Dans l’Algérie contemporaine, certains ministères sont des postes d’équilibre, où la décision publique se confond avec des enjeux de cohésion sociale, de référence nationale et de représentation extérieure. Le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs fait partie de ceux-là. À sa tête depuis 2019, Youcef Belmehdi s’est imposé comme une figure de l’appareil d’État : discret sur le plan partisan, mais visible à travers les dossiers qui touchent à la pratique religieuse, au fonctionnement des mosquées, à la formation des cadres, au pèlerinage, et à la manière dont l’État encadre l’expression du religieux.
Né en 1963 à Bousaâda, dans la wilaya de M’Sila, Youcef Belmehdi est décrit par de nombreuses sources comme un haut fonctionnaire, au profil académique et religieux, devenu responsable politique par la voie gouvernementale. Son itinéraire – études, fonctions administratives, responsabilités nationales – éclaire une trajectoire typique des élites technico-administratives algériennes, où l’expertise revendiquée et la fidélité à l’État pèsent souvent davantage que l’affiliation partisane. Cette position, au carrefour du religieux et du politique, place son action sous un double regard : celui de la gestion quotidienne d’un secteur sensible et celui des débats récurrents sur le rôle de la religion dans l’espace public.
Un parcours académique entre sciences islamiques et institutions
Youcef Belmehdi naît le 29 septembre 1963 à Bousaâda. Les notices biographiques disponibles insistent sur une formation d’abord orientée vers les sciences, puis réorientée vers les études religieuses et le droit islamique. Selon sa biographie la plus citée, il obtient un baccalauréat en sciences naturelles au début des années 1980, avant d’entamer des études universitaires en Algérie, puis de poursuivre un cursus dans des institutions spécialisées en sciences islamiques.
Son parcours académique, tel qu’il est rapporté, évoque notamment un passage par l’université de Sétif, puis une formation à l’université des sciences islamiques Émir-Abdelkader (Constantine), avec l’obtention d’un diplôme universitaire en jurisprudence islamique (fiqh). Des sources mentionnent également une période d’études au Levant, en particulier à Damas, et des liens universitaires avec Beyrouth, ce qui, dans la biographie d’un responsable des affaires religieuses, est généralement présenté comme un marqueur de spécialisation et d’ouverture à des traditions d’enseignement reconnues dans le monde arabe.
L’élément le plus stabilisé des biographies publiques reste l’aboutissement de ce parcours par des diplômes de troisième cycle, dont une maîtrise et un doctorat (ou doctorat d’État, selon les formulations). Ces références universitaires servent de socle à la légitimité technique d’un ministre dont le champ couvre la formation des imams, l’enseignement coranique et la doctrine religieuse officielle, notamment à travers l’insistance sur une « référence religieuse nationale » encadrée par l’État.
Au-delà des titres, ces informations dessinent un profil : celui d’un responsable qui se présente d’abord comme un spécialiste du domaine religieux, davantage que comme un élu ou un chef de parti. Dans la vie politique algérienne, cette distinction compte. Les ministères régaliens ou sensibles sont souvent confiés à des personnalités perçues comme issues de l’administration, et non du jeu partisan classique. Belmehdi apparaît ainsi, dans la plupart des sources, comme un homme de l’appareil d’État, construit par l’université et l’administration plus que par l’arène électorale.
De la haute administration au gouvernement : une nomination en 2019 et une continuité
Youcef Belmehdi est nommé ministre des Affaires religieuses et des Wakfs en mars 2019. Les sources biographiques en langue française situent cette nomination au 31 mars 2019, sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, dans un contexte politique alors extrêmement tendu. Les sources officielles et institutionnelles ultérieures, ainsi que des contenus du ministère, le présentent encore en 2025 comme « ministre des Affaires religieuses et des Wakfs », ce qui atteste d’une continuité de fonction sur plusieurs remaniements gouvernementaux.
Cette continuité est un fait politique en soi. Dans un système où les remaniements sont réguliers, rester en poste plusieurs années signifie généralement que le titulaire est considéré comme un rouage stable d’un secteur stratégique. Le champ des Affaires religieuses en Algérie touche en effet à des dimensions multiples : administration de milliers de mosquées, gestion des wakfs (biens religieux), organisation du hadj, encadrement des écoles coraniques, relation avec les zaouïas, supervision de la formation, et dialogue avec les acteurs religieux nationaux et étrangers.
À partir de 2019, Belmehdi traverse plusieurs séquences majeures. D’abord, la période Covid-19, où la question des rassemblements religieux devient un sujet sanitaire et social. Ensuite, la stabilisation institutionnelle autour du référendum constitutionnel de 2020 et des débats de société. Enfin, les enjeux de numérisation et de communication du ministère, qui apparaissent dans les annonces autour de plateformes éducatives et de programmes de formation.
Sur le plan formel, les comptes rendus de presse algériens décrivent régulièrement son activité à travers des inaugurations, des visites de terrain, des rencontres avec des délégations et des conférences nationales. Ces éléments composent la routine d’un ministre mais signalent aussi une stratégie : inscrire l’action du ministère dans des chantiers visibles (infrastructures, formation, encadrement) afin de répondre à des attentes sociales fortes autour du religieux, tout en maintenant une ligne de contrôle institutionnel.
Une action ministérielle au cœur d’enjeux sociaux : mosquées, formation, et « statut de l’imam »
Le ministère des Affaires religieuses n’est pas seulement un ministère de « rites ». Il est aussi un ministère de personnels, de statuts, de carrière, de formation et d’organisation. Sur ce terrain, l’un des sujets récurrents associés à Youcef Belmehdi est celui du « statut de l’imam », présenté dans plusieurs articles comme une réforme structurante visant à encadrer la profession, à préciser les droits et obligations, et à améliorer la situation socio-professionnelle des imams et des enseignants du Coran.
Dans des déclarations rapportées par la presse, le ministre relie ce chantier à des « instructions » présidentielles visant à relancer le secteur, et il insiste sur la nécessité de résoudre des dysfonctionnements. Ce cadrage est typique d’une approche administrative : faire de la réforme statutaire un outil de normalisation et de professionnalisation. Pour un État, mieux définir le statut des imams, c’est aussi mieux définir leur place dans l’espace public.
La formation constitue un autre axe visible. Des dépêches de l’agence APS et des reprises par la presse évoquent des sessions de formation, y compris via visioconférence, destinées à des étudiants d’instituts nationaux et inscrites dans un programme pédagogique annuel. Ce type d’initiative témoigne d’une modernisation des formats, mais aussi d’une volonté de centraliser et d’harmoniser les contenus enseignés, notamment dans un secteur où l’autorité religieuse est étroitement liée à la stabilité institutionnelle.
Le terrain des infrastructures religieuses apparaît également dans l’actualité ministérielle : inaugurations de structures, visites de chantiers, et supervision de projets locaux. Ces déplacements, souvent rapportés sous forme de communiqués ou de comptes rendus, construisent une image de ministre gestionnaire. Ils rappellent aussi que l’administration du religieux est une politique publique avec des bâtiments, des budgets, des projets et des arbitrages.
Enfin, Youcef Belmehdi intervient régulièrement sur la question du référent religieux et des discours circulant en ligne. Des déclarations récentes rapportées par l’APS mettent l’accent sur des mesures visant à « protéger le référent religieux » et à faire face à des « fatwas intruses » sur l’espace numérique. Cette thématique illustre une tension contemporaine : la concurrence entre la parole institutionnelle et la parole religieuse diffusée en dehors des circuits officiels. Dans ce contexte, le ministère cherche à affirmer une doctrine légitime et à réduire les zones grises où prospèrent des discours non contrôlés.
Religion et diplomatie : représentation extérieure, dialogue interreligieux, diaspora
Parce qu’il touche à la religion, le ministère joue aussi un rôle diplomatique, au sens large : relations avec des institutions religieuses étrangères, participation à des événements internationaux, et interactions avec des communautés à l’extérieur du pays. Sur ce plan, plusieurs faits documentés éclairent la place de Youcef Belmehdi au-delà de l’administration intérieure.
En mai 2025, des médias rapportent sa présence à Rome pour représenter l’Algérie à une cérémonie d’investiture pontificale, sur la base d’un communiqué du ministère. Au-delà de l’événement, cet épisode illustre une dimension de représentation : l’État algérien envoie le ministre en charge des affaires religieuses dans un cadre de protocole interreligieux, où le message est autant diplomatique que symbolique.
Sur le territoire national, Belmehdi reçoit également des délégations religieuses. En novembre 2025, l’APS rapporte qu’il a reçu une délégation de l’Église catholique en Algérie, conduite par le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, selon un communiqué ministériel. Cet élément s’inscrit dans un registre précis : la mise en scène d’un dialogue interreligieux sous contrôle institutionnel, avec une communication qui insiste généralement sur le respect du cadre légal et de la coexistence.
La question de la liberté de culte et du cadre juridique revient d’ailleurs de manière récurrente dans ses prises de parole publiques. Début décembre 2025, un article de presse rapporte qu’il a réaffirmé, lors d’une conférence scientifique sur la liberté religieuse, l’existence d’un cadre juridique national qu’il présente comme clair et protecteur. Ce type d’intervention situe le ministère à l’interface entre droit, politique et religion, et montre comment le discours officiel répond aux interrogations – internes et externes – sur la gestion du pluralisme religieux.
Enfin, la relation avec la diaspora et les institutions religieuses en France apparaît dans plusieurs occurrences médiatiques. Des publications de la Grande Mosquée de Paris relatent des rencontres entre Belmehdi et le recteur de l’institution lors de passages à Paris. Ce type de séquence, relatée par l’institution elle-même, met en évidence les liens entre autorités algériennes et structures religieuses fréquentées par une partie de la diaspora, dans un contexte où la question de l’encadrement religieux à l’étranger est sensible et souvent politisée.
Polémiques et lignes de fracture : quand le ministère devient tribune
La fonction de ministre des Affaires religieuses expose mécaniquement à la controverse. Le religieux, en tant que fait social, touche à l’intime, aux normes, à l’identité, et à la place de l’État. Dans ce cadre, Youcef Belmehdi n’échappe pas aux polémiques rapportées dans les sources ouvertes.
L’un des épisodes fréquemment mentionnés concerne la période du référendum constitutionnel de 2020, durant laquelle certaines déclarations attribuées au ministre ont suscité des réactions et ont été qualifiées de polémiques par des notices biographiques. Le fait même que ces controverses soient retenues dans les synthèses publiques indique qu’elles ont marqué l’image du ministre dans l’espace médiatique.
Un autre sujet de tension, plus structurel, réside dans l’équilibre entre liberté de culte, encadrement institutionnel et discours sur la référence religieuse nationale. Lorsque le ministre affirme l’existence d’un cadre juridique solide, il intervient dans un débat où les perceptions diffèrent : d’un côté, le discours officiel qui insiste sur la garantie constitutionnelle et légale ; de l’autre, des critiques, parfois exprimées par des acteurs politiques, associatifs ou internationaux, sur la manière dont ces garanties se traduisent. Dans ce champ, le ministre est souvent amené à défendre la position de l’État, particulièrement dans des forums ou conférences à portée scientifique ou institutionnelle.
La lutte contre les discours religieux non institutionnels, notamment sur les réseaux sociaux, constitue aussi une ligne de fracture contemporaine. Parler de « fatwas intruses » et de protection du référent religieux revient à poser une frontière entre une parole autorisée et une parole jugée illégitime ou dangereuse. Ce vocabulaire traduit une inquiétude : celle d’une circulation incontrôlée d’avis religieux, potentiellement instrumentalisés, et d’une concurrence directe au monopole symbolique que l’État tente de maintenir.
Enfin, la réforme du statut de l’imam, si elle est présentée comme un progrès social et professionnel, peut aussi être lue comme un outil de contrôle accru. C’est un point de débat classique dans les politiques religieuses : améliorer la condition matérielle et clarifier le cadre, tout en renforçant l’alignement hiérarchique. Les articles qui relaient les propos de Belmehdi mettent surtout en avant la dimension d’amélioration et de relance du secteur, mais la réception sociale d’une telle réforme dépend aussi des attentes des acteurs concernés et des équilibres internes du champ religieux.
Au total, Youcef Belmehdi apparaît moins comme une figure de tribune que comme un ministre de secteur : un acteur politique par la fonction, un administrateur par la méthode, et un représentant de l’État sur un terrain où chaque mot engage une conception de l’ordre social. Son importance ne se mesure pas à une carrière élective mais à la place qu’il occupe dans un ministère chargé d’organiser, d’encadrer et de symboliser un aspect central de la société algérienne. Son action, documentée à travers des dépêches, des communiqués, des conférences et des déplacements, dessine un fil rouge : affirmer une référence religieuse institutionnelle, moderniser certains outils (formation, numérique), et défendre un cadre juridique présenté comme garant de la liberté de culte, tout en maintenant une forte logique de régulation.



