences, fréquentes chez les praticiens africains formés en Europe, contribuent à élargir les références professionnelles, mais aussi à importer des standards de fonctionnement qui, une fois confrontés au terrain gabonais, nourrissent parfois des discours de réforme.
En 1994, il est présenté comme chef de service de chirurgie orthopédique et traumatologique à la Fondation Jeanne Ebori, tout en étant chargé de cours à la faculté de médecine et des sciences de la santé. La combinaison de responsabilités hospitalières et universitaires situe une position centrale : celle de praticien référent, formateur, et acteur de structuration d’un savoir médical local.
Son parcours administratif mentionne ensuite des rôles de médecin-conseil à la caisse nationale de garantie sociale, puis à la caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale. Il est également indiqué qu’il a été conseiller du ministre des Eaux et Forêts, chargé de l’Environnement, en 2000. Ces étapes racontent un glissement progressif : du soin vers l’organisation, puis vers l’État, au sens large. Elles dessinent la montée en puissance d’un profil qui connaît les administrations, leurs routines, leurs blocages, et les arbitrages qu’imposent les politiques publiques.
Parallèlement, la dimension associative occupe une place importante. Il est présenté comme médecin de l’équipe nationale de football du Gabon pendant une décennie et président-fondateur de Lambasport, club emblématique de Lambaréné. Le sport, au Gabon comme ailleurs, est un espace de sociabilité, de reconnaissance et d’influence locale. Être associé à l’équipe nationale ou à un club structurant, c’est entrer dans un réseau où se croisent jeunesse, notables, autorités administratives et acteurs économiques.
En 2000, il fonde le groupe ESPOIR, organisation non gouvernementale décrite comme active et ayant servi de socle à une alliance politique ultérieure. Dans l’histoire des trajectoires gabonaises, les ONG sont parfois des incubateurs : elles permettent de fédérer des compétences, de bâtir une image d’utilité publique, et de former un noyau militant sans être immédiatement enfermé dans une étiquette partisane. Le groupe ESPOIR accueille aussi un cercle de réflexion et d’initiatives, organisant des conférences d’éveil politique : un signe que l’engagement dépasse la philanthropie et s’oriente vers l’intervention dans le débat public.
Dans le même esprit, il est cité comme membre fondateur d’un syndicat de médecins, Hippocrate, et associé à d’autres initiatives d’assistance médicale. Qu’on le lise comme corporatisme ou comme mobilisation citoyenne, cet activisme construit une identité : celle d’un homme de réseau, à la fois technique et politique, capable d’articuler des revendications professionnelles et des préoccupations collectives.
C’est dans ce tissu local, fait de médecine, de sport, d’associatif et d’administration, que se fabrique la notabilité. Avant même d’être un acteur national, Séraphin Akure-Davain apparaît comme une figure de Lambaréné, une ville qui, par sa position et sa symbolique, a souvent servi de point d’appui à des carrières politiques plus larges.
Des premiers pas au PDG aux ruptures : l’apprentissage des lignes de fracture gabonaises
La bascule vers la politique institutionnelle s’opère dans les années 2000, lorsqu’il adhère au Parti démocratique gabonais (PDG), formation longtemps hégémonique. Il est mentionné comme député suppléant lors des législatives de 2001 à Lambaréné, et amené à siéger lorsque le titulaire est appelé au gouvernement. À cette époque, l’apprentissage parlementaire se fait souvent à l’ombre de la majorité, dans un système où l’opposition peine à s’imposer durablement.
Il figure également, au niveau local, dans l’état-major de campagne du candidat du PDG à l’élection présidentielle de 2005. Là encore, l’itinéraire est classique : la majorité offre des opportunités de carrière, et nombre d’acteurs y font leurs armes avant de s’émanciper ou de se repositionner.
En 2008, il devient maire de Lambaréné. La fonction municipale, très exposée, implique une gestion concrète : voirie, marchés, conflits de quartier, arbitrages fonciers, mais aussi représentation symbolique. Son passage à la mairie se termine par une démission, mentionnée comme intervenant courant 2010 dans un contexte de polémique politico-ethnique autour d’un masque sacré de l’ethnie galoa, présenté lors de l’Exposition universelle de Shanghai. L’épisode, largement commenté à l’époque, illustre la sensibilité des enjeux identitaires et patrimoniaux, et leur capacité à déstabiliser des responsables locaux. Il marque surtout une rupture : après la mairie, Séraphin Akure-Davain quitte le parti au pouvoir, un geste fort dans un paysage où les défections se paient parfois cher en termes d’accès aux ressources politiques.
En 2011, il fonde l’Alliance pour le Nouveau Gabon (ANG). Ce choix traduit une volonté d’autonomie et d’affirmation. L’ANG est décrite comme s’étant initialement positionnée au centre, non alignée sur la majorité présidentielle ni sur l’opposition, avant que le contexte ne la pousse à se rapprocher de l’opposition. Cette évolution est révélatrice d’une dynamique gabonaise : les forces politiques intermédiaires sont souvent contraintes de choisir leur camp, sous peine d’être marginalisées.
En mars 2017, lors d’un congrès qualifié de mutation, l’ANG devient Les Démocrates (LD), formation associée à Guy Nzouba-Ndama. Séraphin Akure-Davain est présenté comme président honoraire dans cette nouvelle configuration. Les LD s’imposent alors comme une force d’opposition structurée, notamment à l’Assemblée nationale, dans un contexte où les fractures au sein de l’ancienne majorité alimentent la recomposition.
Le parcours le place, au fil des années, dans une série d’alliances et de ruptures : PDG, ANG, LD, puis création d’un nouveau parti. Ces mouvements ne sont pas uniquement des changements d’étiquette. Ils traduisent un rapport à la stratégie et à la cohérence : comment rester audible dans un système dominé, comment exister face à des figures plus centrales de l’opposition, comment préserver une base locale tout en pesant nationalement.
En mai 2023, quelques mois avant l’élection présidentielle prévue cette année-là et dans le contexte d’une concertation politique initiée par le pouvoir civil d’alors, Séraphin Akure-Davain annonce la création de son propre parti : Les Démocrates libres. Il revendique une ligne d’opposition, tout en assumant une ambition de conquête du pouvoir. Cette création est présentée comme la conséquence d’une disgrâce interne au sein des LD et d’un désaccord sur les orientations. L’événement est important car il intervient à la veille d’une séquence historique : le coup d’État d’août 2023, qui renverse Ali Bongo Ondimba, et l’installation d’une transition dirigée par Brice Clotaire Oligui Nguema.
De l’Énergie à la Justice : un ministre de transition face aux urgences nationales
La transition ouverte après août 2023 place au premier plan des chantiers lourds : institutions, finances publiques, services de base, crédibilité de l’État. Dans ce cadre, Séraphin Akure-Davain est nommé ministre de l’Énergie et porte-parole du gouvernement de la transition, un portefeuille stratégique dans un pays confronté à des difficultés récurrentes d’approvisionnement électrique, particulièrement sensibles à Libreville et dans les grandes agglomérations.
Le choix d’un profil médico-politique à l’Énergie peut surprendre, mais il s’inscrit dans une logique courante en période de transition : privilégier des figures perçues comme expérimentées politiquement, capables de défendre une ligne gouvernementale, d’assumer la communication, et de gérer des tensions sociales. Le secteur énergétique, au Gabon, concentre en effet une partie du mécontentement populaire : délestages, infrastructures vieillissantes, contestations autour des opérateurs et de la qualité du service. Pour un porte-parole, ce ministère expose autant qu’il confère de l’influence.
En mai 2025, il devient ministre de la Justice, garde des Sceaux, chargé des Droits humains, en remplacement de Paul-Marie Gondjout. La Justice, dans une transition, est un ministère hautement symbolique. Il porte des attentes de lutte contre l’impunité, de réforme de l’appareil judiciaire, mais aussi de gestion du système pénitentiaire et d’équilibres sensibles entre sécurité, droits fondamentaux et stabilité politique.
Lors de sa prise de fonctions, rapportée comme ayant eu lieu le 8 mai 2025, la passation est décrite comme solennelle, avec l’affichage d’une volonté de continuité de l’action de l’État et de mobilisation collective des administrations sous tutelle. Dans les semaines qui suivent, il entame des réunions de prise de contact avec les responsables des structures dépendant de son ministère, exposant une stratégie de mise en œuvre de la politique judiciaire et carcérale. Ces éléments, classiques dans les transitions gouvernementales, prennent une dimension particulière au Gabon : la justice est au cœur de l’architecture institutionnelle qui doit accompagner le retour à l’ordre constitutionnel.
La période 2024-2025 est aussi celle d’étapes institutionnelles majeures, dont le référendum constitutionnel de novembre 2024, validé ensuite par la Cour constitutionnelle, avec une large victoire du oui selon les chiffres officiels. Dans ce contexte, le ministère de la Justice est directement concerné par la sécurité juridique, la régulation institutionnelle et, plus largement, la crédibilité de l’État auprès des citoyens.
Séraphin Akure-Davain quitte ses fonctions de ministre de la Justice le 14 novembre 2025, Paul-Marie Gondjout assurant l’intérim. La brièveté relative de ce passage, à peine plus de six mois, renvoie à la volatilité politique propre aux périodes de transition, où les remaniements et les redistributions de portefeuilles peuvent répondre à des impératifs de calendrier, d’équilibres internes, ou de priorités stratégiques.
Retour au Parlement et repositionnements : l’élu de Lambaréné à l’heure des recompositions
Au-delà de l’exécutif, Séraphin Akure-Davain s’inscrit aussi dans la dynamique parlementaire. Il est élu député lors des législatives du 27 septembre 2025, et son entrée en fonction est indiquée à partir du 17 novembre 2025. La mention de son appartenance à un groupe parlementaire lié à l’UDB apparaît dans les informations publiques disponibles, tandis que des listes officielles de l’Assemblée nationale l’associent à l’étiquette Les Démocrates dans les répertoires.
Ce point illustre un fait politique fréquent : les coalitions, les alliances et les affiliations peuvent évoluer rapidement, et la présentation administrative ne reflète pas toujours, au même moment, les réalités d’alliance électorale. Une candidature sous une bannière conjointe avec des forces autrefois adverses a été évoquée publiquement au moment des législatives, signe supplémentaire d’un paysage en mouvement.
Son ancrage à Lambaréné reste central. La ville, dans la province du Moyen-Ogooué, lui sert de base électorale et de capital politique. Être député d’une circonscription de cette zone, c’est porter des enjeux qui mêlent développement local, infrastructures, santé, éducation et accès à l’énergie, autant de thèmes qui recoupent, d’une manière ou d’une autre, les domaines qu’il a traversés.
Le parcours de Séraphin Akure-Davain met ainsi en évidence une figure hybride : un technicien devenu notable, un opposant devenu ministre, un ministre redevenu député, dans un pays où les transitions accélèrent les trajectoires. Cette hybridité peut être un atout, parce qu’elle donne une compréhension des institutions de l’intérieur, mais elle peut aussi alimenter des interrogations : comment maintenir une cohérence politique après avoir dénoncé un système puis gouverné avec des acteurs issus de ce même système ? Comment concilier l’exigence de réforme avec les contraintes d’équilibre et de stabilité ?
L’histoire récente du Gabon rappelle que ces questions dépassent les individus. Elles touchent aux structures : la centralité de l’exécutif, la fragilité des partis, le poids des alliances, et l’attente de résultats sur les sujets concrets. Dans ce tableau, Séraphin Akure-Davain apparaît comme un produit et un acteur de la recomposition, avec une singularité : l’épaisseur de son parcours médical, associatif et local, qui continue de nourrir sa légitimité, et d’orienter son image publique vers celle d’un homme de terrain.
Sa biographie n’est pas seulement celle d’un itinéraire personnel. Elle raconte une période où le Gabon, après des décennies de continuités contestées, cherche à écrire une nouvelle page institutionnelle, en arbitrant entre rupture et continuité. À travers la trajectoire de Séraphin Akure-Davain, on observe la manière dont des figures politiques tentent de survivre aux basculements, de se réinventer, et de se rendre indispensables dans un moment où l’État, attendu sur tout, ne peut se permettre de décevoir longtemps.



