Qui est Sherif Fathi ?

À l’heure où l’Égypte mise plus que jamais sur son patrimoine et ses stations balnéaires pour attirer des devises, un nom s’est imposé au cœur de la stratégie officielle : Sherif Fathi. Peu connu du grand public international avant son retour au gouvernement à l’été 2024, cet homme issu du secteur aérien incarne une tendance lourde de la vie politique égyptienne : la promotion de profils technocratiques, choisis pour piloter des secteurs économiques jugés prioritaires. Son parcours, construit dans les compagnies aériennes, les organisations professionnelles et les structures publiques, éclaire une méthode : relier la politique touristique à la connectivité aérienne, à l’investissement et à l’image du pays.

Depuis sa prise de fonctions au ministère du Tourisme et des Antiquités, Sherif Fathi se retrouve au carrefour de plusieurs dossiers à forte visibilité : modernisation de l’offre, montée en gamme, capacité hôtelière, fluidité des transports, gestion des grands sites, et valorisation d’infrastructures culturelles de premier plan. Dans un pays dont l’industrie touristique a connu des à-coups majeurs au cours des quinze dernières années, sa feuille de route est scrutée par les professionnels et, plus largement, par un État qui compte sur ce secteur pour soutenir l’activité et l’emploi.

Un itinéraire d’abord façonné par l’aviation civile

Sherif Fathi n’est pas un responsable politique formé dans les arcanes des partis ou des assemblées. Sa trajectoire s’apparente plutôt à celle d’un cadre supérieur de l’aviation appelé, à un moment donné, à exercer des fonctions gouvernementales. Ce profil, en Égypte, n’a rien d’exceptionnel : dans plusieurs ministères économiques, les nominations privilégient régulièrement des dirigeants issus d’entreprises publiques, d’autorités administratives ou de grands secteurs industriels.

Avant d’entrer au gouvernement, Sherif Fathi s’est construit une réputation dans le monde du transport aérien. Son expérience est décrite comme longue et diversifiée, comprenant des postes de direction, des responsabilités de représentation régionale, et des fonctions au sein d’organisations du secteur. Son passage par des compagnies internationales revient souvent lorsqu’il est présenté officiellement, avec des références à des acteurs majeurs du transport aérien en Europe et aux États-Unis. Cette dimension internationale est stratégique : l’Égypte, destination touristique, dépend fortement des flux aériens, des dessertes saisonnières et des marchés émetteurs, où la crédibilité des interlocuteurs compte.

L’aviation, en Égypte, n’est pas seulement un secteur technique : c’est une infrastructure politique et économique. Les décisions relatives aux compagnies, aux aéroports, à la sûreté, à la régulation et aux liaisons internationales ont des conséquences directes sur les recettes touristiques, sur la confiance des tour-opérateurs et sur l’attractivité du pays. Pour un responsable public, maîtriser cet écosystème offre un levier puissant. Sherif Fathi s’est précisément imposé dans cet univers, jusqu’à diriger des entités clés du transport aérien égyptien.

Son profil est également associé à des fonctions non exécutives et à des rôles de gouvernance dans plusieurs structures, ce qui témoigne d’une pratique répandue : faire circuler les dirigeants d’un secteur à l’autre, en s’appuyant sur des compétences de gestion, de négociation et de pilotage stratégique. Dans le cas de Sherif Fathi, l’aviation n’est pas un simple chapitre de carrière : elle constitue la matrice de son rapport à l’action publique, fondée sur l’optimisation, les indicateurs de performance, les partenariats et la gestion de crise.

Le passage au gouvernement en 2016 : crises aériennes et exposition médiatique

C’est en 2016 que Sherif Fathi accède pour la première fois à un poste ministériel, en prenant la tête du portefeuille de l’Aviation civile. Cette nomination intervient à une période sensible pour l’image du pays et pour la confiance dans son secteur aérien. Les années précédentes ont été marquées par une contraction des flux touristiques et par une prudence accrue de certains marchés émetteurs, dans un contexte régional et sécuritaire tendu. La question du transport aérien, dans ces conditions, devient un enjeu national.

Son mandat est rapidement confronté à des événements qui attirent l’attention internationale sur l’aviation égyptienne. En mars 2016, un avion d’EgyptAir est détourné et dérouté vers Chypre. L’épisode, très médiatisé, se termine sans victimes, avec la libération des passagers et l’arrestation du suspect. La gestion institutionnelle de ce type de crise est déterminante : elle implique coordination diplomatique, communication publique, coopération avec les autorités locales, et retour d’expérience sur la sûreté.

Quelques semaines plus tard, en mai 2016, la disparition puis le crash d’un vol d’EgyptAir reliant Paris au Caire provoque un choc. Très vite, les hypothèses sur les causes possibles se multiplient, entre piste technique et piste criminelle, alors que les enquêtes se structurent entre plusieurs pays concernés. Dans ce type de situation, la parole publique d’un ministre de l’Aviation est scrutée au mot près, car elle influe sur la perception du risque, sur les décisions des compagnies et sur l’inquiétude des familles. Sherif Fathi apparaît alors comme une figure de crise, projetée sur la scène médiatique internationale.

Cette séquence de 2016 rappelle une réalité : en Égypte, l’économie touristique est extrêmement sensible aux chocs de réputation. Un incident aérien majeur peut se traduire par des annulations, des avertissements aux voyageurs, des suspensions de liaisons, et une baisse durable de fréquentation. Or l’aviation et le tourisme sont, dans les faits, deux faces d’un même sujet. Ce lien explique, en partie, pourquoi un ancien ministre de l’Aviation est ensuite jugé pertinent pour prendre les rênes du tourisme : la chaîne de valeur est continue, du billet d’avion à l’hôtel, du transit aéroportuaire à la visite d’un site patrimonial.

Juillet 2024 : retour au premier plan, au ministère du Tourisme et des Antiquités

Le 3 juillet 2024, Sherif Fathi revient au gouvernement, cette fois comme ministre du Tourisme et des Antiquités. Sa nomination intervient dans le cadre d’un remaniement et d’une nouvelle équipe gouvernementale, dans un moment où l’exécutif égyptien met l’accent sur des secteurs capables de générer des revenus en devises, de soutenir l’emploi et d’accélérer l’investissement. Le tourisme, en Égypte, appartient à cette catégorie de secteurs considérés comme stratégiques : il combine recettes, image internationale et capacité à irriguer d’autres activités (transport, construction, services, artisanat).

Le ministère qu’il hérite est, par nature, hybride. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir des plages ou des croisières sur le Nil, mais aussi de gérer un patrimoine archéologique mondialement connu, d’encadrer l’accès aux sites, de superviser des musées, et de porter une diplomatie culturelle. Cette double responsabilité, tourisme et antiquités, impose une équation délicate : développer l’afflux de visiteurs sans dégrader les sites, moderniser l’expérience touristique sans banaliser l’héritage historique, attirer des investissements tout en protégeant des zones sensibles.

Dans ses premières prises de parole, Sherif Fathi insiste sur des priorités qui révèlent sa lecture “systémique” du tourisme : accroître les capacités hôtelières, renforcer la disponibilité des vols desservant l’Égypte, et organiser la croissance du secteur autour de plusieurs piliers. Ce vocabulaire, proche de celui des infrastructures, fait écho à son passé dans l’aérien. Le tourisme, dans cette approche, n’est pas un simple produit marketing : c’est un ensemble de capacités à mettre en cohérence, depuis l’accès au territoire jusqu’à la qualité de service, la mobilité interne, la sécurité, et la régulation des acteurs.

Ce retour s’inscrit aussi dans une stratégie diplomatique et économique plus large. Les échanges avec des partenaires européens et régionaux occupent une place importante : promotion sur les salons, coopération culturelle, développement de marchés clés, et mobilisation des représentations diplomatiques. Dans ce cadre, Sherif Fathi est fréquemment présenté comme un ministre “de terrain”, impliqué dans des réunions avec des responsables de presse, des ambassadeurs, des organisations professionnelles et des acteurs économiques.

Une méthode : relier tourisme, connectivité et grands projets culturels

La signature de Sherif Fathi, depuis son arrivée, tient à une logique de chaîne : si le tourisme doit croître, il faut augmenter l’offre, sécuriser l’accès, diversifier les produits et prolonger la durée de séjour. Cette vision se traduit par des thèmes récurrents.

Le premier est la connectivité aérienne. Sans un réseau de vols dense et stable, aucun marché ne se développe durablement. L’Égypte dépend de l’Europe, des pays du Golfe et d’autres régions, avec des variations saisonnières fortes. Pour un ministre du Tourisme, comprendre les logiques d’allocation de capacité, les incitations aux compagnies, la structure des hubs et les attentes des voyagistes est un atout majeur. C’est précisément le type de capital professionnel que Sherif Fathi apporte : un langage commun avec les opérateurs du transport.

Le deuxième thème est la capacité hôtelière. La croissance touristique se heurte souvent à un plafond : manque de chambres dans certaines zones, nécessité de moderniser des établissements, montée en gamme, formation du personnel, et adaptation aux attentes contemporaines (numérisation, services, durabilité). Sur ce point, la ligne officielle évoque l’augmentation des capacités, un chantier qui suppose investissements, planification urbaine et coordination avec les autorités locales.

Le troisième axe est la diversification de l’offre. L’Égypte ne se résume pas aux pyramides et aux stations balnéaires, même si ces images dominent. Le pays cherche à renforcer d’autres segments : tourisme culturel élargi, tourisme de congrès et d’événements, circuits régionaux, et valorisation de nouvelles destinations. La promotion de villes nouvelles et de zones en développement, présentées comme des “pôles touristiques” à part entière, s’inscrit dans cette logique : étaler les flux, créer de nouveaux produits, et encourager les investissements.

Le quatrième pilier concerne les grands projets culturels, au premier rang desquels figure le Grand Musée Égyptien, symbole d’une ambition de rayonnement culturel et touristique. Un équipement de cette nature, par sa visibilité, sert de locomotive : il attire des visiteurs, stimule les infrastructures autour de lui et renforce le récit national. Dans les échanges avec des responsables de médias et lors de réunions institutionnelles, la question des musées et de la mise en valeur du patrimoine revient régulièrement, en lien direct avec la stratégie touristique.

Enfin, un cinquième thème s’affirme : la diplomatie du tourisme. Les salons internationaux, les rencontres bilatérales et les coopérations avec les pays émetteurs sont traités comme des instruments de politique publique. Lors de manifestations professionnelles, l’Égypte met en avant ses objectifs et cherche à consolider ses principaux marchés, notamment en Europe. Dans ces rendez-vous, la parole du ministre vise à rassurer, à annoncer des orientations, et à démontrer une vision de long terme.

Un ministre technocrate dans un secteur hautement politique

Qualifier Sherif Fathi d’“homme politique” ne signifie pas qu’il est un tribun ou un chef de parti. Son poids politique naît plutôt de la centralité du secteur qu’il dirige et de la place que l’exécutif lui attribue. En Égypte, le tourisme est un sujet hautement politique parce qu’il touche à l’emploi, à l’image du pays, aux relations internationales, à la sécurité et aux équilibres territoriaux. De ce point de vue, le ministre du Tourisme et des Antiquités occupe un poste exposé, où chaque crise peut avoir des conséquences économiques rapides.

Le choix d’un profil technocratique peut être lu comme une recherche de stabilité et de performance. L’État attend des résultats mesurables : progression des arrivées, augmentation des recettes, extension de la saison, amélioration des services, et montée en gamme de l’offre. Cette attente s’accompagne d’une autre exigence : préserver le patrimoine et éviter que la pression touristique ne détériore des sites dont la valeur symbolique est immense. Gouverner le tourisme en Égypte, c’est arbitrer entre l’accélération et la conservation, entre la demande immédiate de revenus et la protection d’actifs culturels irremplaçables.

Dans ce cadre, l’expérience de Sherif Fathi dans l’aviation lui confère un certain style : gestion des systèmes complexes, attention portée à la logistique, au risque, aux normes internationales et à la coordination multi-acteurs. L’aviation est un secteur où l’on apprend à décider sous contrainte, à gérer des crises médiatiques et à négocier avec des partenaires multiples. Transposée au tourisme, cette culture peut se traduire par une approche plus structurée et plus “industrielle” de la destination Égypte.

Son parcours met aussi en lumière une continuité : les passerelles entre transport et tourisme ne sont pas seulement techniques, elles sont institutionnelles. Les enjeux de sûreté, d’image et de connectivité pèsent sur les deux secteurs. À ce titre, confier le tourisme à un ancien ministre de l’Aviation peut être interprété comme une manière d’unifier la stratégie d’accès au territoire, de stabiliser les flux et d’éviter les ruptures de chaîne qui ont, par le passé, amplifié les chocs.

Au-delà de la personne, le cas Sherif Fathi raconte donc une histoire politique plus large : celle d’un État qui cherche à piloter le tourisme comme une industrie nationale, en mobilisant des cadres capables de parler le langage des compagnies, des investisseurs, des organisations internationales et des grandes administrations. Dans une région où la concurrence touristique est forte, où les crises géopolitiques se répercutent vite sur les réservations, et où l’économie dépend des devises, le ministère du Tourisme et des Antiquités devient une pièce stratégique du puzzle.

Sherif Fathi s’y impose comme un acteur de continuité et de transformation : continuité, parce qu’il s’inscrit dans une gouvernance fondée sur la technocratie et la gestion des secteurs clés ; transformation, parce qu’il tente de lier plus étroitement l’offre touristique à la capacité aérienne, à la modernisation hôtelière et à la valorisation de grands équipements culturels. Reste une question qui dépasse l’homme : l’Égypte parviendra-t-elle à convertir ces orientations en résultats durables, capables de résister aux chocs extérieurs et de préserver, en même temps, un patrimoine dont la planète entière reconnaît la valeur ?

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