Qui est Shewit Shanka ?

En Éthiopie, les changements de titulaires au sein du gouvernement sont souvent lus comme des signaux politiques autant que comme de simples ajustements administratifs. La nomination de Shewit Shanka à la tête du ministère de la Culture et des Sports, annoncée le 3 juillet 2024, s’inscrit dans cette logique : une figure issue du Parlement, portée par le parti au pouvoir, propulsée à un poste où se croisent diplomatie culturelle, cohésion nationale, visibilité internationale et enjeux très concrets d’infrastructures sportives.

Mais qui est, au juste, Shewit Shanka ? au-delà des fonctions officielles recensées et des prises de parole relayées par les médias, peu d’éléments détaillés sont documentés sur son parcours personnel. Pour autant, l’itinéraire institutionnel qui la mène du travail parlementaire à un portefeuille ministériel éclaire les priorités d’un pouvoir qui entend faire de la culture et du sport des leviers de récit national, de diplomatie et d’économie.

Une élue issue de Wolayta, propulsée sur la scène nationale

Les sources institutionnelles et plusieurs médias situent l’ancrage politique de Shewit Shanka dans le sud de l’Éthiopie, au sein de l’aire wolayta. Son lieu de naissance est indiqué comme Boloso Sore, dans la zone de Wolayta. Cette donnée, factuelle, dit quelque chose de la sociologie du pouvoir éthiopien contemporain : le jeu politique et administratif national se nourrit de trajectoires régionales, et l’accession à un ministère peut aussi répondre à une recherche d’équilibres territoriaux dans un pays traversé par des dynamiques identitaires complexes.

Shewit Shanka est présentée comme membre du Prosperity Party, le parti au pouvoir en Éthiopie. Ce positionnement la situe dans l’architecture politique de l’ère Abiy Ahmed, marquée par la montée en puissance de cadres issus du parti, l’intégration de profils ayant exercé au Parlement, et l’usage de remaniements ciblés pour redessiner des priorités politiques.

Son identité publique est d’abord celle d’une élue nationale : Shewit Shanka est citée comme représentante de la circonscription de Boloso Sore 2 à la Chambre des représentants du peuple, l’organe parlementaire fédéral. Ce mandat parlementaire est un élément central pour comprendre son entrée au gouvernement : il suggère une carrière construite sur l’exposition aux dossiers, l’expérience des auditions, la maîtrise des mécanismes de contrôle et, surtout, une capacité à tenir une ligne politique au sein d’institutions où se fabrique une partie du consensus national.

Du contrôle parlementaire aux dossiers d’infrastructures : un profil “technique” avant la culture

Avant d’être associée à la culture et au sport, Shewit Shanka est signalée pour un rôle de premier plan au Parlement : elle a présidé la commission permanente en charge des affaires urbaines, des infrastructures et des transports. Cette information revient dans plusieurs publications et sur des pages institutionnelles de la Chambre des représentants du peuple.

Ce passage est loin d’être anecdotique. En Éthiopie, les infrastructures, la mobilité urbaine, la planification et les chantiers structurants constituent des sujets à la fois techniques et hautement politiques. Ils engagent des budgets, des priorités territoriales, des intérêts économiques, et parfois des tensions entre niveaux de gouvernance. Présider une telle commission suppose de maîtriser la lecture de rapports, de conduire des sessions d’évaluation, de dialoguer avec des ministères opérationnels, et de faire remonter au Parlement les questions de performance, de calendrier et de conformité.

Une intervention relayée par le site parlementaire illustre d’ailleurs l’angle qu’elle a pu défendre : l’idée que les villes et les centres urbains doivent être au cœur de la prospérité, notamment dans les secteurs de la construction et des infrastructures. Là encore, on est dans un registre où l’aménagement n’est pas seulement une affaire de béton, mais aussi une promesse politique : désenclaver, moderniser, fournir des services, et produire des symboles de développement visibles par la population.

Son parcours administratif est également évoqué sous l’angle de l’éducation et de la qualité : elle est citée comme ayant occupé des responsabilités de management au sein d’une autorité liée à la qualité et à l’évaluation dans le domaine de l’éducation et de la formation à Addis-Abeba. Les informations publiques sur ce volet restent moins détaillées que sur son rôle parlementaire, mais cet élément renforce l’image d’un profil davantage “gouvernance/évaluation” que “culturel” au sens classique du terme.

Ce type de profil, qui conjugue contrôle parlementaire, culture de l’évaluation et exposition à des secteurs lourds (infrastructures, services urbains), peut expliquer une partie de sa crédibilité au moment d’hériter d’un ministère qui, derrière son intitulé, gère des projets très matériels : stades, équipements, événements nationaux, coordination avec les fédérations, et dispositifs de promotion touristique et patrimoniale. La culture et le sport, en Éthiopie comme ailleurs, ne se résument pas à des cérémonies : ce sont aussi des politiques publiques et des investissements.

Une nomination le 3 juillet 2024, puis une validation parlementaire : le basculement au gouvernement

Le 3 juillet 2024 marque le moment où Shewit Shanka entre dans la lumière gouvernementale. Ce jour-là, le bureau du Premier ministre annonce une nomination qui la place à la tête du ministère de la Culture et des Sports, en remplacement de Kajela Merdassa. Plusieurs médias et agences relaient ce changement, présenté comme un ajustement ministériel au sein du cabinet du Premier ministre Abiy Ahmed.

Le changement s’accompagne d’une reconfiguration : l’ancien ministre est indiqué comme nommé conseiller du Premier ministre sur la jeunesse et le sport, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une disparition politique mais d’un repositionnement. Dans un système où les symboles comptent, ce type de mouvement peut être lu à la fois comme une volonté de relancer une action ministérielle, d’imprimer un style, et de redistribuer les rôles autour d’un secteur considéré comme stratégique.

Plus tard, des informations indiquent que des nominations ministérielles ont été approuvées par les députés lors d’un vote au Parlement, dans un contexte de mini-remaniement, et que Shewit Shanka figure parmi les ministres concernés. Cette séquence institutionnelle donne un cadre : elle n’est pas seulement “nommée”, elle s’inscrit dans une procédure de validation politique, ce qui renforce sa légitimité à exercer un portefeuille exposé.

À partir de là, Shewit Shanka devient l’un des visages d’une politique publique double : d’un côté, la culture comme récit national et vitrine internationale ; de l’autre, le sport comme outil de cohésion, d’image et d’économie, avec la question cruciale des infrastructures. Les deux champs sont liés : les grands événements sportifs mobilisent une esthétique nationale, des cérémonies, des symboles et une industrie culturelle ; inversement, les politiques patrimoniales et touristiques s’appuient souvent sur la capacité à accueillir, à organiser, à sécuriser, à projeter une image.

Culture, fêtes nationales et diplomatie : un ministère au cœur du récit éthiopien

Dans les prises de parole publiques attribuées à Shewit Shanka depuis sa nomination, un thème revient : la culture comme vecteur de projection internationale et de cohésion intérieure. C’est particulièrement visible dans la manière dont elle est associée à des célébrations et à des événements qui dépassent le simple calendrier festif.

En septembre 2024, à l’occasion de Meskel, fête majeure de l’Église orthodoxe éthiopienne commémorant la découverte de la “vraie croix”, elle est citée pour avoir souligné la portée culturelle et internationale de l’événement. L’idée mise en avant est celle d’une tradition ancienne susceptible de promouvoir l’Éthiopie auprès du monde extérieur, en rappelant l’épaisseur historique du pays et la diversité de ses expressions religieuses et culturelles.

Ce type de discours s’inscrit dans une logique bien identifiée des États : transformer des rituels nationaux en instruments de soft power. La culture devient alors une infrastructure symbolique, un langage diplomatique, parfois un produit touristique. Dans un pays où coexistent de nombreuses identités linguistiques et patrimoniales, la mise en avant de fêtes ou de festivals peut aussi servir à produire une scène commune, à reconnaître des particularismes, tout en les intégrant à un récit national plus large.

Cette articulation apparaît également dans des déclarations liées à des festivals régionaux. Lors d’un événement consacré au festival Dishta-Gna, Shewit Shanka est citée comme insistant sur l’importance de ces célébrations dans la promotion de la paix, la valorisation du patrimoine et le développement du tourisme. Là encore, l’enjeu dépasse le folklore : il s’agit d’associer les cultures locales à une stratégie nationale de reconnaissance et d’attractivité.

Sur le plan international, Shewit Shanka apparaît dans des activités diplomatiques liées à la culture. En juillet 2025, elle est mentionnée dans le cadre d’une semaine “business, culture et art” entre l’Éthiopie et la Chine, avec une prise de parole à l’ambassade d’Éthiopie à Pékin. Le contenu complet de son intervention n’est pas systématiquement reproduit, mais sa présence et son rôle lors d’un événement bilatéral illustrent la place que la diplomatie culturelle occupe dans son portefeuille : représenter l’État à l’étranger, porter une narration, et adosser la culture à des relations économiques et politiques.

Le ministère qu’elle dirige n’est donc pas seulement un ministère d’animation : il devient une interface entre une diversité culturelle interne et une stratégie externe de visibilité. Dans ce rôle, la ministre peut être amenée à concilier des impératifs parfois contradictoires : préserver des héritages, encourager des expressions contemporaines, éviter les tensions identitaires, et transformer le patrimoine en moteur économique sans le réduire à une marchandise.

Sport, infrastructures et image du pays : l’épreuve des chantiers et des partenariats

Si la culture offre un terrain de symboles, le sport impose, lui, l’épreuve du concret. L’un des dossiers les plus significatifs associés publiquement à Shewit Shanka concerne la construction et la mise aux normes d’un grand stade, enjeu récurrent dans de nombreux pays africains où l’accueil de compétitions internationales dépend de critères techniques stricts.

En avril 2025, Shewit Shanka est mentionnée comme signataire, au nom de l’Éthiopie, d’un accord de 137 millions de dollars avec l’entreprise China Communications Construction Company (CCCC) pour faire avancer la construction du stade international Adey Ababa, avec l’objectif d’atteindre des standards sportifs internationaux. Le montant, l’acteur partenaire, et l’ambition de conformité aux normes donnent la mesure du dossier : il ne s’agit pas seulement d’un équipement, mais d’un investissement d’image, de diplomatie (via les partenariats), et d’économie (événementiel, emplois, attractivité).

Ce type d’accord place la ministre au croisement de plusieurs responsabilités. Il y a, d’abord, la promesse faite au public : livrer une infrastructure attendue, éviter les retards, sécuriser les financements, et rendre l’équipement opérationnel. Il y a ensuite l’enjeu sportif : permettre au pays d’accueillir ou de candidater à des événements, et d’éviter que les sélections et clubs soient contraints de jouer “à domicile” dans d’autres pays faute de stades homologués. Enfin, il y a la dimension politique : un stade est un symbole national, et sa réussite ou son échec pèse sur l’image du gouvernement.

Au-delà des chantiers, Shewit Shanka apparaît aussi dans la dimension relationnelle du sport, notamment via des rencontres et des événements internationaux. Une organisation sportive internationale mentionne, par exemple, la présence de la ministre lors de l’ouverture d’un siège d’une fédération continentale à Addis-Abeba, signe que le ministère est impliqué dans l’accueil et la reconnaissance d’institutions sportives au niveau régional.

La diplomatie culturelle et la diplomatie sportive se rejoignent parfois explicitement. Elle est ainsi mentionnée dans le cadre de discussions à Addis-Abeba avec l’ambassadeur de Russie en Éthiopie portant sur le renforcement de la coopération en culture, arts et sports. Même si les détails opérationnels de telles discussions ne sont pas toujours publics, leur existence reflète une orientation : le ministère sert aussi de plateforme de coopération bilatérale, d’échanges, d’événements et de programmes.

Dans un contexte mondial où le sport peut devenir un outil de projection nationale, cette dimension n’est pas secondaire. Les pays cherchent à attirer des compétitions, à développer des formations, à renforcer les fédérations, et à soutenir des disciplines émergentes. Pour une ministre, le défi est de bâtir une politique publique qui ne soit pas seulement cérémonielle : il faut des calendriers, des budgets, une coordination avec les régions, une capacité de contrôle et de suivi, et des mécanismes de transparence. C’est ici que l’expérience parlementaire antérieure de Shewit Shanka, centrée sur l’infrastructure et l’évaluation, peut apparaître comme un atout structurel.

Mais les contraintes sont fortes. Le ministère de la Culture et des Sports concentre des attentes multiples : les milieux culturels demandent des moyens et une liberté d’expression ; les acteurs du sport réclament des infrastructures et des financements ; les autorités politiques attendent des résultats visibles ; la communauté internationale observe la capacité du pays à organiser et sécuriser des événements. L’équilibre est d’autant plus délicat que la culture, en Éthiopie, est intimement liée à la diversité des nations, nationalités et peuples reconnus par l’État fédéral, et que le sport est souvent un miroir des tensions autant qu’un espace de rassemblement.

Au final, Shewit Shanka se dessine comme une responsable dont la notoriété publique est récente et étroitement liée à ses fonctions depuis 2024. Son profil se comprend moins par des anecdotes biographiques que par une trajectoire institutionnelle : députée, présidente de commission parlementaire dans les secteurs urbains et des infrastructures, puis ministre chargée d’un portefeuille hybride où se mêlent patrimoine, festivals, diplomatie, grands projets sportifs et partenariats internationaux. Son action, elle, se jugera sur un critère simple et brutal : la capacité à transformer le symbolique en réalisations tangibles, et à faire du ministère un instrument de cohésion et de rayonnement plutôt qu’un simple décor politique.

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