Médecin de formation, enseignant et désormais figure gouvernementale, Stephen Modise s’est imposé en quelques mois comme l’un des visages les plus scrutés de la vie publique botswanaise. Son arrivée au Parlement comme député spécialement élu, puis sa nomination au poste de ministre de la Santé dans le premier cabinet du président Duma Boko, ont attiré l’attention bien au-delà des cercles politiques habituels. Dans un pays souvent cité pour la stabilité de ses institutions, mais aussi confronté à des défis sanitaires structurels et à des tensions d’approvisionnement récentes, l’ascension de cet acteur au profil atypique alimente autant d’espoirs que d’interrogations : que peut changer un responsable venu du monde médical au cœur d’un ministère exposé à la fois aux attentes sociales, aux contraintes budgétaires et aux urgences de terrain ?
Au Botswana, l’entrée de Stephen Modise en politique s’inscrit dans une séquence nationale de recomposition. À l’issue des élections de 2024, le nouveau pouvoir a affiché sa volonté de renouveler les visages et de mettre en avant des compétences techniques, en particulier dans les secteurs essentiels. La santé, thème hautement sensible dans un pays qui cumule une histoire lourde avec le VIH, une charge croissante de maladies chroniques et des besoins d’infrastructures, est devenue un test immédiat pour la crédibilité de l’exécutif. Stephen Modise se retrouve ainsi à la croisée des attentes : moderniser, sécuriser, rassurer, tout en composant avec des institutions et des chaînes logistiques qui, en 2025, ont été publiquement mises sous pression.
Un parcours d’abord médical : l’itinéraire d’un professionnel de santé devenu responsable public
Avant d’être cité comme ministre, Stephen Modise est présenté comme un professionnel de santé et un éducateur, doté d’une formation universitaire orientée vers la médecine et l’enseignement médical. Les sources disponibles le décrivent comme médecin et impliqué dans le champ de la formation des soignants, avec des diplômes mentionnés dans les domaines biomédicaux, de la médecine et de la pédagogie médicale.
Ce profil n’est pas anodin dans le contexte botswanais. La santé y est un secteur où l’expertise technique est régulièrement sollicitée, notamment lorsqu’il s’agit de négocier des partenariats, d’orienter les politiques de prévention, ou de piloter des réformes impliquant la formation des personnels. L’intérêt pour l’éducation médicale, tel qu’il est rapporté, place Stephen Modise dans une catégorie de responsables qui revendiquent une compréhension des contraintes du terrain : ressources humaines, organisation des services, continuité des soins, qualité des formations et des pratiques.
Son exposition internationale, souvent évoquée dans des portraits, est parfois mise en avant comme un atout pour dialoguer avec des institutions de recherche ou de santé publique, et pour inscrire l’action ministérielle dans des réseaux de coopération. On a ainsi vu le ministre participer à des échanges avec des institutions académiques, dans une logique de partenariat et de renforcement des capacités.
La singularité d’un ministre issu de la médecine tient aussi à la symbolique politique : dans un ministère où les décisions se traduisent rapidement en impacts concrets (stocks de médicaments, organisation hospitalière, accès aux soins), le discours d’un praticien peut renforcer l’idée d’une action “au plus près des réalités”. Mais ce capital de crédibilité se transforme en exigence : lorsqu’un responsable est perçu comme technicien, l’opinion et les professionnels attendent souvent des résultats mesurables, moins de formules, plus de solutions. Au Botswana, où les chantiers sanitaires sont à la fois anciens (épidémies, inégalités territoriales) et nouveaux (transition épidémiologique vers les maladies non transmissibles), l’équation est particulièrement délicate.
Une nomination dans le premier cabinet de Duma Boko : symbole de rupture et pari de gouvernance
Le 11 novembre 2024, le président Duma Boko annonce une première série de nominations ministérielles. Stephen Modise est nommé ministre de la Santé, avec Lawrence Ookeditse comme adjoint (ou ministre assistant selon les formulations). Cette décision s’inscrit dans un moment politique important : l’arrivée au pouvoir d’un nouveau chef de l’État et la constitution progressive d’un cabinet appelé à piloter des réformes attendues.
La date du 16 novembre 2024 est également citée comme celle de sa nomination au poste de ministre de la Santé dans plusieurs synthèses biographiques. Quelles que soient les nuances de calendrier entre annonce et prise de fonctions, l’élément clé reste le même : Stephen Modise devient l’un des visages du nouveau gouvernement sur un portefeuille stratégique.
Pourquoi la santé est-elle un poste si exposé ? Parce qu’elle concentre des enjeux politiques immédiats : accès aux soins, perception de l’efficacité de l’État, sécurité sanitaire, qualité des services publics. Dans la plupart des pays, la santé est un baromètre social. Au Botswana, elle l’est d’autant plus que le pays est souvent cité comme un cas de réussite relative dans la lutte contre le VIH, tout en restant confronté à des fragilités. Le gouvernement, en plaçant un médecin à ce poste, envoie un message double : volonté de compétence, et volonté d’incarner une nouvelle méthode.
Des médias botswanais ont présenté cette phase comme “historique”, soulignant à la fois le renouvellement et la mise en avant de profils divers au sein des institutions. Dans ce récit, Stephen Modise apparaît comme l’un des représentants d’une génération plus jeune, appelée à prendre des responsabilités centrales.
La nomination à la Santé peut aussi être lue comme un pari : celui de faire converger la logique médicale et la logique politique. Les priorités d’un système de santé ne se limitent pas à la clinique. Elles touchent à la logistique (chaînes d’approvisionnement), à la gouvernance (achats, contrôle des prix, lutte contre les dysfonctionnements), au financement, et à la coordination avec des partenaires internationaux. Or, l’année 2025 a montré à quel point ces dimensions pouvaient se transformer en crise nationale.
Député spécialement élu et ancrage politique : ce que signifie son rôle au Parlement
Stephen Modise n’est pas seulement ministre : il est aussi député “spécialement élu” (Specially Elected Member of Parliament, SEMP), un statut qui existe dans l’architecture institutionnelle botswanaise. Son nom apparaît dans les listes de députés spécialement élus validées au début de la 13e législature, dans une séquence où le nouveau pouvoir justifie ses choix.
Ce statut de député spécialement élu répond à une logique politique et institutionnelle : compléter la représentation parlementaire par des profils choisis, souvent pour apporter des compétences, équilibrer des sensibilités ou renforcer une équipe gouvernementale. Dans ce cadre, Stephen Modise s’inscrit aussi dans le paysage partisan. Il est associé à l’alliance Umbrella for Democratic Change (UDC) dans plusieurs présentations, au moment où cette coalition consolide son influence parlementaire.
L’existence de cette double casquette (ministre et député) a des implications concrètes. D’un côté, elle permet un ancrage politique direct : le ministre n’agit pas seulement au sein de l’exécutif, il se situe aussi dans la mécanique parlementaire, où se discutent priorités et orientations. De l’autre, elle renforce l’exposition : les débats politiques, les sessions parlementaires et la couverture médiatique se combinent, rendant la communication et la reddition de comptes plus visibles.
Cette visibilité s’accompagne d’un enjeu de légitimité. Dans les systèmes politiques où les députés sont élus sur une base territoriale, la légitimité passe souvent par le lien avec une circonscription. Pour un député spécialement élu, la légitimité se construit autrement : par l’expertise, par la capacité à répondre à un mandat national, par les résultats. C’est particulièrement vrai dans un ministère comme la Santé, où l’efficacité se juge vite. La gestion des stocks, la continuité des traitements chroniques, la prise en charge hospitalière, la prévention, tout cela se traduit en expériences vécues par des milliers de personnes.
Enfin, l’ancrage politique de Stephen Modise doit être lu dans un contexte de transition : le Botswana change d’ère politique, et l’exécutif cherche à matérialiser ses promesses. Dans ce cadre, un ministre au profil technique peut servir de pivot : il doit traduire des ambitions politiques en programmes réalisables, avec des budgets, des calendriers et des indicateurs. C’est précisément là que la réalité de 2025 a pesé.
Gouverner la santé en période de tension : signaux publics, coopération internationale et pression sur les médicaments
L’action d’un ministre se mesure souvent à travers des signaux publics : déclarations, priorités affichées, partenariats engagés. Stephen Modise apparaît, en 2025, dans plusieurs communications liées à la coopération sanitaire et à l’évaluation de services essentiels.
Un exemple marquant concerne la transfusion sanguine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique qu’un rapport a été présenté au ministre de la Santé, Dr Stephen Modise, à la suite d’une évaluation des services nationaux de transfusion sanguine menée du 7 au 11 juillet 2025, avec l’annonce d’une feuille de route et d’un processus de validation nationale. Ce type de démarche est révélateur : la santé publique ne repose pas seulement sur la gestion des urgences, mais aussi sur des audits, des recommandations, et une capacité à convertir des diagnostics techniques en décisions administratives.
Autre signal : la dimension académique et partenariale. Une institution comme la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) a communiqué sur une visite du ministre, présentée comme une opportunité de renforcer des coopérations autour de l’équité en santé, de l’innovation et du renforcement des systèmes. Dans une région où la recherche et la santé publique sont étroitement liées, ce type de relation peut aider à structurer des politiques fondées sur des données et des évaluations.
Mais 2025 a également rappelé la vulnérabilité des systèmes d’approvisionnement. À la fin de l’été, la situation a pris une tournure nationale : le 25 août 2025, le président Duma Boko a déclaré un état d’urgence sanitaire, en évoquant l’effondrement de la chaîne nationale d’approvisionnement médical et des pénuries touchant hôpitaux et cliniques. Reuters rapporte que l’armée devait superviser une distribution d’urgence, qu’un fonds d’environ 250 millions de pula a été approuvé, et que le ministère de la Santé avait alerté sur des pénuries critiques de médicaments affectant notamment des traitements de maladies chroniques. La presse internationale, dont le BMJ, a également rendu compte de cette déclaration d’urgence, en soulignant l’ampleur des pénuries de médicaments et de fournitures.
Dans un tel contexte, le ministre de la Santé se retrouve en première ligne, même lorsque la décision formelle d’urgence émane du chef de l’État. Les questions deviennent immédiatement politiques : pourquoi les stocks se sont-ils effondrés ? quelles responsabilités ? quels mécanismes de contrôle des achats ? comment éviter les ruptures pour les traitements vitaux ? Les comptes rendus mentionnent aussi des critiques autour de l’efficacité des systèmes de procurement et des prix, signe que la crise touche à la gouvernance autant qu’à la logistique.
Cette séquence pèse sur l’image d’un ministre, surtout lorsqu’il incarne une promesse de renouveau. Elle peut aussi, paradoxalement, accélérer certaines réformes : une crise rend visibles des dysfonctionnements et impose des solutions. Mais elle augmente le niveau d’exigence : la parole publique doit s’accompagner d’une capacité opérationnelle, et les réformes structurelles doivent se traduire par des améliorations rapides, notamment sur la disponibilité des médicaments et des consommables.
Les grands défis sanitaires du Botswana et ce que Stephen Modise est censé incarner
Comprendre la place de Stephen Modise en politique, c’est comprendre l’agenda sanitaire du Botswana. Le pays a une trajectoire sanitaire singulière, faite de réussites reconnues et de défis persistants.
D’un côté, le Botswana est régulièrement cité pour ses progrès dans la lutte contre le VIH. L’OMS a annoncé que le pays a été validé comme le premier pays à forte charge de VIH à atteindre le “Gold Tier” de l’OMS pour l’élimination de la transmission mère-enfant du VIH comme problème de santé publique, et le premier en Afrique à atteindre ce niveau. Des analyses et commentaires scientifiques ont également mis en perspective cette reconnaissance, en soulignant la portée mondiale de cette validation. Dans les éléments repris via ReliefWeb, des estimations UNAIDS (Spectrum 2024) sont citées, avec environ 360 000 personnes vivant avec le VIH et une très forte couverture de traitement chez les femmes enceintes vivant avec le VIH.
De l’autre côté, ces succès n’effacent pas les fragilités. Les indicateurs régionaux rappellent les enjeux persistants autour de la tuberculose, des co-infections, et des dynamiques de mortalité. Un document de l’OMS Afrique sur l’“outlook” maladies mentionne, par exemple, une hausse de la mortalité TB (hors co-infection VIH) entre 2015 et 2021, tout en notant une baisse de la mortalité TB chez les personnes VIH-positives sur la même période Ce type d’évolution illustre une réalité : même lorsqu’un pays progresse sur certains fronts, la charge sanitaire reste complexe, et les priorités se déplacent.
S’ajoute à cela la question du financement et de la couverture sanitaire universelle. Les orientations 2024–2027 de la coopération OMS avec le Botswana s’inscrivent dans un cadre de priorités partagées. Et, plus récemment, des débats et analyses ont porté sur le lancement ou la perspective d’un système d’assurance santé nationale (National Health Insurance, NHI) présenté comme un pas vers la couverture santé universelle. Un document actuariel évoque un lancement du NHI en mai 2025 comme étape structurante vers l’UHC, tout en discutant la soutenabilité.
C’est ici que le rôle politique de Stephen Modise devient central. Être ministre de la Santé ne consiste pas seulement à gérer des hôpitaux : il s’agit de participer à une transformation de système. Les choix sur l’assurance santé, la structuration des achats publics, la gestion des ressources humaines, la modernisation des données sanitaires, ou la sécurisation des chaînes d’approvisionnement sont des décisions politiques au sens plein, avec des gagnants, des perdants, des arbitrages budgétaires.
L’année 2025, marquée par l’état d’urgence sanitaire lié aux pénuries, a souligné la dimension stratégique de la chaîne d’approvisionnement. La presse internationale a rapporté que l’effondrement de la supply chain médicale était lié à des contraintes financières et à des dysfonctionnements, sur fond de pressions économiques et de baisse de certains financements. Dans ce contexte, la promesse d’un renouveau politique passe par une restauration de la confiance : garantir la disponibilité des médicaments, éviter les ruptures pour les patients suivis au long cours, et montrer que l’État est capable de gérer ses systèmes essentiels.
Que Stephen Modise “incarne” ou non cette ambition dépendra moins de son parcours que de sa capacité à produire des résultats visibles, à assumer une communication de crise crédible, et à faire évoluer les mécanismes de gouvernance de la santé. Son profil de médecin et d’éducateur est un marqueur : il suggère une approche tournée vers la qualité, la preuve et la formation. Mais, en politique, ce marqueur devient une promesse à vérifier.
À ce stade, les informations publiques disponibles dessinent surtout un constat : Stephen Modise est un responsable entré rapidement dans le premier cercle du pouvoir botswanais, à un poste où les attentes sont immenses et où les crises, lorsqu’elles éclatent, deviennent nationales. Entre les succès de santé publique salués par les organisations internationales et les difficultés logistiques aiguës rapportées en 2025, il navigue dans une zone de forte exposition. Et c’est précisément cette exposition qui fait de lui, désormais, un homme politique au sens complet : jugé sur une vision, sur une méthode, et sur la capacité d’un État à tenir ses promesses dans la vie quotidienne des citoyens.



